La Couronne de Cuivre

Quête : Sans Foi ni Lois

Agrippa, Kasumi et Anoushivaran parvinrent rapidement au quartier religieux de Manost, ayant laissé derrière eux l'agitation du Port de la ville. La scintillement des armures et le cliquetis des armes exhibées en tous sens par les nombreux hommes de guerre assurant la sécurité du quartier ou se rendant dans les divers établissements de culte marquait un contraste très fort avec la diversité du peuple qui vaquait à ses occupations frivoles sur la promenade des quais.

Nous y voici. J'ai deux noms à vous donner.
Le premier est celui du premier chevalier de l'ordre, qu'il m'a été donné de rencontrer lors d'une rencontre "oeucuménique" organisée par les autorités de la ville - enfin... je vous passe les détails du fiasco, les Tormites ne sont pas exactement ouverts d'esprit, et celui-ci manie mieux l'épée à deux mains que l'art de la rhétorique - mais sire Thomas Chrisomai est une autorité ici. Sa plus grande faiblesse est un penchant excessif pour les vanités et la gloriole militaire... ainsi qu'un attachement sans borne à son statut social et sa place au sein de l'ordre. Je pense pouvoir dire sans trop me tromper que sa chambre est probablement au dernier étage de l'édifice, aux côtés des celles des autres officiers.

Le second est celui de Maître Archambaud Chrisomai. Il est le frère ainé de notre chevalier modèle, et est un des piliers de l'atelier de traduction encyclopédique et historique du temple, tenu par les clercs tormites. J'ai eu l'occasion d'échanger quelques idées forts intéressantes avec lui, du fait de ma curiosité de clerc de Dénéir. Il possède une cellule dans l'aile cléricale du bâtiment.

Je me permets de vous avertir une dernière fois sur la difficulté de la tâche qui vous attend. Si vous souhaitez que je me joigne à vous, je m'en accommoderai, mais ce sera à vos risques et périls. J'ai un statut dans cette ville, et tout ne m'est pas permis finit-il avec un sourire entendu à l'intention de ses deux acolytes.

Quête : Sans Foi ni Lois is not dead

L'impatience du clerc devant les facéties du rôdeur et de sa chose avait empêché Anoush d'esquisser plus qu'un bref sourire, avant de se sentir gagnée par une tension identique à la sienne. L'affaire était grave... Non, ce n'était pas le terme... Elle touchait des sphères élevées, et dangereuses ? Peut-être... Sans pouvoir en expliquer la cause, c'est plus soucieuse que railleuse que la femme arriva, avec ses deux compagnons, aux portes du temple Tormite. Son malaise allait grandissant, au rythme de l'apparition de groupes d'hommes aux lourds harnois, s'affairant très sérieusement à leurs tâches liturgiques. Distraite des paroles du diplomate luménien, elle tendit le cou pour embrasser du regard l'intérieur du temple.

L'édifice donnait à la fois cette impression de froideur, de sévérité, mais aussi d'une certaine netteté, voire d'une certaine lumière. Au loin, un chant sacré résonnait faiblement, capta son oreille un instant, un écho éveillant un indescriptible sentiment chez elle - quelque chose qu'elle n'avait pas encore appris à entendre. Anoush réprima un frisson.

Agrippa leur offrait donc le nom de deux des éminences de l'ordre. Kasumi et elle auraient de quoi faire. Ce ne serait certainement pas trop difficile d'en appeler à la vanité de l'un, surtout lorsque les failles de son armure étaient si clairement indiquées ; tandis que l'autre saurait probablement se ranger à sa propre sagesse... L'exposé du clerc de Dénéïr terminé, la barde répondit immédiatement :

- Quant à votre présence avec nous, nous venons déjà de vous prouvez suffisamment qu'il pourrait vous nuire de nous accompagner... Sauf votre respect - je soutiens généralement le partage des besognes, et votre aide précieuse à un endroit y serait probablement mieux employée, expliqua-t-elle avec une fermeté qui l'étonna elle-même.

Sans prendre la peine de se tourner vers son compère rôdeur dont elle supposait l'accord tacite - dans le pire des cas, celui-ci ne manquerait pas de rappeler le contraire - elle reprit à l'attention du Luménien :

- Je n'ai guère l'usage d'agir en ces lieux... A quel titre pensez-vous que nous devrions être annoncés ?

Ruser, ou jouer franc jeu. Ce que l'on pourrait faire avec l'un, on devrait certainement le faire avec l'autre, bien que des approches distinctes eussent pu être plus fertiles... La barde s'en remettait ouvertement à la compétence de leur commanditaire.

Quête : Sans Foi ni Lois Sort de Nécromancie sur la quête.

La petite hermine s’était rapidement trouvée un place de choix dans le sac de voyage du rôdeur. De temps en temps, elle en sortait la tête pour regarder aux alentours avent de replonger dans son nouvel environnement chaud et douillet.

Kasumi avait ainsi suivi ses deux compagnons, découvrant la grandeur et la magnificence de la Cité du Vigilant. Malgré lui, il se sentait admiratif quant à l’impression d’ordre, de sérénité et d’immuabilité que dégageaient les bâtiments mais aussi par l’atmosphère détendue et résolue des habitants. Ces impressions atteignirent leur apogée lorsque le groupe pénétra sur la Place où étaient érigés les principaux temples de la Cité. Tant de grandeur aurait, partout ailleurs dénoté de l’arrogance. Ici, l’équilibre des structures, leur raison d’être qui transparaissait dans chaque pierre renvoyait une image positive de dévotion et de dignité humaine.

Néanmoins, Kasumi, plus habitué à côtoyer de tels traits d’urbanisme sophistiqués, fut presque soulagé de pénétrer dans un bâtiment de taille moyenne, comparativement au Temple d’Helm. Dans le hall immense et lumineux, les pas des deux humains résonnèrent sur le sol de marbre tandis que le rôdeur s’efforçait d’étouffer le son des siens, par habitude.

A présent, il s’agissait de commencer l’enquête. Le rôdeur écouta attentivement l’avis d’Anoushivaran avant d’exprimer le sien :

– Je suis d’accord pour nous répartir les tâches en cette affaire. Maître d’Orgeval, votre aide sera d’autant plus précieuse que vous serez moins impliqué directement, au vu des forces en présence en tous cas.

Je suis également d’avis de ne pas révéler le nom de nos commanditaires puisque nous ne pouvons pas, en l’occurrence, présenter de documents officiels. Tâchons de prendre la température des lieux et de poser quelques questions avant de nous annoncer en grandes pompes. C’est pourquoi il vaudrait mieux commencer par une entrevue avec ce responsable des archives. Il nous suffira peut être de piquer sa curiosité pour nous en faire un allié.

Quête : Sans Foi ni Meujeu

A la réponse de son coéquipier, une moue annonciatrice de tempête se dessina sur les lèvres pulpeuses de la charmeuse trouvère.

- Il faudra surtout s'atteler à ne pas éveiller sa curiosité outre mesure, souffla une Anoushivaran pointilleuse à l'envi. Peut-être la croyance aveugle dans votre divinité, au point de lui recommander le moindre nuisible vendu sur un marché... (Elle fit taire les protestations naissantes du forestier d'un geste, lui intimant de la laisser terminer)... vous fait-elle oublier que nous ne sommes certainement pas en présence de personnes partageant à tous points de vue notre conception morale, et d'autant plus les moyens de la réaliser. Un seul homme, suffisamment puissant et intelligent pour être arrivé à ce poste, saura nous manipuler alors que nous penserons le faire... Tous ces hommes, insista-t-elle avec conviction, ne sont pas moins humains que les autres.

Comme si l'humanité, à travers ses paroles, n'était que faiblesse de l'âme. Anoushivaran commençait à se demander si ces paroles n'étaient pas allées trop loin, en révélant une profonde ligne de fracture entre ceux qui devaient coopérer, percevant un certain raidissement du côté du prêtre de Dénéïr. Elle secoua alors la tête et changea d'angle :

- Nous ne nous présenterons pas en tant que tels, mais dans ce cas, de qui nous réclamerons-nous ? Ne pensez même pas une seconde à me faire passer pour une aspirante tormite...

Quête : Sans Foi ni Lois

Le rôdeur fit mine de s’éloigner mais au bout de quelques pas, il se retourna et s’adressa à Anoush :

– Vous seriez-vous reconvertie dans le calambour devant l’insuccès de vos autres talents, barde ?

Il prononça ces mots avec mépris et aigreur mais leva la main pour faire taire les protestations et la riposte déjà sur les lèvres de la jeune femme.

– Souffrez que je finisse ! Il serait bien grand malheur en effet que tous partagent *votre* conception morale. On peut reprocher à ces gens de manquer d’humour, voire de souplesse, mais c’est toujours mieux que d’en étouffer les autres par excès. Vous démontrez une nouvelle fois que vous avez le jugement hâtif et moins de discernement que cette jeune hermine.

Quête : Sans Foi ni Lois

Anoushivaran se tut quelques instants, maudissant à la fois sa promptitude à épancher ses opinions et celle du rôdeur à s'emporter dans l'excès pour des futilités. Dès qu'on avait le malheur de toucher à sa damnée fouine, aussi... Nonobstant, elle reprit avec un reste de colère rentrée :

- Si vous-même ne souffrez entendre ce avec quoi vous n'êtes pas d'accord, faites montre de miséricorde à mon endroit, moi qui dois subir cela mille fois plus souvent. J'en appelais uniquement à votre bon sens, et je pourrais donc en conclure que votre réaction disproportionnée en prouve la totale absence qui vous caractérise ; mais ici, ce n'est pas la question. Je tentais de vous mettre en garde contre un excès de confiance en des hommes faillibles ; nous sommes d'un côté comme de l'autre en présence de dévôts à deux divinités éminemment bénéfiques, et pourtant ceux-ci se vouent une rivalité sans merci, au point d'en devenir meurtrière !

Dardant un regard acéré sur Kasumi qui faisait mine de ne vouloir bouger d'un cil, elle ajouta à sa diatribe :

- Je ne reviendrai pas sur cet incident. Cessez maintenant de ruer dans les brancards par vos opinions bien arrêtées, et j'en ferai de même. Vous n'avez toujours pas émis la moindre suggestion quant à la façon de nous introduire sans provoquer le soupçon auprès de ces gens. L'engagement religieux de chacun de nous n'a de toute façon rien à voir avec nos agissements dans cette mission, conclut-elle avec assurance en lançant un regard néanmoins quelque peu hésitant vers Agrippa, qui visiblement n'avait pas l'air de partager plus que cela son opinion (autant sur cette dernière tirade, que sur ses déclarations antérieures).

Quête : Sans Foi ni Lois

Conscient que s’énerver avec la barde ne mènerait à rien de constructif, le rôdeur ravala sa rancœur et fit un effort sur lui-même pour se calmer. Il s’adressa civilement à sa jeune compagne :

– Vous avez raison, il nous faut trouver une excuse et des identités d’emprunt pour aborder les différents protagonistes.
J’aurais peut être une suggestion à vous soumettre si vous voulez l’entendre.

N’attendant pas vraiment de réponses, il enchaina sur le même ton :

– Il serait trop difficile de vous faire passer pour une aspirante Tormite mais peut être pas pour une passionnée de recherches liturgiques. Votre répertoire doit contenir suffisamment de références pour passer pour une experte du domaine.
Et comme nos deux contacts apprécient la culture et les armes, je pourrais jouer le rôle de votre garde fidèle : un soldat, qui à défaut d’épouser le culte Tormite, en a adopté les coutumes et les valeurs.

Quete : Sans Foi ni Lois

Les trois acolytes en étaient encore á choisir leur tactique d'approche lorsqque le plus jeune des deux gardes en armure rutilante postés sous les colonnes menant á l'entrée du temple s'avanca vers eux et les interpela. L'expression seule de son visage aurait suffit á donner un caractére menacant á son intervention, mais la maniére dont il brandit sa hallebarde et son ton de voix firent beaucoup pour renforcer ce sentiment chez les apprentis espions.

Vous trois, lá! Vous etes devant un lieu de culte, pas devant une vulgaire taverne! Avez-vous á faire avec Torm, ou bien faut-il que je vous envoie discuter ailleurs?
Avant meme qu'aucun d'entre eux n'ait eu le temps de répondre, le soldat zélé continua : Déclinez vos identités!

Bon baisers de Cuba :k: Je rentre le 17 au lieu du 29 finalement

Quête : Sans Foi ni Lois

La jeune barde n’avait décemment pas eu le temps de répondre à la suggestion faite par le rôdeur. Loin de considérer l’intervention du garde Tormite comme inopportune, Kasumi mit à profit les questions pressantes de celui-ci pour agir conformément à sa première idée. Il soulagea sa conscience en se disant qu’il laisserait l’occasion à ses complices d’intervenir au besoin – et particulièrement si son approche gâtait la situation. Il fit deux pas en avant puis s’inclina à la mode humaine avant de se présenter :

– Veuille le Pur nous pardonner notre intrusion en son sanctuaire béni ! Je me nomme Sieur Kasumi voyageur en quête des enseignements de la loyale main droite de la Justice. Moi-même et mes compagnons n’avons pas pu retenir les signes extérieurs de notre admiration pour la Maison de Torm.

Mais il serait malvenu de ma part de présenter ceux qui marchent à mes côtés : chacun parlera pour lui-même et les vrais fidèles jugeront de nos dires.

HRP : Ce style cubain avec des accents aigus partout est assez épicé.

Quête : Sans Foi ni Lois

L'aspirante tormite à contrecoeur tiqua lorsque le rôdeur présenta comme tel un prêtre visiblement d'une autre confession, puis de plus en plus lorsqu'il se lança dans une tirade ampoulée à la gloire de Torm le Pur. Considérant le peu de crédibilité qu'elle aurait dans un tel rôle, et déplaçant à grand-peine l'objet de sa rancoeur, elle se permit de rectifier le tir :

- Bien entendu, que nous avons affaire avec la Main Gantée ! Je vous prie de montrer tout le respect dû à notre maître d'études, au lieu de le considérer comme un vulgaire badaud, fit-elle en jetant un regard vers un Agrippa circonspect. Et puisque cela vous intéresse, mon nom est Amandine Osteraie, aspirante ménestrelle pour le sud de Dorrandin. Pardonnez ma vivacité, mais notre travail nécessite franchise et concision. Maître Kasumi et moi sommes attendus pour la consultation des archives du culte, à propos desquelles nous avons un arrangement avec le maître archiviste.

Quête : Sans Foi ni Lois

Le garde leva un sourcil du fait du ton de commandement pris par la jeune et frêle jeune femme.

– Je n’ai pas eu vent d’un quelconque arrangement de la sorte. Qui me prouve que vos dires ne sont pas un tissu de mensonges destiné à me mettre à l’épreuve ? Je dois connaître le nom de votre maître d’études pour lui témoigner le respect qui lui est du.

Détectant une bonne occasion d’arrondir les angles, Kasumi prit la suite de la jeune femme :

– Pardonnez la vivacité de la jeunesse de cette apprentie, les ménestrels sont parfois poussés au-delà des limites de la courtoisie par leur grande curiosité. Mais en l’occurrence, notre affaire est suffisamment pressante et secrète pour déroger aux règles habituelles. Pouvez-vous nous laisser libre accès à votre sanctuaire ? Nous déposerons nos armes en signe de bonne volonté si cela vous apporte plus de quiétude.

Guettant la réaction du garde et de leur commanditaire, le rôdeur se sentait agacé par ce délai supplémentaire.

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Agrippa avait progressivement senti la conversation échapper à tout contrôle et il eut bien du mal à ne pas cacher la peur de voir ses "employés" finir une nouvelle fois au fond d'un cachot manostien, sans même parler du piteux retour à Luménis qui l'attendait une fois son identité révélée.
Aussi le clerc n'eut il guère le choix que de rebondir sur les affabulations de la barde - Dénéir puisse lui faire pousser une barbe aussi grande que sa propension à inventer les mensonges les plus gênants - et de jouer le jeu qui s'imposait à lui.

Je me nomme Antonin; maître Antonin d'Eauprofonde, mon jeune ami. Puis, après une courte pause, visiblement destinée à faire forte impression, Oui! ne vous étonnez pas, je suis bien "Le" maître Antonin dont on vous a si souvent rebattu les oreilles lors de votre éducation, cher ouaille. Ma jeune disciple ici présente n'a pas manqué de mettre une fois de plus les pieds dans la salade de navets, comme on aime à le dire chez moi...


Anoushivaran et Kasumi ne parvinrent pas à déterminer ce qui du regard sanguinaire du garde ou de ses moulinets finirent par faire taire Agrippa, lequel mit avec dextérité le solide rôdeur entre lui et la brute en armure, mais toujours fut-il que la discussion semblait avoir atteint le point de non retour... à moins que le stade de la discussion fut déjà dépassé.

Quête : Sans Foi ni Lois

Le rôdeur leva un sourcil en entendant son commanditaire donner dans la fable et suivre les élucubrations de la barde avec encore moins de crédibilité. Il s’était attendu à plus de subtilité de la part d’un diplomate. A moins qu’il n’en fût pas un et simplement un artiste raté…lui aussi, ne put-il s’empêcher de penser. Toujours est-il qu’il se retrouvait maintenant dans une position délicate, coincé entre ses deux « alliés » et un spadassin homicide. Il prit sa voix la plus autoritaire pour tenter de se faire entendre :

- Il suffit ! Vous, rangez donc cette arme qui ne vous servira à rien tant que vous n’aurez pas appris à vous en servir autrement que comme instrument de votre rigidité. Et vous deux, les zigotos, bouclez-là un instant !

Trop stupéfait pour réagir immédiatement, le garde Tormite laissa l’opportunité à Kasumi de reprendre sur un ton plus apaisant :

- Veuillez excuser ces deux personnes. Je les ai rencontrés sur la place en me rendant ici pour m’entretenir avec Sire Thomas Chrisomai. Il me semble qu’ils sont un peu fous, surtout la fille, mais je n’ai pas eu le cœur à refuser leur requête : j‘ai cru comprendre qu’il s’agit de chercheurs en théologie venus d’Eau-Profonde pour consulter la sagesse de la Cité Bénie. Leur refuserez-vous l'accès au sacré enseignement de Torm ?

Quête : Sans Foi ni Lois

Contre toute attente, la prise de parole du rôdeur sembla immédiatement désamorcer l'hostilité du garde. Celui-ci abandonna ses mimiques guerrières pour reprendre la parole, sur un ton plus amène, mais s'adressant de manière ostensible au seul Kasumi.

Oh... je vois où vous voulez en venir. J'ai moi aussi eu à supporter ce genre d'individus, lors de mon rite de passage. Figurez-vous que mon supérieur m'avait collé deux vieux prêtre et un scribe à escorter à l'autre bout du territoire helmite... le voyage le plus long qu'il m'ait été donné de faire, je peux vous l'assurer.
La sentinelle laissa passer quelques instants durant lesquels les trois compagnons crurent pouvoir deviner le désarroi du jeune homme devant ces souvenirs difficiles dans son regard troublé.

Bon, si vous laissez vos armes sur les rateliers du vestibule, alors nous vous laisserons accéder à la bibliothèque... mais attention, là-bas, ce sont les scriptors qui ont toute autorité. A tout prendre, nous autres gardes sommes moins rigides que ces moines aussi ridés que leurs parchemins.

Quête : Sans Foi ni Lois

Satisfait et soulagé par la réaction du garde qui entendait enfin raison, Kasumi se dirigea vers une table du vestibule. Il y déposa son arc, un carquois rempli de flèches et ses deux épées. Tout en se retournant pour voir si ses compagnons obtempéraient, il lança au spadassin :

- Je n’ai pas à me soucier de notre sécurité au sein de ces murs je suppose, tout comme je n’ai pas à me soucier du fait de retrouver mes affaires en repartant, n’est-ce pas ?

N’attendant pas vraiment de réponse, il ajouta :

- Allons, ne faisons pas attendre ces dangereux bibliothécaires ! Ils n’ont plus toute la vie devant eux. Mais j’aimerais néanmoins solliciter une entrevue avec Sire Thomas Chrisomai s’il consent à recevoir un demi-elfe qui doit l’entretenir à propos d’un grand péril potentiel.

Quête : Sans Foi ni Lois

Le garde leur prêtait à vrai dire plus grande attention depuis l'intervention de Kasumi, et c'est sur un ton détaché qu'il répondit au rôdeur.

Un péril? Eh bien, vous n'êtes pas là pour perdre votre journée, vous, pas vrai? Vous pourrez toujours demander votre chemin à l'un des gardes à l'intérieur du bâtiment, une fois sorti de l'aile cléricale.

Agrippa et Anoushivaran avaient - une fois n'était pas coutume- suivi docilement leur compagnon, à la fois honteux et confus (en ce qui concernait le prêtre en tous les cas) de leurs bévues précédentes, et ne semblaient pas pressés de prendre une initiative en ce lieu d'un calme impressionant et pesant tout à la fois.

A Manost, outre les helmites, seule la Triade – Tyr, Torm, Ilmater – était autorisée à tenir des temples, par égard pour leur proximité spirituelle avec le culte du Vigilant. C'était ce qui avait permis la fondation d'un petit temple de Torm sur la grande place du Temple de Helm.

L'Eglise de Torm avait toujours eu des relations plutôt ambiguës avec celle de Helm. Alors qu'au Panthéon les deux divinités, aux préceptes très proches, étaient alliées, leurs fidèles ici-bas ne cessaient de rivaliser. Les Tormites de Manost ne dérogeaient pas à la règle : ils compensaient leur petit nombre par leur suractivité dans la lutte contre le Mal et toute forme de corruption. Leur principal atout en ville était le grand nombre d'adeptes qu'ils comptaient au sein du Cœur Radieux.

Ils n'avaient pu manquer de remarquer le climat délétère qui régnait au sein de l'Eglise de Helm. S'ils en avaient eu le moindre doute, le rapport que le grand prêtre Anaxerxès avait fait quant au déroulement du second conclave l'avait dissipé.

Mais ils avaient résolu de demeurer simples témoins des événements. Pour l'heure, les helmites semblaient gérer la crise ; ils avaient nommé, sinon investi, un nouveau grand prêtre qui avait la faveur de leur dieu ; des enquêtes sérieuses traquaient la corruption du clergé. Les Tormites avaient accueilli avec une certaine satisfaction la déclaration de guerre.

Mais il commençait à y avoir plus que cela. Des rumeurs couraient, ces derniers jours, à propos du temple de Helm et de plusieurs défauts de soins, ou d'accidents survenus sans cause apparente...

Anaxerxès avait prié son dieu. Et la réponse, parvenue sous forme de vision, l'avait fait pâlir... Il demanda aussitôt audience auprès du Haut Prélat du Cœur Radieux.

Ce dernier étant très occupé, il ne put l'accorder que pour le lendemain.

Il avait passé ces derniers temps sur les cartes, avec ses généraux afin d'évaluer les forces dont Manost disposait, les points à renforcer à la frontière afin de mettre un terme aux escarmouches qui se multipliaient. Ravestha avait discuté stratégie dans l'optique de cette guerre qu'il ourdissait des heures durant. C’était un refuge qui le laissait seul avec ses pensées sitôt qu’il délaissait ces considérations. Les jours se succédaient aux jours sans que la moindre réponse ni le moindre signe ne vienne à la suite de ses prières. Même après la mort du Grand Prêtre Poingvaillant, jamais Helm ne lui avait imposé une telle indifférence. Il se passait là quelque chose de bien plus grave et des faits insignifiants qui n’auraient jamais été remontés à ses oreilles auparavant le tourmentaient.

Armé en tout et pour tout de son courage, il se rendit d’abord dans les abords du temple d’Ilmater. Vu la taille du bâtiment, il s’apparentait plus à une chapelle qu’à un temple en bonne et due forme, résultat à la fois de la politique de la ville – sa politique – de ne laisser qu’un peu de place aux divinités acceptées ici mais également le dimensionnement avait été fait intelligemment selon la fréquentation des fidèles du Dieu Qui Pleure. L’hôpital de la ville était adjacent au temple et y travaillaient de conserve des prêtres des différents cultes de la Triade et de Helm selon une organisation commune.

Il n’était nul besoin d’être Grand Emissaire et connaître la ville depuis des années pour comprendre à la vue de l’agitation dans les environs du temple que l’activité y était anormalement élevée. Quand le temple de Helm était désert sinon de ses prêtres, les Ilmatérites peinaient à répondre à l’ensemble des sollicitations. Untel se sentait malade, untel réclamait qu’on s’occupe d’une plaie gagnée lors d’un coup de dague reçu la veille au soir, une mère pleurait au pied d’un clerc pour les soins de son enfant resté chez eux.
Les deux gardes manostiens qui escortaient Ravestha un pas derrière lui ne manquèrent pas d’échanger un regard que ne put surprendre le conseiller dans son dos. Il reprit sa route sans ajouter un mot.

Il ne fréquentait presque jamais le temple de Torm, les rencontres avec les dirigeants du culte se faisaient souvent au palais selon son propre souhait. Après le temple de Helm, c’était le plus imposant et si Ravestha avait quelques difficultés à voir en ces Tormites des frères, il s’efforçait de suivre la voie de son dieu en travaillant avec eux. Même si dans un premier temps, il s’était surtout agit de tolérer leur présence. Après la vue du temple d’Ilmater, il appréhendait ce qu’il allait observer dans celui du Véritable. Lorsqu’il arriva devant, au moins constata-t-il avec un peu de consolation que l’activité à l’extérieur ne semblait pas plus élevée que d’habitude. Mais il fallait en avoir le cœur net : il s’avança et laissant son escorte à l’entrée, pénétra dans le temple.

Le Temple paraissait calme, par comparaison avec l'activité fébrile des soigneurs Ilmates. Ici, tout un chacun semblait s'activer comme à l'ordinaire ; certains priaient, d'autres répondaient aux sollicitations des fidèles ou bien vaquaient à leurs missions. Néanmoins, l'entrée du Grand Émissaire en ces lieux était loin de passer inaperçue. Après un instant d'hésitation – Ravestha faisant partie de ces personnalités que d'ordinaire l'on reconnaissait surtout à la présence d'une escorte conséquente autour d'elles – l'un des prêtres se décida à l'aborder. Abandonnant là sa discussion en cours avec un aspirant, il alla, avec une raideur toute militaire, s'incliner devant le dirigeant de la cité.

«Mes respects, Emissaire. Que nous vaut... l'honneur de votre visite ? »

Il n'osa pas insister davantage, mais sa surprise était sensible dans le ton de la question. Il y avait de quoi, somme toute. Une seule chose était certaine, cet homme-là ne venait pas prier...

La pénombre et le calme ambiant donnait à la salle une atmosphère des plus sereines. Si le conseiller Manostien s’était attendu à une mauvaise surprise quand à l’activité du temple, il en fut pour ses frais. Rien là que de très notable. Mais d’où lui venait alors qu’il n’en ressentait aucun soulagement ? La façon dont Ravestha observait la salle, tel l’investigateur cherchant ses indices, lui attira des regards bien intrigués. Quel diable de mauvaise surprise cet air fureteur pouvait signifier pour les Tormites ? Le Grand Emissaire se tourna vers celui des prêtres qui lui avait adressé la parole. Il ouvrit la bouche comme pour répondre, mais la réponse ne vint pas. Pas immédiatement en tout cas. Car oui, pourquoi était-il venu sinon pour observer que le temple n’avait pas grimpé un échelon dans la fréquentation quand celui de Helm était tombé en bas de l’échelle. Ce qu’il réalisa alors, ce malaise qui alourdissait le poids sur son cœur alors qu’en embrassant la salle du regard il aurait dû se sentir mieux, c’est ce qu’il ressentait. Une aura divine. Exactement ce qui lui avait manqué en entrant dans le temple helmite.

« Salutations, prêtre de Torm. Je suis venu car j’ai besoin de réponses. »

Une phrase simple mais qui reflétait tellement son besoin. Il voulait des réponses d’Helm à ses prières, des réponses aux questions qu’il n’osait poser à son propre clergé, des réponses quand ses interrogations ne tournaient dans le néant que pour tourmenter son âme.

« C’est assez étrange de venir les quérir ici mais après tout, Torm et Helm ont toujours été proches. Depuis combien de temps êtes-vous à Manost, sire ?»

Le prêtre parut décontenancé par la question tant la situation semblait surréaliste : le Grand Emissaire de Helm en personne venait de pénétrer dans son temple pour… l’interroger sur son parcours ? Il répondit néanmoins.

« Depuis toujours, messire. Mon père était paladin du Cœur Radieux ; à la mort de ma mère, il décida de confier ses deux plus jeunes fils au temple de Torm. Devenu adulte, j’ai par la suite choisi de continuer à Le servir. »

Il fronça les sourcils comme le silence retombait. Quelque chose n’était pas normal dans l’attitude du Grand Emissaire ; il ne parvenait pas à se l’expliquer, et de toute évidence, les réponses que ce dernier cherchait ne viendraient pas de lui. C’est le moment où le serviteur diligent a l’intelligence de se reconnaître dépassé par les événements, et de renvoyer l’affaire devant plus compétent que lui…

« Peut-être souhaiterez-vous rencontrer notre grand-prêtre ? » suggéra enfin le Tormite. « Il me semble qu’il se trouve dans ses appartements… Je crains de ne pas avoir les réponses que vous recherchez. »

Il le sentait bien, sa présence était suffisamment insolite pour générer un certain embarras parmi les présents. Comment reprocher son manque d'aise à son Tormite d'interlocuteur quand lui-même ne se sentait pas vraiment débordant de sérénité.

"C'est aimable à vous de le proposer mais pourquoi donc douter de vous quand vous avez parfaitement répondu à la seule question que je vous ai posée ?"

Ravestha esquissa un mince sourire mais nul air amusé ne l’accompagnait.

"Vous connaissez donc le lien étroit qui unit notre cité au Vigilant et à son Eglise. Car si le prêtre de Torm ne sent peut-être pas le parfum de malaise qu’exhalent nos rues chaque jour un peu plus, le Manostien l’a peut-être humé, lui ? "

Le prêtre le regardait l’air à la fois perplexe et méfiant. Il n’eut cependant pas à réfléchir à une réponse que Ravestha poursuivit.

"Vous psalmodiez des prières pour Torm, vous lui chantez louanges et remerciements et il vous répond ? Oui ? Non ?"

Alors d’où me vient qu’Helm ne s’exprime plus d’une manière ou d’une autre ?! Il avait parlé plus fort qu’il ne l’avait voulu, s’attirant par là des regards de travers. Mais cette question, c’était en hurlant qu’il se l’était posée en pensée.

"Je crois que vous avez raison, je devrais rencontrer votre Grand Prêtre, s’il se trouve bien présent. "

Joignant ses mains dans le dos, il se remit droit, prêt à emboîter le pas au clerc.

Après cette dernière sortie, le prêtre mit un singulier empressement à s'exécuter. Tandis qu'il conduisait le Grand Emissaire vers les quartiers d'Anaxerxes, il ne pouvait s'empêcher de ressasser les paroles énigmatiques du dirigeant helmite. Ce dernier était-il en train de dire qu'il avait perdu la faveur de Helm, et Manost avec lui, et que de là venaient les anomalies de ces derniers jours ? Mais ces troubles étaient encore limités par rapport aux diverses crises que la ville avait déjà traversées, n'est-ce pas, songeait le manostien. Et le clerc quant à lui n'osait imaginer les conséquences : s'il avait vu juste, la Cité allait sombrer dans le chaos. Et avec la guerre à ses portes... Par Torm, pas ça !

Ils étaient parvenus devant les appartements du grand-prêtre ; la porte était ouverte, et sans attendre plus ample introduction Anaxerxes s'empressa de venir saluer son hôte – sans doute avait-il été prévenu quelques instants plus tôt de cette visite impromptue. C'était un homme dans la force de l'âge, court sur jambes et large d'épaules. Une calvitie précoce lui dénudait le crâne.

En dépit des paroles de politesse, Anaxerxes était sombre et quand il eut dévisagé Ravestha quelques instants, il le fut plus encore.

« Laissez-nous seuls », dit-il à l'attention de plusieurs clercs qui s'éclipsèrent aussitôt. Les appartements lui parurent alors immenses, déserts, trop déserts. Le grand-prêtre de Torm y déambulait nerveusement. Il ne pouvait faire l'économie de cette conversation avec le Grand Emissaire, mais tout bien réfléchi, il aurait préféré éviter de se trouver confronté directement à lui. De toute évidence, ce dernier se doutait de quelque chose. Mais avait-il compris l'ampleur du problème, était-il prêt à en affronter les conséquences ?

« Votre visite tombe à point nommé, Emissaire. J'avais d'abord sollicité le responsable du culte, Guiguemar d'Aulfray, mais autant que ce soit vous. Devant la gravité des événements, je préfèrerais éviter les circonvolutions inutiles : comment analysez-vous la situation actuelle ? »

http://www.baldursgateworld.fr/lacouronne/entree-dans-la-ville/21577-lieu-le-cimetiere-de-manost.html#post239542 Arrivant de la place du temple

Elanor salua les gardiens du temple de Thorm d'un hochement tête et se présenta:

"Elanor Alfirin, paladin Helmite de l'Ordre du Coeur radieux. Sir Théoden, mon maitre, a été gravement blessé par une goule. J'aurais besoin d'un prêtre au plus vite au cimetière de la ville."

HRP : un bon choix.

Les tormites ne semblèrent pas plus surpris que cela de voir la paladine s'adresser à eux plutôt qu'au temple de Helm pourtant tout proche ; depuis le début de la journée, toute personne passant sur la place du temple ne pouvait manquer de remarquer l'incessant ballet des malades refoulés par les helmites sous prétexte du manque provisoire de personnel soignant : la majeure partie de ces patients s'adressaient aux Ilmates en désespoir de cause, mais quelques uns venaient chercher la protection de Torm. Cependant, si les helmites n'avaient même pas les moyens de soigner les leurs, la situation devait être plus grave qu'il ne semblait...

L'Eglise de Torm comptant beaucoup de paladins, porter secours à l'un d'entre eux paraissait tout naturel à ses clercs ; Elanor n'eut ainsi aucun mal à dénicher un volontaire. L'un de ses interlocuteurs s'annonça bientôt prêt à la suivre sur-le-champ au cimetière. Et ils repartirent sans prolonger davantage la conversation, conscients que la survie de Théoden dépendait peut-être de leur promptitude.

Elanor fut soulagée, sa requête fut traitée rapidement. D’un autre côté, les Tormites n’avaient pas parus surpris de sa demande, cela ne présageait rien de bon sur l’état de l’église Helmite. Elle n’avait pas le temps de se renseigner plus, chaque minutes étaient précieuses pour sauver Théoden. Le prête Thormite et Elanor ne perdirent pas de temps en vaine parole et se hâtèrent de gagner le cimetière.

Direction le cimetière

Malgré le respect qu'il pouvait vouer aux plus hauts représentants du culte tormite, il y avait en lui cette part de défiance que partageaient nombre d'Helmites envers la Loyale Fureur. Si bien que venir chercher des réponses auprès de ceux que certains parmi les plus radicaux considéraient comme des usurpateurs le mettait dans un état incompréhensible d'irritabilité. Il était peut être conseiller de la Cité Bénie, il se sentait devant cet homme en position d'infériorité.

Au contraire du prêtre qui faisait les cent pas, Ravestha se tenait raide et sans bouger. A la question il croisa les bras et marqua quelques secondes avant de lâcher :

"Factuellement, ce que l'on aurait pu prendre pour des punitions individuelles prend une toute autre dimension lorsque l'on ouvre un peu les yeux. Les comportements ont changé, les accidents se multiplient et..."

Un frisson le parcourut quand il repensa à son passage au temple. Sombrement mais sur un ton implacable, il termina.

"Le Vigilant ne répond plus à mes prières. C'est comme si Helm avait abandonné cette cité, que nous étions sanctionnés par sa divine volonté. "

Ses yeux scrutaient le visage du Tormite. Etrangement, partager ce qui lui pesait sur l'âme depuis longtemps le soulagea. Il en avait assez de tergiverser, assez de poser des questions auxquelles le silence n’apportait aucune réponse, seulement de la peur, de la frustration, du désespoir. Mais le soulagement ne s’accompagnait pas douleur. Avouer cela devant un homme de culte, c’était avouer avoir trahi la foi de son dieu et son échec. S’il avait l’air impassible et affichait un visage fermé, tout son être ne demandait qu’à courir, laisser le prêtre là avec les leçons qu’il n’allait pas manquer d’asséner, laisser ces fichus tormites à leur culte et retourner se réfugier dans la solitude qu’il affectait tant. Il se morigénait intérieurement d’afficher autant de faiblesse, mais la soif de réponse était tellement plus forte… Il resta sans bouger, les membres raidis et les muscles contractés, guettant ce qu’allait dire Anaxerxes.

Anaxerxes s'était arrêté de déambuler, le temps d'observer le dirigeant helmite. Quand il entendit ce dernier confesser qu'il n'avait plus aucun lien avec son dieu, une étrange expression traversa fugitivement son regard. De la pitié, peut-être... Mais le temps n'était pas propice aux épanchements. Il y allait avoir une crise à gérer. Et quelle crise.

"Non, Emissaire, commença-t-il presque doucement. Manost n'est pas en cause. Pas plus que vous. Si je puis me permettre, c'est beaucoup plus grave que ça."

Il se remit à aller et venir, incapable qu'il était de contenir plus longtemps sa nervosité.

"J'ai remarqué comme vous l'étrange ballet des malades aux portes du Temple. J'ai remarqué ces divers signes de défaillance de votre magie cléricale... J'ai prié et interrogé mon dieu sur ce qu'il se passait. Et Torm m'a envoyé une vision."

Il s'arrêta, levant les yeux vers les poutres, comme s'il tentait de susciter à nouveau les images terribles quoi lui avaient été accordées.

"Je voyais au milieu du Néant deux immenses avatars divins dressés face à face, les armes à la main. Leur divine nature s'imposait à moi comme une évidence : leur aura me fouettait le visage, même en rêve. Je fus d'abord surpris de ne pas reconnaître mon dieu parmi eux. Je m'attendais à revoir le combat titanesque que le Véritable livra jadis contre le Seigneur Noir, aux Temps des Troubles, mais ce n'était pas cela.

A dextre se dressait un homme barbu porteur d'une cotte de mailles. Il était manchot et un voile de gaze couvrait ses yeux. A senestre se dressait un homme en harnois, dont le visage était dissimulé par le heaume. Bien qu'immense lui aussi, il paraissait néanmoins plus petit.

De sa main valide, le manchot sembla tirer de nulle part une pièce brillante à l'éclat invraisemblable qu'il jeta entre eux deux en un geste de défi. J'aperçus le profil d'une femme sur sa face. L'homme en harnois parla peut-être, mais je n'entendis pas ses paroles. Il se contenta de camper sur sa position et de dresser son bouclier. Alors le manchot tira l'épée et attaqua. Le combat dura et dura, et les coups étaient d'une puissance à ébranler la voûte céleste, mais l'infirme était manifestement plus puissant que son adversaire. Le harnois peu à peu s'ébréchait et l'on pouvait apercevoir le Néant au travers. Au bout d'un temps qui me parut infini, je le vis tomber et ma vision prit fin."

Il baissa les yeux, aussi accablé qu'il l'avait été la première fois.

"Inutile, je pense, de vous expliquer ce que cela signifie."

[Arrivant de]

Après son départ précipité, Mornagest dut, pour se rendre chez les Tormites, quitter les bas quartiers pressés autour du port et retourner dans la ville haute : le temple de Torm ne se situait qu'à quelques rues traversières de la grande place du temple. Bien que de dimensions réduites de moitié si on le comparait avec son gigantesque voisin, ce temple témoignait d'une prétention certaine ; ses nombreuses statues, ses lignes inflexibles et son entretien irréprochables clamaient haut et fort l'opulence, le pouvoir, l'ambition. On était loin de la pauvreté affichée du temple d'Ilmater, ou même de la modestie des chapelles de quartier. Mais, somme toute, on aurait pu faire les mêmes reproches au grand temple de Helm.

Les abords du temple fourmillaient d'activité. Il y avait bien des malades, mais en nombre bien moins important que sur la place du temple. Ils faisaient la queue devant les marches, avec une certaine inquiétude. En approchant, Mornagest put voir que les Tormites n'avaient affectés qu'un nombre restreint de prêtres aux soins publics - ils étaient plutôt moins nombreux que les Ilmates. Il entendit aussi des malades se plaindre de ce que, devant la pénurie de guérisseurs, les prêtres Tormites avaient rehaussé leurs tarifs. Une façon de gérer le flux ? En tout cas, cela ne contribuerait guère à les rendre populaires.

L'essentiel de l'activité venait d'ailleurs. Des prêtres allaient et venaient, s'excusant auprès des malades en expliquant qu'ils étaient prêtres de guerre, et non guérisseurs. Mornagest en aperçut d'ailleurs un groupe qui semblait tout frais arrivé des portes, et qui s'arrêta devant la façade, sac au dos, pour la contempler d'un air fourbu et heureux.

Il y avait aussi un grand bâtiment accolé au temple, et le guerrier comprit rapidement que ce dernier abritait le chapitre des paladins de Torm. Si beaucoup d'entre eux étaient membres du Cœur Radieux, une partie ne se reconnaissaient aucune autre allégeance que leur propre Eglise, et logeaient là. Ici aussi, les gens allaient et venaient en l'ignorant totalement.