La Couronne de Cuivre

[Quête : à la recherche de son identité]

Sa mission terminée, Mornagest errait sans but aux alentours du quartier noble de Mélandis. Perdu dans ses pensées, le guerrier ne regardait pas où ses pas le menaient. Il songeait à sa situation, son existence de tueur, qui semblait sans fin, sans but réel. Où cela allait-il le mener ? N'y avait-il d'autre conclusion possible à cette immense fresque ?

Il arpentait à présent les rues adjoignant la place du quartier religieux. Son esprit vagabondait encore, lorsqu'enfin il réalisa qu'il se trouva face au temple d'Aurile. Il en fixa distraitement la porte d'entrée, entrouverte, avant de poursuivre ses considérations existentielles. Avisant un banc, à l'ombre d'un arbre, il s'y laissa choir en poussant un long soupir.

Mornagest se remémorait les pérégrinations récentes qui marquaient d'une empreinte fraîche son existence de guerrier insensible. Du moins le croyait-il. Les hommes les plus stoïques, en apparence, cachaient fréquemment une âme parcourue de nombre de sentiments altruistes ou affectifs.

Comment s'en assurer ? Qui pouvait lui fournir une réponse valable, et fiable ? Certainement pas ses connaissances mélandiennes. Il n'en avait d'ailleurs que très peu. Et il ne pouvait commettre l'erreur de les considérer comme ses amis. Tout au plus ne s'entretuaient-ils pas, par profit, ou par peur de représailles des dirigeants de la ville...

Ses yeux embrassaient la place dans son ensemble. Devant lui, majestueux et orgueilleux, le sanctuaire de Talos étalait une assurance presque réconfortante, pour celui qui ne savait où se réfugier pour échapper à ses vieux démons. L'idée de se proposer en tant que fidèle du dieu de la destruction effleura l'esprit du guerrier, mais s'envola aussitôt. Mornagest cherchait exactement le contraire : une destinée non pas plus paisible, mais dépouillée d'une partie de ces violences presque quotidiennes, lassantes par leur répétition, mais aussi, abrutissantes pour l'aventurier non vigilant.

Non, ce qu'il cherchait était son identité véritable, celle qu'il aurait dû avoir, si son enfance et son adolescence s'était déroulée au milieu de ses parents, dans le grand Nord. Sa vie, passée à venger ses défunts géniteurs, n'avait aucun sens. La vendetta accomplie, il était venu ici, à Mélandis, pour proposer son talent à l'armée du chaos. Mais était-ce vraiment ce qui l'attendait, si ces pillards n'avaient pas surgi, une nuit, de nombreuses années auparavant ?

Soudain, Mornagest se leva, les muscles ankylosés d'être restés trop longtemps dans la même position. Il marcha d'un pas ferme en direction du bâtiment dédié à Aurile. La fille du gel dominait sa région natale, avec une cruauté pendable, certes, mais qui plaisait au guerrier. Le froid était son environnement de prédilection, aussi pensait-il devoir débuter ses investigations d'un abord familier.

Peut-être sa destinée était-elle plus spirituelle qu'il ne l'aurait pensé, quelques jours même avant. Il se devait de s'en assurer. Impérativement.

[Quête : à la recherche de son identité]

Le guerrier pénétra dans le temple, et fut aussitôt assailli par une vague d'air froid lui léchant agressivement le visage, à un point tel qu'elle lui arracha un frisson. Cela faisait longtemps que Mornagest n'avait plus réagit de la sorte, que ce soit au froid, ou à la peur...

Il fit un pas en direction du coeur du bâtiment, et leva les yeux vers la statue de la déesse maléfique. Les traits fins, elle n'en représentait pas moins la morsure impitoyable du gel, sur les contrées du Nord, et même jusqu'à Mélandis, où les hivers étaient relativement rudes.

Perdu dans la contemplation de la sculpture, Mornagest n'entendit pas le prêtre venir derrière lui. Il sursauta lorsque ce dernier prit la parole :

"Puis-je vous aider, mon frère ? Cherchez-vous le recueillement auprès de notre déesse ?
- Euh...". Il hésita. Il ne savait comment formuler ses pensées à voix haute. La diction n'était pas son point fort.

"En fait... C'est difficile mais... Je ne sais où aller." Il semblait presque avoir craché ces mots, comme honteux de ses paroles.

Le prêtre le considéra un instant de son oeil glauque et froid. "Je comprends implicitement. Vous ne savez si votre destinée est celle que vous suivez actuellement ? C'est bien cela, je suppose ?
- Exactement. Je... je suis guerrier, et j'aime cette... fonction, mais, où cela me mènera-t-il ? Je vous avoue que je suis venu ici sans savoir pourquoi....
- Vous pensiez peut-être y découvrir votre foi ? Certains fidèles ne s'en rendent compte qu'à la fin de leur existence. Mais tout vient à point à qui sait attendre..."

Mornagest sourit à l'évocation de sa "foi". Il n'avait confiance qu'en ses capacités à survivre dans ce monde régi par la cruauté et les manipulations diverses. Ce n'était certes pas le réconfort euphorisant pour ces pleutres adorateurs qu'il cherchait. Il édulcora cependant ses paroles, soucieux de ne point être jeté du temple pour abus de franchise :"Ma foi ? Non, pas exactement. Je crois en l'existence des dieux. Mais... Je cherche une réponse plus concrète.
- Je ne suis pas philosophe. Mais, je puis vous aider. Je pense que vous n'êtes pas venu dans le sanctuaire d'Aurile par hasard... Sinon, vous auriez choisi celui de son maître, qui est beaucoup plus... rassurant, oserai-je dire. Votre manière d'agir a plus de rapport avec la Fille du Gel que vous ne pensez peut-être, non ?
- Je viens du Grand Nord... Les hivers longs de six mois, le gel permanent... Mon quotidien, jusqu'il y a peu. Je pensais trouver ici un moyen d'employer ma force à des fins utiles. Mais je sens qu'il me manque... quelque chose.
- Je ne puis sonder votre esprit. Cependant, il est certain que passer sa vie à combattre n'est pas une fin en soi. La voie est ailleurs, vous l'avez remarqué. Peut-être dans la religion, ou dans la conception d'une famille, tout dépend de ce que l'on est capable d'assumer à part entière.
- Un foyer ?" Mornagest ricana, un rire creux, sans joie. "La seule que j'aimais est morte de la main de Lathandriens... Les vils suppôts... Je n'ai jamais pu la venger. Mais mon amour pour elle est resté intact, bien qu'enseveli sous une lourde couche d'amertume..." Sa voix se brisa. Ses émotions, enfouies depuis longtemps déjà, ressurgissaient violemment, et aussi soudainement qu'un aigle plongeant sur sa proie. Il hoqueta, séchant ses larmes du revers de la main, et maudissant son accès de tristesse, la remplaçant par une rage envers lui-même pour s'être abandonné à la faiblesse des sentiments...

[Quête : à la recherche de son identité]

Le guerrier se ressaisit. Il fixa le prêtre d'un air gêné et confus. Il n'avait jamais imaginé pareille situation, même dans ses pires cauchemars. Il eut cent fois préféré se trouver en face d'un dragon bleu, plutôt que rester devant ce vieil homme mielleux, à brailler des incohérences sur son passé tumultueux.

Il regrettait son geste, désormais. Il avait longuement hésité, mais il savait qu'il ne pourrait se soumettre à la volonté d'une déesse, fut-elle influente au point d'Aurile, sur sa région natale. Son désir d'indépendance restait ancré au plus profond de son âme noire.

Mais il devait à présent se débarrasser de la présence oppressante de ce curieux de religieux. Voire... s'en débarrasser définitivement.

Feignant l'indécision, Mornagest jeta un coup d'oeil alentour. Personne d'autre dans le coeur du temple. L'occasion était belle de redonner un coup de fouet à son égo, diminué par cette crise de larmes inopportune.

Il hésita cependant. Assassiner un servant du temple était risqué. Si cet acte arrivait aux oreilles d'Aurile, son tourment serait éternel. Et impitoyable.

Néanmoins, la démesure de sa fierté de guerrier prit le dessus. Alors que son regard était posé sur un tableau mural, Mornagest dégaina promptement et chargea le prêtre, qui sursauta face à cette attaque inattendue.

Une fraction de seconde trop tard, et il finissait embroché sur la lame de Mornagest. Mais la souplesse du vieil homme eut rendu des points à bien des voleurs. Il évita le coup avec grâce, et contrattaqua immédiatement, frappant avec le tranchant de la main, en direction de la nuque de son agresseur.

Le coup s'écrasa sur la besantine du guerrier. Un instant dérouté, Mornagest envoya son genou dans les côtes du prêtre, qui s'écroula, alors qu'il entamait une incantation dont les sombres mélopées ne laissaient rien présager de bon...

La dernière chose que le clerc perçu, fut une chose froide et pointue, au milieu de son dos non protégé par une quelconque armure. Puis ce fut le néant...

Le sang du prêtre se répandait déjà sur les dalles noires du temple, que Mornagest filait en direction des bas-quartiers, soucieux de quitter au plus vite les lieux du crime.

[Quête : à la recherche de son identité]

L'esprit chargé des récents événements, Mornagest ne savait que faire. Bien que prouver sa culpabilité pour le meurtre du clerc d'Aurile relevait de l'improbable, et sa condamnation de l'impossible, il était arrivé à un point critique. Ses doutes étaient presque palpables, et ses pensées, incohérentes, fusaient l'une après l'autre, tant et si bien qu'il fut prit d'un étourdissement.

Il s'appuya contre une façade noircie de goudron, afin d'éviter la chute sur les pavés des ruelles de Mélandis. Se massant le front de la paume de la main, il tenta, en vain, de mettre de l'ordre dans ses idées au paroxysme du chaos.

Des assassinats... des quêtes mortelles sur les instances des dirigeants de la cité... des traques interminables dans les endroits les plus révulsants...

Ses déboires postérieurs à son arrivée dans la ville du chaos allaient prendre le dessus sur sa raison. Il avait cependant essayé, plusieurs fois dans son existence, de renier son essence meutrière, qui autrefois le répugnait et l'attirait simultanément.

Désormais, son appétit pour les crimes allait croissant. Comme si une vanne s'était ouverte depuis son séjour en ville, pour ne plus jamais avoir la force de se refermer, ni le désir.

Seul le droit de vie ou de mort sur autrui l'intéressait, avant même la nécessité de sa propre survie, en ces lieux rongés par le vice. Une priorité que beaucoup, avant lui, s'étaient sans doute arrogés. Mais quel en fut le prix à payer ? Probablement leur existence, sinon pire...

Mornagest se redressa. Peut-être n'était-il pas trop tard ? Sa rédemption n'était pas inaccessible, loin s'en fallait. Mais encore fallait-il qu'il en ait la volonté. Chose qui lui manquait cruellement. Sombrer dans les démoniaques délices du meurtre était si plaisant, si tentant...

... Qu'il s'y laissait entraîner, sans résistance, au contraire. Sa longue route vers la déchéance était entamée depuis trop longtemps, qu'il ne voulait guère rebrousser chemin. Et qu'il éliminerait quiconque se mettrait en son travers.

Il affichait un sourire béat, mais terriblement effrayant à contempler. Son regard était vide, ses traits crispés contrastaient avec le calme apparent dont il faisait montre. Sa respiration, courte mais lente, ne laissait en rien supposer qu'il livrait en lui une terrible bataille, qui menaçait de modifier irrémédiablement sa psyché pourtant déjà profondément établie.

Sa lutte intestine fut interrompue par un parasite sonore, dont il ne put distinguer la source, ni la teneur. Fronçant les sourcils, Mornagest tenta de replonger dans son escapade intérieure. Ce n'était pas un bruit fellinien qui allait empêcher l'aboutissement de ses desseins machiavéliques !

Mais le parasite revint. Avec insistance. Et crescendo... Agacé, Mornagest revint peu à peu à la réalité, pressé de retourner à ses périgrinations mentales. Sa vision était encore brouillée, aussi ne vit-il pas directement qui parlait. Mais le ton était univoque. Et les paroles également...

"Pour la dernière fois, lâchez votre arme et suivez-nous sans résistance. Au nom de l'Empire mélandien, vous êtes officiellement accusé du meurtre de Yanis, prêtre d'Aurile. Obtempérez, sinon nous nous verrons contraints de vous appréhender d'une manière plus... rude."

On l'avait démasqué ? Si vite ? Ouvrant grands les yeux, Mornagest s'aperçut avec stupéfaction que la nuit était dense, et qu'il était entouré de quatre gardes impériaux, aux abords peu amènes. Il n'avait guère le choix qu'entre mourir maintenant... ou d'ici quelques jours, pendu sur la place des exécutions...

En provenance de
L'étrange duo marchait d'un bon pas. La situation semblait plus que tendue ; au loin, dans les rues, les deux hommes de foi avaient pu apercevoir quelques duels entre prêtres, acolytes, ou simples suivants de divinités, souvent Talos, dont le pouvoir semblait s'essouffler d'heure en heure, contre des cyrinishades, des bainites, des umberlites, mais également des tempusiens, venus assister et participer aux réjouissances.

Vardis ne cessait, tout en marchant, de se lamenter sur la catastrophe qui risquait d'arriver d'un moment à l'autre, si tous les cultes étaient impliqués. La ville serait rasée à nouveau, comme quelques années auparavant. Il frémissait rien qu'en y resongeant.

Arrivant enfin au temple d'Aurile, les deux hommes purent constater qu'il était déjà trop tard ; les acolytes, accueillant généralement les gens venus prier la Fille du Gel, gisaient dans leur propre sang, à côté des portes défoncées du temple, tandis que d'autres corps jonchaient l'allée principale à l'intérieur du bâtiment.

Contemplant muettement le spectacle, Armand et Vardis ne purent que tenter de découvrir qui étaient les assaillants... visiblement, c'étaient encore des cyrinishades, apparemment devenus encore plus fous que leur dieu incontrôlable.

"C'est mal parti..." commenta amèrement Vardis. "Vous en connaissez d'autres ? Umberlie n'est pas trop loin, mais... nous risquons d'assister au même massacre."

Vardis considéra Armand d'un oeil étonné, avant de lui expliquer timidement la situation.

"Euh, comment dire ? Le temple de Mask a été détruit l'an dernier, messire, lors de la révolte des esclaves. Le clergé était trop affaibli pour rebâtir leur lieu de culte, et les rares survivants se sont convertis à Cyric - chose étonnante d'ailleurs..."

Il essaya de réfléchir, tandis qu'il répondait plus ou moins machinalement. Cyric pouvait être la base du problème ; seule une église puissante pourrait s'attaquer ouvertement à Talos. Néanmoins, une coalition entre cultes mineurs n'était pas à exclure... mais cela prendrait plus de temps de s'en assurer.

"Vérifions le plus probable... allons chez les cyrinishades et tentons de comprendre s'ils sont impliqués dans ce gâchis..."

Vardis réfléchissait nerveusement. Il était vrai que se jeter dans la gueule du loup paraissait plutôt absurde, néanmoins, cela pouvait également porter ses fruits... même s'ils n'étaient pas diplomates, ils étaient tous deux liés à des divinités neutres dans le conflit, et peut-être cela influencerait l'écoute des cyrinishades. C'est ce qu'il expliqua à Armand, ajoutant :

"Ils ne sont pas fous, quand même. Ils ne vont pas nous tirer dessus simplement parce que nous leur posons quelques questions... surtout s'ils sont innocents dans l'affaire. Ce qu'on pourrait faire, c'est nous faire passer pour des messagers du conseil, et tenter de parler avec un des hauts prêtres... non ?"

Elle eut tout juste le temps d'entendre un "Eh, toi, là-bas !" péremptoire, auquel elle ne répondit pas, avant de sortir du temple et de poursuivre sa course jusqu'à une ruelle annexe, avant de se retourner prudemment pour vérifier que personne ne la suivait ; c'était heureusement le cas. Que d'idiotie ! Mais elle s'en tirait à bon compte, cette fois. Ou presque...

"Salut, beauté. Ça t'dirait, un peu d'bon temps avec moi ?" grogna quelqu'un derrière elle, une voix rauque et assez âgée. Elle se retourna juste à temps pour voir une énorme massue en bois ornée de méchants clous fuser vers son visage, prête à l'assommer...