La Couronne de Cuivre

L'homme eut un sourire énigmatique. Elle avait beau jouer les naïves, il savait qu'elle comprenait de quoi il parlait. Mais il avait les cartes en main et ne les abattrait que le moment venu. Pour l'instant, s'amuser un peu avec sa proie.

"Hé bien, on ne voit des princesses que chez les elfes ou dans les contes, très chère"

Il avait secoué la tête sans se défaire de son invariable sourire. Un sourire de bon aloi mais, qui sans qu'elle puisse se l'expliquer lui fit froid dans le dos. Il avait eu une sorte de petit rire enfantin.

"Non, je ne vous ai pas vue chez les elfes. Charmante, notre entrevue fut tout autre. Il ne tient qu'à vous de vous en rappeler"

L'homme avait souri à nouveau.

"Mademoiselle, si vous avez oublié ces souvenirs, c'est peut être qu'ils vous semblaient désagréables. Il valait mieux qu'ils ne restent pas dans votre mémoire. Au fait, permettez moi de me présenter. Je me nomme Albus Dunhamore et je suis, dirais-je un arpenteur des plans, mages et quelque fois médium quand le cœur m'en dit. "

Quête : plans et chaussettes

Pendant qu'il parlait, Titoeil s'était rapprochés d'eux. Il regardait la scène de son air débonnaire, sans comprendre vraiment ce qui se passait. Au même moment, une jeune femme aux cheveux de jais, fourbue mais heureuse de d'être de retour chez elle entra dans le Loyal. Althéa se fraya en douceur un chemin jusqu'au tavernier. Elle était partie peu de temps, juste pour la retrouver plus vite. C'était la première fois qu'elle l'avait laissée et jamais, de toute sa vie elle n'avait trouvé quelque chose de plus difficile. Elle avait pleuré durant toute la journée de voyage et n'avait pas -dormi de deux jours suivants. Elle revenait au bout de trois au lieu de la semaine prévue. Elle n'aurait pas supporté plus. Elle avait poussé sa monture au galop pendant presque tout le trajet pour pouvoir arriver plus vite. Et maintenant, elle était là. Elle devait dormir vu l'heure tardive. Mais voir simplement son visage si doux, ses cheveux quelque peu hérissés et ses grands yeux verts curieux de tout ... Le tout, un petit tout mais qui voulait dire tant.

Elle attendit en silence que Titoeil remarque sa présence. Le tavernier, sans se retourner parla à la personne derrière lui.

"Je sais ce que tu vas me dire : tu culpabilises. Mais vois tu, je sais bien que tu n'es pas mauvaise. Tu n'as fait que répondre à l'appel de la nature. Et tu sais très bien qu'aucun des hommes que tu as attrapé cette fois, une dizaine si je compte bien ne viendra porter plainte ..."

Althéa demeura parfaitement interloquée durant quelques secondes avant de se rendre compte qu'il ne s'adressait pas à la bonne personne.

"Titoeil c'est moi.
Althéa !, s'exclama le tavernier, mais tu rentres plus tôt que prévu. J'imagine que c'est pour Léo. Si tu savais comme elle est mignonne. Elle a connu des moments difficiles à sa naissance tu sais ?
- Oui, je sais, repartit la bretteuse avec un léger sourire, j'étais là ...
- Ah oui, je sais"

Pendant ce temps, l'homme inquiétant avait quitté Elza des yeux pour les reporter sur Althéa et Titoeil. Il considéra la jeune femme d'un oeil étrange avant de demander au tavernier :

"Seriez vous contre quelques tours de magiciens pour animer votre taverne ?
- Ma foi non, tant que vous ne convoquez pas de dragons ou d'autres bestioles.
- Non monsieur, je vais vous montrer un grand numéro d'hypnose et de divination"

Et sur ce, il monta sur une table.

"Damoiseaux et damoiselles, buveurs et curieux. Mon nom est Albus Dunhamore, grand mage de son état. Je vais ici même exécuter devant vous des petits numéros dont vous me direz des nouvelles"

Et il se mit, pendant quelques minutes à deviner les patronymes ou les ages des gens présents dans l'assistance. Althéa s'eclipsa. Léodacya dormait paisiblement. Elle la contempla en silence durant de nombreuses minutes, oubliant l'angoisse et la tristesse qu'elle avait éprouvées au moment du départ. Elle caressa doucement la joue du bébé avant de retourner dans la grande salle. A ce moment, le mage s'exclamait :

"Et j'aurais besoin d'un ou d'une volontaire. Tenez, vous, la jeune fille qui venez d'arriver"

Althéa se retourna pour voir s'il désignait quelqu'un d'autre mais il n'y avait personne derrière elle. Elle voulut refuser mais Titoeil la poussa gentiment vers le mage. Elle s'avança peu rassurée, toujours méfiante vis à vis de la magie. L'homme lui donna la main pour l'aider à le rejoindre sur la table.

"Intéressant, dit elle avec un petit air moqueur, je vois de plus haut. Et maintenant ?
- Maintenant, vous allez danser sur les mains en chantant, répondit le mage
- Très intéressant, mais ne comptez pas sur moi"s'entendit elle lui dire.

Elle allait descendre quand il la rattrapa par le poignet et sortit un médaillon de ses poches.

"Je vais vous hypnotiser"

Ha, c'était donc ça. Elle poussa un soupir de soulagement. Ce n'était qu'un charlatant et rien de plus. Dans quelques secondes, elle allait démontrer qu'il n'avait aucun pouvoir. Mais étrangement, quand il commença à balancer le bijou devant ses yeux, elle n'en fut plus tout à fait sure. Ses yeux, puis ses pensées suivirent le médaillon. Peu à peu, elle sentit ses sens la trahir. Tout n'était plus que le balencement régulier. Et bientôt ...

"Dormez, je le veux"

Elle ferma les yeux, son menton tombant mollement sur sa poitrine.

"Quand je vous dirai chaussette, vous ferez ce que je vous dirai. Etes vous d'accord ?"

Althéa hocha la tête.

"Maintenant, je vous le demande, vous allez danser sur les mains"

Et, sans qu'elle en eût conscience, elle obéit au magicien, encore plus adroite qu'elle ne l'aurait été éveillée. La salle sifflait, riait, tapait des mains. L'homme mit cependant fin au spectacle.

"Arrêtez, je vous l'ordonne"

Althéa retomba sur ses pieds.

"Maintenant, quand je dirai navet, vous ouvrirez les yeux et vous vous réveillerez. Un, deux trois, navet !"

Et Althéa ouvrit les yeux et sauta de la table. D'instinct, elle se dirigea vers Titoeil et Elza qui n'avaient pas bougé.

"Pouvez vous me dire ce qui s'est passé ?"

Elle ne se souvenait de rien.

Elle avait eût un petit sourire inquiet en regardant la noix. La jeune femme n'avait pas répondu à sa question mais s'était montrée sympathique. Une noix de Kupo, bien particulière. Peu de noyers kupo sur féerune. Une espèce en voie de disparition.

"Si ça ne vous embête pas, je vais la mettre dans ma poche. Il paraît qu'elle porte bonheur. Par contre, Titoeil, si vous pouvez ...
- Ne t'en fais pas, je sais ce qu'il te faut. Un traitement de cheval pour quelqu'un qui vient de marcher sur les mains en chantant"

Ha bon, elle avait fait ça. Quelques heures plus tôt, les fesses et le dos malmenés par la course à cheval, elle s'était seulement imaginée dormant dans un bon lit, ou s'occupant de Léodacya. Comme quoi, il fallait s'attendre à tout. Heureusement que le ridicule ne tuait pas. Elle s'assit à une table pendant que Titoeil disparaissait en cuisine et revenait avec une assiette bien remplie dans une main et une bouteille de vin dans l'autre. L'appetit lui revenant soudain au bout de trois jours, elle manqua se jeter dessus avant de se souvenir qu'elle n'était pas seule.

"Vous en voulez ? demanda-t-elle à l'adresse d'Elza et de son petit frère, au fait, je ne sais pas ce que vous avez fait à notre mage mais il ne vous quitte pas des yeux. Vous lui avez peut être tapé dans l'oeil. Au fait, je me nomme Althéa de Lochnohan, et vous ?"

Althéa avait souri. Le gamin avait de la répartie. Quant à son dîner, il pouvait attendre un peu. Elle avait trouvé un prétexte pour retourner dans l’arrière cuisine. Avec un léger sourire, elle avait poussé l’assiette du coté du garçonnet.

« Pareil, dit elle en se levant, si vous voulez bien m’excuser, je vais chercher une autre assiette »

Quelques secondes plus tard, elle se retrouvait de nouveau à coté du berceau. C’était toujours ainsi : dès qu’elle le pouvait elle revenait sans cesse. Pour vérifier que tout allait bien pour elle. Mais surtout pour la voir. Parce qu’il n’existait rien de plus important que ce petit être. Jamais elle n’aurait cru être attachée autant à quelqu’un. Un lien indestructible qui s’était construit dès que son petit regard avait croisé le sien. Sa fille. Jamais elle n’aurait cru cela possible.
Leodacya ne dormait pas. Calme comme à son habitude, elle regardait autour d’elle, de ses yeux verts où brillait une lueur si particulière.

« Tu ne dors pas .»

Une ombre de sourire apparut sur le visage du bébé quand sa voix résonna dans la pièce.

« Pourtant, Titoeil t’a donné à manger et t’a changée, hein ? »

Elle s’était approchée et avait caressé doucement sa joue.

« Je suis revenue, pour longtemps cette fois. Plus de missions jusqu’à ce que tu aies un peu grandi. Je raccroche les bottes »

Leodacya sembla approuver. Sans plus résister d’avantage, elle la prit dans ses bras. Elle avait posé sa joue contre la sienne.

« Tu peux dormir tranquille » dit elle en se mettant à marcher dans la pièce.

Pendant qu’Althéa faisait les cent pas, le mage s’était de nouveau approché d’Elza. Il la regardait avec une sorte d’avidité.
L’heure avançant, les clients diurnes firent place aux clients noctambules. Il ne resta bientôt dans la pièce qu’Elza, quelques piliers de comptoir et les deux taverniers. Leodacya s’était endormie de nouveau. Titoeil, en bonne nounou avait conseillé à Althéa de passer la nuit sur place pour ne pas avoir à réveiller sa fille, ce qu’elle avait accepté. L’homme étrange quant à lui avait fini par partir …

hrp : maintenant, tu peux envoyer Elza et Bryan dormir. C'est pas dit qu'ils se réveillent

L'ombre avait poussé un gémissement de douleur avant de disparaître dans le couloir.

Elle avait ouvert les yeux rappelée au monde par une réalité : Leodacya pleurait. Et quelque chose clochait. Déjà, sa fille, même si elle dormait peu compte tenu de son age et de ses ascendances elfiques pleurait plutôt rarement. Chaque fois, elle s'était réveillée affolée, dans l'urgence de voir ce qui pouvait la tenailler. Chaque nuit était devenu un véritable cauchemar dans lequel elle était demeurée éveillée de peur de ne pas l'entendre. Au bout de trois mois, elle s'y était presque habituée, se réveillant presque instinctivement à chaque fois qu'elle l'entendait bouger dans son berceau. Mais ce soir, Leodacya, comme sujette à une peur panique. Elle ne se calma pas, quand sa mère la prit dans ses bras et la berça tout doucement. Son angoisse se communiqua à Althéa. Il s'était passé quelque chose. Mais quoi ? Elle regarda la porte et s'aperçut qu'elle était ouverte. Elle tendit l'oreille. Personne dans la pièce. La clé n'avait pas bougé de place. Elle berça longuement Leodacya le temps qu'elle se calme, lui murmurant des paroles apaisantes en essayant de sa calmer aussi. Puis, elle la reposa dans son berceau avant d'allumer sa chandelle.

"Je vais aller voir dans le couloir. Je vais refermer la porte pour qu'il ne t'arrive rien. Je reviens très vite, promis"

Et prenant son épée, elle sortit de la pièce.

Elza était donc sortie dans le couloir. Elle avait entendu des pas se rapprochant. Des pas feutrés. Les pas de quelqu'un essayant d'être le plus discret possible comme pour la surprendre. Et bientôt, au détour d'un couloir apparut une silhouette munie d'une épée.

"Pas un geste ou je serai obligée de vous faire mal. Montrez vous sans faire d'histoire"

Elle avait reconnu la jeune femme qu'elle avait rencontrée dans la soirée. Elle laissa échapper un soupir de soulagement. Au moins, elle ne ferait pas face à un éventuel ennemi trop vite.

"Quelqu'un est aussi entré dans ma chambre. C'est peut être la même personne"

Il y avait donc quelqu'un dans le Loyal. Pas rassurant tout ça.

"Si vous voulez m'aider à le chercher ..."

Elle avait hoché la tête. La jeune femme était courageuse. Et cela tombait bien, pour le moment, c'était elle qui était sur le point de perdre son sang froid. Un intrus au Loyal, presque sous son propre toit ... et à proximité de son bébé. C'était à faire se dresser les cheveux sur sa tête. Avant tout, la mettre en lieu sûr.

"Attendez moi, je reviens"

Elle avait prononcé ces mots d'une voix calme avant de retourner en courant dans sa chambre. Leodacya était toujours là, souriante comme à son habitude, indifférente à ce qui se passait autour d'elle. Un peu de son calme se communiqua à Althéa qui ne put s'empêcher de sourire à son tour.

"Je sais qu'il est tard mais nous allons nous promener. Un peu ... Oui, je sais que ce n'est pas raisonnable. Mais quand tu pourras m'en parler, tu auras déjà oublié", dit elle en la prenant délicatement dans ses bras et l'emmitouflant dans une couverture.

Titoeil occupait une chambre à deux pas de la sienne. Ses ronflements filtraient derrière la lourde porte. Il allait falloir taper fort. Une voix ensommeillée répondit à son appel pendant que des pas traînants approchèrent.

"Oui, c'est à quel sujet ?
- Il y a quelqu'un ici. Il s'est introduit dans ma chambre, dans celle d'une autre cliente aussi"

Une ombre de parfaite inquiétude vint se peindre sur le visage de Titoeil. Elle lui tendit Leodacya.

"Tu veux que je t'accompagne ... et y aller sans moi ?" feignit il de comprendre. Un hochement de tête lui répondit.

"Fais attention
- Promis. Je n'ai pas envie de la laisser sans maman"

Et Leodacya, bavant allègrement dans le cou du tavernier sembla approuver.

"Il vaut mieux que vous vous barricadiez. Ne laissez personne entrer ..."

Titoeil obéit sans broncher. Un vrai héros savait aussi se mettre en sécurité. Althéa retourna du coté de la jeune femme.

"Voila. Il y a un autre étage et la salle commune. Où voulez vous aller en premier ?"

"Hé bien, réfléchit Althéa, je crois qu'il y a treize personnes en ce moment
- Treize autour d'une table c'est pas si détestable, se mit à changer une petite voix, mauvais oeil reste à la niche, je touche ... mes miches
-ça va Titoeil, on aura compris ...
- Désolé ..."

Après ce petit intermède, la bretteuse se tourna vers Elza avec un léger sourire aux lèvres. Autour d'elles, des portes s'étaient entrouvertes, laissant passer des visages ensommeillés. Le voleur était peut être parmi eux. Mais il était peut être plus vraisemblable que l'homme n'ait pas pu se cacher dans les chambres, toutes fermées à clé. S'il avait utilisé une clé, elle se trouvait sur la porte de sa chambre. Au moins qu'une des chambres soient restée ouverte. On ne savait jamais. Tiens, la porte de la chambre de Dryade avait l'air entrebâillée.

"Par là, murmura Althéa en montrant la porte de la main, quelque chose cloche. La personne qui occupe cette chambre n'est pas encore rentrée. Du moins, il me semble"

"Non, pitié, pas encore. Ne me faites pas de mal. Pitié"

Une lumière éclairait faiblement la pièce. Un homme se tenait debout devant les deux femmes, drapé dans sa dignité et les couvertures qu'il avait réussi à arracher au lit. Ses bras, son torse et ses épaules présentaient des marques rouges semblables à des coups de griffe. Il lança un regard implorant à son entourage, les yeux tournés vers la porte comme si un monstre était sur le point d'entrer.

"L'orque, la folle, la perverse, elle est partie ?"

Althéa décontenancée se tourna vers la voleuse sans prononcer un mot. Le Loyal n'avait pas fini de lui réserver des surprises. Elle se serait volontiers passé de celle-là.

"Oui, elle est partie. Je ne sais pas pour combien de temps mais elle n'est plus là. Et vous ? Comment êtes vous arrivé jusqu'ici ?
-C'est elle qui m'a emmenée là pardi ! En me tirant par les cheveux en plus. Déjà que je suis presque chauve ... Par contre, ne voudriez vous pas me laisser tranquille ? Au moins que vous ne veniez me faire subir le même sort. C'est ça, n'est ce pas ?"

Althéa se tourna de nouveau vers Elza, encore plus décontenancée.

L'homme s'était enfui sans rien emporter. Il partit en courant loin du Loyal Paladin, il ne s'arrêta pas non plus après avoir franchi les portes de la ville. Certains prétendent qu'ils courent encore.

Une fois qu'il fut parti, Althéa pouffa de rire. Au moins, cette nuit ne leur réservait pas que le pire mais quelques sources d'amusement.

"Bon, et si nous revenions à nos moutons" proposa-t-elle en essayant tant bien que mal de reprendre son sérieux.
Elle se détourna de la chambre désertée pour repartir dans le couloir. Cette fois, le couloir était entièrement calme avec toutes ses portes closes.

"Il est peut être en bas, dans la cuisine. Avec un peu de chance, nous le surprendrons là bas"

Althéa était descendue doucement à la suite d'Elza. Pas un bruit dans la salle commune. Elle avait reconnu la chanson chantée par une jeune barde nommée Amélie et n'avait pu s'empêcher de sourire. Elle avait promené son bougeoir dans la salle. Vide, elle prenait des proportions différentes, jusqu'à devenir immense, inquiétante.

La bretteuse désigna une table à l'écart à coté d'un escalier et s'y dirigea pour s'assoir.

"Nous pouvons attendre ici si vous voulez. Par contre, pas un bruit ..."

Les heures se succédèrent dans la plus parfaite immobilité. Puis, soudain, la porte de la taverne s'ouvrit à la volée.