[Quête] Flibuste

[Mornagest]

Les voiles du navire claquaient au vent, depuis son départ du port de Melandis. Le temps était au beau fixe, la Houleuse fut clémente pour les marins, et maintenant, ils pouvaient enfin commencer à oeuvrer, au large des côtes de Dorrandin. Aucun autre bâtiment ne les avait encore approché, mais ils étaient encore à quelques milles nautiques de la route que le capitaine comptait emprunter.

Cette dernière était fréquentée, mais essentiellement de nuit. Aborder un navire au vu et au su d'un autre relevait du suicide. Les autorités manostiennes ne tarderaient pas à pourchasser les coupables jusqu'à ce que mort s'ensuive.

Or donc, le navire longea quelque temps la route, jusqu'à la tombée de la nuit, moment auquel il la rejoignit enfin, navigué par une main de maître.

Restait désormais à attendre une proie... qui ne tarda pas à venir : une goélette, hissant pavillon manostien, s'approchait lentement du bateau.

"Une petite pièce", annonça le capitaine à Mederis. "Mais il a sans doute des choses intéressantes à bord. Je pense que Manost effectue ses transports de valeur sous le couvert de ce genre de camouflage.".

Il attendit l'accord de la guerrière, avant de lancer le branle-bas de combat. Ils avaient un avantage énorme : leur pavillon n'inspirerait aucune crainte à leur cible.

[Agifem]

Contre toute attente, Mederis avait passé les précédents jours dans un état de calme qui ne lui était pas coutumier. Peut-être s'agissait-il de la perspective d'un combat sanglant, suivi d'un profit substentiel, qui parvenait à calmer son ardeur.
Elle avait passé le plus clair de son temps à astiquer et aguiser son épée à deux mains fétiche, une arme toute en acier trempé, d'une qualité ordinaire, mais dont la jeune femme semblait prendre soin comme s'il s'agissait de son phylactère.

A l'approche du combat, l'accord de Mederis était davantage une formalité qu'autre chose. La femme était prête au combat, sur le pont, dans une position où son attirail de ravitailleuse en armement militaire n'était pas trop visible depuis le navire cible. Elle était déjà en train d'entonner un chant de guerre qui, plutôt que de donner du courage aux matelots, semblaient davantage leur donner une rage de tuer, et pas forcément dirigée contre l'ennemi.

Et voici en ce jour glorieux,
Mederis la Glorieuse, la guerrière des cieux,
brandissant ses armes et suivie de ses compagnons,
allait mettre le feu et le sang à un noble gallion.

La légende dira par la suite,
que devant Elle l'ennemi prit la fuite,
et que plus d'un finit occis de Sa main,
piètre combattants, fiers héros et marins.

La légende bien évidemment omettra,
ceux qui avec Elle combattirent ce jour-là,
une bande de brutes sans réelle motivation
que l'or scintillant et les filles à foison.

Car la légende parle d'Elle,
et n'oublie pas à quelle point Elle est belle,
valeureuse, fière et aussi docile
qu'un dragon attaqué par un imbécile.

Et lorsque le combat fit rage,
Elle se déchaîna et fit un véritable carnage,
et ceux qui se trouvèrent à Ses côtés,
ne furent guère plus que brins de blé.

Malgré tout, la motivation guerrière était au rendez-vous, et c'était l'essentiel.

[Mornagest]

Les deux navires étaient maintenant proches l'un de l'autre d'une centaine de brasses. Les hommes étaient prêts, la plupart n'avaient pas attendus l'ordre de leur capitaine pour s'emparer de leurs armes. Un signe de faiblesse de la part de ce dernier ?

Alors que tout semblait bien se concocter, les matelots entendirent Mederis entonner son terrible chant de guerre. Ils étaient prêts à tuer, quoi ou qui que ce soit. Ces manostiens feraient bien de se dépêcher de mourir !

Le navire cible envoya des signaux, grâce à un miroir, sans nul doute. Il demandait où ils allaient. S'ils savaient...

Cinquante brasses. Le combat était imminent. Sabre au poing, les hommes attendaient avec fébrilité que les deux navires s'accostent. Les grapins étaient prêts. L'abordage allait être sanglant...

Vingt brasses. Ils pouvaient presque voir le blanc des yeux de leurs ennemis. Même si ces derniers consataient qu'il s'agissait de mélandiens, il était trop tard : le navire fonçait droit sur la goélette.

Dix brasses. Au signal du capitaine, les grapins furent jetés. Immédiatement, les assaillants se lancèrent à l'abordage, criant leur colère et leur haine, tandis que de l'autre côté, on se préparait enfin à combattre. L'effet du surprise était parfait.

Mederis s'en fut vers l'assaut, et le capitaine la perdit de vue. Reverait-il vivante cette folle ?

[Agifem]

Etait-ce la chanson de Mederis ou la manoeuvre astucieuse du capitaine, on ne le sut jamais, mais la cible ne sembla pas s'inquiéter avant qu'il ne soit trop tard.

A peine les premiers grapins furent-ils lancés, Mederis fut parmi les premiers à s'élancer au devant du combat, un fléau d'arme à la main. Bien plus tard, dans ses chants de guerre dédiés à sa propre gloire, elle omettra volontairement de mentionner qu'elle fut également l'une des derniers à arriver sur le navire ennemi.

La lourdeur de l'arme, un cable tendu en travers, une distance encore trop grande entre les deux navires, tous les facteurs étaient réunis pour que la charge glorieuse de la jeune femme se transforme en une grotesque chute, qu'elle rattrapa au dernier moment de peu élégante façon en percutant de plein fouet le flanc du navire ennemi.

Pour son bonheur, sa maladresse sembla être passée complètement inaperçue dans l'assaut initial, dont le désorde n'avait d'égal que le déchainement de violence. Lorsque Mederis parvint à se hisser sur le pont du navire ennemi, elle vit que le combat était engagé. Elle dégaina alors une hache de bataille, ayant perdu son fléau d'arme dans la chute, et se lança au combat, espérant satisfaire sa soif de combat et de sang. C'est en chantant une mélodie sinistre qu'elle se jetta sur le premier ennemi qu'elle vit.

[Mornagest]

Le combat, d'une rare violence, n'en était pas moins prolongé. Les deux camps se battaient âprement, l'un guidé par la survie et la gloire de sa flotte, l'autre par la soif de sang et d'or.

Mederis maniait fort bien le fléau, qu'elle abattit rapidement sur le crâne du premier manostien qu'elle croisa. Elle se jeta rapidement sur un autre, jeune mais coriace au combat. Et ainsi de suite...

Au détour d'une parade de la barde, échappant ainsi de peu à la mort, elle entrevit le capitaine mélandien avachi contre le mât principal de la goélette. Sa tête pendait mollement sur le côté, et de son flanc s'écoulait, goutte à goutte, son sang, rouge déjà sombre, comme s'il coagulait aussi vite qu'il se répandait sur les planches du pont.

Mais il n'était point temps pour Mederis de faire un rapport médical sur cet incapable. Elle devait tout d'abord sauver sa peau, et tenter de prendre le contrôle du navire...

[Agifem]

C'est alors que vint à Mederis une idée qui, sur le coup, lui parut excellente. Elle abattit d'un coup de hache un marin téméraire qui tentait de lui barrer la route, et s'engouffra dans les profondeurs du navire. Après quelques escarmouches dans la cale, elle revint, portant d'une main une torche, et de l'autre un tonneau dont le contenu semblait liquide, et dont elle espérait que les marins eux-mêmes ignorait le contenu suffisament longtemps pour son bluff. Mais était-ce vraiment du bluff ?

Sa voix mélodieuse commença à se répandre sur les eaux, prenant doucement le dessus sur les bruits du combat, et chacun prit conscience qu'une femme perdait son temps à chanter au lieu de se battre.

Il était un petit navire,
qui sur les flots s'en était allé,
mais il ne s'attendait pas au pire,
à un assaut bien organisé.

Il croisa la route de Mederis,
la Grande Incarnation du Vice,
Elle à qui rien ne fait peur,
et qui savait inspirer la terreur.

Lors de l'assaut de ses hommes,
la Belle emmena un tonneau,
que nombreux prirent pour des pommes,
mais qui renfermait bien plus que des joyaux.

Car il est connu que de ce fruit,
le plus fascinant est son alcool,
qui en s'enflammant fait du bruit,
et apprend à tous la notion du vol.

Et Elle leur dit alors d'une voix forte,
qu'elle n'hésiterait pas à brûler le navire,
même si Elle devait finir morte,
au moins aura-t-Elle le dernier rire.

Elle leur garantit la vie sauve,
si sur l'instant ils déposaient leurs armes,
ou leur promit une mer mauve,
colorant de leur sang la mer en un drame.

Avec le sourire à demi-emprunt de folie qu'on lui connaissait bien, Mederis tint la torche allumée au dessus du tonneau, laissant à tous voir qu'elle avait largement dépassé le degré de folie nécessaire à l'accomplissement de l'acte évoqué de façon si poétique.

[Mornagest]

Les combattants n'avaient guère écouté la chanson de Mederis. Même ses belles rimes ne parvenaient à arracher les pirates de leur combat, et, entraînés par la soif de sang, ils n'écoutaient que leurs tripes, leur dictant de tuer à qui mieux-mieux.

Ce fut lorsqu'un marin manostien hurla à mort, en voyant Mederis armée d'une torche, que tous, ou presque, se retournèrent vers elle. La folle barde était appuyée négligemment au mât principal, la torche au-dessus du tonneau d'alcool pur.

Les combats cessèrent au fur et à mesure. Chacun, désormais, fixait Mederis, certains d'un air effrayé, certains, un sourire maléfique en coin. Mais, la plupart ne pensaient pas que cette zinzin allait foutre le feu à la coquille de noix !

Un moment, le silence fut le seule à répondre à l'arrogance de Mederis. Le vent faisait osciller sa torche, sans pour autant l'empêcher d'accomplir son rôle d'étincelle...

Enfin, l'un des pirates mélandiens prit la parole :

"Oh, ma jolie, tu ferais mieux de pas jouer avec le feu, tu vois ? Genre qu'on a pas trop envie de regarder les poissons nager entre nos côtes pour le reste des temps !"

[Agifem]

Que tous les idiots lâchent leurs armes, ou Mederis la Combattante des Enfers leur fera passer le goût de l'alcool !

Mederis parla ainsi d'une voix forte, qu'elle voulait ferme. Elle n'était toujours pas sûre que le tonneau fut de l'alcool, mais son bluff semblait fonctionner, aussi elle persévéra en agita légèrement la torche au dessus du tonneau.

Après un instant de silence, elle reprit elle-même son calme, et se remit à chanter un chant lugubre sur un ton qui aurait inspiré le suicide à un euphorique pathologique.

La vie est une chose si courte,
La mort une éternité de souffrances,
Où l'on nourrit les palourdes
Si on a de la chance.

Car les damnés de Manost et leur navire,
N'auront certes pas un tel sort,
Ils en auront un bien pire,
Si aujourd'hui ils trouvaient la mort.

On raconte que Mederis la nouvelle Capitaine,
A passé un pacte aux Enfers,
Leur promettant des âmes par centaines,
Qu'elle tuerait de sa poigne de fer.

Personne ne saurait dire si c'est vrai,
Mais bien nombreux ont péri,
Et jamais aucun n'est revenu c'est un fait,
Tous en enfers à l'agonie.

Mais maintenant ces fous jouent leur âme,
Alors que Mederis leur offre la vie,
S'ils posaient sur l'instant leurs armes,
Et devant Elle s'agenouillaient aujourd'hui.

[Mornagest]

Tous les hommes se regardaient, interdits. Manostiens comme Mélandiens, nul ne savait ce que comptait faire Mederis. Mais ses intentions n'étaient certes pas louables.

Alors que les marins manostiens hésitaient à lâcher leurs armes, les Mélandiens, eux, étaient furieux de voir leur "coéquipière" les trahir ainsi... car risquer leur vie sans leur demander leur avis n'était ni plus ni moins de la trahison.

L'un des Mélandiens prit la parole :

"Pourquoi ne nous laisses-tu pas terminer cette tuerie ? On en avait presque fini avec ces soudards !"

Un Manostien, probablement conscient de la véracité de ces paroles, lâcha :

"Pitié ! Je laisse tomber les armes, mais laissez-nous la vie sauve !".

Un pirate éclata de rire, et voulu lui trancher la gorge. Mais Mederis le rappela à l'ordre, en agitant à nouveau sa torche. Que voulait-elle ?

[Agifem]

Mederis sourit quand le marin annonça sa rédition, son sourire toujours présent malgré le rappel à l'ordre du pirate. Elle agita à nouveau la torche au dessus du tonneau, dans une nouvelle tentative d'intimidation.

Eh bien, n'y en a-t-il qu'un seul qui veuille voir le jour se lever demain ?

[Mornagest]

Les regards furieux, ainsi que les menaces à son encontre, ne détournèrent pas Mederis de ses sombres desseins.

L'un après l'autre, combattants, Manostiens comme Melandiens, baissèrent la garde, sans toutefois déposer complètement les armes. La possibilité d'une traîtrise de l'un des deux camps restait envisageable.

Le même marin mélandien interpela à nouveau la belle :

"Dis-nous, maintenant. Tu comptes faire quoi ? On va pas passer not'temps à faire des prisonniers ! Alors ? Qu'a décidé la si valeureuse gurrière ?".

Quelques rires ponctuèrent l'ironique réplique du marin.

[Agifem]

Mederis dévisagea les hommes autour d'elle, et poussa un soupire.
Puis, elle prit un air décidé.

Mes amitiés à Asmodeus ! Dit-elle en lachant la torche sur le tonneau, et elle s'élancea vers le bastingage, dans l'intention évidente de se jeter à l'eau. Elle se savait relativement bonne nageuse, et même si les choses tournaient aussi mal qu'elle l'espérait, elle pourrait rejoindre la côte et par la suite Melandis, ajoutant cet épisode à ses nombreux et glorieux forfaits.

[Mornagest]

Alors que les hommes commencaient à suivre l'exemple de Mederis, une formidable explosion se produisit, balayant tout ce qui se trouvait sur le pont : cadavres, vivants, armes, coffres... Une gerbe de feu et de débris en tous genres apparut ensuite, et un vacarme épouvantable assourdit les marins qui parvinrent à échapper à l'holocauste.

Avisant la terre, à plusieurs lieues de là, Mederis nagea tranquillement dans cette direction, à peine vue par les rescapés, qui avaient désormais d'autres chats à fouetter, que de tenter de rejoindre cette vile traîtresse.

[Agifem]

Il fallut près d'une heure à Mederis pour rejoindre la côte. Debout sur la plage, fatiguée, elle affichait malgré tout un sourire satisfait, malsainement heureux, en contemplant les restes des deux navires, morceaux de bois éparpillés qui brûlaient encore à la surface des flots. L'abandon d'une grosse partie de ses armes, afin de rester à flot, ne suffisait pas à tarir sa bonne humeur.

Elle avait malgré tout réussi à conserver quelques dagues, dissimulées sur sa personne, ainsi que son épée à deux mains fétiche, et c'est donc confiante qu'elle se dirigea dans une direction au hasard, en écrivant mentallement la chanson qui ferait de cet altercation tragique une légende emplie de fierté.

[Mornagest]

Trempée jusqu'aux os, la barde commençait à souffrir du vent qui hurlait dans ses oreilles, et refroidissait sa carcasse éreintée jusqu'à la faire chuter plusieurs fois, sur le chemin. Le ventre creux et le corps harassé, elle ne tiendrait pas longtemps comme cela. Et la vile la plus proche était à plusieurs lieues de sa position.

Elle se demandait si les aventures de Mederis la preuse n'allaient pas connaître une fin aussi brutale que ridicule : périr de froid sur Dorrandin, loin de tout, et encore plus loin de l'honneur des batailles qu'elle voulait conter dans ses chansons vaillantes.

Au moment où elle pensait que la mort allait venir s'emparer de son corps affaibli, elle aperçut une faible lueur dans la nuit. Sans doute une fermette isolée ?

[Agifem]

Il ne fallut pas longtemps à Mederis pour la décider à aller dans cette direction. A vrai dire, il ne lui fallut pas plus d'une seconde pour prendre cette décision, sa nature impulsive et sa mauvaise condition du moment coupant court à toute prévention. Après tout, la chance lui souriait toujours. Que pouvait arriver de mal à une combattante dont les chants sont aussi légendaires qu'elle même. Surtout à une combattante armée d'une épée à deux mains.

[Mornagest]

La lumière s'avéra provenir d'une fermette isolée, l'endroit idéal pour se ressourcer et piller les possessions de ces malheureux "innocents". Mederis n'avait guère le choix quant au but, mais certes, elle pouvait leur demander poliment, ou les assaillir violemment.

Elle entra dans la cour, et remarqua qu'aucun chien ne fut là pour l'accueillir avec des aboiements rauques et agressifs. Assez surprenant, mais la barde avait d'autres chats à fouetter, pour l'heure...

[Agifem]

Mederis ne fit preuve d'aucune initiative. Elle aurait pu mettre le feu à la chaumière, juste pour se réchauffer, ou entrer en enfonçant la porte du pied, l'arme à la main, dans un hurlement animal. Elle n'en fit rien. Elle se dirigea simplement vers la porte de la fermette, et l'ouvrit calmement, tentant de paraître vaguement sociable et pas trop agressive.

[Mornagest]

La famille, nombreuse, était réunie autour du feu, dans la pièce de séjour, située en face de la porte. Etonné, le père de famille se leva, mais accueillit courtoisement Mederis :

"Je vous en prie, étrangère, entrez ! Vous êtes mal en point, venez près du feu pour vous réchauffer. Vous désirez un bon bol de soupe ?"

Son ton était condescendant, et les enfants qui piaillaient devant l'inconnue aux allures d'aventurières donnaient un curieux mélange aux yeux de la barde.

[Agifem]

Mederis grommela quelque chose d'incompréhensible, d'un ton en accord légitime avec son incomfort. Elle alla simplement s'assoir devant le feu, assez près pour que sa chaleur soit presque tangible. Le manche de son épée dépassait d'une bonne tête, et sa lame en excellent état reflétait la lumière du feu avec une étrange impression de dangerosité.
Malgré tout, Mederis ne dit rien et ne fit rien qui pouvait laisser penser qu'elle voulait faire du mal. En fait, elle ne dit rien du tout, et elle se contenta d'observer le feu avec un visage inexpressif.

[Mornagest]

L'homme revint avec un bol de potage fumant, et le donna sans mot dire à Mederis, qui hocha la tête en guise de remerciement.

Son hôte comprit qu'il serait inutile de tenter d'engager la conversation. A voir la tenue de l'étrangère, et l'épée qui jaillissait de son manteau, il se doutait qu'elle était soit fugitive, soit sur le point d'être dans une situation à peine plus enviable. Et il ne voulait pas attirer plus d'ennuis sur sa famille.

Il contempla en silence les flammes, et fit ensuite discrètement signe à ses enfants de partir se coucher, l'heure étant avancée, et l'étrangère peu rassurante. Puis, il braqua à nouveau son regard sur le foyer.

[Agifem]

Mederis Avala le bol de soupe avec satisfaction. Elle se tourna ensuite vers l'homme, et lui dit, d'un ton calme. Etrangement, sa voix ne laissait paraître aucune menace, aucune agressivité.

Je dois retourner à Melandis.

[Mornagest]

Le père de famille contempla l'étrangère sans mot dire. Melandis... Cela expliquait bien des choses. Et il ne voulait guère en savoir davantage. Se frotter à une mélandienne, ou à une fugitive en partance pour cette ville rongée par la corruption, était rien moins que suicidaire.

Il haussa les épaules, et expliqua alors :

"Pour moi, cela ne pose pas de problème. Mais la route est longue. Vous avez encore une centaine de lieues à parcourir. Certainement deux longues journées de marche. Et je ne puis vous procurer de cheval, seulement des provisions pour le voyage. Je n'ai que du bétail. Pensez-vous pouvoir y arriver, dans votre état ?"

Il avait parlé d'un ton neutre, mais sa bonté naturelle l'augmenta d'une touche de sollicitude, qu'il aurait voulu masquer face à cette femme qui ne pouvait être que dangereuse. Il craignait qu'elle interprêtât cela comme une manière de s'en débarasser au plus vite.

[Agifem]

Mederis lui répondit d'un ton calme, presque désintéressé. Sa lassitude et sa fatigue l'emportaient sur ses autres traits de caractères, lui donnant l'attitude d'un mouton, sans la peur.

Où puis-je trouver un cheval ?

[Mornagest]

Il réfléchit un moment. Les relais dans la région n'étaient pas très nombreux, et la saison sèche empêchait les chevaux de pouvoir galoper sans problèmes. Il lui faudrait une solide monture, si elle désirait rentrer si rapidement en ville.

"Dans les alentours, je crains que ce ne soit possible. Les chevaux sont souvent achetés par les marchands ambulants, ou réquisitionnés par l'armée impériale. Mais peut-être que vous pourrez en trouver à l'auberge du Désert, juste à l'entrée de ce dernier.

Il s'interrompit, afin de metre de l'ordre dans ses explications.

"C'est à vingt lieues d'ici, à pied, mais la route est bonne. Vous la suivrez simplement, en partant d'ici. En revanche, à partir de l'auberge, il vous faudra suivre la Houleuse, sans cela, vous ne risquerez rien d'autre que vous perdre dans le désert. Vous pensez que ça ira comme ça ?

[Agifem]

Mederis se leva sans un mot, et quitta la maison. Elle semblait animée par un seul désir : retourner à Melandis. Le reste n'était que du bruit, des éléments parasites qui auraient nécessité de la sortir de son demi-coma. La fatigue, le froid, tout cela était secondaire. Elle suivit donc la route, comme l'homme le lui avait indiqué.

[Agifem]

Malgré une marche longue et dans des conditions de confort déplaisantes, Mederis arriva sans problème à trouver l'auberge. Avant même d'entrer dans le corps des bâtiments, un individu louche lui proposa un cheval de belle allure pour une somme étonnement basse.
Mederis donna à l'individu une gemme valant largement le prix du cheval, et s'en fut sur sa monture vers Melandis, sans vraiment se demander pourquoi un tel cheval pouvait lui avoir été vendu si peu cher. Evidemment, c'est toujours à elle que la chance proposait des chevaux volés à prix modiques.

A suivre dans les écuries.