Dans les souterrains

[Nithep]

[Quête : Doublons et démons]

Trajnik marchait à demi courbé dans la gallerie sans âge du réseau où les cryptes et les égouts confluaient, une torche à la main projetant sa silhouette d'humain aux traits de vilain gnome mal rasé sur les murs de pierre couverts de toiles d'araignées.
D'une main il découvrait le chemin de son luminaire et de l'autre il enroulait les toiles autour d'un bâton en bois.
Ses pieds enfermés dans d'immondes chausses jaunes remuaient une sorte de boue qui couvrait le sol mais ne devait avoir plus d'un ou deux pouces de profondeur.

Il n'était pas à proprement parler un amateur du travail bien fait ni un réel ami de son associé, mais il savait faire ce travail et il le faisait bien. Il n'ignorait pas que son collègue était tout sauf ce qu'il prétendait être, mais cela n'avait guère d'importance pour lui non plus : il avait fait de lui mieux qu'un moine défroqué, une épave imbibée d'alcool ... il était devenu garde du corps et exécuteur des oeuvres secrètes et anonymes qui se tramaient sous la ville.
Plus récement, ce vieux filou de Knoghard, désormais enfermé dans une bouteille hermétique, un jeune vampire effronté et à l'ambition démesuré avait pensé pouvoir établir un commerce reposant sur celui de leur pesant ami, mal lui en avait pris, Trajnik avait pris un certain plaisir à le piéger pour l'obliger à prendre une forme brumeuse et il s'était laissé cueillir comme un lapin. A présent il fallait finir le travail, et c'était avec une joie non dissimulait que l'homme à la barbe de deux semaines progressait par un ancien conduit vers le refuge du buveur de sang.

Il poussa une trappe en bois en veillant à ce qu'elle ne grince pas — c'est que c'est fou comme ça entend bien ces sales vampires disait-il — et il entra dans le domaine obscur. Trajnik regarda une fois encore son plan et le plia avant d'étreindre sa torche : il se mit à progresser en conservant une main sur le mur, se fiant à sa mémoire qui avait imprimé la structure des couloirs.
Il compta d'abord vingt cinq pas face à lui et posa une main sur le sol ... meuble et humide. Le bâton qui avait servi pour les toiles d'araignées servit à déclencher le piège qui se trouvait sur place ... un souffle d'air glacé vint lui caresser la nuque et il soupira en silence. Trajnik prit, la main tremblante la flasque de tord-boyaux qu'il avait à la ceinture et en but deux gorgées pour se donner un peu de courage. Le feu qui lui ravina l'oesophage pour venir exploser dans son estomac le fit sourire et reprendre des forces, il s'engagea donc dans le couloir ... dix onze douze ... statue brisée à gauche ... vingt-et-un, vingt-deux, vingt-trois ... stop! Une odeur douçâtre de moisissure mêlée de celle cuivrée et si reconnaissable du vieux sang en grande quantité monta jusqu'aux muqueuses nasales de l'exécutant ... l'odeur immonde que dégage l'antre des hémophages, fussent ils raffinés et vivant dans la soie.
Un chuchottis à droite ... on avait dit à l'ancien moine qu'ils aimaient jouer avec leurs victimes avant de les tuer, mais n'était-ce pas son imagination? Il avait vaincu Knoghard en l'attaquant par surprise, mais qu'en était-il d'eux? Ils étaient nombreux et avaient peut être ressenti la disparition de leur maître vampire ... après tout les troupeaux étaient liés au maître jusqu'à sa mort, après quoi seulement ils obtenaient leur liberté. Non c'était juste le vent dans les tunnels finalement ...
Trajnik reprit son chemin en comptant les pas ... vingt-quatre, vingt-cinq ... mais n'en était-il pas plutôt à trente quatre? Non toujours la première impression, on avait vite fait de se perdre ; arrivé à trente cinq finalement il regarda dans l'obscurité vers la gauche ... noir absolu. A quarante pas se trouvait la porte du caveau qui servait de refuge au troupeau ... il but encore quelques gorgées du nectar de feu qui emplissait le récipient à sa ceinture et avança, se sentant un peu émêché : La porte était bien là, derrière ses mains ... lourde, dure, du chêne massif ferré. Il tira sa burette d'huile de son sac et graissa les gonds au toucher avant de verser du liquide opaque dans la serrure. Muni de sa dague, il chercha en silence, la langue à demi tirée et commençant à transpirer malgré le froid sous l'effet de la peur qui le tiraillait.
Quand enfin la serrure céda, il manqua de crier mais se mordit la lèvre avant de rabattre ses cheveux d'une main pleine d'huile : l'odeur ici était encore pire que de l'autre côté, la pièce empestait la chair morte et la moisissure, ainsi que l'odeur répugnante du sang pourri ... l'odeur d'un groupe de vampires. Il ignorait combien ils étaient et comment étaient disposés les lits, il choisit donc de faire vite pour conserver le plus longtemps possible l'effet de surprise.

Trajnik frappa un coup sa pierre à briquer pour rallumer sa torche et embrassa la zone du regard rapidement : trois vampires étaient allongés sur des dalles de pierre, l'un vêtu d'une cotte de maille et deux femelles vêtues de longues robes en velour pour l'une et en coton pour l'autre. Celui qui portait une cotte de maille avait déjà réagi car il était en train de se relever, alors que les deux autres cherchaient des yeux la lueur. L'ancien moine ne prit pas le temps de faire dans le détail et lança sa torche sur l'une des deux dames vampires qui prit immédiatement feu, puis se plaça en garde car celui qui était visiblement un guerrier avait bondi au plafond et courait le long de ce dernier vers lui. Un instant Trajnik sentit une pensée desespérante le traverser mais son esprit entraîné réagit immédiatement à cette tentative de contrôle, il enroula sa cape autour de son bras droit et bondit sur son adversaire en voyant la seconde femelle hurler de rage en se levant à son tour. Le guerrier vampire maniait une paire de dagues courtes mais redoutablement effilées et l'humain eut beaucoup de mal à esquiver ses coups rapides, cependant il parvint en exerçant une traction sur le tissu de sa cape à emprisonner un bras du vampire sans le toucher. Il allait lui asséner un coup de pied dans le dos quand une flèche se planta dans son bras et lui arracha un cri : le morceau de bois traversait son biceps de part en part et un flot de sang gicla sur le vampire qui venait de se libérer. Trajnik se rendit compte que la seconde dame vampire n'avait pu sauver le tas de cendres qu'était sa congénère et utilisait à présent son arc. Il déroula rapidement le tissu pour garotter son autre bras tout en battant en retraite avant de saisir sa flasque d'alcool et de sourire d'un air mauvais. Le vampire lança une série d'attaques qui parvinrent à taillader le bras meurtri de l'homme mal rasé mais ce dernier venait d'ingurgiter une dose de cheval de tord boyaux et ses yeux devinrent comme fous. Le vampire marqua un temps d'arrêt devant le petit homme qui se ramassait la dernière chose qu'il entendit fut un rot bruyant car Trajnik focalisa son ki pour enflammer la dose d'alcool qu'il venait d'ingurgiter et la cracher en un nuage de feu sur son adversaire qui se changea lui aussi en brasier.
La vampire femelle qui n'avait pas réussi à viser la mêlée qui était jusqu'à présent rapide parvint à loger une flèche dans la cuisse de l'ex-moine à qui elle arracha un cri à nouveau. Fémorale. Le moine ne perdit pas une seconde, ramassa le pantalon en feu du guerrier vampire et effectua plusieurs feintes en courant en diagonale vers l'archère, il para même une flèche de son bras valide et vint lui jeter le brûlot dessus avant de la regarder disparaître sous les flammes.
Trajnik soupira profondément et but encore une gorgée de tord-boyaux avant de briser les flèches pour les extraire : la pièce toute entière était en train de prendre feu. Il utilisa ses capacités de guérison pour soigner sa cuisse et ralluma sa torche. N'ayant cure de la propagation de l'incendie, Trajnik referma derrière lui la porte en chêne sur un brasier ardent et revint vers la surface par le même chemin, à demi-voûté. Il ne restait à présent plus aucune trace de l'implication des associés dans la disparition de Knoghard le vampire ... il était temps d'en faire porter la responsabilité à la personne qu'il fallait.