[Quête] Rapports diplomatiques: Une masure isolée

[Lothringen]

Quête: Rapports diplomatiques

Lothringen ne s'était pas rendormi, trop occupé qu'il était à surveiller la respiration de Mornagest tout en brassant des pensées d'avenir ténébreuses. Sa colère s'en était allée aussi vite qu'elle était venue, et à présent, ne demeuraient que le souvenir ému de la veille... ainsi que sa plus farouche détermination à ne laisser rien ni personne l'empêcher de parvenir à ses fins. Non, pas même l'hostilité latente de ces manostiens qui avaient essayé de le prendre au piège de l'attentat du théâtre, ni celle des elfes de cuivre, ni celle des gardiens.
Ni même le devin drow.
Ni même Mornagest.

Ce n'était pas comme s'il en était à découvrir le sens du mot "adversité", et ce n'était sûrement pas la dernière fois que le découragement le guetterait au creux d'un mauvais détour... Au finale, il s'en relevait toujours. Toujours. La dernière fierté qu'il lui reste. Vivre ou survivre, mais continuer d'avancer.

Il souriait intérieurement.

Ne pas bouder les nouvelles chances que la vie vous propose, car elle en offre encore, quand on l'attend le moins...
Si seulement il avait pu en convaincre son compagnon.

Quand il s'éveilla enfin, Mornagest put constater que Lothringen était allé jusqu'au bord du lagon, où, assis en tailleur, il paraissait contempler le paysage splendide et les jeux de lumière dans les chutes d'eau. Mais, à y bien regarder, le guerrier comprit qu'il priait...

[Mornagest]

[Quête : rapports diplomatiques]

Sa nuit, contrairement à ce qu'il aurait pu craindre, lui fut réparatrice. Il ouvrit les yeux sur une aube nouvelle, resplendissante de lumière, et cela lui mit un peu de baume au coeur. Au moins goûtait-t-il encore aux simples plaisirs de l'existence, comme la contemplation d'un paysage agréable à l'oeil.

Il chercha Lothringen des yeux, puis s'approcha de lui sans mot dire, avant de constater qu'il était en pleine méditation. N'osant interrompre un moment aussi important, Mornagest resta muet, observant son compagnon, mêlé au calme de l'endroit. Un peu de sérénité... Il regrettait ce qu'il avait pu faire la veille, tout ce qui avait froissé Lothringen, ce qui l'avait blessé, sans même le vouloir. Il doutait d'un jour parvenir à agir sans nuire à son entourage - restreint, il était vrai.

Cependant, les interrogations d'hier étaient toujours présentes aujourd'hui. Son dilemme aussi. Il se maudit d'avoir échoué ici, en compagnie du semi-drow, et pourtant, il s'en réjouissait simultanément. N'avait-il pas pu goûter au bonheur, à la tendresse ? Le prix à payer était pourtant bien lourd, conclut-il mentalement, l'air sombre. Il secoua la tête et pensa à autre chose.

Son regard tomba sur la chevelure blanche de Lothringen, et il rêvassa quelque temps, songeant cette fois avec plaisir - et une certaine envie - à leurs ébats vespéraux. Que n'aurait-il pas donné pour garder Lothringen, toute sa vie, sans craintes, sans devoirs ? Sa propre vie, peut-être...

Il sortit de ses escapades lorsqu'il vit le semi-drow bouger légèrement. Il venait probablement de terminer ses prières.

[Lothringen]

Quête: Rapports diplomatiques

Il s’était longuement absorbé dans sa prière. Communier avec Tymora était le meilleur moyen qu’il connaisse pour retrouver son équilibre, renouer avec cet entrain porteur de vie qui l’avait aussitôt fasciné, dans sa déesse. Qu’y avait-il de pire que de partir battu.
Il lui suffisait de fermer les yeux et de se concentrer un peu pour retrouver cette extase rieuse qui l’avait dépossédé de lui-même, lors de leur unique rencontre. Il n’avait pas eu besoin que les prêtres l’enseignent ; le reste, il l’avait compris seul… A vrai dire, il suffisait de l’avoir vue… pour l’aimer... pour la suivre.

Puis l’image de l’avatar s’était peu à peu estompée en son esprit, tandis que la certitude d’une autre présence, plus concrète, s’imposait à sa conscience. Mornagest, certainement. Tymora se retirait … C’était une déesse jalouse.

Revenant lentement au réel, Lothringen tourna la tête, pour découvrir son compagnon qui se tenait debout, immobile, à le regarder. Depuis combien de temps était-il là ? Le semi-drow se releva pour faire face à Mornagest, l’observant à son tour. Le silence du guerrier était parfois si déroutant. A quoi donc pensait-il ? A ce qu’ils avaient échangé d’amour et de caresses ? Ressentait-il la même tristesse que lui, en songeant aux incidents de la veille, à ce qu’ils recouvraient de douleur non résolue et de perte prochaine ? Lui en voulait-il ?
Comprendrait-il le peu de hâte qu’il aurait, désormais, à vouloir achever sa quête ?

C’était bien la première fois que le semi-drow le voyait ainsi, non seulement entièrement nu, mais en pleine lumière. Et la lumière du matin n’avait aucune pitié pour les nombreuses cicatrices dont Mornagest était porteur. Lothringen s’approcha, troublé. Certaines l’avaient raté de peu. Il y avait cette cicatrice encore boursouflée – il la suivit du doigt - qui remontait le long du flanc en effleurant les organes internes. Son regard remontait la piste. Il y avait cet autre qui s’étirait le long du cœur. Si le mélandien était encore là, c’est qu’elle avait manqué de profondeur. Enfin, son doigt suivit doucement une longue estafilade qui lui traversait la poitrine, courait sur la gorge, puis se décidait à mourir à un doigt de la jugulaire…

[Mornagest]

[Quête : rapports diplomatiques]

Un sourire triste se dessina sur les lèvres du guerrier. Il prenait à peine conscience de sa nudité ; à vrai dire, il s'en moquait, même s'il exposait pleinement son corps balâfré à son compagnon. En fait, les cicatrices le gênaient plus que sa tenue vestimentaire. Il n'aimait pas voir ces traces sur sa peau, témoins muets d'anciens combats âprement remportés, souvent au prix du sang...

Il laissa cependant Lothringen le regarder. Après tout, qu'avait-il à cacher, ou à se reprocher ? Le simple fait qu'il soit toujours en vie témoignait de son talent au combat, et il n'avait pas à rougir de ses victoires passées. Seul l'avenir lui faisait peur, et le combat serait autrement plus ardu. Encore ces maudites pensées...

Il fixa les yeux du semi-drow, essayant de s'y perdre, et d'oublier ses soucis. Il ouvrit enfin la bouche, et souffla simplement :

"Tu comptes puiser la foi en ta déesse ? Penses-tu que je n'y croie déjà plus ? Que j'ai laissé tomber ?"

Il était légèrement offensé, peut-être - probablement, même - à tort. Rien ne disait que Lothringen priait Tymora de permettre que leur relation perdure. Mais il avait gardé son caractère méfiant, malgré lui.

[Lothringen]

Quête: Rapports diplomatiques

Lothrigen demeura un temps interdit, les sourcils froncés, tant la réaction de Mornagest se trouvait être aux antipodes de son état d'esprit. Comment ce dernier faisait-il donc pour réussir à interpréter tout ce qu'il faisait - prière, caresses - en termes d'agression à son encontre?

Le manostien aurait pu répliquer que ce qu'il échangeait avec sa déesse ne le concernait pas - ou pire, que le guerrier n'était pas très loin de toucher juste. Mais Lothringen ne voulait pas rentrer dans ce système. Son système: les reproches, les explications. Il préférait de beaucoup le renvoyer à ses propres insuffisances - et il y avait matière. Car, ce qu'il venait d'entendre, c'était l'Ilmate se moquant de la charité. Comment Mornagest pouvait-il réclamer sa confiance, quand il était le premier à douter? Il avait ses questions? A la bonne heure. Lui aussi.

"Tu comptes puiser la foi en ta déesse ? Penses-tu que je n'y croie déjà plus ? Que j'ai laissé tomber ?"

Lothringen avait croisé les bras.

"Aurais-je tort?"

Et comme la réponse tardait à venir, il précisa:

"Crois-tu que je devrais fonder en toi et en toi seul ma foi en notre avenir? Crois-tu m'avoir donné beaucoup de raisons de penser ainsi?"

Il fixa Mornagest à son tour.

"Plus intéressant: as-tu l'intention de m'en donner?"

Un temps.

"Je n'attends pas mieux."

[Mornagest]

[Quête : rapports diplomatiques]

Penaud, Mornagest ne put que répondre ce qu'il pensait vraiment, sans réfléchir. Après tout, il ne faisait que ça... un peu de spontanéité ne leur ferait pas de mal, surtout en ce moment.

"Et pourquoi pas ? Pourquoi ne pourrais-je pas rentrer à Melandis... pour un temps, et revenir ensuite ? Tu penses..."

Il s'interrompit brusquement, achevant sa phrase mentalement : qu'il n'en serait pas capable ? Pourtant, il le voulait... et ce qu'il voulait, il l'obtenait. Il avait gardé son esprit revanchard, mais cela lui servirait pour autre chose, ici. Il reprit alors :

"Et si je te disais que c'est aussi ce que je désire ? Que je ne veux pas te perdre ? Tu crois que je me suis laissé entraîner jusqu'ici, pour goûter à une liberté que je ne pourrai plus jamais avoir ensuite ? Je veux poursuivre cela."

Il avait parlé fermement, mais sans agressivité.

[Lothringen]

Quête: Rapports diplomatiques

Etonné de constater qu’un simple sursaut d’orgueil non provoqué pouvait obtenir davantage que tout ce qu’ils avaient vécu jusque là, Lothringen écouta sans broncher. Ce discours était bon à prendre… Malgré la difficulté évidente de Mornagest à formuler des phrases affirmatives, tout valait mieux que le bafouillis peu convaincu de la veille.

« Je te crois… »

Ce que Mornagest venait de dire, il ne l’avait jamais dit auparavant, et Lothringen était heureux de l’entendre. Pourtant, cela ne suffisait pas à le rassurer tout à fait. Ce que le guerrier voulait aujourd’hui, le voudrait-il encore demain ? Le semi-drow ne doutait pas de sa force, ni de ses compétences… seulement de la permanence de ses intentions dans un environnement tel que Melandis. Un environnement où l’idée d’associer sa liaison avec un conseiller manostien et le terme de « liberté » pourrait rapidement lui sembler plutôt saugrenue…

« Aujourd’hui, je te crois… Mais je crains que tu ne changes, et cela, le seul moyen de m’en dissuader sera de me prouver le contraire. »

Il sourit néanmoins. Le revoir, ce serait déjà beaucoup.

[Mornagest]

[Quête : rapports diplomatiques]

Lui prouver le contraire. Mornagest hocha la tête, un sourire entendu aux lèvres. Il y comptait bien. Que ce soit par égoïsme, ou par amour pour Lothringen, il ne souhaitait pas voir cette liberté entrevue lui échapper définitivement, à Melandis ou ailleurs. Il comprenait le semi-drow. La Cité du Chaos n'était pas à proprement parler un lieu libre. Sauf si l'on pouvait décider pour les autres, ce qu'il ne pouvait hélas pas prétendre...

"Nous sommes tous deux attachés à la diplomatie. Et si ces dispositions notées sur ces maudits accords sont mises en place, nous aurons l'occasion de nous revoir, souvent. J'en suis convaincu. Quand bien même, il me suffirait d'évoquer une visite de courtoisie... le Conseil n'est pas aussi tyrannique que tu ne le crains.

Ou suis-je si naïf ?" se demanda-t-il in petto. Il restait l'outil du pouvoir en place, et cela le remit mal à l'aise. Se libérer de ce joug... il le souhaitait plus encore, maintenant, surtout si cela lui permettrait de revoir Lothringen. Partager à nouveau. L'aimer. Toutes ces choses qu'il avait longtemps cru futiles, réservées aux bardes et aux idiots...

Il sentit un courant d'air sur son dos, et se rappela qu'il était entièrement nu. Réprimant un sourire amusé, le guerrier retourna saisir sa tunique, et s'en vêtit sans mot dire. L'heure du départ approchait, hélas, et ils ne pouvaient la repousser éternellement.

[Lothringen]

Quête: Rapports diplomatiques

Le cœur un peu plus léger, Lothringen le rejoignit bientôt. Le temps de rouler sa couverture, de remettre sa cape, de remplir sa gourde à la cascade et de réajuster ses armes, il était prêt. Il eut un regard amusé pour les deux lièvres carbonisés sur leur broche, témoins d’un jeûne involontaire. Pour deux guerriers fatigués par la marche et les combats, ils n’avaient pourtant pas manqué d’énergie, la veille au soir. S’il s’écoutait, d’ailleurs, il était prêt à remettre ça plusieurs jours sans discontinuer. Cet appétit-là semblait insatiable… Et qui saurait dire s’ils retrouveraient jamais un endroit aussi paisible, aussi protégé, pour s’y aimer à l’aise.

Il parcourut du regard le vallon de l’Oracle, pour mieux s’imprégner de son souvenir. Ici, il avait aimé, il avait appris… réappris… grandi, peut-être. « Puisse le temps s’arrêter », avait-il déjà songé la veille, au moment de s’unir à son compagnon. Mais ce temps-là filait, inexorable… regarder en arrière ne servirait de rien. Il y aurait d’autres occasions.

Son estomac poussait cependant par à coups des gémissements plaintifs qu’il avait beaucoup de peine à ne pas écouter. Qu’est-ce que ce devait être pour Mornagest. Lothringen puisa un nouvelle fois dans les réserves de nourriture qu’il avait emportées d’Ysté : quignons de pain, œufs durs et fromage à pâte cuite. En les offrant au mélandien, il esquissa un sourire d’excuse. Evidemment, ça ne suffirait pas.

Tandis qu’ils mangeaient, il reporta son regard sur la forêt. Ils allaient se trouver dans la même situation que la veille, à devoir traverser une forêt hostile, sans même savoir précisément quelle direction suivre. Peu de chance que le bosquet ait changé dans ses dispositions à leur égard. Le tout était de ne pas finir comme Eloern… quelle que soit cette fin.

Et où chercher ?

« Quoi que j’en aie, je ne vois pas d’autre moyen, pour la suite, que de s’en remettre aux divagations de l’Oracle. J’ai mémorisé au cas où des sorts de localisation de créature ou de morts-vivants, mais ils ne fonctionneront pas si nous sommes trop éloignés de la cible. Et cette forêt est immense…

Une idée pour commencer? »

[Mornagest]

[Quête : rapports diplomatiques]

Le guerrier revoyait la vieille femme dans son esprit, l'entendant presque encore distinctement divaguer à sa manière, par énigmes. Qui sait si elle n'allait pas les perdre à jamais, dans cette forêt vierge et uniquement peuplée de créatures hostiles ? Il était enchanté par cette perspective, à vrai dire, à en juger par la grimace agacée qu'il affichait sur son visage durci par la réflexion désagréable qui l'occupait à présent.

Que cherchaient-ils, déjà ? Un mort ? Un fou ? Un homme sain mais cherchant à fuir les autres ? Lequel des trois était préférable ? Le plus facilement repérable ? Il ne le savait, mais ils n'avaient de toute manière guère le choix. Néanmoins, une piste plus claire les aurait davantage aidé que des bribes décousues et emplies de sous-entendus.

"Elle a indiqué le sud-ouest, il me semble, lorsque je lui ai demandé où Eloern se trouvait. C'est vague... aucune idée de la distance, ni de ce que nous cherchons exactement. Un cadavre, tu penses ?"

L'idée de batifoler avec un zombi animé de sombres intentions lui traversa l'esprit, et il se renfrogna encore un peu plus. Que leur réservait encore cet endroit ?

[Lothringen]

Quête : rapports diplomatiques

Lothringen essaya difficilement de se rappeler les paroles d’Onsima à ce sujet.

En exil éternel
Ni sur terre, ni au ciel
Le corps mais non l’esprit
D’une ombre pervertie
Sans fin, bat la mesure !

Folie, non-vie, vie recluse… Comment savoir ? Mornagest avait néanmoins réussi à la faire un peu plus préciser ses propos.

« Je crois me souvenir que quand tu lui as demandé s’il était mort, elle t’a répliqué que la Fugue ne le connaissait pas. »

Pour Lothringen, le sens était évident, mais il n’en allait visiblement pas de même pour son compagnon. Il sourit à demi, se souvenant de la raison pour laquelle Mornagest s’était retrouvé provisoirement exilé de Melandis : son « geste malheureux » contre un prêtre d’Aurile.

« Si tu laissais quelquefois parler les prêtres avant de les massacrer, tu saurais que cela signifie que son âme est encore sur Toril… En quel état, c’est une autre question. J’espère pouvoir en tirer quelque chose, ou nous aurons fait le chemin pour rien… »

L’idée ne lui plaisait guère. Le guerrier-mage n’était pas du tout certain de pouvoir trouver sur Dorrandin un seul mage atteignant le niveau de maîtrise d’Eloern. Sans compter qu’il faudrait pouvoir se fier à lui dans cette délicate entreprise, et qu’un non manostien… Quitter Dorrandin n’était pas non plus envisageable. Au cas où l’aveuglement de Dorson aurait le moindre rapport avec l’éloignement géographique … Il secoua la tête. Ils verraient bien.

Lothringen s’approcha de la lisière, au sud-ouest, en s’efforçant de se frayer un chemin dans les taillis. S’ils voulaient passer, il faudrait trancher dans le vif. En espérant que la colère du Bosquet ne les rattrape pas trop vite… Avaient-ils le choix? Il tira la hache de gauche et se mit au travail.

[Mornagest]

[Quête : rapports diplomatiques]

Dégainant son épée, Mornagest alla rejoindre Lothringen dans sa lourde tâche ; les taillis étaient touffus, et apparemment, cela n'allait pas en s'améliorant. Ils s'affairèrent un long moment, qui leur parut une éternité. Aucune parole ne fut échangée : ils gardaient leur souffle pour se concentrer sur l'effort à fournir. Heureusement, leur endurance était assez bonne...

Mais, si le corps travaillait, l'esprit ne se reposait pas pour autant. Le mélandien avait tout le loisir de reprendre ses escapades mentales, et il ne se fit pas prier. En fait, il n'eut même pas à y songer, qu'il repensait déjà à ces derniers évènements. Cette soirée, langoureuse, puis plus intime encore, ensuite... ce cauchemar, ce réveil, cette discussion douloureuse mais nécessaire... avaient-ils gagné, tous les deux ? Probablement plus qu'il ne l'aurait cru tout d'abord. Restait à parvenir à tenir sa promesse. Il en avait le désir, la volonté suivrait-elle ? Il espérait. Et cela ne lui était plus arrivé depuis si longtemps...

Tandis qu'il tailladait à travers les branches et les feuilles, l'ambassadeur vit, à de nombreuses reprises, une espèce de sève noirâtre couler des entailles laissées par son épée, qui en était également recouverte. Jamais il n'avait vu cela, et il songea avec inquiétude que cela ne présageait rien de bon...

Ils transpiraient à grosses gouttes, depuis des heures, des jours, des mois, et Mornagest ressentait une impression de lourdeur, comme si un violent et subit orage se préparait ; malheureusement, ce n'était pas le cas. Seule une oppressante brume les enveloppait, rajoutant encore de l'humidité dans l'air déjà saturé, et les empêchant de se rafraîchir un tant soit peu.

Malgré toute la bonne volonté des deux hommes de poursuivre leur chemin, ils furent contraints de s'arrêter, et purent pleinement profiter de l'ambiance pesante qui les entourait : pas d'air, pas de signe de vie, sinon les flots de sève répugnante qui s'écoulaient des buissons qu'ils venaient de trancher. Et, non loin d'eux, mais invisibles, des animaux qui grognaient. Des loups ? Des chiens sauvages ?

[Lothringen]

Quête: Rapports diplomatiques

Durant tout le temps qu'avait duré cette marche pénible, l'atmosphère oppressante avait laissé attendre l'arrivée d'un orage, d'une catastrophe, ou l'attaque soudaine d'une horde de monstres; mais rien n'était venu de tel. Au lieu de cela, ils avaient dû, en nage, continuer de progresser dans la pénombre du sous-bois, en taillant dans le vif de la végétation.

Lothringen avait d'abord pensé qu'il ne s'agissait là que des suites de cette colère sourde qui s'était emparée du Bosquet depuis qu'ils avaient terrassé son Gardien, mais cela paraissait évoluer en fonction du temps passé dans les bois, ou bien de leur propre avancée. D'abord les taillis s'étaient contentés de se montrer particulièrement denses, mais depuis quelques temps ils lui paraissaient même hostiles. C'était comme si les racines s'allongeaient devant leurs pas, tandis que les ronces prenaient un malin plaisir à s'enrouler sur leurs chevilles. La sève en était devenue noirâtre... Au-dessus d'eux, la lumière du jour était tout à fait occultée par les feuillages.

Après une première pause, ils avaient repris leur chemin sans mot dire. Les grognements animaux se firent peu à peu plus lointains et plus rares, comme si les bêtes sauvages préféraient désormais s'écarter de cette portion du bois. N'était-ce là qu'une illusion de la fatigue?

Les haltes se faisaient plus fréquentes à mesure que l'épuisement les gagnait, mais aucun endroit ne leur donnait la moindre envie de baisser un seul instant la garde. L'impression de maléfice persistait. Lothringen se décida à lancer quelques sorts de détection, mais ne trouva absolument rien. Aucune présence, ni hostile, ni souhaitée. Eloern, ou ce qu'il en restait, devait être encore trop éloigné.

Quand, au moment de repartir, le semi-drow songea à jeter un regard en arrière, il demeura sans voix: le passage qu'ils venaient de se dégager avec tant d'efforts était désormais invisible. Nulle trace de branches tailladées ni de piétinement. Rien. Le taillis... intact.

La sève noire, en revanche, avait formé comme un ruisseau de même teinte que Lothringen aurait juré ne pas avoir vu là quelques instants auparavant.

"Prenons garde, souffla-t-il à son compagnon. La magie qui agit ici n'est pas celle qui anime le reste du Bosquet. Enfin, si, mais elle s'est altérée, corrompue... je ne sais sous quelle influence."

Ils reprirent leur marche en silence. Puis Lothringen manqua sursauter: un ours brun était passé devant eux. Ils entendirent une voix qu'on aurait juré provenir de l'animal:

"Fais attention avant de lancer un tel sort, petit! Jamais à proximité d'un bocal de poussière féerique!"

Le temps d'un clignement de paupières, et l'ours s'était littéralement volatilisé, mais le ruisseau noirâtre, quant à lui, s'était mis à bouillonner. Ils remontèrent quelques temps son cours, qui accompagnait curieusement leur azimuth.

Dans ses vapeurs, fugitivement, ils crurent apercevoir l'image d'une salamandre luttant contre un basilic.

"Alors? Quel est le plus dangereux des deux?"

[Mornagest]

[Quête : rapports diplomatiques]

Ecarquillant les yeux face à cette apparition plutôt digne de Fellini, que de ces sous-bois normalement peuplés de petit gibier, Mornagest ne put que retenir un éclat de rire nerveux face à la question tout aussi déroutante que la voix posa. On lui aurait dit qu'il rêvât, qu'il aurait au moins trouvé une explication valable à tout ce carnaval.

Plutôt que répondre à cette question insensée, Mornagest se contenta de mettre la main à la garde, prêt à se défendre du mieux qu'il le pouvait - la fatigue se faisait cruellement ressentir, tant nerveuse que physique - en cas d'embuscade.

"Ce bourbier infect ne me dit rien qui vaille", grogna-t-il à mi-voix, en désignant du pied le ruisseau aux reflets obscurs. "Nous devrions nous en écarter."

Malheureusement, il semblait qu'il n'y ait aucune issue à ce fouillis de branchages et de feuilles, qui faisaient maintenant un véritable barrage à leur progression, dans toutes les directions... sauf vers le ciel.

"Grimpons là-haut !" proposa-t-il alors à Lothringen, indiquant un bouleau proche. "Je n'ai pas envie de sombrer dans la folie, en regardant ces créatures surgies de nulle part, et jouant avec mes nerfs".

Et, sans attendre de réponse de la part de son compagnon, il marchait en direction de l'arbre, laissant sa lame engainée, et entama son ascension.

[Lothringen]

Quête : rapports diplomatiques

Mû par l'exaspération, Mornagest avait eu une réaction de colère qui ne risquait que d'envenimer la situation... Ils n'avaient d'autre choix que de poursuivre leur route dans cette forêt: mieux valait donc ne pas perdre son calme. Même si Lothringen devait bien reconnaître qu'il ne comprenait guère ce qu'il se passait. Les illusions visuelles et sonores auxquelles ils assistaient paraissaient tout à fait hors contexte. D'ailleurs, l'intonation même de la voix donnait l'impression qu'ils n'étaient pas les destinataires de ses propos; c'était plutôt le ton patient d'un professeur à son apprenti...

Pour autant, il aurait peut-être mieux valu chercher un espace dégagé? Si tant est que la fatigue leur permette de rassembler assez de patience pour la trouver. Va donc pour le repos, le semi-drow était trop épuisé pour insister...

Avant qu'il n'ait pu répliquer, le mélandien s'était lancé à la conquête des altitudes. Lothringen allait donner son avis sur le choix d'un bouleau comme arbre porteur quand un craquement sonore lui épargna cette peine - Mornagest venait de dégringoler douloureusement sur le sol, une branche brisée entre ses mains.

"Oui, Conseiller, cet enchantement peut être ajouté à votre bague... mais ce sera long et coûteux..." commenta la voix anonyme avec un sens certain de l'à propos.

Ils renouvelèrent l'escalade sur un orme massif qui ne leur réserva pas cette déconvenue. Mornagest s'installa le premier puis aida Lothringen à se hisser à plusieurs transversales du sol. Ils seraient au moins à l'abri des animaux et des ronces. "Mais pas des ogres", se souvint le semi-drow avec amusement.

Pour autant, la position à califourchon sur une branche maîtresse, adossé au tronc d'arbre, était loin d'être agréable. Il ne restait plus grand chose des provisions d'Ysté. Et surtout, ils n'avaient pas de point d'eau et sentaient la sueur rance.

Lothringen ferma quelques temps les yeux, la main sur le manche de ses armes. Souffler un peu...

[Mornagest]

[Quête : rapports diplomatiques]

Il aurait voulu pouvoir imiter son compagnon, mais l'idée de manquer ce qui pouvait arriver en contrebas l'ennuyait. Il préférait surveiller les changements apparus, même s'ils ne pouvaient guère l'aider à comprendre cette folle situation.

"Cette voix t'a parlé", souffla-t-il doucement à Lothringen. "De quel anneau parlait-t-elle ?"

Il essayait de trouver un fil conducteur entre tous les éléments qui étaient venus se bousculer devant eux.

"Je me demande qui, ou qu'est-ce qui peut être responsable de toute cette mascarade. Et quel est son but, sinon nous achever les nerfs", ajouta-t-il avec un sourire forcé. Il avait été à deux doigts de tailler dans le vif du sujet, un peu plus tôt, et il rétablissait lentement un semblant de calme en lui, respirant lentement et profondément. Il flirtait encore très souvent avec les crises de rage, et cela ne semblait guère s'améliorer avec le temps... avait-il une propension naturelle à franchir cette fine frontière entre le rationnel, et l'émotionnel ? Il n'en doutait pas vraiment...

[Lothringen]

Quête : rapports diplomatiques

Lothringen rouvrit lentement les yeux.

"Je possède effectivement un anneau enchanté - il montra à son index un anneau d'argent qui ne payait pas de mine - mais je n'ai jamais demandé à quiconque d'y ajouter un enchantement. Puisque je l'ai acquis tel quel... sur un cadavre.

A vrai dire, bien qu'elle se soit adressée à un "conseiller", je n'ai pas eu l'impression que cette voix me parlait, et pas davantage tout à l'heure. On dirait que ses paroles n'ont aucun rapport avec la situation, ni avec nous, en dépit de nos efforts pour les y raccorder. Cela ressemble plutôt à... il chercha ses mots ... à des bribes de souvenirs incohérents."

Il se rembrunit comme le fil de ses pensées se poursuivait, inexorable, amenant avec lui des déductions peu plaisantes.

"Les souvenirs d'un mage qui fréquente des conseillers et qui est capable d'enchanter des artefacts... En fait, il pourrait bien s'agir d'Eloern. Et je ne me l'explique pas, car il est encore hors de portée des sorts d'illusion, à en croire mes propres sortilèges..."

Haussement d'épaules.

"Cela peut signifier qu'il est fou, ou bien qu'il cherche à nous faire fuir. En tout cas j'ai le sentiment que d'une manière ou d'une autre sa magie a fusionné avec celle du Bosquet, et pas pour le meilleur... Le danger est omniprésent ici."

Il reporta son attention sur Mornagest. Ce dernier semblait encore bien près de vouloir pourfendre des illusions à grands coups d'épée dans l'air. Le semi-drow ne put retenir un sourire indulgent, non tant à cause de l'absurdité de cette réaction que parce qu'il n'oubliait pas que c'était à cause de lui et de lui seulement que Mornagest se retrouvait dans cette situation pour lui si angoissante, en proie à une magie qu'il ne comprenait pas.

Lothringen descendit de deux étages pour rejoindre le guerrier sur la branche maîtresse qu'il s'était choisie. Suffisamment robuste, elle ne protesta pas quand il s'assit au côté de son compagnon...

"Pas trop fatigué? murmura-t-il en lui effleurant la main. Tu n'as pas choisi un endroit idéal pour dormir..."

[Mornagest]

[Quête : rapports diplomatiques]

Le guerrier avait fermé les yeux, tandis que Lothringen lui parlait. Eloern devenu fou... à vrai dire, cela ne l'étonnait pas tellement : si le bosquet était déjà aussi accueillant lorsque le magicien était venu en ces lieux, il avait toutes les chances d'avoir perdu la raison, depuis le temps.

Quant à savoir ce qu'ils pourraient tous deux faire, en supposant qu'ils le débusquent avant d'eux-même succomber à la folie de cet endroit... Mornagest préféra ne pas y penser. Si ce mage était réellement capable de créer d'aussi loin, des illusions pareilles, sa puissance devait être presque inégalable. Et ce n'était pas sa malheureuse lame qui lui permettrait de le découper en rondelles. L'impuissance de la force brute... cruelle ironie. Comme il souhaitait pouvoir manipuler l'énergie magique, en ce moment, comme bien d'autres, depuis le début de ce périple.

Il rouvrit les yeux, emplis d'un espoir qui semblait vouloir s'éteindre à la moindre occasion. Allaient-ils mourir ici ? Il commençait à n'en plus douter vraiment. Mais il se garda bien d'en faire part à son compagnon.

"Je ne sais pas s'il est sage de dormir ici. Mais en bas, c'est sans doute pire encore. A moins que tu n'aies une autre idée en tête ?" ajouta-t-il, plein d'espoir. Dormir sur une branche ne l'avait jamais tenté, mais à défaut de mieux...

[Lothringen]

Quête: Rapports diplomatiques

La question prenait Lothringen de court, en un moment où ce dernier observait les progrès de la fatigue et de l'angoisse sur les traits du guerrier. Mornagest était à bout...

Une autre idée? En fait, c'était si évident qu'il se demanda pourquoi il n'y avait pas pensé plus tôt. Bon, ce serait un peu de l'abus de magie, mais n'étant pas à Mystra, il s'en moquait.

"Peut-être bien, oui. Je n'ai pas usé de mes sortilèges aujourd'hui... Je peux nous téléporter en lieu sûr, par exemple là où nous avons passé la dernière nuit. A charge pour moi de nous rematérialiser ici demain matin.

Il sourit. Mornagest n'avait sûrement pas beaucoup apprécié sa dernière expérience de téléportation, celle qui l'avait mené à Inselwenn, droit sous l'épée des elfes de cuivre. Avaient-ils le choix cette fois...

"La seule réserve, c'est qu'il faudrait trouver un endroit bien reconnaissable pour éviter les erreurs de téléportation. Ou bien, le rendre bien reconnaissable..."

Pour l'instant, ils se trouvaient dans les branches d'un orme, et rien ne ressemblait davantage à une branche fournie que sa voisine, ni à un gros orme que le gros chêne son voisin.

[Mornagest]

[Quête : rapports diplomatiques]

Le guerrier voyait où Lothringen venait en venir. Reprendre le chemin qu'ils avaient emprunté pour arriver jusqu'ici semblait irréalisable ; il s'était littéralement fermé derrière eux, et tout portait à croire que ce... prodige se reproduirait s'ils tentaient de refaire le chemin en sens inverse. Qui plus est, ils auraient perdu une journée, et ils ne pouvaient pas vraiment se le permettre. D'autant que l'endroit leur était, sinon hostile, inamical.

"Tailler la cîme de cet arbre ? Il faudrait arriver jusque là... et rien ne dit qu'il ne repoussera pas, lui non plus."

Ils devraient plutôt ajouter quelque chose sur le sommet de l'arbre...

"Laisser un vêtement, ou un morceau de tissu coloré me semble être une bonne idée, non ?"

Il marchait au ralenti. Il était vraiment exténué, mais ne souhaitait pas dormir sur un arbre. Ils passeraient une très mauvaise nuit, et le lendemain, ils ne pourraient marcher longtemps sans s'effondrer, il le sentait.

[Lothringen]

Quête: Rapports diplomatiques

"Il te reste un bout de tunique?"...

Le semi-drow chercha dans son sac s'il n'y trouvait pas un chiffon sacrifiable à défaut... Ce linge tâché de sang avec lequel Mornagest l'avait pansé à Ysté ferait très bien l'affaire. Lothringen se redressa pour le nouer sur une branche basse, à portée, en un endroit à peu près dégarni de feuilles. Il remit alors pied à terre et invita le guerrier à faire de même, puis se recula de quelques pas, pour observer l'endroit bien en détail, longtemps. Puis il ferma les yeux. Où les enverrait-il? Le lagon d'Onsima semblait tout indiqué... Le semi-drow prévisualisa donc cet endroit cher à son coeur, qu'ils venaient de quitter le matin même, ce qui ne demandait pas un gros effort. Il incanta, puis, l'esprit concentré sur l'image qui venait de s'y former, saisit le poignet de son compagnon.

Lothringen == > téléportation: Lothringen + Mornagest = = > une masure isolée

OU EST LE SOL. OU EST L'AIR. JE NE PEUX PLUS RESPIRER.

L'esprit encore troublé par le voyage magique, le semi-drow ne parvint pas à rouvrir les yeux tout de suite. Il gesticulait dans le vide, balloté par... le courant? Lothringen n'était pas bon nageur. Il n'avait pas appris...
Repoussant d'un coup de pied la masse aquatique, embarrassé de ses vêtements alourdis, il finit par parvenir à se hisser jusqu'en surface. Il aspirait l'air par grandes gorgées insatiables, sans rien y voir. Il évoluait en plein sous la cascade. Une erreur de quelques pas, tout au plus... Lothringen fit l'effort de rouvrir les yeux. A moitié aveuglé par l'eau, brassant les remous pour se maintenir en surface, il ne voyait pas Mornagest.

[Mornagest]

[Quête : rapports diplomatiques]

Il avait fermé les yeux. Attendu que les nausées passent. Presque en vain. Elles semblaient plus tenaces à chaque seconde qui s'écoulait, serrant son estomac dans un étau, le faisant serrer les mâchoires. Attendre. Attendre...

Il fut brutalement interrompu par une agréable sensation de fraîcheur. Le trajet semblait s'être arrêté... dans l'eau. Il ouvrit péniblement les yeux, pour découvrir le trouble autour de lui. Bleuté, voilé, ondulé. Brusquement, il cessa de croire qu'il était toujours en train d'essayer de se détacher de ces horribles sensations dues au voyage en plein air. Il était bel et bien en train de sombrer, dans le lagon qu'ils avaient contemplé ce même matin, probablement.

Brassant rapidement l'eau de ses puissants membres, le guerrier n'eut pas trop de peine à remonter à la surface, qui n'était heureusement pas loin. Seule son épée entravait quelque peu ses mouvements, ses vêtements à moitié déchirés ne ralentissaient pas sa progression. Quelques secondes plus tard, il aspirait avec force plaisir de longues goulées d'air, les yeux fermés, les jambes battantes pour le maintenir émergé. Puis il ouvrit les yeux, les frotta de sa main, chercha autour de lui...

Il vit ce qu'il espérait trouver : la blanche chevelure de son compagnon, à quelques brassées de lui seulement. Il n'avait pas l'air à l'aise, dans l'eau. Il paraissait se débattre pour ne pas couler. Lui porter secours, et vite. En quelques instants, il l'avait rejoint, et lui agrippa les épaules, en lui soufflant :

"Je suis là. Du calme."

L'empêcher de paniquer restait la meilleure façon de le sortir rapidement de l'eau.

[Lothringen]

Quête: Rapports diplomatiques

Lothringen n'aurait pas résisté beaucoup plus longtemps; on s'épuisait vite, à gesticuler en désordre dans des courants aussi puissants que ceux qui se créaient au pied de la cascade. Luttant à chaque instant pour respirer, en deux rasades, le semi-drow ne voyait toujours rien d'autre qu'un épais rideau d'eau courante, mais il avait néanmoins entendu le mélandien, et surtout senti la pression de ses bras autour de ses épaules.

Lothringen comprit vaguement que c'était encore en jouant les poids morts qu'il lui faciliterait le plus la tâche: c'est pourquoi le manostien cessa soudain de se débattre, tandis qu'à son plus grand soulagement une force irrésistible et sûre l'entraînait à l'écart de ces tourbillons, de cette asphyxie, de cette mort liquide. Enfin...

Mornagest parvint sans trop de peine à les hisser sur la berge, à quelques brasses de là. Recroquevillé dans l'herbe, Lothringen recrachait par spasmes irréguliers les flots d'eau claire qui s'était accumulés dans ses poumons. Trop exténué pour parler, il clignait quelquefois des yeux pour ne pas s'évanouir. Quand il put enfin retrouver son souffle et son calme, à moitié conscient, il commença de grelotter par grandes saccades involontaires. Il ne faisait pas froid, pourtant.

[Mornagest]

[Quête : rapports diplomatiques]

Ayant repris son souffle après cette baignade improvisée, le guerrier entreprit distraitement de se sécher, retirant les restes de sa tunique malmenée par leur expédition manquée parmi ces maudits ronces et taillis trop touffus. Il avait les yeux mi-clos, éreinté par cette journée longue et harassante. Son regard était perdu dans le paysage, fixant sans le voir le lagon duquel il venait de les extraire, Lothringen et lui.

Il revint soudain à la réalité, lorsqu'il vit que son compagnon tremblait de tout son long. Alors que le soleil était encore visible à l'horizon, dardant vaillamment ses derniers rayons, tentant vainement de ne point succomber à la suprématie des ténèbres grandissantes, il faisait encore presque chaud. Seul une légère brise pouvait justifier l'état du semi-drow, et encore... il était loin d'être aussi chétif que ses congénères d'Ombreterre.

Mornagest s'enquit de son état, en lui soufflant doucement :

"Tu vas bien ?"

Il se rendit compte, en même temps, qu'il n'avait plus pensé à toutes ces choses, depuis un bon moment, déjà. La fatigue aidait, bien sûr, mais il espérait qu'il parvenait également à s'en défaire, peut-être davantage, avec le temps... il espérait vraiment.

[Lothringen]

Quête: Rapports diplomatiques

Mornagest obtint un sourire distrait pour toute réponse. Le semi-drow s'était péniblement redressé en position assise. Il éternuait encore, de temps à autres, vibrant de tout son long comme un roseau sur sa tige, les yeux plissés par la douleur. Il n'allait pas très bien, non; en sus de sa journée de marche harassante dans les sous-bois, il venait d'encaisser le choc de la téléportation et une semi-noyade: l'épuisement le rendait particulièrement vulnérable à cette sensation de froid qui lui collait à la peau comme ses vêtements détrempés.

Avec une lenteur démultipliée par la lassitude, il retira un à un ceux qui lui couvraient la poitrine. Pas le moment de prendre une fluxion. Avec une constitution comme la sienne... Il songea fugitivement au bain de minuit qui lui avait valu une extinction de voix, lors de l'affaire de la relique. Ah non, pas de blague, pas cette fois. Vite, faire du feu.

Il se leva avec la grâce d'un zombi des brumes, le temps de rejoindre le foyer qu'ils avaient abandonné au matin. Il restait un petit tas de bois mort près des broches... Lothringen le rassembla - lentement, lentement, quelle fatigue - avant de vouloir y mettre le feu de la manière la plus efficace qu'il connaissait.

Lothringen = => mains ardentes = = > tas de bois = = > pfuit!

L'incantation échoua sur un borborygme intestinal d'une rare élégance qui acheva de déconcentrer le magicien. Décidément, c'était son jour...

Après un haussement d'épaules fataliste, Lothringen retourna piteusement à son sac, en quête d'un briquet de métal, d'une pierre à feu de silex, et d'un peu d'amadou.

Quand les flammes s'élevèrent enfin, il s'assit devant elles, en tailleur, en invitant du geste son compagnon à faire de même. Parler? Difficile, si difficile... Sa reconnaissance pourtant désirait s'exprimer. Avec un autre, Lothringen en aurait ressenti de la gêne; il aurait eu le sentiment d'avoir contracté une dette envers celui qui venait de le sauver. Avec Mornagest, c'était plutôt... comme un lien de plus entre eux... Il en ressentait de la joie, voire une certaine fierté.

"Heureusement que tu étais là, tout à l'heure. Je ne sais pas nager..."confessa-t-il soudain.

[Mornagest]

[Quête : rapports diplomatiques]

Il leva simplement les yeux vers le visage de Lothringen, sans répondre, tout d'abord. Il avait agi sans même réfléchir, sans se demander s'il faisait bien ou pas de sauver le semi-drow. Il l'avait fait d'instinct, pourrait-on dire. Et il n'en ressentait aucune sensation de dette impayée. Au contraire. Combien de fois Lothringen ne lui avait-il pas sauvé la vie, à son tour, grâce à sa magie ou à ses réflexes de combattant ? C'est ce qu'il demanda à son compagnon, ajoutant :

"De quoi ne suis-je pas capable, par rapport à toi...", un sourire mi-figue, mi-raisin aux lèvres. Il n'avait aucun talent en magie, aucune sagesse d'esprit, aucune critique vis-à-vis du monde qui l'entourait. L'inexpérience de la jeunesse ? Peut-être. Ou une effronterie voulue ? C'était plus probable. Tant de choses à apprendre... il enviait parfois la longévité des elfes, tout en sachant que c'était parfaitement inutile ; il restait condamné à vivre en tant qu'humain, et même, peut-être mourrait-il avant l'âge, s'il ne se méfiait suffisamment. Aurait-il encore Lothringen pour l'aider à se sortir de ses mauvais pas ? Il préférait ne pas se poser la question.

Chassant cela d'un revers de main mental, il attrapa la couverture de Lothringen et la
déroula sur les épaules et le dos de son propriétaire, puis il s'assit non loin de lui, un sourire plus franc aux lèvres, cette fois.

"Ca va mieux ?"

[Lothringen]

Quête: Rapports diplomatiques

Même si ce n'était tout de même pas la forme des grands jours, passé le premier choc hypothermique, Lothringen retrouvait peu à peu ses moyens. Il essora encore sa natte en la vrillant, puis se frotta plusieurs fois contre la couverture, jusqu'à ce que la peau lui brûle. Voilà qui était mieux, en effet, et c'est ce qu'il confirma aussitôt d'un hochement de tête entendu à l'attention de Mornagest.
Le semi-drow se souciait peu de l'image peu valorisante qu'il donnait pour l'instant de lui-même: comme le guerrier venait de le souligner, l'un comme l'autre avaient leurs points forts et leurs faiblesses; les méconnaître ne ferait qu'écourter d'autant leur espérance de vie.

Le jour déclinait. Et ils se retrouvaient au même endroit, épuisés, l'un près de l'autre, comme la veille. C'était une fausse répétition: en dépit des apparences et de l'hostilité du sous-bois, ils avaient bien progressé. A en croire les illusions dont ils avaient eu un premier aperçu, Eloern ou ce qu'il en restait ne pouvait se trouver à plus d'une demi-journée de marche de l'orme au linge flottant qui leur servait de repère, selon les approximations de Lothringen.

Il fallait donc en déduire que, selon toute probabilité, ils toucheraient au dénouement de leur quête le lendemain. Que ce serait, sans doute, la dernière nuit qu'ils passeraient ensemble... C'est pourquoi c'est avec une certaine tristesse que Lothringen reprit:

"Ca va bien. Même si je ne peux m'empêcher de songer que, d'une façon ou d'une autre, nous sommes près de la fin, et que je ne sais quand nous pourrons nous revoir.
A ce propos, te souviens-tu de ce que je t'ai dit, à propos du conseil mélandien? J'y ai repensé et... n'étant pas sûr de pouvoir t'en reparler de sitôt..."

Le manostien suspendit volontairement sa phrase. Si Mornagest conservait ses réticences à son égard, s'il préférait continuer de jouer les pantins que de tenter de tirer lui-même les ficelles... inutile d'insister.

[Mornagest]

[Quête : rapports diplomatiques]

Les mots de Lothringen sonnèrent comme le glas de leur relation. Une étrange et désagréable sensation de malaise s'empara de Mornagest, lui agrippa les tripes, les serra tel un étau. Il avait tenté de reculer mentalement l'échéance, ne plus y penser, mais cette fois, leur séparation était proche. Et définitive ? Il ne pouvait y croire.

"Mais nous nous reverrons. Je te le promets. C'est ce que je veux..."

Il l'avait regardé dans les yeux, disant cela. Il le voulait. Que ne ferait-il pas pour quelque chose qu'il désirait au plus profond de lui-même ?

"Le Conseil..." reprit-il, songeur. Trahir ceux qui l'avaient promu ambassadeur ne lui posait pas vraiment de problèmes. Ils étaient profiteurs, fourbes, et cherchaient sans doute, comme le lui avait expliqué Lothringen, de le manipuler, tel un pion sur leur échiquier politique.

"Tu m'avais proposé de les reléguer au rang de sous-fifres, grâce à certaines informations que tu possèdes sur eux. Seina, notamment. Celui qui m'a envoyé à Lumenis. Si... cela me permet d'enlever le collier dont ils m'enserrent, je suis prêt à le faire".

[Lothringen]

Quête: Rapports diplomatiques

Lothringen sourit à demi.

"Holà, holà, tu t'emballes un peu vite. Je ne me souviens pas de t'avoir rien dit de tel - et encore moins d'avoir eu l'imprudence de nommer Seina."

Il ajouta sur un haussement d'épaules, tout en traçant des dessins dans la terre, avec un bout de bois.

"Mais je ne nie pas pour autant. Ecoute... J'en sais long sur certains membres de votre conseil, c'est un fait. Et jusqu'ici j'ai gardé ces secrets... parce qu'ils ne m'étaient provisoirement d'aucune utilité, à moi, ou bien parce je redoutais les conséquences de leur divulgation.

Seina, Walar... Je n'ai aucune raison de vouloir les couvrir. Au contraire. Ils ont tué, ils ont cherché à me tuer, ils ont trahi. Certaines vengeances n'ont pas eu leur cours."

Il fronça les sourcils. Nombreuses étaient les vieilles intrigues qui trouveraient peut-être leur dénouement à travers les confidences qu'il s'apprêtait à faire à Mornagest. Et certaines le touchaient de très près...

"Commençons par Seina... c'est lui qui t'a exilé, n'est-ce pas? Sache qu'il a été mon compagnon d'armes autrefois. Nous étions un groupe un peu improbable qui s'était constitué afin de venger la mort d'une chef de guilde chez nous, Banshee Sangdelune, assassinée à Melandis. Je n'étais que mercenaire à l'époque, et je n'ai pas tardé à me retrouver seul avec le barde pour mener l'affaire à son terme. Et nous l'avons menée à son terme...

Mais Seina nous a trahi, Tymora et moi. Il a fait mine de revenir vers Elle mais son coeur fourbe n'a pas su tenir ses promesses, et il s'est retourné contre nous. Et pas à moitié... C'est pourquoi je te le livre aujourd'hui sans scrupules et sans regrets: fais en donc ce que tu veux."

Il reporta son regard sur Mornagest qui écarquillait les yeux.

"Oui, tu as bien entendu. Votre fameux barde du chaos, que vous prenez tous pour un héraut de Talos, l'agent de sa volonté... La belle affaire! Il a trahi Talos, comme il a trahi Tymora dont il était autrefois le champion... Voguant de l'un à l'autre au gré des circonstances. On découvrirait sans doute de belles choses, en fouillant chez lui..."

[Mornagest]

[Quête : rapports diplomatiques]

Abasourdi par ces révélations qui semblaient n'être qu'une ébauche de ce que savait Lothringen, le mélandien se tint un long moment coi, à cent lieues d'imaginer de telles confidences. Seina reniant Talos... Walar ayant cherché la mort de Lothringen... à quelles fins ? Il voulu lui poser la question, mais essayait tout d'abord d'assimiler les informations que venait de lui asséner le semi-drow. Car c'était réellement un coup dur. Seina, en qui il avait... presque confiance... un traître, n'hésitant pas à retourner plusieurs fois sa veste...

Il serra les mâchoires et ferma les yeux, essayant d'imaginer les conséquences que tout ceci pouvait avoir. Qu'apprendrait-il sur Nathiel, sur Beorn ? Mais avant tout, en finir avec Walar... qui lui avait sauvé la vie, autrefois...

"Je... c'est une situation extrême. Walar et Seina... je les connais. Mais... je sais aussi qu'ils seront très difficiles à écarter. Sur qui puis-je m'appuyer ? Vas-tu également m'annoncer qu'Ecthelion et Devir sont responsables de hauts crimes ?"

Il avait déclaré accepter de trahir le Conseil pour recouvrir sa liberté. Cela signifiait-il perdre la vie ? Il commençait à entrevoir sérieusement cette possibilité...