[Bâtiment] Ambassade de Manost

[Lothringen]

"Un dernier effort... nous y sommes", murmura Lothringen en s'efforçant, un peu en vain, de dissimuler son inquiétude.

Deux autres gardes veillaient devant l'entrée. Compte tenu de l'état de Mornagest, le semi-drow coupa court aux explications, qu'il laissa aux bons soins de leur guide; dès qu'ils furent parvenus aux portes du bâtiment, il entraîna le guerrier à l'étage, où il le laissa s'effondrer sur le premier lit qu'il trouva. Il sembla au malade que Lothringen s'éclipsait à nouveau, qu'il l'entendait discuter à voix basse, dans le couloir, avec quelqu'un qui devait être l'ambassadeur; puis, après un temps, son compagnon revint dans la pièce, pour poser sur le lit un plateau porteur de quelques morceaux de fromage et de tranches de rôti, ainsi qu'un bol de soupe.

"Avale quelque chose si tu peux..."

Lui-même, il y touchait à peine, et il dévisageait en silence son compagnon, dont les traits tirés et la pâleur morbide trahissaient l'épuisement. Lothringen songea qu'il l'avait cru mort au moins deux fois en cette seule journée. La douleur alors... Les trahisons, les assassins, les traques, les course-poursuite et les combats dans les auberges, il s'y ferait, sans doute, ce n'était qu'un rythme à reprendre... mais ça!

"Je serai dans la chambre à côté. Je vais quand même laisser la porte intermédiaire ouverte en partant, je préfère... t'entendre respirer."

[Mornagest]

A peine entendait-il la voix de son compagnon. Mornagest sombrait dans un sommeil profond et relativement réparateur ; la fatigue accumulée et le poison avaient eu raison de lui, et ses dernières forces épuisées ne lui laissaient même pas l'occasion de répondre d'un hochement de tête. Nul rêve ne vint troubler sa nuit, nulle attaque ne fut à signaler à l'ambassade. Enfin, ils pouvaient fermer les yeux sans craindre l'égorgement.

Lorsqu'il se réveilla, la matinée était déjà bien avancée. Cela faisait maintenant trente-six heures qu'il était chancelier, et il n'avait pu s'en rendre compte qu'une petite fraction de ce temps. Il put se lever sans trop de difficultés, et commença une série d'étirements de ses muscles contractés par tant d'inaction. Il grimaça. Son état paraissait meilleur, mais il ressentait toujours une gêne indicible. Peut-être pourrait-il s'en débarrasser...

Il sortit dans le couloir, à peu près certain que Lothringen serait déjà éveillé depuis longtemps.

[Lothringen]

Après avoir laissé Mornagest à son sommeil harassé, le semi-drow n'avait pu tout de suite l'imiter; il lui restait encore à repasser ses sorts pour le lendemain. Une corvée difficile quand les paupières ont une fâcheuse tendance à se fermer d'elles-mêmes, mais nécessaire s'ils voulaient s'épargner quelques complications.

Une fois délivré de cette tâche, il avait dormi, lui aussi, sans bouder sa chance – et, à son réveil, un peu tard dans la matinée, avait songé qu'il serait bon de s'informer de ce qu'il se passait en ville. Il allait justement descendre interroger l'ambassadeur sur ce sujet quand il vit Mornagest surgir de sa chambre à son tour, l'air un peu plus dispos que la veille. Peut-être n'allait-il pas s'endormir pendant qu'on lui parlait, cette fois-ci... C'était toujours assez frustrant que de voir les circonstances gâcher l'un après l'autre leurs rares moments d'intimité.

"Salutations. Comment vont les troupes?..." demanda-t-il maladroitement, en observant son compagnon.

Nous faisons de braves petits soldats, n'est-ce pas? Plus on les blesse et mieux ils repartent à l'assaut... Et nous avons précisément un assaut à mener. Les responsables, les menteurs... pour ta douleur et pour la peur que j'ai sentie... je veux qu'ils paient.

Liste de sorts:

0: détection du poison, détection de la magie, manipulation à distance, ouverture/fermeture
1: bouclier, coup au but, projectile magique (x2), déguisement, mains brûlantes, armure de mage
2: ténèbres, image miroir (x2), force de taureau, flèche acide de melf, détection de pensée
3: clairaudience/clairvoyance, sphère d'invisibilité, lenteur, flèche enflammée, arme magique suprême
4: peau de pierre, mur de feu, lueur d'arc en ciel, scrutation
5: téléportation (x2)

[Mornagest]

Un sourire triste s'affichait sur son visage.

"Brisé, moulu, houspillé... mais en vie. Je pense que ç'aurait pu être pire."

Il s'approcha de Lothringen. Que n'eut-il pas souhaité en finir une bonne fois pour toutes, avec ces intrigues mortellement dangereuses, et vivre enfin paisiblement ! Pourquoi avait-il choisi de revenir ici, sachant que le trépas l'attendait au tournant ? Il aurait dû suivre les conseils de son compagnon, même s'ils lui paraissaient alors impossibles à suivre. Que dire de ce qu'il lui était survenu depuis lors...

"Je te dois des excuses, et des remerciements. Si je t'avais écouté, nous n'en serions pas là... et tu n'aurais pas dû risquer ta peau pour sauver la mienne."

Il évita de faire remarquer qu'il estimait que sa propre vie n'en valait peut-être pas tant la chandelle qu'il se l'imaginait quelque temps auparavant. Vivre en tant que chancelier de Melandis, était-ce mieux que la mort ? A moins que cela n'en fut qu'un simple écho. Son ombre, tapie au détour d'un couloir, dans un repas empoisonné, une embuscade maquillée en accident... bien des façons de mourir, mais combien de vivre ?

[Lothringen]

Et encore, non seulement Lothringen avait vainement tenté de dissuader Mornagest de retourner à Melandis, mais il l'avait aussi plus récemment conjuré de protéger sa vie, précisant même qu'il lui faudrait au plus tôt des antidotes et des hommes de main... Si son compagnon avait eu cela à disposition la veille, les choses auraient sans doute pu tourner autrement.

"Oui, je pourrais probablement t'être de bon conseil..., murmura-t-il amèrement, l'esprit distrait. Si tu m'écoutais quelquefois."

... Au lieu de suivre avec résignation la ligne de plus grande pente, celle qui ne pourrait que mener Mornagest par le plus court chemin à une catastrophe qu'il connaissait, qu'il prévoyait – qu'il désirait, sans doute. Et lui, dans tout cela?

Ils étaient fort près l'un de l'autre, et Lothringen sentit que les sentiments risquaient de le submerger sans crier gare s'il continuait de laisser sa pensée vagabonder de ce côté-là: or il n'avait pas besoin de cette faiblesse en un pareil moment, quand il leur restait tant de choses à régler sur cette affaire; aussi s'empressa-t-il de détourner la conversation.

"Au moins auras-tu compris, j'espère, que tu n'as rien à gagner, pas même la vie sauve, à exécuter docilement leurs ordres. Projettes-tu toujours de retourner à l'Antichambre? Comment comptes-tu t'y prendre? Mes sorts sont prêts. J'allais justement interroger l'ambassadeur sur ce qu'il se passe en ville.".

[Mornagest]

Dépité, Mornagest baissa les yeux. Il comprenait la déception de son compagnon, même s'il sentait une pointe de colère et de défiance sourdre en lui ; mais il se retint d'extérioriser son orgueil. Il devrait apprendre à se contenir, surtout au vu des événements récents. La discrétion pourrait lui sauver la mise, sans nul doute.

Cependant, l'ambassadeur manostien répondit à la question de Lothringen :
"Apparemment, les patrouilles des gardes mélandiens se poursuivent. Évidemment, elles ne sont pas passées par ici, et je doute que le lien soit fait entre le chancelier et vous-même... du moins, je l'espère."

Mornagest, quant à lui, souffla :
"Je ne pense pas qu'il soit judicieux de continuer à jouer avec le feu. Messire Lothringen a risqué plusieurs fois sa vie ces dernières heures ; nous disposons d'un peu de temps pour mettre au point un plan afin que je puisse retourner à l'Antichambre sans être assassiné à vue. Il faut que j'entre en communication avec Beorn Devir... sans qu'il puisse savoir où je me trouve. S'il s'avère qu'il cherche lui aussi ma mort, je n'aurai alors plus aucun allié... à ma connaissance. Les autres conseillers sont soit rangés contre moi, soit indécis jusqu'à présents. C'est du moins ce que j'imagine."

Il avait cligné quelques fois des yeux pendant qu'il parlait, et il ajouta, à brûle-pourpoint :
"Pouvons-nous manger quelque chose ? J'ai l'estomac aussi vide que la tête..."

[Lothringen]

"Hum, oui, venez donc dans la salle à manger..."

L'ambassadeur les conduisit au rez-de-chaussée, dans une salle privée où une longue table de bois attendait à l'abri des visiteurs. Les petits pains et le lait chaud du déjeuner ne tardèrent pas à suivre, ainsi que d'autres mets que le semi-drow ne toucha qu'à peine, n'ayant ordinairement que peu d'appétit au réveil. Ce qui n'était évidemment pas le cas du guerrier, efficacement purgé par le poison de la veille.

Quand ils furent de nouveau seuls, après quelques temps de repas puis de réflexion, Lothringen reprit, comme s'il réfléchissait à voix haute...

"Ce ne sont pas les solutions magiques qui manquent, si tu veux entrer en relation avec De Vir. J'ai mémorisé une paire de téléportations, quelques sorts d'espionnage magique comme la scrutation ou la clairaudience, quelques sorts de discrétion comme l'invisibilité de groupe ou le déguisement. Il est assez facile de déposer une lettre là-bas...

Mais que lui diras-tu? Je ne pense pas moi non plus que De Vir fasse partie de tes ennemis. Comme tu disais, il n'avait pas besoin du scandale d'une réunion publique pour se débarrasser de toi, s'il voulait. Cela dit, mieux vaudrait peut-être commencer par rassembler des preuves contre tes vrais ennemis, voire faire le ménage par toi-même, que de te présenter simplement à lui comme une victime traquée qui attend de lui la solution miracle sans pouvoir nommer l'adversaire. Il n'apprécierait pas, je pense..."

Il baissa la tête, dessinant du bout des doigts dans le cercle de lait frais laissé par son bol sur la nappe. Contemplant alors Mornagest qui mangeait encore tandis qu'il parlait, Lothringen esquissa un sourire las.

"Mais tu dois le connaître mieux que moi."

[Mornagest]

Mornagest réfléchissait au mieux, même si ce n'était guère son fort. Il devrait apprendre à agir après mûre réflexion, et non foncer à l'aveugle comme il l'avait fait jusqu'ici. Preuve en étaient les erreurs qu'il avait commises depuis son retour en ville, sinon même avant.

"Je n'en suis pas si sûr... je n'ai jusqu'à présent eu que très peu l'occasion de lui parler directement ; il agit toujours par l'intermédiaire de quelqu'un d'autre. L'affronter en face pour tenter d'éclaircir les points noirs de ces derniers jours me serait aussi improbable qu'à toi. Mais tu as raison, il faut peut-être se focaliser sur les autres conseillers... et s'en débarrasser. Leur parti pris, ils ne changeront guère d'avis ; je suis une cible bien plus facile à éliminer que d'autres, comme Walar..."

Il semblait fouiller dans ses souvenirs.

"Lors de la réception, nous étions quatre. J'ai vu l'un des membres du conseil se pencher sur moi. Enetos. Un homme dangereux par son instabilité. Aurait-il pu tenter de m'aider qu'il a peut-être déjà changé de bord depuis... les deux autres ? Les as-tu vu ? Un blond, l'air toujours las, et l'autre, le crâne dégarni et luisant de graisse ? Qu'ont-ils fait ? Je gage qu'ils ne se sont guère inquiété de mon sort..."

Cependant, cela pouvait tout aussi bien signifier qu'ils n'avaient cure de la vie du chancelier, qu'ils étaient certains que ce dernier allait trépasser, ou encore, qu'ils n'avaient osé s'interposer entre Mornagest et la foule... tant de possibilités.

"Évidemment, je peux les interroger... mais cela risque bien d'être pour eux leurs derniers instants. A moins qu'ils ne soient réellement innocents. Ah, peste soit de ces précautions à prendre ! Un bon combat à la loyale, cela me manque." conclut-il, un sourire amer aux lèvres.

[Lothringen]

"Innocents? Mouais. Je leur envoie un prêtre les avertir que tu es en vie, et non seulement ils n'envoient pas de réponse ni de soldats pour te protéger, non seulement ils ne cessent pas de faire patrouiller inutilement dans tout le quartier, alors que ça ne gêne que nous, mais toute une brochette d'assassins trouve notre adresse complète avec une célérité stupéfiante...

Du coup, l'empressement de tes deux collègues, lors de l'attentat, à ne s'occuper que de fermer les portes et reporter l'attention collective sur la pièce d'à côté en paraît tout de suite plus suspect, tu ne trouves pas? Sans compter que l'arbalétrier n'a apparemment pas été inquiété, et qu'il n'a pas pu s'éclipser sans complicités dans la garde ou plus haut..."

Lothringen haussa les épaules. Si l'innocence de ces hommes n'était pas totalement impossible, elle supposait de leur part une telle somme de bêtise et d'incompétence qu'il valait peut-être mieux pour Melandis supposer qu'il s'agissait plutôt de fourberie. Pour sa part, il n'en doutait pas vraiment.

"Il pourrait être intéressant de retrouver ce talosien, s'il vit toujours... histoire de savoir à qui il s'est précisément adressé, et ce qui lui fut répondu.

Il pourrait être intéressant aussi de s'informer des ordres exacts qu'ont reçus toutes ces patrouilles. Que cherchent-elles, au juste?

Nous pouvons enfin leur tendre un piège pour les tester: fournir une fausse information et voir ce qu'ils en font..."

Il secoua la tête, comme pour chasser l'ennui que lui inspiraient d'avance tous ces contretemps, avant de reconnaître sur un sourire malveillant:

"C'est beaucoup finasser. En l'état d'esprit où je me trouve, j'ai tendance à me soucier assez peu de démêler les traîtres des incapables; d'une manière ou d'une autre, que ce soit par leur incurie, leur incompétence ou leurs mensonges, ces trois conseillers sont tous responsables de ce qu'il s'est passé. Tout cela va probablement se finir comme nous aimerions le commencer... Mais si tu dois rendre des comptes à De Vir, mieux vaut accepter de jouer la version longue."

[Mornagest]

"Les coupables se méfieront, tant qu'ils ne verront pas mon cadavre. Et les "innocents" ne tarderont pas à se rallier aux autres, y voyant là un intérêt évident. Il faut agir vite. Et pister un à un les membres du Conseil. Je n'ai pas de réseau d'espions - pas encore - afin de les "rencontrer" et m'expliquer avec eux, mais je connais quelques personnes qui pourraient peut-être nous aider à récolter des informations. Les conseillers quittent régulièrement l'Antichambre, même Devir n'y passe pas tout son temps. Si la crise actuelle les rend plus prudents, ils ne peuvent néanmoins pas faire cesser toutes les affaires courantes... la cité doit être gérée, en particulier maintenant."

Il soliloquait presque, tout en songeant avec une certaine satisfaction à ce qu'il ferait subir aux responsables de l'attentat. Et, en marge de cela, il essayait également de bâtir des hypothèses quant à leur identité précise. Difficile. Les indices allaient être minces, voire relever de la divination.

Mais une fois de plus, il songeait à ce qu'il se passerait ensuite. D'autres complots ? Et s'ils venaient à échouer, à périr tous les deux dans une embuscade, ou dans un combat rangé contre une troupe de gardes du corps ? Ses pensées revinrent ensuite fugitivement vers les quelques moments de quiétude qu'ils avaient eu, des mois auparavant, dans une forêt près de Manost. Comme il regrettait ce temps !

Revenant à la dure réalité, il conclut :

"Ce peut être rapide, et instructif. Mais le jeu est dangereux. Inutile de te demander si tu souhaites m'accompagner..."

[Lothringen]

Tandis que Mornagest parlait, Lothringen avait tenté d'évaluer les risques de ce que ce dernier projetait de faire. Espionner les conseillers, c'était effectivement aller chercher l'information à sa source... Mais c'était aussi s'exposer un maximum, quand il y avait peut-être des solutions plus subtiles et en tout cas plus prudentes.

Néanmoins son compagnon avait l'air de savoir ce qu'il voulait, et le semi-drow devait bien reconnaître qu'il aurait toujours une longueur de retard, dans les intrigues de cette cité. Etait-il réellement possible de surprendre chacun des conseillers en un moment de solitude? Pouvait-on espérer d'une confrontation directe la moindre révélation? Pouvait-on se permettre une exécution sommaire entre membres du conseil de Melandis, quand l'un d'entre eux au moins était destiné à demeurer votre supérieur? Spontanément, Lothringen aurait répondu "non" à chacune de ces trois questions... Mais Lothringen n'était pas mélandien, ne souhaitait pas apprendre à raisonner comme tel, et toutes ces machinations commençaient à l'exaspérer, non seulement parce qu'elles suintaient de fiel et de traîtrise, mais parce qu'elles étaient autant d'obstacles entre Mornagest et lui.

Il fit la moue aux dernières propositions du chancelier. Ramener tout cet imbroglio à des dimensions plus "humaines", après tout, ce ne serait pas pour lui déplaire.

" Inutile de te demander si tu souhaites m'accompagner..."

Il fit semblant de froncer les sourcils, avant de se mettre à rire.

"Tout à fait inutile, en effet. Tu peux compter sur moi."

Et c'était chose précieuse qu'un allié sûr, dans un tel contexte. En fait, Lothringen ne se posait même pas la question: les ennemis de Mornagest étaient ses ennemis, parce qui lui faisait du mal lui en faisait aussi. Si tout pouvait toujours être aussi simple...

"Comment entre-t-on en relation avec tes contacts?"

[Mornagest]

Il soupira. Les choses allaient commencer maintenant, de cela il était certain. Le reste... finirait-il égorgé par un des gardes mélandiens mandés par le Conseil, aux côtés de son compagnon d'infortune, subissant le même sort ? Les dieux seuls le savaient... de son côté, il préféra ne pas s'attarder sur de telles conjectures.

"Ce ne sont pas des gens très recommandables, mais j'imagine que tu t'en doutais. Des mercenaires, des espions... appelle-les comme tu veux, ce sont d'excellentes sources d'informations. Évidemment, ils pourraient tout aussi bien nous trahir. Mais ils savent où sont leurs intérêts. Le Conseil les a dans sa ligne de mire, et s'ils m'aident à me débarrasser de nos ennemis communs, ils pourraient bénéficier d'un nouveau statut."

Il sourit tristement. Ses forces paraissaient amoindries ; ses épaules affaissées ne disaient rien qui vaille, et sous ses yeux étaient apparues des cernes légèrement bleutées. Il avait pris dix ans en l'espace de trois jours.

"Je sais que tu vas encore me traiter d'inconscient. Sans doute as-tu d'ailleurs raison, mais c'est selon moi la meilleure chance de pister les conseillers. Tu n'imagines pas ce dont ils sont capables pour collecter des informations... quelles qu'elles soient. Je ne m'étonnerais pas qu'ils soient même au courant de notre présence ici. Et c'est cela qui me fait croire qu'ils ne nous trahiront pas : ils l'auraient déjà fait, s'ils l'avaient voulu."

[Lothringen]

"Cela dit ils pourraient bien l'avoir déjà fait que tu n'en sois pas encore averti... Si j'étais mélandien, je crois que j'y réfléchirais à deux fois avant de lancer un assaut sur l'ambassade de Manost. Oh je sais, ce ne sont pas les scrupules qui les étouffent, ils t'ont bien attaqué, toi, alors pourquoi pas une ambassade, pourquoi pas un conseiller même, s'ils le savent... Mais c'est qu'il y a potentiellement toute l'armée manostienne derrière ce petit manoir de pas grand chose."

Il haussa les épaules. Il n'aurait pas aimé que les choses tournent de la sorte, quoi qu'il en soit. Si ce règlement de comptes était son affaire, ce n'était pas celle de sa cité...

"Je ne vais pas te traiter d'inconscient et je ne vais pas non plus me perdre en bavardages. Garder l'initiative peut nous fournir un précieux temps d'avance, et les conseillers ne s'attendent sans doute pas à ce genre de réaction. Voyons ce que ces sources auront à te dire, et nous pourrons toujours aviser..."

Il sourit.

"Mais je crois que je vais garder mes haches, aujourd'hui."

[Mornagest]

Ils allaient bientôt se remettre en route. Sans avoir eu un réel moment intime, sans pouvoir deviser sur un autre sujet que ces sempiternels complots et échafaudages de manipulations diverses. Quand pourraient-ils jouir d'un brin de répit ? Visiblement, le destin ne leur permettrait pas cela avant longtemps. Pourquoi toujours penser à cela ? L'heure était aux décisions...

"Si tu es prêt, nous pouvons nous mettre en route. Je suis suffisamment reposé pour tenir la journée... même si je ne promets pas pouvoir passer la nuit sans fermer l'œil. Prenons congé de tes concitoyens et allons étriper les miens."

Il affichait une mine sombre. Non pour la perspective d'un peu d'action, mais parce qu'il craignait simplement d'y laisser la vie, ou pire encore, celle de son compagnon. S'en remettrait-il si cela devait arriver ?

[Lothringen]

"Je suis prêt", répliqua le semi-drow en se levant de table. "Juste le temps de prendre ma cape et de prévenir l'ambassadeur..."

Ce qui prit guère plus d'une demi-minute. Lothringen aurait sûrement pu gagner des prix en concours de laconisme.

"Je vous remercie de votre hospitalité, mais nous allons devoir partir..."
"... Puis-je vous demander où?"
"Régler les affaires courantes, assurément."
"... Alors je vais consigner un prêtre."

Ils se retrouvèrent alors provisoirement seuls, de nouveau, dans un corridor. Lothringen avait de plus en plus de peine à ne pas remarquer la morosité de son compagnon. Depuis le matin, ce dernier semblait lutter contre un sentiment d'impuissance et de fatalité qui risquait d'être un handicap sévère s'il se prolongeait jusque dans l'action. Le semi-drow s'approcha du guerrier, et, lui pressant fugitivement le bras, il se mit à murmurer:

"Croire en sa cause, et ne rien négliger: défaitisme et témérité sont ce dont Tymora se lasse le plus vite... J'ai confiance en nous. Car après tout, nous méritons de réussir, et nous en avons les moyens..."

Peut-être s'exagérait-il cette assurance; probablement était-ce lui qui aurait fait grise mine, en d'autres circonstances. Mais par un curieux phénomène de transfert et de compensation, si c'était Mornagest qui paraissait douter, alors c'était lui qui se sentait disposé à tenir un discours d'apaisement: et vice versa, sans doute.

[Mornagest]

Un sourire timide s'afficha sur les lèvres du guerrier. Il avait, comme Lothringen l'avait remarqué depuis un moment déjà, besoin de réaffirmer ses capacités, que ce soit en combat ou en décisions rapides. Or, depuis son retour en ville, rien n'avait tourné rond. Il s'était fait avoir sur toute la ligne, et avait servi de bouc émissaire à Beorn Devir, afin qu'il essuyât à sa place les tentatives d'assassinat, ou du moins, de porter le chapeau sur certains échecs retentissants.

"Tu as sans doute raison. Je suis affaibli, et mon moral en subit un coup... mais nous pouvons réussir, en nous y prenant bien. Et en nous concentrant uniquement sur la tâche à accomplir. Je vais m'y atteler. Et non m'apitoyer sur mon sort."

Ils étaient prêts à partir, désormais. Le plus difficile restait à réaliser, mais ils avaient tous deux surmonté des épreuves au moins aussi ardues.

"Allons-y. Un peu d'action me dérouillera les muscles. Oh, je ne sais pas si tu comptes repasser à l'ambassade ces jours-ci ? J'ignore totalement combien de temps nous allons passer en ville..."

[Lothringen]

"Je vois. J'ai pris mes dispositions en conséquence..."

Il désigna du menton la bretelle de son sac de voyage, qu'il avait assurée en travers de sa poitrine en même temps qu'il prenait sa cape et ses armes. Ce sac contenait, comme à l'ordinaire, l'intégralité de ses possessions terrestres, et qui l'aurait fouillé aurait fait défiler sa vie: on trouvait là une bourse bien pleine, un coffret protégeant le sceau de Manost, un arc, une plume, de l'encre, des parchemins, deux livres de sorts, du linge, une couverture.

"Tu vois là ma maison, ma fortune, mon avenir et ma mémoire: rien ne m'oblige à revenir jamais ici ... ni nulle part, s'il le fallait."

Il ajouta plus doucement.

"C'était toi que je venais voir, tu te souviens?"

Pour sa part, il l'oubliait si peu qu'il partageait l'impatience de son compagnon. Plus vite ils commenceraient, plus tôt ils en auraient fini.

[Mornagest]

"J'espère que tu as alors trouvé ce que tu cherchais..." Il avait conscience de n'avoir pas été à la hauteur des retrouvailles, qui s'étaient déroulées, il fallait bien l'accorder, dans des conditions très peu favorables. Mais il se demandait également s'il n'avait pas échoué dans ce qu'il avait pourtant promis de tenter : rester lui-même, ne pas se fondre dans la vilénie mélandienne. Était-il trop tard ? Pris dans l'engrenage, à un point tel que son compagnon ne pourrait l'en extirper ?

Ce qui ne le différenciait en tout cas nullement d'antant, étaient ces sempiternelles questions sans réponses, et les désagréments que cela occasionnait. Vite, se replonger dans la sécurité de l'action, dans la stérilité de pensées des combats qu'il affectionnait tant.

"Mettons-nous en route. Il y a une bonne trotte d'ici les bas-quartiers."

Vers

[Mornagest]

De retour d'

Il était midi, et la chaleur devenait pratiquement insupportable en plein soleil. Melandis disposait d'une atmosphère assez pesante, malgré le vent qui soufflait régulièrement, et les pluies étaient assez rares ; seul l'approvisionnement en eau de la Houleuse permettait à l'empire de disposer de terres arables.

Mornagest, de par ses origines nordiques, craignait la chaleur moite de la cité. Aussi ne parlait-il guère, s'affairant à dépenser le moins d'énergie possible à marcher, à l'ombre de préférence. Heureusement, ils finirent par arriver à l'ambassade sans encombre, et n'eurent guère à éviter que quelques patrouilles de routine. Visiblement, les conseillers n'avaient pas encore été mis au courant du fait que le chancelier n'était pas mort. Mornagest fit part de ses observations à son compagnon, ajoutant :

"Ça risque de ne pas durer longtemps... hâtons-nous, avec un peu de chance, cette nuit, nous aurons déjà éliminé Enetos ? S'il est aussi fanatique que ce que cet imbécile de Monsieur T racontait, il n'a sans doute pas abandonné son culte sinistre."

Ils s'étaient arrêtés non loin du bâtiment, et le guerrier suait à grosses gouttes, désormais.

[Lothringen]

"Crois-moi, je fais aussi vite que possible", murmura Lothringen en retour.

Il choisit de passer par la porte des jardins. A cette heure, les visiteurs se faisaient plus nombreux, et une petite queue s'était formée à l'extérieur, devant le bureau d'accueil. Au lieu de rejoindre l'allée, le conseiller fit passer son compagnon de l'autre côté du bâtiment, par une porte-fenêtre du jardin, et de là, rejoindre à l'étage le bureau du chef des renseignements manostiens en ville, aussi appelé plus diplomatiquement secrétaire particulier de l'ambassadeur.

Ce dernier, un homme chauve à l'abondante barbe d'un noir d'encre, d'une certaine prestance du reste, ne parut pas surpris de la visite. Il avait déjà rencontré Lothringen dans les jours précédents, avait entendu l'ambassadeur lui raconter leur visite nocturne, et comprenait peu ou prou que le conseiller entendait être partie prenante dans les intrigues en cours.

Après les politesses et présentations d'usage, le semi-drow expliqua rapidement:

"Messire Tagarys, il importe à Manost, et à moi plus encore, que les auteurs de cet attentat ne jouissent pas impunément du bénéfice de leurs actes. C'est pourquoi j'ai décidé d'assister le chancelier dans sa volonté de contre-attaque, et lui ai proposé les services de vos hommes. La rapidité de réaction étant notre meilleure alliée, j'ai compté que vous pourriez vous occuper durant l'après-midi de rassembler des volontaires et de les réunir pour cette nuit, au cimetière. Idéalement, il nous faudrait cinq ou six personnes, guerriers et mages. Dites bien qu'il s'agit d'affronter des mélandiens et le conseiller qu'ils protègent: cela promet de la distraction, mais aussi des chances d'y rester... Rien de tout ceci n'étant officiel, bien entendu. Pourrez-vous vous en charger pour moi?"

Lothringen appuya sa question d'un coup d'oeil qui laissait deviner sa part de rhétorique.

[Mornagest]

Le chef des renseignements eut pour seule réaction un haussement de sourcils des plus brefs, tandis que Lothringen résumait la situation, puis, après une petite inspiration, répondit :

"Non officiel, cela va de soi. Nul signe ostentatoire d'appartenance à Manost sur ces hommes. Je dois pouvoir en trouver, cet après-midi, je l'espère. Vu les récents évènements, nos agents sont éparpillés un peu partout en ville, afin d'en savoir plus quant à cette tentative sur votre personne", expliqua-t-il à Mornagest. "Malheureusement, très peu d'informations ont filtré des gardes et des fonctionnaires mélandiens. Il semblerait que les appuis des commanditaires au sein de l'administration soient très nombreux. La corruption est à son comble, depuis quelque temps, et c'est... disons, un miracle que vous ayez été nommé. Le favori au poste de chancelier était un tout autre homme, manipulé par la plupart des conseillers, qui sont probablement impliqués dans l'attentat de l'autre soir. Mais, assez parlé. Je vais me hâter de rassembler les hommes qu'il vous faut. Resterez-vous ici, ou devrai-je vous faire parvenir une missive lorsque ce sera chose faite, messires ?"

[Lothringen]

Lothringen jeta un rapide coup d'œil à Mornagest avant de répliquer:

"Non, nous allons repartir reconnaître ce fameux cimetière..."

Il se sentait l'âme d'un archer qui s'apprête à partir le carquois vide. Il devait oublier quelque chose d'essentiel, mais quoi? Ah oui. Evidemment.

"...après un rapide déjeuner bien entendu. Vous pourrez nous contacter là-bas."

Ils prirent alors congé de Tagarys, qui les assura de sa diligence, pour gagner la salle des repas. Durant le déjeuner en question, qui ressembla fort au repas du matin, ils parlèrent peu. Préoccupé, Lothringen demeurait concentré sur la tâche. Ce maudit cimetière... et le risque d'être épiés qui ne faisait que croître: ils s'étaient rendus un peu trop souvent à l'ambassade.

"Pour gagner le cimetière, nous pouvons prendre le risque de circuler comme ce matin, mais cela devient très dangereux... Je peux sinon te proposer une téléportation, même si c'est un peu du gâchis... ou l'invisibilité de groupe, mais elle nous serait beaucoup plus utile ce soir... Je n'ai qu'un seul déguisement en mémoire, en revanche. Hmm. Je voterais pour la téléportation. Impistable... et il nous en restera toujours une seconde pour pallier les impondérables."

Il s'efforça de sourire. Dans cette affaire, les impondérables étaient devenus tout sauf imprévisibles.

[Mornagest]

Mornagest lui répondit par un sourire plus franc. La situation entre eux était presque tendue, car ils n'avaient pour ainsi dire eu aucun moment libre pour discuter d'autres choses que cette foutue politique. Tout, depuis l'arrivée de Lothringen, avait contribué à leur pourrir l'existence, et il n'avait qu'une seule envie, rattraper le temps perdu. Malheureusement, cela ne semblait guère gagné pour aujourd'hui, et jusqu'à quand ? Le guerrier se sentit fatigué, mais répondit d'un air enjoué.

"Si on a de quoi bien manger, je suis prêt à accepter une téléportation... même si j'ai des difficultés à résister au voyage."

Il avait d'ailleurs grand-faim, et il le démontra une nouvelle fois en engloutissant un pain entier garni successivement de fromage, de jambon salé, d'œufs brouillés et de viande de porc séché, le tout ponctué par deux chopes de bière. Quelques fruits achevèrent son repas, tandis que son compagnon se contentait de moitié moins de nourriture ; leurs gabarits respectifs expliquait en grande partie cet état de fait. Le repas terminé, ils purent se mettre en route... ou plutôt, en téléportation.

[Lothringen]

L'entrain dont venait de faire preuve Mornagest donnait à Lothringen des remords tardifs qu'il aurait volontiers balayé d'un revers de main, s'il avait pu. Il réalisait soudain que tous ces plans, toutes ces machinations, ce permanent qui-vive enfin devaient rendre sa propre compagnie assez peu agréable. Depuis le matin, il devenait sombre, froid, tacticien : militaire. C'était que plusieurs fois durant la nuit, il avait cru voir Mornagest mourir – et Lothringen l'oubliait si peu que pour lui il ne serait plus question de plaisanter le cœur léger tant qu'il n'aurait pu mettre définitivement les responsables hors d'état de leur nuire.

"C'est une toute petite téléportation... un saut de puce dans la Toile. Je gage que ta digestion n'en sera même pas troublée", commenta-t-il sur un ton neutre, une fois son incantation lancée, juste avant de saisir le poignet de Mornagest et de l'entraîner en un endroit qu'il connaissait trop bien:

http://www.baldursgateworld.fr/lacouron ... tiere.html

[Lothringen]

De retour du cimetière
http://www.baldursgateworld.fr/lacouron ... post190346

Les gardes les laissèrent passer sans poser de question, et c'est sans une halte qu'ils remontèrent jusqu'à l'étage, où ils trouvèrent l'ambassadeur et le chef des renseignements en train de les attendre.

Fatigue. Un vague sentiment d'échec et d'impuissance. Nous revenons crottés et à moitié bredouilles. Epargnez-moi les commentaires.

"Heureux de vous voir revenir indemnes", les salua pourtant l'ambassadeur.

"D'autant qu'on aurait pu nous pister rien qu'à l'odeur", songea Lothringen. Il lui suffisait de revenir dans un intérieur un tant soit peu raffiné pour prendre conscience de l'odeur d'égout qui collait à leurs vêtements.

Il dissipa alors son sortilège, révélant son véritable visage. Mornagest remarqua que ni Tagarys ni l'ambassadeur ne sourcillaient: ils devaient être habitués.

"Les mercenaires sont-ils revenus sans encombres avec leur prisonnier ?"

Sans attendre la réponse, il ajouta à l'attention du chef des renseignements:

"Il faudrait que vous envoyiez quelqu'un à l'adresse que je vais vous indiquer, un bouge des quartiers populaires. On nous a donné cet endroit comme le lieu où se rendrait régulièrement le conseiller Terenas pour assouvir ses vices, mais il est plus que probable que ce soit une fausse piste, un piège, voire qu'il s'agisse d'un autre conseiller. Il est censé venir de nuit avec une escorte de gardes. Il me faudrait l'identité des personnes se trouvant effectivement là-bas, ainsi que le plan du bâtiment, le cas échéant... "

[Mornagest]

L'ambassadeur répondit par l'affirmative.

"Votre homme est arrivé, il est maintenu prisonnier en attendant vos ordres. Dépêcher un homme dans le bouge que vous décrivez ne sera sans doute pas très difficile. On peut s'arranger pour envoyer quelqu'un habitué à ce genre d'environnements. Cependant, l'observation prendra sans doute un peu de temps, vous comprenez ?"

Quelques jours, sans doute. Le temps de souffler... Mornagest hocha la tête. Un plan des lieux, ça irait vite, mais recenser les personnes se rendant régulièrement à la taverne sans attirer l'attention demandait de la minutie. Sans compter que l'homme ne saurait pas forcément qui chercher...

"Je lui donnerai un descriptif précis des suspects. Rien ne dit que ce sera l'un plutôt que l'autre, que votre homme trouvera là-bas."

[Lothringen]

"Ni que l'on trouvera quoi que ce soit, du reste."

Lothringen étouffa un soupir. Avaient-ils vraiment le temps d'attendre, de laisser pourrir une situation politique déjà rendue chaotique par la disparition de Mornagest, et celle de Dargor désormais - au risque de laisser le temps à d'autres complots de se former ? Mais baste, ils aviseraient le cas échéant, si de nouvelles informations leur parvenaient ; pour l'instant, le fait était qu'ils n'avaient aucune autre piste, et pas le choix.

Le fait était qu'il était épuisé, et qu'un répit ne serait pas de refus...

Mornagest était en train de donner des derniers détails sur le signalement des deux conseillers quand le semi-drow, dont l'esprit devenait distrait, avisa une femme de chambre qui vidait les corbeilles. Il l'arrêta d'un geste.

"Un instant ! Pouvez-vous faire chauffer une cuve pour mon bain ?"

Elle s'inclina.

"Certainement, Messire."

Lothringen se retourna alors vers Mornagest, embarrassé de ne pas avoir commencé par lui demander.

"Peut-être seras-tu tenté aussi ? Notre nouveau parfum ferait fureur chez les yuan-ti..."

[Mornagest]

Le chancelier fraîchement émoulu fit une grimace dégoûtée.

"Un bain ? C'est fait pour les aristocrates, les bains !" puis, hochant la tête en se pinçant le nez : "Je pense que tu sens bien davantage que moi, mais je ne refuserai sûrement pas une bonne marinade dans de l'eau propre... et du repos, après."

Les traits tirés, ils étaient fourbus, tous les deux. Les nuits dernières avaient été courtes, tendues, bien remplies en évènements, et ce dernier combat n'avait guère arrangé les choses. De l'attente de nouvelles ne leur ferait pas de mal ; ils pourraient au moins fermer l'œil cette nuit, et ronfler tout leur saoûl.

"Peut-être quelque chose à grignoter, aussi", ajouta-t-il, fidèle à lui-même.

Leur fut servi, un peu plus tard, un bon repas composé de pain, de potage, de légumes cuits et de viande encore chaude, tandis que les bassines étaient préparées dans une pièce attenante. Mornagest avait presque du mal à manger, tellement il était éreinté, mais son estomac était sourd à cela.

"Je n'en puis plus", souffla-t-il. "Pitié, fais que nous n'ayons pas à nous lever avant demain midi..."

[Lothringen]

"Je ne te réveillerai que si c'est absolument nécessaire", promit Lothringen.

Epuisé lui aussi, il n'en perdait pourtant pas de vue le fait que pendant ce temps, leurs ennemis ne demeuraient probablement pas inactifs : s'il se produisait quelque chose, il préférait l'apprendre au plus tôt.

Son repas fini, le semi-drow se leva pesamment de table pour gagner la salle de bain, où il espérait pouvoir délasser ses membres mis à rude épreuve ces deux derniers jours. Une fois la tension nerveuse retombée, la fatigue avait repris le pouvoir, étrécissant ses yeux, alourdissant ses pas, vrillant ses tempes. C'est avec des gestes machinaux qu'il se déshabilla avant de pénétrer avec une grimace et un soupir dans l'eau encore fumante. Voilà, il y était, et c'était... bon. Les yeux mi-clos, il s'adossa contre le rebord, tout en attrapant un pain de savon. Le plus gros de la saleté crasse des égouts avait imprégné ses vêtements sans atteindre la chair, mais il était bien agréable de laisser ses muscles se relâcher dans l'eau propre et chaude. Son regard flottait sur les bulles de savon, et tandis qu'il frottait, son esprit se mit à vagabonder d'une idée à une autre...

Il songeait que ces bulles avaient été son premier projet, lorsqu'il avait atteint Manost. Il se souvenait du bain fort peu aristocratique qu'avait pris Mornagest, au Loyal. Il se souvenait d'Inselwenn, de l'auberge d'Ysté, de son plongeon involontaire dans le lagon d'Onsima...

Il se souvenait des égouts, enfin. Il aperçut du sang séché sur sa chemise, là, sur la chaise, et il eut l'intuition que ce n'était pas le sien. Il avait encore beaucoup tué, ce jour-là. Et encore ! Moins qu'il n'aurait voulu, qu'il n'aurait dû peut-être... Ils avaient tué le fossoyeur mais laissé vivre l'enfant. Ils avaient tué les invocateurs de démon mais Dargor respirait toujours. Ils avaient sauvé l'une des jeunes filles mais sa propre pusillanimité avait condamné l'autre...

Il soupira, résigné. La voie qu'il se traçait aux frontière du bien et du mal avait toujours été tortueuse, et sa relation avec Mornagest n'arrangeait pas les choses.

Il n'y a pas de justice dans nos actes.

[Mornagest]

Péniblement, il se leva de table pour rejoindre son compagnon. Une autre bassine était prête, il s'y installa avec quelque difficulté, rompu de crampes et de lassitude par la journée éreintante qu'ils venaient de vivre. Le contact avec l'eau presque brûlante lui donna un coup de fouet temporaire, et il put s'adonner à sa toilette sans sombrer dans le sommeil et se noyer dans son bain. Il grogna de satisfaction, se délassant merveilleusement après tout ce temps passé dans la fange de la cité.

"Nous avons, euh.. deux chambres ?" demanda-t-il soudain, un peu gêné.