[Quête] Par monts et par vaux

[Taliesin]

Les deux garçons échangèrent un nouveau regard.
-Une semaine ? tenta le plus jeune.
-Ou un peu moins. Pas longtemps, en tout cas. Juste avant... Enfin, on va vous montrer, si vous voulez.
Ils la précédèrent dans la cour où le reste de la fratrie s'afférait, puis sur la route, avant de bifurquer dans un petit chemin qui grimpait légèrement. Peu après, ils s'arrêtèrent devant un vaste pré désert. Enclos d'une barrière de bois soigneusement entretenue, il recelait un abreuvoir de pierre pour l'heure à sec. Et, au-delà, il n'y avait que des prairies et des bois. On entendait même le murmure d'un ruisseau, quelque part. les bois.
Au premier regard, l'endroit ne présentait aucun signe susceptible de confirmer les hypothèses de la rôdeuse.

[Galathée]

Galathée étouffa un soupir et sourit aux enfants. La journée promettait d’être radieuse, à nouveau, et en voyant les deux gamins côte à côte, dans leurs fripes estivales, manifestement complices, elle regretta furtivement d’avoir arraché Victor à Luménis, sa ville, ses amis. Morféa était tombé. La lumière devait inonder les rues, révéler les beautés de la cité meurtrie, baigner les grands arbres du parc verdoyant… Elle secoua la tête.
« Merci les garçons. Je vais retourner voir votre père, mais vous m’avez bien aidée. »
Puis elle reprit la route de la ferme, laissant les enfants à leurs jeux.
Guillem se trouvait devant la grange, avec un de ses fils plus âgés. En la voyant approcher, il s’écarta et vint à sa rencontre.
« J’ai encore une petite question à vous poser, puis je prendrai la clef des champs. Est-ce que depuis que ce désastre vous a frappé… quelqu’un vous a approché avec une solution ? Une offre ? Est-ce que vous avez organisé une réunion de crise au village pour discuter de vos options ? Quelqu’un a-t-il offert de s’occuper de vos enfants ? De racheter votre ferme ? »

[Taliesin]

Le fermier réfléchit puis secoua la tête.
-Non, personne ne nous a offert de solution. Et pour cause, il n'y en a pas. Après la mort subite du bétail, je me suis entretenu avec les autres éleveurs qui ont été victimes de ce phénomène, et aucun ne voit comment nous pouvons nous en sortir. Il nous faudra vendre nos biens, probablement, si on veut nourrir nos familles... Mais personne ne nous a d'emblée proposé de les racheter.
Il soupira.
-Les seuls étrangers que nous avons vus depuis sont ces soldats du comte de Montcerf. Et ils ne nous ont rien proposé. Juste mis en garde contre les pillards. Et prévenus que c'est tout ce qu'ils pouvaient faire : nous ne sommes pas sous la juridiction de leur maître et ils sont trop nombreux pour une trop vaste zone à surveiller.

[Galathée]

« Bien, dans ce cas. Merci encore de votre accueil. Je reviendrai vous voir dès que j’en sais davantage. » fit-elle.
Comme l’avait annoncé Guillem, sa jument était prête et elle découvrit avec gêne qu’il avait mis des provisions dans ses fontes. Elle pensa protester un instant, mais devina que les lois de l’hospitalité ne le permettaient pas. Elle se promit de revenir et de lui revaloir ses largesses. Puis, équipée, elle s’engagea sur le chemin qui menait à la route, et mit le cap sur Montcerf.

[Taliesin]

Elle l'atteignit à la tombée du jour, sans que son périple soit émaillé par quelque incident que ce soit. Montcerf était un gros village de peut-être un millier d'âmes, enserré par un mur d'enceinte et dominé par un vieux castel juché sur une colline ronde. Lorsqu'elle s'approcha des portes, elle découvrit que des gardes portant les armes du seigneur local étaient en train de les fermer. Ceux-ci, cependant, s'interrompirent en la voyant. Ils la toisèrent avec attention puis leur sergent fit un pas dans sa direction.
-Bonsoir, madame. Puis-je m'enquérir de votre identité et des raisons qui vous amènent en notre cité ?

[Galathée]

Galathée n’avait pas songé à inventer un prétexte à son périple, et elle resta une seconde bouche bée devant les gardes, avant de se reprendre.
« Bonsoir messieurs. Je suis une voyageuse de passage, j’espérais trouver refuge dans votre bourg pour la nuit. » dit-elle simplement, évitant de se lancer dans un mensonge élaboré qu’elle espérait inutile.

[Taliesin]

Le sergent la dévisagea, perplexe.
-Une voyageuse, hein ? Y en a pas beaucoup, par ici. Surtout par les temps qui courent où les routes sont pour le moins pas sûres, avec tous ces Morféens en goguette... M'enfin, des imprudents, on en a toujours vus, n'est-pas ? Si vous voulez entrer, faut vous acquitter du péages. Deux pièces d'or. Et comptant, hein, on fait pas crédit. Pour dormir, si vous reste de quoi, vous trouverez les Andouillers Verts dans la grand rue. Ah, et surtout, comptez pas faire du grabuge ici : on aime pas les fauteurs de troubles. Mais m'avez pas bien l'air dangereuse, soit dit en passant.

[Galathée]

La rôdeuse s’acquitta du droit d’entrée, se composant une mine humble et obéissante, avant d’envoyer sa jument vers les Andouillers Verts, nom original s’il en était. La grand rue remontait de la porte vers le castel, et elle trotta sur les pavés inégaux jusqu’à trouver l’auberge, un établissement de petite taille à l’allure proprette, dont l’enseigne dépeignait une paire de bois de cerf d’une couleur prairie des plus surprenantes. Lorsqu’elle démonta, un garçon d’écurie surgit de l’appentis voisin et prit Tempérance en charge, tandis qu’elle entrait dans le corps de logis.
La salle était presque déserte, et quelques personnes levèrent des yeux curieux de leur chope pour la dévisager. Elle gagna le comptoir et sourit au tenancier.
« Bonsoir. Je cherche une chambre pour la nuit. » fit-elle de but en blanc.

[Taliesin]

L'homme - un gaillard de haute taille, au teint hâlé, à la crinière noire striée de gris - la toisa de la tête aux pieds avant de répondre.
-On a. On a aussi de quoi manger, si vous voulez. Et surtout si vous avez de quoi payer. C'est 2 pièces d'or la chambre, une supplémentaire pour le repas, et une encore si on s'occupe d'vot' cheval. C'qui fait cinq en tout, avec la taxe de séjour. Si vous avez pas assez, on peut tomber à 3 en vous logeant à l'écurie, mais on peut pas faire moins.

[Galathée]

Galathée écarquilla les yeux de surprise mais ne broncha et paya son écot. Elle ne pourrait pas s’éterniser à Montcerf, à moins de trouver de quoi renflouer sa bourse. Mais les mises en garde des hommes du seigneur croisés plus tôt lui revinrent en mémoire. On ne pouvait pas exercer son art à la sauvette sur les terres qu’il administrait.
Sans se formaliser la jeune femme monta jusqu’à la chambre qu’on lui avait attribuée, y déposa ses affaires, puis regagna la salle de l’auberge et s’installa à une table. Elle avait perdu une journée entière et espérait que Plume parviendrait à la retrouver rapidement. Il fallait qu’elle envoie des informations à Hautépine, où les clercs devaient s’inquiéter de son retour. De plus, ils avaient peut-être des choses cruciales à lui apprendre sur la maladie mystérieuse. Elle soupira et commanda son repas. Montcerf avait semblé une destination de choix, mais pourquoi, en définitive ? La meule de foin restait monstrueuse, et l’aiguille invisible.

[Taliesin]

Le tenancier lui apporta son repas : un gruau d'avoine compact, quelques légumes, et pas une once de viande. Quant à la boisson, c'était de la bière qui, elle au moins, paraissait de qualité.
-Désolé pour la chair maigre, fit-il. Mais les temps sont rudes pour tout le monde, j'imagine pour vous aussi. Luménis sauvée, c'est la campagne qui morfle. Enfin, ça pourrait être pire, hein ? Les Morféens peuvent pas v'nir ici, à cause des murs. Au-dehors, par contre... Z'avez pas fait de mauvaises rencontres, vous ?

[Galathée]

« Non, je n’ai vu personne, je dois dire… » fit-elle. « Vous en avez déjà aperçu ? Des Morféens, je veux dire. Ou bien n’est-ce encore qu’une rumeur ? Peut-être a-t-on exagéré leur nombre ou leur proximité ? »
Galathée avait du mal à croire que les sbires de Morféa aient pu s’échapper en grand nombre de Luménis. C’était quelque chose que les stratèges de la résistance avaient fatalement dû prendre en compte, et elle ne pouvait pas imaginer qu’ils les avaient laissés s’enfuir vers les campagnes sans s’en soucier. Et même si un petit nombre avait pris la poudre d’escampette, Montcerf semblait bien septentrional pour qu’ils soient dans les parages, alors qu’une cité comme Eredhùn, plus vaste, plus anonyme, leur tendait les bras en cours de route.

[Taliesin]

Le tenancier secoua la tête.
-Pas vus, non, et tant mieux ! Ils ont pas une réputation très... flatteuse. Pourraient pas v'nir en ville, de toute façon. Trop bien gardée. On sait rien de leur nombre, c'est ce qui fait peur. Par contre, on sait qu'ils sont pas loin. Z'ont tué des bêtes, à Bourg-Cabanes, à une lieue d'ici. Pis dans d'autres coins. Mais à Bourg-Cabanes, z'ont tué une gamine. L'a dû les surprendre, l'ont zigouillée sans coup férir. D'puis, plus personne ose sortir dans les p'ttits villages, si j'en crois les quelques paysans v'nus en ville pour vendre leurs récoltes.

[Galathée]

Galathée songea, amère, qu’aucune porte de bois ne retiendrait longtemps des brigands patentés au dehors s’ils avaient décidé d’entrer. Mais ça n’avait aucun sens. Pourquoi massacrer des bêtes ?
« Merci pour l’avertissement, j’éviterai de traîner dans les parages de ce village. » fit-elle en rebaissant les yeux sur son assiette.
Elle avait l’intention de localiser le bourg sur sa carte dès qu’elle en aurait la liberté sans attirer l’attention. Juste pour avoir une idée.

[Taliesin]

Sitôt son maigre repas terminé, Galathée regagna sa chambre et, là, déroula la carte qu'on lui avait donnée à Hautépine pour y repérer le village dont lui avait parlé le tenancier. Bourg-Cabanes se trouvait au sud ouest de Montcerf, dans la direction d'Eaux-Vives, mais beaucoup plus proche de la petite ville où résidait le comte.
Un bruit léger, à la fenêtre, puis un grattement discret lui firent relever la tête. Plume s'était posée sur le rebord et s'empressa de pénétré à l'intérieur de la pièce lorsque la rôdeuse lui eut ouvert les battants. Comme de juste, elle avait un petit mot attaché à la patte. Encore une fois, il était écrit de la main de Taliesin.

Galathée

J'espère que tu vas bien depuis ta dernière missive, et que tes recherches ne t'ont pas mise en fâcheuse posture. Je ne peux m'empêcher de m'inquiéter du tour que prennent les événements, mais j'imagine que si les choses étaient plus graves que prévues, tu m'en ferais part. Je me contenterai donc de te souhaiter bon courage... et de te conseiller de faire montre de prudence.
En tout cas, ne t'inquiète pas pour nous : tout se passe bien. Victor en a certes gros sur le cœur, mais il tient bon; Et quand cela ne va vraiment pas, et bien... Il me parle plus librement, à présent, faute d'encore accepter mon contact, ce qui me laisse moins démuni pour tenter de l'aider. Je pense donc que je pourrai gérer la situation ici autant de temps que nécessaire.
Une nouvelle fois, je te souhaite bon courage et bonne chance dans ton périple. Si la chance est avec nous, tes soupçons se révéleront infondées et tu nous reviendras vite...

Prends soin de toi et si d'aventure tu en as l'occasion - et si Plume ne se lasse pas de jouer les pigeons voyageurs - écris-nous. Cela nous aidera à ne pas trop nous inquiéter.

Je t'embrasse

Taliesin

[Galathée]

Renvoyer un message à Taliesin et Victor était tentant, et Galathée hésita longuement. Il lui semblait pourtant nécessaire d’avertir les clercs de Hautépine des derniers développements et de ses soupçons. Même s’ils ne reposaient sur rien. Même si elle ne savait pas sur quoi ils pouvaient déboucher.
Elle soupira et se glissa dans son lit. Plume avait besoin de repos, de toute façon. Elle avait volé et volé encore ces derniers jours, et comme l’avait souligné Taliesin, ce n’était pas un pigeon voyageur, mais une chouette, peu habituée à parcourir de longues distances.
Pour s’endormir, elle conjura des images heureuses de leur petite clairière, de l’étang et du soleil, de l’elfe et de l’enfant. Elle les savait fort en dépit de leurs frictions. Elle ne s’inquiétait pas pour eux. Mais ils lui manquaient, inévitablement. Elle trouva le sommeil rapidement, et quitta un instant la chambre de Montcerf pour gagner des contrées autrement plus lumineuses.

[Taliesin]

Au matin, au travers des fenêtres aux rideaux clos, c'est une lumière grise et froide qui se déversait dans la petite chambre. A l'extérieur, un ciel plombé dominait Montcerf, lourd d'orageuses menaces, tandis qu'un vent tiède balayait les toits d'ardoises aussi sombres que l'océan des nuages.
Dans la salle commune presque déserte, en dehors d'une poignée d'habitués, la mine du tenancier n'était guère plus avenante. Il consentit une vague salutation à la jeune femme et lui servit sans rien ajouter un petit déjeuner frugal composé d'œufs, de céréales et de lait. Elle mangea en silence, se demandant ce qu'elle allait bien pouvoir faire pour avancer dans son enquête, lorsqu'un homme passablement essoufflé déboucha à grand fracas dans la pièce.
-Y a eu deux morts à la Butte-aux-Cailles ! s'exclama-t-il, les mains sur les genoux, après avoir repris un semblant de respiration. Un fermier et son fils qui surveillaient leur troupeau à la pâture, en pleine nuit... Massacrés par les Morféens. Et l'bétail itou...
Le tenancier jeta un regard à Galathée puis fit un signe au nouveau venu pour l'inviter à se taire. Mais l'un des rares clients présents réduisit sa tentative à néant en s'exclamant vivement :
-Quand c'est qu'ça c'est passé ?
-Pas c'te nuit, celle d'avant. C'est des gars du village qui me l'ont dit, viennent d'arriver pour demander l'aide de m'sieur l'comte...
-C'est pas un bourg franc, la Butte-aux-Cailles ?
-Plus pour longtemps ! Sont terrorisés, et j'les comprends. Craignent que ça soit pas juste une bande de Morféens qui rôdent dans les bois, mais toute une armée !
-Le comte aura jamais assez d'gars pour protéger tous les villages du coin, qui soyent bourgs-francs ou d'sa juridiction...
-Il va recruter, tu parles ! répliqua un autre client. Va y avoir la foire à l'embauche, m'est avis...
Le tenancier jeta un nouveau coup d'œil à Galathée, puis haussa les épaules et s'en retourna derrière son comptoir préparer une pinte pour le messager qui venait de s'attabler auprès des habitués.

[Galathée]

Galathée feignit de ne pas s’intéresser à la conversation qui se déroulait juste sous son nez, consciente des regards suspicieux que lui adressait le tenancier des Andouillers Verts. Des morts à la Butte-aux-Cailles et un troupeau massacré. Cela pouvait ne rien à voir avec ce qui l’occupait. Les troupeaux dont elle se souciait étaient morts de maladie, voire d’empoisonnement. Ils n’avaient pas été occis par des Morféens en maraude. Bien sûr, si le seigneur de Montcerf était subtil, il pouvait avoir diversifié ses manières de fragiliser la population des villages encore libres.
C’est du délire, songea-t-elle. Tu n’as aucune preuve.
Elle se leva et regagna sa chambre pour y préparer ses affaires. Elle n’avait pas les moyens de passer une nouvelle nuit dans Montcerf, autant aller jeter un œil sur Butte-aux-Cailles. Mais avant de partir, elle rédigea un message pour les clercs de Hautépine.

Cher Gérold, Chère Vallaelyn,

Mon périple dans le Nord s’éternise quelque peu. Je n’ai rien trouvé de très probant dans les villages frappés par le fléau, sinon qu’il ne s’est pas limité aux éleveurs venus pour la foire. D’autres fermiers ont été frappés, et ils ont tous en commun de tirer leur subsistance de leur bétail. A quelques exceptions près, en réalité. Les bruits qui courent dans la région accusent des Morféens en fuite, mais leur motivation à procéder à ces massacres me semble des plus troubles. Je ne pense pas qu’on fasse le mal pour le plaisir, et des fugitifs aux abois s’improviseraient voleurs voire rançonneurs plutôt que tueurs sans discernement. C’est du moins mon impression.
J’ai bien une autre hypothèse, encore moins reluisante, mais je vous l’exposerai de vive voix : elle me dépasse de toute façon, et je pense, vous aussi. Je m’en vais rallier Butte-aux-Cailles, théâtre d’un massacre cette nuit, puis vous reviendrai, je l’espère dans deux jours. Tenez-moi au courant des développements de votre côté, je vous en serai gré.

Amicalement,

Galathée

Elle rangea ensuite ses affaires, repéra le village sur sa carte, et reprit la route, abandonnant Montcerf et ses désagréables habitants à leur quotidien étriqué.

[Taliesin]

Encore une fois, le voyage allait lui prendre une bonne partie de la journée. Elle partit au sud ouest, dans la direction d'où elle était venue la veille : la carte lui avait révélé que sa destination se trouvait grosso modo à équidistance d'Eaux-Vives et de Bourg Cabanes.
Elle n'avait pas encore atteint cette dernière localité, cependant, qu'en traversant un bois de taille respectable, elle entendit le pas tranquille de montures, face à elle. Un instant plus tard débouchèrent d'un tournant deux cavaliers en armes, pourtant les couleurs désormais familières du seigneur de Montcerf. Ceux-ci firent stopper leurs chevaux et dévisagèrent la voyageuses.
-Tiens ! s'exclama le plus jeune. C'est-y pas notre gentille vétérinaire d'Eaux-Vives ?
-Ben ça m'en a tout l'air ! Bonjour, m'amzelle. Alors comme ça, on est v'nue visiter not' p'tit chez nous ? Z'en avez profité pour acheter un permis d'exercer, j'espère, parce que sinon, ça s'rait dommage...

[Galathée]

La jeune femme ne se laissa pas décontenancer par l’apparition imprévue des deux cavaliers.
« Non et je n’en ai pas l’intention… puisque je n’ai pas l’intention d’exercer sur les terres de votre seigneur. J’imagine qu’un gentilhomme de sa qualité n’a pas besoin de mes services et qu’il dispose déjà de toute la main d’œuvre nécessaire. » répondit-elle avec le sourire.
A nouveau, par mesure de prudence, elle glissa son esprit dans celui de l’une des montures de ses interlocuteurs.

[Taliesin]

Les deux hommes s'entreregardèrent puis sourirent largement.
-Ah non, pas pour travailler qu'vous êtes venue ? Pourtant, nous aviez pas dit que vous aviez été envoyée par les gus de Hautépine, quand on vous a vue et gentiment prévenue qu'fallait un permis ? Et donc, seriez v'nue juste ici pour du tourisme , C'est vrai qu'on a un joli temple de Lathandre, pittoresque et tout, mais tout d'même...
-Ouais, moi j'trouve ça bizarre. Une fillette qui s'ballade toute seule par les temps qui courent, qui dit être véto alors que plein d'bestiaux clamsent et qui, justement, est pile dans les coins où ça meurt... Pis où y a des Morféens..
-Bah, c'est peut-être des coïncidences. Mais faut qu'on vérifie. Vous nous comprenez, mam'zelle ? On a pas l'choix, faut qu'on fasse not' boulot. J'vais donc vous demander de nous suivre jusqu'au château...
Et de talonner doucement sa monture pour se rapprocher de la rôdeuse.

[Galathée]

« Au château ? »
Soudain, la tournure que prenait la conversation lui parut inquiétante.
« Je me rends hors de votre juridiction, j’ai juste passé la nuit à Montcerf… les auberges sont peu nombreuses dans le coin, vous devez le savoir… » dit-elle. « Je n’ai pas vraiment le temps de remonter jusqu’au bourg, je dois dire. Je suis attendue à Hautépine demain matin. »

[Taliesin]

-S'avère que les limites de notre juridiction, sont un peu floues, ces temps-ci, avec tous les paysans qui réclament la protection du comte...
-Et puis, on peut pas vous laisser filer comme ça. Vous traînez sous d'étranges prétextes dans une zone dangereuse, où y s'passe des trucs pas nets, ou des gens et du bétail sont tués... Si on vous ramène pas au château et qui s'avère qu'vous aves que'que chose à voir avec tout ça, on nous l'passera pas...
-Alors, l'temps, z'allez l'prendre, fillette. Soyez bien sage, et tout s'passera bien. C'est juste une formalité, hein, après tout. Si z'êtes d'bonne foi, pourrez r'partir rapidement.
Le plus âgé des deux soldats l'avait presque rejointe, à présent.

[Galathée]

Tempérance recula de quelques pas. Les bois alentours étaient touffus et Galathée savait qu’elle pourrait s’y perdre sans difficultés. La forêt était son environnement de prédilection, elle l’arpentait depuis toujours, sans inquiétude, connaissait l’ombre et les branches, la manière de marcher sans se faire voir ou entendre, de disparaître et de surgir. La jument, par contre, ne passerait pas. Galathée invita la monture du soldat le plus entreprenant à piler. La rôdeuse grimaça. Elle hésita une seconde à les interroger sur leur présence, étrange, dans tous ces villages libres où la mort se répandait, soi-disant semée par des Morféens invisibles. Mais elle se ravisa, refusant à une ancienne colère, qu’elle avait bannie, de prendre le dessus. Tempérance s’arrêta sous un arbre touffu, renâcla.
Fuis, lui commanda Galathée, mentalement.
Tandis que la jument se dérobait, la jeune femme attrapa une branche basse et se hissa dans le hêtre, tâchant de prendre de la hauteur au plus vite.

[Taliesin]

-Reviens, bougresse ! cria l'un des deux soldats. Ta fuite est un avoue de culpabilité !
-Ferme-la, et tire z'y dessus, plutôt ! riposta l'autre en sautant à bas de sa monture
Tandis qu'il s'enfonçait maladroitement dans les broussailles du sous-bois, tentant de suivre Galathée qui évoluait de branche en branche, son compère s'empara de son arc. Mais ses traits passèrent tous loin de leur cible et se perdirent dans le feuillage touffu.
Bientôt, l'homme au sol se laissa distancer : en cotte de maille, il ne pouvait progresser aussi rapidement que la rôdeuse. Trébuchant, grommelant, il s'acharna de longues minutes. Bientôt, pourtant, la jeune femme laissa derrière elle les bruits de la poursuite et retrouva le calme silence des bois.
Du moins, jusqu'à ce qu'une voix ne s'élève du pied des arbres.
-Je pense que vous pouvez descendre, à présent. Ils ont renoncé.

[Galathée]

Galathée s’immobilisa entre les branches, prise au dépourvu par cette apostrophe pour le moins surprenante. Suspicieuse, elle se coula le long du tronc, à l’abri du feuillage, désireuse d’apercevoir son interlocuteur avant de prendre une décision. S’il l’avait perçue, il devait avoir l’œil ou l’oreille, à moins qu’elle ne se rouille, tout simplement, à force de profiter d’une vie champêtre sans remous.

[Taliesin]

L'individu qui l'avait apostrophée ne faisait nul effort pour se dissimuler, bien que les verts et les bruns de sa vêture le rendissent difficilement visible parmi les taillis. De haute taille, de forte carrure, il arborait sous sa crinière et sa barbe d'or roux des traits fins qui lui parurent vaguement familiers, bien qu'elle ne sut d'abord dire pourquoi. Il portait arc et carquois en bandoulière, un long coutelas de chasse battait sa hanche gauche et, sur son épaule, se tenait un gros écureuil dont le poil rappelait à s'y méprendre celui de son maître.
-Selon toute probabilité, reprit ce dernier comme si de rien n'était, votre jument aura pris à droite à la prochaine fourche. Montcerf étant à gauche, les gardes l'auront sans doute manquée. Et quand bien même auraient-ils fait preuve de jugeote, vous avez toutes les chances de la retrouver avant eux, si vous prenez droit au nord.
Puis, sans rien ajouter, il se détourna et commença à s'éloigner d'un pas tranquille à travers le sous-bois foulant l'épais tapis de feuilles mortes sans presque produire le moindre bruit.

[Galathée]

Galathée le regarda s’éloigner sans bouger. Elle était évidemment un peu curieuse, mais retrouver Tempérance semblait le plus urgent.
« Merci du renseignement. » finit-elle cependant par lancer, avant de glisser le long du tronc et de mettre pied à terre.

[Taliesin]

L'homme, sans se retourner ni ralentir son pas, haussa les épaules.
-Allez chercher votre bête. Et quittez ce coin, cela vaudrait mieux. A vous intéresser aux sombres affaires qui se trament ici, vous risquez d'y perdre plus que vous n'y gagnerez, sauf si vous êtes plus que vous ne paraissez et disposez d'alliés puissants... Enfin, cela dit, ce sont vos affaires, et je me garderai bien de m'en mêler, comme je me garde de me mêler des manigances de notre cher comte...Les bois sont bien plus apaisants, et si vous ne voulez pas faire de mauvaise rencontre, restez sous leur couvert ! Ici, il n'y a rien d'autre à redouter qu'un vieil ours un peu grincheux... Mais on le voit venir de loin. Alors que sur els routes et dans les bourgs...

[Galathée]

« Attendez une seconde. Vous avez l’air informé… Je respecte votre droit de ne pas vouloir vous mêler des choses, mais… mais peut-être pouvez-vous m’en dire plus… »
L’homme s’était arrêté.
« Si ce n'est pas un engagement trop important, bien sûr. »
Galathée n'avait pas l'intention de lui reprocher quoi que ce soit, mais l'adrénaline la rendait un peu bravache, ce qui disparaitrait sans nul doute incessamment.