[Quête] Par monts et par vaux

[Taliesin]

Elles ne contenaient pas grand chose : quelques provisions tout juste suffisantes pour constituer un casse-croûte léger, de quoi boire, des couvertures au cas où les soldats auraient dû dormir à la belle étoile... Rien que de très ordinaire, en somme.
Il en alla autrement des fontes du sergent, cependant. De prime abord, elles n'étaient guère mieux pourvues que celles de ses collègues. Mais, dans une poche cousue dans la doublure de cuir, Galathée mis la main sur une bourse (quasiment vide) et sur une petite fiole de verre sombre. Presque vide aussi.

[Galathée]

Ce n’était pas une preuve déterminante, mais c’était mieux que rien. On pourrait toujours l’accuser d’avoir mis au point le poison elle-même, mais sans doute n’était-il pas étonnant qu’aucun document émanant de Montcerf ne traîne dans leurs affaires. Peut-être Mathieu aurait-il plus de chance avec les cadavres et les vivants. La jeune femme sella les chevaux, les brida, contrôla leurs sabots et leur santé, machinalement. Tempérance avait filé quelque part dans la nature et il fallait qu’elle songe à envoyer Plume à leur recherche.
Soudain, l’émotion la saborda, et elle s’assit dans la paille. Elle avait gardé son angoisse à l’intérieur d’elle-même toutes ces dernières heures, affrontant l’inadmissible avec un détachement surnaturel. Dire qu’elle avait failli abandonner les enfants à leur sort. La honte se muta en nausée et elle vomit dans le coin d’une stalle, secouée de spasmes.
Plus que toute chose, elle aspirait à rentrer chez elle, à trouver un refuge à l’abri des turpitudes qui semblaient s’amonceler dans son existence, où qu’elle aille, quoi qu’elle fasse.
Elle se laissa respirer doucement. Les choses allaient s’enchaîner logiquement. Les enfants Merlu avaient encore besoin de soutien, il fallait qu’elle se montre forte, au moins jusqu’à Hautépine. C’était dans ses cordes.
Elle rouvrit les portes de l’écurie et sortit les animaux un à un. Le hongre rouan était manifestement l’animal de tête, et il valait mieux le laisser à un cavalier expérimenté, contrairement à la jument baie, placide, qui prendrait facilement deux petits sur le dos. Elle flatta des encolures puis laissa leurs montures profiter de la nuit étoilée et rentra dans la ferme, histoire d’en savoir plus sur les préparatifs.

[Taliesin]

Que Mathieu eut donné des instructions ou que Mathilde eut d'elle-même repris les choses en main, les Merlus étaient quasiment prêts au départ. Des provisions avaient été empaquetées et déposées sur la table de la salle à manger, de même que quelques couvertures et vêtements. Galathée remarqua également qu'on avait dépouillé les soudards de leurs armes : elles étaient désormais arborées par la jeune fille et les trois plus grands fils du fermier. Pour l'heure, la première était en train de ranger des parchemins dans une sacoche de cuir. Les autres montaient la garde.
Mathieu finit par apparaître et s'approcha de la rôdeuse.
-Pour toute réponse, le sergent m'a envoyé me faire pendre. L'autre a bien voulu parler, mais il ne savait pas grand chose et se perdait en excuses et en regrets. Visiblement, c'est un simple fils de fermier des environs de Montcerf qui s'est engagé assez récemment parmi ses troupes, attiré par la solde conséquente qu'on promettait aux nouveaux venus. Après une formation rudimentaire, il a été joint à ce groupe et il a parcouru avec eux la région pour prévenir les paysans contre les Morféens. Il avoue ne les avoir jamais vus, évidemment : mais les traces de leur passages étaient flagrantes, et il a donc cru à leur existence... Pour le reste, il jure n'avoir jamais participé a aucun meurtre, ni à aucun empoisonnement : il dit que leur groupe se scindait parfois : lui et deux soldats continuaient leurs démarches de prévention, tandis que le sergent, Yorg et Amory allaient de leur côté... Pour faire la même chose, officiellement. Il se demandait pourquoi diable il fallait qu'ils s' séparent, alors, mais ne s'est pas douté de ce que comettaient ses compères.

[Galathée]

A nouveau, la rôdeuse hésita.
« Je pense que nous devons prendre ce Boris avec nous. Si nous le laissons là, il se fera tuer par les renforts. Et il peut nous servir de témoin. Même s’il ne sait rien sur les manigances de Montcerf, il pourra attester du comportement de ses comparses. »
Elle jeta un regard vers l’extérieur.
« Nous sommes onze et nous disposons de cinq chevaux. Six, si Plume parvient à me retrouver Tempérance. De toute façon, nous devrons cheminer au pas. Les chevaux ne peuvent pas galoper au cœur des bois, et les enfants sont épuisés. S’il faut marcher, je peux marcher. »

[Taliesin]

Mathieu acquiesça. Un quart d'heure plus tard, ils étaient partis.
Les plus âgés des fils Merlu n'appréciaient guère l'idée d'abandonner la ferme, mais ils comprenaient bien l'impossibilité de la défendre contre des renforts nombreux et la nécessité flagrante de soins pour leur père. Ils ne protestèrent donc pas et aidèrent de leur mieux aux préparatifs. L'on chargea les blessés sur les chevaux - Boris ne se défendit pas et supporta sans plainte les regards noirs des anciens otages - ainsi que les plus jeunes enfants et les quelques biens que la famille emportait avec elle. Plume revint bientôt, indiquant que Tempérance pessait tranquillement à peu de distance de l'habitation et, après un crochet pour la récupérer, la petite caravane pris la direction du sud.
Ils progressèrent toute la nuit et une partie de la matinée, empruntant des chemins de traverse, ne s'accordant que de rares et brèves pauses, tant était pressante la nécessité de s'éloigner. Aussi éprouvés fussent-ils, les enfants tinrent bon tant bien que mal et, peu avant midi, ils avaient gagné les abords de hautépine.
Se posa alors la question d'aller prévenir les clercs sans attirer l'attention. Si le village avait été visité par les sbires du comte, Galathée et sans doute Mathieu seraient facilement repérés et, peut-être, dénoncés. Mathilde se proposa alors spontanément d'aller au sanctuaire.
-Personne ne me connaît, ici, fit-elle. Je serai vite revenue.

[Galathée]

La route avait été longue, mais le courage des enfants forçait l’admiration. Lorsqu’ils firent enfin halte, Galathée se porta au chevet de chacun, contrôlant leur état de santé, et proposant des remèdes à ceux qui en avaient besoin pour des ampoules ou des bleus, voire une légère nausée ou même de la fièvre.
« Très bien. Plume te suivra en cas de problème. » fit la rôdeuse lorsque Mathilde se proposa pour prévenir les clercs.
L’adolescente s’éloigna dans les broussailles.
Boris allait un peu mieux et Galathée l’aida à mettre pied à terre. Les mains entravées, il avait du mal à se mouvoir, et elle le remit à la garde du plus âgé des Merlus. Il n’était de toute façon plus en mesure de faire grand chose, et semblait avoir accepté sa captivité avec un soulagement manifeste.
Guilhem était toujours inconscient, de son côté, mais il respirait mieux, et sa blessure n’avait pas trop mauvaise mine.
De toute façon, ce n’était rien que Valaellyn ne puisse régler d’un geste. Il ne restait plus qu’à attendre.

[Taliesin]

Les stigmates des mauvais traitements subis par les enfants étaient relativement limités, même si certains présentaient des ecchymoses témoignant, s'il en était besoin, que les soudards n'y étaient pas allée de main morte. Les blessures psychologiques, par contre, étaient plus inquiétantes : le petit Mathieu et celui de ses frères qu'on avait voulu rôtir paraissaient particulièrement ébranlés. Toutefois, la fratrie faisait preuve d'une solidarité touchante : chacun se montrait attentif et attentionné pour les autres, et les marques d'affection qu'ils se témoignaient sans retenue, sans fausse pudeur, laissaient présager qu'ensemble, au fil du temps, ils parviendraient à surmonter cette douloureuse épreuve.
Quant au rôdeur, s'il ne manquait pas de bonne volonté, il semblait toujours très mal à l'aise et s'excluait du cercle, plutôt qu'il n'en était exclu, laissant Galathée veiller aux besoins de chacun. Il passa le plus clair de son temps à observer les abords du bosquet dans lequel ils s'étaient réfugiés. Ce fut d'ailleurs lui qui annonça, au bout d'une heure, le retour de Mathilde.
-Les soldats sont toujours au village, et ils ont raconté à tout l emonde que vous étiez avec les Morféens, dit l'adolescente à Galathée. Ils ne m'ont prêté aucune attention, et j'ai pu me rendre sans problème au sanctuaire... Les clercs m'ont écouté, ils savent bien que vous n'êtes pour rien dans tout cela, mais ils ne peuvent pas venir dans l'immédiat : ils craignent que leur départ soit trop remarqué... La demoiselle elfe a donc proposé de venir chez vous, cette nuit.
Elle hésita, puis se lança.
-Mais... Cela pourrait être quand même dangereux, mettre sur votre trace les soldats... La prêtresse m'a dit que non, quand je lui en ai parlé, mais... Si vous préférez, nous pourrions aller nous cacher quelque part... Vous viendrez nous trouver avec elle...

[Galathée]

Galathée hésita. Mettre Victor et Taliesin en danger n’était pas exactement ce qu’elle avait prévu. En même temps, elle brûlait de les revoir, de pouvoir un instant baisser sa garde, compter une seconde sur quelqu’un d’autre, même si c’était un leurre gigantesque.
« Vous pouvez venir jusque là. Je ne pense pas que nous tiendrons tous dans la maison, mais l’écurie est assez vaste. » fit-elle.
Elle balaya l’attroupement du regard, s’arrêta sur le soldat attaché, pinça les lèvres.
« Je vais juste bander les yeux de celui-là. Pour le reste… pour le reste, mettons-nous en route. »

[Taliesin]

Fidèle à l'attitude qu'il avait adopté depuis sa capture, le soldat se laissa faire sans piper mot, sans se débattre. Une fois aveuglé, on le hissa sur un cheval et, bientôt, la petite troupe repris sa marche à travers champs, passant aussi loin que possible des chemins et des fermes éparses.
Ils parvinrent à l'orée de la forêt sans encombres, sans avoir croisé personne, mais ce fut avec un soulagement certain qu'ils se glissèrent entre les arbres. Le plus dur était fait. Cependant, Galathée, prudente, leur fit emprunter un chemin détourné, et ce n'est qu'en milieu d'après-midi qu'ils atteignirent les abords de la clairière.
Rien n'avait changé depuis le départ de la rôdeuse : à vrai dire, elle aurait pu ne s'être absentée que depuis une heure.
Taliesin fut le premier à apparaître, attiré par le bruit. Il sortit de la maison et, un instant pantois, observa les nouveaux venus. Il se reprit cependant et, souriant, s'avança à leur rencontre. Galathée remarqua cependant que, derrière le masque affable, l'elfe paraissait relativement fatigué. Et inquiet.
Victor émergea peu après des bois. Encore plus surpris que l'ancien barde, il ouvrit de grands yeux et demeura où il était, sans oser approcher.

[Galathée]

Galathée mit pied à terre et s’approcha de ses compagnons, tandis que les Merlus démontaient en désordre.
« C’est une très longue histoire. » fit-elle, un peu embarrassée, lorsqu’elle se trouva devant Taliesin.
Victor choisit cet instant pour débouler vers elle et se jeter dans ses bras. Elle le serra contre elle, sans pour autant quitter l’elfe des yeux.
« Ces gens sont épuisés, et ils ont faim. Je vous raconte tout dans un instant… Si vous me permettez d’abord de souffler. »
Elle sentait ses jambes flageoler sous sa carcasse moulue, alors que la tension des derniers jours refluait. Elle avait l’impression diffuse d’être rendue, en sécurité, même si c’était une illusion. Elle sourit doucement, et sans cesser de serrer Victor contre elle, leva la main droite et effleura le visage de l’ancien barde.
« Tu as l’air d’aller bien. » murmura-t-elle, s'adressant sans doute autant à l'elfe qu'à l'enfant.

[Taliesin]

Dans ses bras, Victor ne pipa mot mais ne s'en accrocha qu'avec plus de force à elle. Quant à Taliesin, il sourit, opina du chef, lui serra doucement l'épaule puis s'avança en direction des Merlus.
-Laissez vos chevaux ici, je m'en occuperai tout à l'heure dit-il. Si vous voulez bien entrer dans la maison... Il y fait frais, et il doit bien y avoir de quoi étancher votre soif... Vous pourrez aussi y étendre votre blessé...
Il s'interrompit, lorgna le prisonnier.
-Humm... Quant à celui-ci, je vais l'amener à l'écurie. Je pourrais l'y attacher solidement.
L'aîné des fils Merlu lui transféra la garde du prisonnier et Taliesin fit comme il en avait dit. Puis il reparut tandis que les Merlus se décidaient enfin à gagner l'intérieru de la petite bâtisse.

[Galathée]

Galathée l’attendait à l’extérieur, Victor toujours accroché à elle, et lorsqu’il fut à proximité, elle étendit un bras pour le serrer contre elle, s’abandonnant une seconde à son étreinte. Elle nicha son visage au creux de son épaule, se noya une seconde dans sa chaleur sèche, soupira.
« Dieux, tu m’as manqué. » lui souffla-t-elle au creux de l’oreille.
Puis elle le lâcha à contrecoeur.
« Les choses ont très mal tourné. Je vais vous épargner les détails, mais j’ai des ennuis et ces gens aussi, par ma faute. » fit-elle.
Victor releva les yeux.
« Des ennuis ? » murmura-t-il, brusquement inquiet.
Elle acquiesça avec une grimace.
« Et je suis désolée que vous soyez mêlés à tout ça… Mais nous n’avions nulle part où aller et… et les enfants sont épuisés. »

[Taliesin]

Taliesin se pencha et l'embrassa, fugace, sur la joue.
-Tu as bien fait, Gal, dit-il d'un ton apaisant. Tes soucis sont les nôtres, tu sais. Tu as bien fait, et nous ferons notre possible pour t'aider.
Victor tenta de se parer d'une mine optimiste et opina du chef... sans lâcher pour autant la jeune femme.
-Mais ne t'explique pas tout de suite, reprit l'elfe. Tu m'as l'air épuisée, toi aussi. Prends ton temps, repose-toi : personne ne nous trouvera ici. Je te connais : même si tu avais été suivie, tu aurais su perdre le plus acharné des poursuivants. Et je monterai la garde, au besoin.

[Galathée]

Galathée sourit à cette marque de confiance et les entraîna vers l’intérieur.
Victor et Taliesin se montrèrent évidemment prévenants envers toute la populace qu’elle leur avait imposée, bien que l’enfant semblât circonspect et refusât de s’éloigner de la rôdeuse. Elle n’avait pas l’intention d’aller bien loin, en vérité, et une fois qu’elle se fut assurée que Guillhem était bien installé, que sa blessure était propre et sa température acceptable, elle se joignit aux Merlus attablés, contrôlant que chacun était à son aise, n’avait besoin de rien. Cependant, son malaise croissait comme elle prenait conscience de sa responsabilité malheureuse dans ce qui les avait frappés et elle finit par sortir, chargée d’une outre et d’un peu de pain, pour aller rendre visite au prisonnier.

[Taliesin]

Taliesin avait ligoté le prisonnier à un poteau d'une des stalles. Il avait serré les liens tout en veillant à ce qu'il puisse s'assoir : il n'avait pas manqué de noter que le soldat était blessé... et épuisé, tant par le voyage et la perte de sang que par les émotions de la nuit qui l'avaient ébranlé, lui aussi.
Lorsque Galathée le détacha, il n'essaya pas de se relever, de s'enfuir, mais accepta avec gratitude la nourriture et l'eau qu'elle lu apportait. Il mangea et but sans se faire prier puis leva les yeux sur la jeune femme.
-Qu'allez-vous faire de moi ? demanda-t-il, après une hésitation.

[Galathée]

« Je ne sais pas encore. » dit-elle. « Vous êtes innocent du plus grave, et j’ai besoin de votre témoignage. Il est difficile de savoir comment les choses vont évoluer. Vous devrez sans doute nous accompagner auprès des instances qui peuvent condamner Montcerf et offrir compensation à la famille Merlu. »
Elle grimaça.
« Je ne peux pas vous faire confiance, je suis désolée, vous n’avez rien fait pour. Mais si tout se déroule pour le mieux, vous serez bientôt libre. » ajouta-t-elle en lui faisant signe de se remettre ses mains dans son dos.
« Ce que je peux faire, par contre, c’est tenter d’avertir quelqu’un, votre famille, si vous le désirez. »

[Taliesin]

Le soldat s'exécuta, positionnant ses mains afin de permettre à la rôdeuse de les lier.
-Vous embêtez pas, dit-il. Il n'y a personne à prévenir. Et quand bien même y aurait-il quelqu'un... Je vous vois mal courir à Montcerf... Laissez-bomber. Moins de gens sauront, mieux se sera..
Il se tint immobile tandis qu'elle l'entravait.
-J'aurais pas touché au petit... reprit-il après une hésitation. J'aurais pas pu faire ça... Moi, on m'a engagé pour faire le soldat, pas pour faire de telles horreurs... Au début, j'ai cru que l'sergent et les autres rigolaient, mais... j'ai bien vu que non... Alors... J'aurais su plus tôt, je me serai pas engagé. Mais ça avait l'air tout beau, au début, on nous a dit qu'on protégerait le pays contre les Morféens, qu'on aurait de l'argent...
Il frissonna.
-C'est bien que vous soyez arrivée. Je dis pas ça pour que vous me libériez, ni rien. Mais... S'ils l'avaient fait... Moi j'aurais pas osé les en empêcher. Je suis juste parti...
Il baissa la tête, frissonna derechef.

[Galathée]

« Mais la prochaine fois, vous resterez. La prochaine fois, vous vous opposerez. On ne naît pas courageux, on s’y efforce. Vous verrez. »
D’un geste, elle contrôla sa blessure, qui suintait sous le pansement. Rien de bien effrayant. Valaellyn arriverait bientôt. Elle s’épousseta les genoux, en délogeant la paille, puis lorgna vers la sortie.
« Vous devriez essayer de prendre du repos, à présent. Je ne sais pas quand nous partirons, mais nous partirons. Je vous tiendrai au courant. »
Puis elle lui sourit, brièvement, et retourna au dehors.

[Taliesin]

En sortant, la rôdeuse apperçut Taliesin qui s'éloignait de la maison, des outres sous le bras. Il allait probablement refaire leurs réserve d'eau fraîche à la rivière. Eux qui jusqu'ici avaient vécu à trois se retrouvaient presqu'une quinzaine, et tous les voyageurs fraîchement arrivés avaient eu le gosier sec.
Quant à Victor, il se tenait sur le perron et, dès qu'il vit Galathée, il accourut vers elle.
-Tu es pas blessée, toi ? s'enquit-il, anxieux. J'ai vu que certains des enfants avaient des bleus, comme si on leur avait tapé dessus. Et deux des monsieurs étaient vraiment blessés... Qu'est-ce qu'il s'est passé ? Personne t'a fait de mal, au omins ?

[Galathée]

« Je vais bien, Victor. Je n’ai rien du tout. Juste très peu dormi ces derniers jours. Mais je m’en remettrai. » fit-elle.
Voyant qu’il n’était que semi-convaincu, elle posa une main amicale sur son épaule et soupira.
« Tu ne dois pas t’inquiéter, Victor. Les choses vont rentrer dans l’ordre. Ce que tu peux faire, par contre, c’est accueillir les enfants Merlu du mieux que tu peux. Je sais que ce n’est pas facile d’avoir des étrangers dans tes murs, mais souviens-toi de la manière dont le seigneur Artwin nous a ouvert ses portes quand nous n’avions nulle part où aller… Aujourd’hui, nous devons pouvoir offrir la même chose. »
Elle lui ébouriffa les cheveux.

[Taliesin]

Victor rougit et baissa la tête.
-Mais... Mais je suis pas contre qu'ils soient là, moi... balbutia-t-il. J'ai été surpris mais... J'ai essayé d'être sympa avec eux, non ? J'suis peut-être resté beaucoup avec toi mais... Je voulais pas donner l'impression que j'étais pas content qu'ils arrivent... Ils ont l'air gentils, en plus...
Il grimaça.
-Enfin, je ferai ce que je peux pour qu'ils soient bien, promis. Je... Je suis pas très fort pour parler ou pour montrer que... Mais ce sera plus facile maintenant que tu es revenue. Je suis un peu moins inquiet.

[Galathée]

« Tu vas t’en tirer, Victor. Je n’ai pas de doute là-dessus. » lui dit-elle. « Et tu fais tout très bien, ne te torture pas. »
Elle lui sourit, ne se sentant pas de taille à lui raconter le vrai des fonds des choses. Probablement l’apprendrait-il des Merlus, de toute façon. Mais il lui semblait que certaines choses appartenaient aux adultes, ne devaient pas contaminer l’innocence des plus jeunes. Que Victor ait été précipité dans les tentacules sinistres de l’invasions morféenne ne signifiait pas qu’il avait perdu son droit à l’enfance.

[Taliesin]

Le gamin la dévisagea un moment, puis poussa un profond soupir.
-Bon, j'y vais, alors... fit-il en reculant d'un pas.
Il s'était détournée et s'était rapproché de la maison lorsqu'il s'arrêta brusquement. Il hésita un instant, jeta un regard par dessus son épaule, puis fit carrément demi-tour.
-Tu vas rester, dis ? demanda-t-il. Je veux dire... Tu vas pas devoir repartir tuut de suite, hein ?

[Galathée]

« Je n’en sais rien, Victor. Les choses ne sont pas encore réglées… Il est possible que je doive repartir, malheureusement. » répondit la jeune femme.
Elle essaya de lui sourire, mais devina que cela ne servirait à rien.
« J’aimerais te dire que viendra un temps où ce genre de choses ne se produira plus. Mais je ne peux pas. Il faut que tu sois courageux, comme nous tous, nous n’avons pas le choix. »

[Taliesin]

Victor blêmit. Il grimaça, paru sur le point de fondre en larmes mais se contint tant bien que mal.
-Je fais que ça, lança-t-il, amer. J'essaye tout le temps d'être courageux. Tout le temps.
Puis il se détourna et, les épaules basses, courut vers leur chaumière. Sur le seuil, il croisa Taliesin, de retour de la rivière, mais le dépassa sans lui accorder un regard. L'elfe demeura immobile un instant, avant de disparaître à son tour pour se délester de son fardeau d'outres pleines. Il revint, cependant, contrairement au gamin, et se dirigea vers Galathée.
-Tu vas repartir, constata-t-il simplement. Et Victor n'aime pas l'idée...
Il observa un instant la jeune femme.
-J'espère quand même que tu prendras le temps de te reposer, fit-il en lui prenant doucement le bras.

[Galathée]

« Je ferai ce que je peux. » fit-elle avec un petit sourire, avant de secouer la tête, les lèvres pincées. « C’est incroyablement difficile d’avoir quelqu’un qui dépend de toi, comme ça. Je n’imaginais pas que ça allait causer tant… tant de tension, quand j’ai accepté de le prendre en charge. »
Elle l’entraîna vers la rivière.
« Je ne regrette rien, ce n’est pas ça. C’est juste… C’était juste plus facile quand j’étais toute seule, j’imagine. Moins intéressant, moins fort, moins beau. Mais plus facile. Mettre ma vie au pas de ce qui lui convient… De ce qui nous convient, aussi. Le monde ne le permet pas vraiment. Et au vu de ces derniers jours… Je ne sais pas s’il le permettra jamais… Je vois Victor, et sa colère, et je me dis que j’ai été bien stupide, et présomptueuse, de le prendre avec moi. Heureusement, tu es là. Je t’ai refilé une partie du défi, et tu t’en acquittes superbement. »
Elle lui caressa le visage, songeuse.
« Je suis fatiguée, oui. Et sans doute pas au bout de mes peines. Je vais aller m’étendre quelque part, et… tu me feras signe quand Valaellyn arrive, d’accord ? »

[Taliesin]

L'elfe l'étreignit doucement.
-Oui, je te préviendrai, fit-il.
Visiblement, il avait des choses à dire quant aux dernières remarques de la rôdeuse, mais préférait s'en abstenir pour ne pas l'accabler. Aussi inquiet et troublé fut-il, il lui paraissait cependant assez fort pour garder ces choses de côté tant qu'il faudrait. Son absence ne l'avait pas replongé dans ses anciens affres, c'était déjà ça.

[Galathée]

La rôdeuse lui sourit puis s’esquiva. Elle gagna l’ombre tranquille d’un des saules qui encerclaient le petit étang, et profita de sa protection pour s’installer. Pendant quelques minutes, elle resta immobile, lorgnant les branches fluides qui l’encerclaient, leur balancement léger dans la brise estivale, devinant les conversations timides qui s’échangeaient à l’intérieur de la chaumière, le clapotis tranquille de la rivière, le chant d’une alouette, quelque part plus loin. Le relâchement qui l’avait saisie depuis son arrivée dans la clairière l’entraîna peu à peu dans les profondeurs, et elle s’endormit finalement, détendue pour la première fois depuis des jours.

[Taliesin]

Lorsqu'elle s'éveilla, il faisait nuit noire. Taliesin était penché sur elle et la secouait doucement.
-Valaellyn est arrivée, lui souffla-t-il à l'oreille. Elle soigne le père des petits.
Il la laissa émerger un moment puis l'aida à se relever. Ensemble, ils regagnèrent la chaumière : les Merlus s'y trouvaient tous rassemblée - Mathieu y compris - et, sur la table, trônaient les vestiges du repas que l'elfe leur avait servi. L'atmosphère était tendue : on attendait le verdict de la prêtresse.
Celle-ci ne tarda guère a sortir de la chambre où ils avaient installé le blessé.
-Tout va bien, fit-elle, souriante. Il va dormir toute la nuit, je pense. Mais au matin, il sera sur pied.

[Galathée]

Galathée salua la prêtresse d’un geste mais laissa les Merlus exprimer leur soulagement sans interférer. Plus d’un enfant alla toucher l’elfe, les yeux émerveillés qu’une telle créature se soit un instant penchée sur leur père, puis Mathilde et Antoine prirent leur courage à deux mains et entrèrent dans la chambrette. Au milieu de cette subite allégresse, Victor avait l’air un peu perdu, mais il resta serein.
Valaellyn finit par se frayer un passage jusqu’à Galathée, et celle-ci fit signe à Mathieu et à Taliesin. Les quatre adultes sortirent dans la nuit étoilée, abandonnant les enfants à leur soulagement.
« J’imagine que Mathieu vous a déjà dit ce qu’il en était. » fit la rôdeuse. « Nous disposons probablement d’assez de preuves pour impliquer le comte de Montcerf, mais reste le problème de la personne à laquelle nous référer. »
Relevant les yeux, elle scruta le visage de Valaellyn, plongé dans la pénombre.