[Quête] Par monts et par vaux

[Taliesin]

Taliesin soupira.
-Et si Victor veut rester vivre à Luménis ? Si les environs de la ferme sont trop peu giboyeux pour nous permettre d'y survivre tous pendant l'hiver ? Si nous manquons d'argent et qu'il me faut à nouveau recourir à ma harpe ?
Il se rapprocha d'un pas.
-Non, Galathée. Me cacher n'est pas une solution viable à long terme. Je ne veux pas passer le reste de mon existence à me terrer avec au ventre la peur d'être reconnu... Je ne veux pas vous forcer, toi et Victor, à vous cacher avec moi. Vous n'avez pas à subir cela...
Il secoua la tête.
-Je préfère courir le risque. S'il doit advenir quelque chose... Que cela advienne. Je ne veux pas fuir. Je voudrais... Que nous puissions mener une vie la plus normal possible. La plus stable possible. Victor à besoin de stabiilté. Nous aussi.

[Galathée]

Galathée lui jeta un regard sombre, puis croisa les bras.
« Alors prends un autre nom, teins-toi les cheveux, je ne sais pas ! A quoi bon jouer les martyres ? Si tu y retournes, si tu revendiques qui tu es, ce que tu as fait, tu n’as aucune chance ! Et si tu n’es pas près à faire de concessions, alors nous n’y resterons pas. Et Victor sera parfaitement capable de comprendre que la préservation de notre groupe nécessite que nous restions loin de Luménis. Nous vendrons la maison des Desmoulins et nous aurons de quoi survivre, n’importe où. Sur Helonna ou ailleurs. Il n’est pas question que je prenne le risque de te perdre au nom de je ne sais quels principes ! »

[Taliesin]

Taliesin leva les mains en signe d'apaisement.
-Je n'ai jamais prétendu vouloir me dénoncer pour tout ce que j'ai commis. Crois-tu que j'ai à ce point envie de finir mes jours en prison ou au bout d'une corde ? Je souhaite qu'on ne sache jamais qui fut le Monstre. Mais si je dois m'expliquer sur le reste, pourquoi pas ? Tout ce que je veux, moi, c'est pouvoir vivre avec vous le plus normalement du monde. Et je ne pense pas que me comporter en fugitif, me cacher, me grimer, prendre un nouveau nom soit la solution. Je ne pense pas que ce soit sain pour le môme. Nous lui avons imposé ma présence et il l'a acceptée. Mais doit-il aussi accepter le reste ? De vvire loin de sa patrie ? De vendre ses biens ? A cause de moi ? Alors que, peut-être, tout pourrait se régler ? Si tant est que je m'expliquais auprès des autorités ? Et puis... Tu es citoyenne de Luménis. Il est le fils d'un homme qui y est considéré comem un héros... Cela ouvre des perspectives. Il ne faut pas vous en priver à cause de moi.

[Galathée]

Galathée soupira, s’éloigna de quelques pas encore, et passa une main lasse sur son visage.
« Si tu… si tu me promets que… »
Elle lui fit face.
« Tu ne peux rien me promettre, bien sûr. »
Elle secoua la tête, puis releva les yeux et sourit.
« Tu es maître de toi-même. Je le sais bien. »
Le vent soufflait dans la ramure des grands arbres et soudain, telle une pierre, Plume tomba du ciel et se posa sur l’épaule de sa maîtresse.
« Advienne que pourra. » dit-elle finalement.

[Taliesin]

L'elfe grimaça, fit mine d'avancer dans sa direction, puis se ravisa.
-J'aimerais que les choses soient plus simples... souffla-t-il, mal à l'aise. Que ce passé arrête de peser sur notre présent. Et j'ai l'impression que le fuir ne fera que retarder l'échéance...
Il se tut, se mordit les lèvres.
-J'essaie juste de réfléchir... De voir ce qui serait le mieux pour nous tous... Je ne veux surtout pas me montrer imprudent, agir selon des principes inadéquats, jouer les martyrs.. Je veux juste...
Tais-toi, tu t'enterres, songea-t-il. Et il se tut. Il ne servait à rien d'ajouter quoi que ce soit pour le moment. Et puis, ils n'étaient pas encore à Luménis... Ils pouvaient encore aviser.

[Galathée]

Galathée posa la main sur le dos de la chouette et y chercha un peu de réconfort, comme autrefois lorsqu’elle avait encore son hibou, un geste presque réflexe, en quête de vie et de chaleur.
« Je comprends que tu veuilles… apaiser ce qui peut l’être. Et je comprends que tu ne veuilles pas évoluer dans les ombres. Mais je crois que tu surestimes… ta bonne fortune. Les Luméniens ne te blâmeront peut-être pas pour avoir mené Morféa jusqu’à leur rivage mais… mais le Monstre, Taliesin… Si jamais… »
Elle se massa les yeux du bout des doigts.
« Il faudra que tu acceptes de nier. C’est ma condition. »

[Taliesin]

Taliesin se détendit imperceptiblement.
-Oh, ça... Je le ferai, s'il le faut. Je n'aime pas beaucoup l'idée, mais je le ferai; Toi, tu sais. Et même Victor. C'est la seule chose qui compte. Vous savez. Je ne suis pas un menteur avec vous, nous jouons franc-jeu. Le reste...
Il eut un sourire triste.
-Ce qu'a fait le Monstre... Ce n'est pas à proprement parler l'exploit dont je suis le plus fier, et je ne tiens pas particulièrement à le revendiquer. Quant à mes beaux principes, je les ai déjà tellement foulés au pied qu'une fois de plus ne changera rien.
En réalité, les choses n'étaient pas aussi simples qu'il voulait bien le dire. Il avait la vague impression de devoir la vérité à ceux qui avaient trépassé par sa faute, la vague impression qu'ils méritaient qu'on sache qui les avait martyrisés. Mais il n'était pas prêt à tout sacrifier pour cela.

[Galathée]

« Dans ce cas… »
La jeune femme pinça les lèvres.
« Je ne demande pas de nier ce que tu es, et ce que tu as été, Taliesin. Je te demande juste… de te laisser une seconde chance. A force de vouloir, sans cesse, remuer le passé… »
Elle soupira, renvoya Plume vers le ciel et lorgna les arbres autour d’eux.
« Tu ne te laisses pas la possibilité de construire autre chose. »
Elle s’approcha de lui, posa une main sur son épaule, et lui sourit doucement.
« Mais quoi qu’il advienne, nous ferons face. »
Puis elle s'esquiva et retourna vers la clairière, les derniers préparatifs, et l'ultime nuit avant le grand départ, et une aube nouvelle.

[Taliesin]

Ils tinrent à charger complètement la charrette avant de partager leur dernier repas en ces lieux, afin d'être en mesure de partir dès l'aurore venue. Les dieux seuls savaient combien de jours encore ils bénéficieraient du beau temps qui régnait sur la région, et mieux valait en profiter pour faire le plus de chemin possible.
Une fois tout en ordre, ils s'installèrent devant la maison et, assis dans l'herbe, réglèrent leur sort aux provisions trop périssables pour les amener avec eux. L'ambiance était joyeuse, comme à l'accoutumée. Mais, sous les conversations enjouées, l'on sentait poindre une certaine tension, un semblant de mélancolie diffuse. Chacun était conscient du départ tout proche, du fait qu'ils quittaient un refuge, un havre heureux, pour un ailleurs dont ils ne savaient presque rien, à la fois riche de promesses et lourd d'interrogations.
Inconsciemment, ils s'attardèrent le plus possible, aucun d'entre eux n'osant être le premier à quitter l'assemblée. Puis les enfants commencèrent à dodeliner de la tête et, lentement, les Merlus regagnèrent l'écurie. Mathieu, comme de coutume, dormirait dehors. Quant à Valaellyn et Gérold, ils avaient choisi de passer cette dernière nuit au village, dans le sanctuaire qui les avait abrité des décennies durant. Les voyageurs passeraient les prendre avant de s'élancer vers la côte.
Ne regagnèrent donc la chaumière que Galathée, Victor et Talieisn. Leur première intention était de rentrer dans leurs chambres respectives, mais ils demeurèrent un moment dans la salle commune, examinant le décor de leur quotidien qui, bientôt, ne serait plus qu'un lointain souvenir.

[Galathée]

Galathée sentit la mélancolie insidieuse qui menaçait de se glisser dans leurs cœurs, et elle se sentit bientôt obligée de meubler le silence, pour ne pas le laisser se refermer sur leurs angoisses. Elle savait qu’ils seraient sans nul doute nostalgiques de quelque chose, c’était inévitable, mais il était trop tôt pour en souffrir.
Il faisait nuit, seule la bougie que tenait Victor éclairait les ténèbres de la salle, révélant quelques ombres, le théâtre d’un fragment d’existence qui touchait à son terme.
Elle aurait voulu leur dire de ne pas avoir peur, qu’ils emporteraient ce qui les avait liés où qu’ils aillent, que des murs, un coin de nature, n’étaient pas nécessaires pour préserver ce qui comptait. Mais elle savait aussi qu’elle était mal placée pour comprendre leurs tourments. Doucement, elle pressa l’épaule de Taliesin, puis embrassa Victor sur la tempe, après quoi elle s’esquiva et gagna leur chambre, pour la dernière fois.

[Taliesin]

Dans la salle commune, Taliesin demeura immobile. Il était fatigué, et prendre un peu de repos ne serait pas de trop compte tenu du voyage qui les attendait. Mais dormir, si tant est que le sommeil s'offrait à lui, c'était hâter le réveil, hâter le départ si lourd d'incertitudes, d'angoisses, d'inconnues. Il avait envie de veiller jusqu'à l'aube, de s'accrocher aux ultimes heures dans ce lieu si paisible,, en parcourir une dernière fois, les sentes détournées, sentir sous ses doigts l'écorce rêche des troncs, fouler l'herbe de la petite clairière qui lui paraissait encore si lumineuse, même au plus noir de la nuit.
Mais c'était un leurre, et il le savait. Se cramponner à ce lieu ne servait à rien. C'était aux siens qu'il devait s'attacher. Il partait avec eux. C'était tout ce qui comptait. Dès lors, rien d'autre n'aurait dû avoir d'importance, et pourtant... Il ne pouvait s'empêcher de redouter ce qu'il adviendrait, de craindre que ce qui s'était noué ici, à la faveur de ce petit coin de monde préservé, ne se brise en un ailleurs incertain.
Victor n'avait pas bougé, lui non plus, et l'elfe, se retournant, n'eut qu'à poser son regard sur son visage baigné par la flamme ténue de la bougie pour comprendre que l'enfant ressentait des affres similaires. Spontanément, sans même y réfléchir, il posa doucement la main sur son épaule et lui sourit.
-Tout va bien se passer... murmura-t-il, sans savoir si c'était le petit garçon ou lui même qu'il essayait de convaincre.

[Galathée]

Victor leva les yeux et sourit doucement.
« Tu sais… Je me demande si ma chambre est toujours là. Je sais, c’est bête, mais je me demande… Quand je suis parti avec Galathée, je pensais pas que je reviendrais pas… Elle voulait pas attendre ma maman… »
Il s’interrompit, fixa la lueur de sa bougie, une seconde, puis sourit à nouveau.
« Mais je me demande. Je sais bien que les gardes de Noualque, ils ont tout cassé, mais peut-être… J’aimerais pas trouver un cadavre dans ma chambre. Tu crois qu’il y aura un cadavre dans ma chambre ? Parce que s’il y en a un… Je voudrais pas habiter là, je crois. Après, il y aurait des fantômes, puis il paraît qu’ils reviennent, et de toute façon, j’voudrais pas dormir dans un lit où quelqu’un est mort avant. Ce serait trop triste, et trop bizarre. »

[Taliesin]

La question prit l'elfe au dépourvu. Un instant, il se demanda si quelqu'un s'installerait jamais dans la chambre du juge Kanter, mais il chasse bien vite cette pensée.
-Je crois que tu n'as pas à te faire de souci à ce niveau là... dit-il. Les gens qui ont racheté la maison pour toi n'y auraient pas laissé un cadavre, s'il y en avait eu un... Et ta chambre sera toujours là, oui. Si la maison avait été incendiée, ils n'auraient pas pu la racheter... Pour le reste, je ne peux rien dire. Nous verrons bien quand nous y serons.
Il scruta le visage du gamin, puis jeta un regard sur la salle enténébrée. Les images fugaces qui avaient traversé son esprit avaient suffi pour réveiller sa vieille peur des ombres et, tout à coup, la promesse de l'aube lui parut moins redoutable que les formes dansantes projetées par la bougie sur les murs de pierre.
-Je crois qu'on devrait sérieusement songer à aller dormir... reprit-il. La route sera longue, demain,. Et... Enfin, si tu veux venir avec nous, n'hésite pas, surtout.
Il pensa ajouter quelque chose mais n'en fit rien. A trop vouloir rassurer, à trop se prémunir, on ne faisait bien souvent que donner plus de corps aux craintes. Tout irait bien : inutile de faire comme si les peurs étaient justifiées.
Il sourit donc à l'enfant, lui serra une seconde l'épaule puis se dirigea vers la porte de sa chambre.

[Galathée]

« J’dormirais bien avec vous, mais… »
Il sourit.
« A partir de demain soir, on dormira tout le temps ensemble, pas vrai ? Tandis que Galathée et toi, vous allez plus pouvoir… Enfin, tu sais… avant longtemps, alors j’me dis que peut-être… C’est quand même mieux si vous pouvez dormir juste vous deux. »
L’enfant atteignit la porte de sa propre chambre.
« T’as pas besoin de lumière, je crois. Bonne nuit ! »
Puis il disparut, emportant sa bougie, et Taliesin resta seul avec les ténèbres.

[Taliesin]

L'ancien barde resta un instant décontenancé puis, amusé, il quitta à son tour la salle commune, tentant d'être le plus silencieux possible. Mais il n'eut qu'à tendre l'oreille et guetter le souffle de la rôdeuse pour savoir qu'elle ne dormait pas.
-Victor se demandait s'il n'y aurait pas un cadavre dans son ancienne chambre... souffla-il en se glissant sous les couvertures. Ce n'est pas simple pour lui non plus et il fait pourtant face. Il a même refusé de venir dormir avec nous pour nous laisser tranquilles... Il a du courage, et je devrais prendre exemple...
Il se rapprocha de la jeune femme et s'appuya contre elle. Son simple contact rendit les ténèbres moins pesantes. Mais il n'était pas pour autant certain de pouvoir s'endormir.

[Galathée]

« Je sais, il a des ressources… »
Galathée posa les mains sur ses épaules.
« Retourne-toi. » murmura-t-elle.
Il s’exécuta, et doucement, elle commença à lui masser les épaules, dénouant peu à peu la tension qui s’y était glissée, l’amenant, à son corps défendant, à se détendre.
« Il faut que tu dormes… Il faut que nous dormions. Ressasser le passé, imaginer le futur qui nous échappe encore… Cela ne sert à rien. Profite de l’instant. L’instant seul est à ta portée. »

[Taliesin]

Il songea un instant protester, avancer qu'il fallait bien préparer l'avenir, anticiper, mais il renonça et s'abandonna entre ses mains. Elle avait raison, dans le fond : ils avaient déjà en partie préparé l'avenir. Les choses étaient lancées, à quoi bon tergiverser, se ronger les sangs ? Ce qui devait arriver arriverait, en bien ou en mal. Autant ne pas trop s'en inquiéter, dès lors.
Même si c'était plus facile à dire qu'à faire.
-Je sais... murmura-t-il. Il n'y a pas grand chose à redouter, au final. Plutôt des choses à espérer, au contraire... Mais... Tout a tellement toujours tourné mal...
Il soupira, sourit, et lui fit à nouveau face.
-Enfin, ça tourne mieux depuis quelques mois... Pourquoi cela s'arrêterait-il maintenant ?
Il l'enlaça et la serra fort contre lui, sans plus rien ajouter.

[Galathée]

« Tout ira bien. » souffla la jeune femme, comme un dernier souhait avant l’inconscience.
Elle s’endormit peu après, bien avant l’elfe, qui resta encore éveillé de longues minutes, à écouter les bruits du dehors. Cependant, contrairement à ce qu’il avait craint, le sommeil finit par le surprendre, aidé par les soins apaisants de la rôdeuse. Ils passèrent une nuit calme et sans éclats, Victor ne quitta pas sa chambre et ne mouilla pas sa couche, en dépit de l’incertitude inhérente au lendemain.
Plume éveilla sa maîtresse avant l’aube, comme elles l’avaient convenu, et la rôdeuse se leva sans bruit, pour permettre à son compagnon de dormir encore quelques précieuses minutes. Elle l’embrassa sur la tempe, furtive, resta assise à le regarder un instant, consciente qu’ils n’auraient plus droit à cette intimité avant de longues semaines. La jeune femme ne doutait pas de la résilience de l’elfe. C’était devenu chose impossible. Il avait erré à la frontière du néant et en était revenu. Quoi qu’il advienne, il serait capable de l’affronter. Elle était consciente de le savoir mieux que lui, qu’il aurait encore besoin d’être rassuré quant à sa force, mais c’était un jeu qu’elle savait mener.
S’arrachant à ses pensées, elle quitta leur chambre et s’attela aux derniers préparatifs : un ultime petit déjeuner sur l’herbe, des chevaux à rassembler, étriller, harnacher, avant le grand départ. Valaellyn avait déjà ramené le chariot chargé jusqu’au village, où les deux groupes feraient jonction.
Tout était paré au moment où, avec les premiers rayons du soleil, les plus matinaux émergèrent. D’abord Mathieu, puis Guillhem, suivi par Mathilde, enfin Antoine. Comme d’habitude.

[Taliesin]

Lorsque tout fut apprêté pour le petit-déjeuner, il fallut bien réveiller les derniers dormeurs, et la petite assemblée s'assit devant le logis pour avaler prestement de quoi se donner des forces pour le long trajet qui l'attendait. Ils parlèrent peu : autant ils avaient profité à plein des derniers jours, autant à présent ils avaient presque hâte de partir. Peut-être pour rendre les adieux à la clairière moins difficiles.
Sitôt terminé le repas, ils sellèrent leurs montures et se les attribuèrent au mieux. Hautépine était à plusieurs heures de chevauchée, et si certains étaient contraints de marcher, il n'y seraient pas avant le milieu de l'après-midi. Mais ils parvinrent sans mal à s'organiser, les adultes prenant en croupe les plus jeunes, de manière à équilibré le poids supporté par chaque bête. Galathée prit Victor avec elle, Guilhem se chargea du petit Mathieu, Taliesin de Robin... Au final, même l'oncle des gamins écopa de son petit passager, ce dont il ne se plaignit nullement.

Un dernière inspection des lieux pour vérifier qu'ils n'avaient rien oublié d'important, un dernier regard sur la clairière baignée par les rayons du soleil matinal... puis ils partirent.
Taliesin dut réprimer à maintes reprises l'envie de jeter un coup d'œil par dessus son épaule. Cela n'apporterait rein de bon, ne ferait qu'aviver la mélancolie dont il était habité. Mieux valait regarder droit devant, se concentrer sur la présence de ses compagnons, sur les conversations enjouées qui naissaient peu à peu, sur les bras du gamin qui se cramponnait à lui. Leur petite maison n'avait été somme toute que quatre murs et un toit. Ce qu'il y avait eu d'important, ils l'emportaient avec eux. Et ce n'était pas l'absence d'une demeure à lui qui avant tant pesé sur l'âme du barde au cours des dernières années : c 'était la solitude. Or, seul, il ne l'était plus.

Ils avancèrent à bonne allure à l'ombre des bois, en suivant le cors sinueux de la rivière. Puis ce fut la lisière, la route bordée de collines herbeuses, de champs couverts de chaume, de pâtis ceints de haies. Et enfin la forêt ne fut plus qu'une ligne sombre dans le lointain, tandis que les toits de Hautépine se dessinaient peu à peu.
Valaellyn et Gérold les attendaient à l'entrée du village. Quelques habitants étaient venus leur faire leurs adieux : mais ceux-ci prirent peu de temps. Sans doute avait-on procédé à des au revoir plus officiels la journée précédente... Quoi qu'il en soit, la petite colonne de voyageurs ne s'attarda guère, juste le temps de transborder trois des gamins dans la charrette, puis elle était à nouveau en route, laissant foirail, village et sanctuaire de Chauntéa derrière elle.

Il n'était pas encore midi. Et pourtant, déjà, leur petit refuge au milieu des arbres leur semblait à des univers de distance.

[Galathée]

HRP : Désolée, pas très en verve.

La route d’Haradhar était une longue piste de terre blonde, serpentant entre les champs fauchés et les petits hameaux. Large de plusieurs toises et relativement fréquentée, elle permettait aux voyageurs de cheminer sans mal, au pas régulier de leurs montures. Ils avaient décidé de bivouaquer en pleine nature, de se ravitailler en troquant une partie du fruit de leurs chasses et de ménager au maximum les animaux qui les portaient. Gérold estimait qu’ils en auraient pour une grosse semaine.
Assez rapidement, Valaellyn céda sa place dans le chariot à Mathilde, comme s’il lui était nécessaire de prendre ses distances avec le vieux prêtre. La jeune fille se montra prévenante avec le vieillard, et celui-ci abandonna bientôt son attitude revêche pour se révéler un interlocuteur des plus bavards. Les trois gamins qui campaient à l’arrière de la charrette finirent d’ailleurs par se rapprocher pour profiter des histoires de l’ancien.
Trois des six chevaux restants ne portaient qu’un cavalier, les autres deux, et ils se fatiguaient plus rapidement, forçant le groupe à des arrêts fréquents. Les enfants avaient le même genre de limites, et ils profitaient des pauses pour se dégourdir les jambes, tandis que Mathieu et Galathée disparaissaient dans les fourrés. Les deux clercs avaient cependant préparé un nombre honnête de potions de repos, dont ils usaient avec parcimonie mais intelligence, leur permettant de garder un rythme respectable.
Le premier soir les surprit dans un vallon arboré, le second en plaine, le troisième au milieu de collines aux herbes longues déjà brunies par la saison, dans lesquelles les deux chèvres s’égaillèrent avec bonne humeur, avant d’être rappelées à l’ordre par les rôdeurs.
L’humeur générale était plutôt positive, bien que la fatigue se fasse ressentir peu à peu. On avait instauré des tournantes pour que tout le monde puisse profiter tour à tour des conforts de la charrette, mais les fesses des cavaliers inexpérimentés leur cuisaient. Ils finirent par décider d’un jour complet de repos, à la faveur d’une petite rivière poissonneuse bordée d’arbres courbés.
La pluie les força à lever le camp le lendemain et à repartir au plus vite vers la côte.

[Taliesin]

Il ne s'agissait malheureusement pas d'une des chaudes pluies d'été qu'ils avaient rencontrées au cours des derniers mois, mais d'un crachin frisquet qui se transforma bientôt en averse interminable tombant d'un ciel tristement plombé. Un vent aigre, premier émissaire de la morte saison, ne tarda guère à se mêler de la partie, les laissant trempés, gelés, dépouillés de tout l'allant que leur avait rendu leur journée de halte.
Ils pressèrent le pas, désireux de trouver un abri. Mais la chance n'était pas avec eux : nul village ne se dressait au bord du chemin, et les quelques bois qu'ils croisèrent étaient trop clairsemés pour leur servir de refuge. Ils n'eurent donc d'autre choix que de poursuivre, non sans avoir enfoui les plus jeunes sous un monceau de couvertures pour tenter de les protéger au mieux. Ce qui n'empêcha pas certains d'entre eux d'éternuer copieusement après quelques heures de ce traitement plus que revigorant...
Ce n'est qu'en début d'après-midi qu'ils aperçurent enfin des toits, dans le lointain. Il ne s'agissait guère que d'un hameau : les habitants leur apprirent qu'un bourg plus important et disposant d'une auberge se trouvait à deux heures de chevauchée plus au nord. Mais les voyageurs pensaient avoir fait assez de chemin ce jour-là, compte tenu des conditions pour le moins contraires, et ils acceptèrent bien volontiers la grange déserte qu'on leur proposa,..
Ils la dénichèrent un peu à l'écart du hameau, au bout d'une sente boueuse. Elle n'était pas bien grande et ils devraient s'y entasser. Au moins, ils s'y tiendraient chaud... pour peu que le toit ne soit pas percé.

[Galathée]

La pluie tomba jusqu’à la nuit et les ténèbres les gratifièrent d’un orage tonitruant, qui garda longtemps les enfants éveillés, tandis que les rôdeurs en suivaient la progression avec attention. Mais il chemina au nord de leur refuge, frappant les campagnes d’éclairs splendides, dont le tracé restait dans les yeux quelques secondes avant de s’évanouir.
L’automne s’était fait timide avant de s’épanouir brusquement, ce qui était apparemment normal dans la région, et dès l’aube du lendemain, les enfants Merlu partirent à la chasse aux escargots et aux grenouilles. La perspective de manger ce type de créatures n’était particulièrement au goût de Galathée, mais les Hélonniens semblaient s’en délecter d’avance. En milieu de matinée, la pluie cessa complètement et ils purent reprendre leur route.
La boue ralentissait leur progression et Gérold souffrait désormais des articulations, mais leur persévérance se vit récompensée d’un rayon de soleil généreux en début d’après-midi. Petit à petit, l’humidité ambiante recula devant les assauts d’une douce journée rougeoyante, et l’humeur de chacun redevint plus joyeuse.
Galathée se sentait psychologiquement éreintée. Il lui semblait qu’une vigilance de tout instant était de mise, et son regard allait d’un cheval à un enfant, repassait sur un elfe, glissait sur un arbre, sur un semblant de marécage, sur la piste d’un ours passé peu auparavant. Mais plus ils approchaient de la côté, plus la nature rendait les armes face à l’expansion humaine, et bientôt, ils ne traversèrent plus que des zones cultivées, parsemées de fermes et de bétail. Ils croisèrent en plus en plus de voyageurs d’un jour, allant de leur champ à leur corps de logis, du village voisin au bourg. Les dangers s’amenuisaient. Une chute restait possible, une mauvaise maladie, une mauvaise rencontre, mais ils étaient en bonne compagnie, prêts à faire face. Peu à peu, elle se détendit.
En fin de journée, le septième jour, ils arrivèrent en vue d’Haradhar.