[Lieu] Les habitations du Quartier Ouest

[Galathée]

Un roulement de tonnerre, cette fois bien naturel, craqua au-dessus de l’elfe, tandis que le ciel se fendait de plus belle, déversant mille pleurs sur les toits. Surpris par l’orage, Taliesin repéra une seconde trop tard le mouvement dans l’obscurité sur sa droite, et avant qu’il n’ait pu faire un geste, une silhouette jaillit hors d’une ruelle transversale et le percuta de plein fouet, l’envoyant rouler à terre, ou plutôt à l’eau, dans l’une des innombrables flaques qui piégeaient la rue. La personne qui l’avait touché chuta elle aussi, poussant un cri misérable avant de s’affaler quelques mètres plus loin.

[Taliesin]

Sonné, l'elfe demeura étendu quelques secondes avant de retrouver suffisamment ses esprits pour songer à se relever. Titubant légèrement, il se massa l'épaule sur laquelle il était tombée et observa la silhouette étendue non loin de lui. Son premier réflexe fut de lui dire qu'elle aurait pu regarder où elle allait au lieu de courir dans le noir, mais il se reprit et demanda plutôt, d'une voix assez forte pour couvrir le tumulte de la pluie :
-Vous allez bien ?

[Galathée]

Une plainte s’échappa de la gorge de la femme qui l’avait heurté, suivie d’un gargouillis qui n’augurait rien de bon. Taliesin réalisa alors qu’une partie de la pluie qu’il avait sur lui était plus poisseuse que de l’eau ordinaire, plus tiède aussi, et son regard d’elfe sensible à la chaleur des corps lui renvoya une image troublée de la personne qui gisait à terre, sur le dos. En s’approchant, il distingua le flot sombre qui lui maculait le visage, des taches pulsatiles qui s’étoilaient sur sa poitrine, en sillons palpitants, la forme étrange de son flanc droit, comme si leur simple rencontre l’avait brisée en deux.
Elle gémit à nouveau, tenta de se retourner, sans succès.

[Taliesin]

Sentant un goût de bile lui monter aux lèvres, Taliesin fit effort pour garder son sang froid. Sans doute aurait-il dû passer son chemin, fuir sans chercher à en savoir plus. On risquait de l'accuser de choses innommables, encore, et il se pouvait fort que, pour lui, la nuit se termine en prison. Albérich ne lui faisait pas confiance, le conseil l'avait placé sous surveillance et n'attendait qu'un faux pas de sa part pour le mettre aux fers. Mais il ne pouvait pas abandonner la femme ainsi : c'était trop contre sa nature. Alors, il acheva de s'approcher, s'agenouilla et examina plus attentivement la silhouette. Il n'avait aucun sort de soin en mémoire, les lésions semblaient trop graves pour qu'il puisse faire quoi que ce soit. Mais, si elle était transportable, il pouvait toujours tenter de la ramener aux gardes qu'il avait croisé plus tôt. Ou à la Bienveillance.
-Madame ? Vous m'entendez ?

[Galathée]

C’était une jeune femme à peine sortie de l’adolescence. Sa robe était déchirée en de nombreux endroits, révélant une peau blême et meurtrie. Elle avait deux coupures profondes sur la poitrine, les côtes défoncées à droite, et le sang bullait au coin de ses lèvres. Ses yeux révulsés étaient ouverts. Elle leva cependant une main, agrippa l’elfe par le revers du manteau et l’attira vers elle.
« Vous devez… Vous devez les aider… les aider… » croassa-t-elle.
Puis un soubresaut l’agita et elle retomba, inerte, sur le sol trempé. Elle respirait encore, mais sans doute plus pour longtemps.

[Taliesin]

Il tenta de repousser la panique qui le gagnait. Tout ça avait l'air d'un cauchemar. . Mais il connaissait trop les cauchemars pour savoir qu'il n'en était rien. La jeune femme était à l'agonie, et il n'avait aucun moyen de savoir qui il était censé aider. Les gens frappé par l'incident dont il avait été témoin, tout à l'heure ?
Ce n'était pourtant pas le moment de tergiverser. Il ne pouvait rien faire pour elle, mais d'autres, peut-être...
Se redressant, il avisa les maisons, toutes proches. Il bondit sur ses pieds et couru vers la première porte, frappa à l'huis avec force.
-Ouvrez ! lança-t-il. Il y a un blessé, dans la rue ! Il faut des secours !

[Galathée]

La première maison à laquelle il frappa demeura silencieuse et obscure, mais le vacarme de son intervention alluma une bougie dans la demeure voisine et une fenêtre s’ouvrit. Une vieille femme pointa son nez à derrière d’épais rideaux.
« C’est la nuit, jeune homme ! » glapit-elle. « Les braves gens essaient de dormir ! »

[Taliesin]

Le barde s'obligea à respirer lentement et parvint à répondre avec un calme relatif.
-Pardonnez ce bruit, madame, mais il y a juste en bas de chez vous une jeune femme grièvement blessée, et je crains qu'elle ne soit pas déplaçable. Il faudrait lui venir en aide, ou aller quérir la garde, un clerc, je ne sais quoi... On ne peut quand même pas la laisser mourir comme ça, même à cette heure tardive...

[Galathée]

L’ancêtre resta silencieuse un instant.
« Et vous croyez que c’est moi, avec mes pauvres jambes, qui vais aller quérir qui que ce soit ? Pourquoi vous égosillez-vous à la place d’y aller vous-même ? »
« C’est quoi, maman ? »
« Un petit malotru qui a frappé une fille de joie, je crois. »
Un visage hirsute apparut à la fenêtre, jeta un œil dans la rue, puis quelques secondes plus tard, la porte s’ouvrit et un homme large comme une barrique et haut comme trois surgit dans la rue.
« Y s’passe quoi, au juste ? »

[Taliesin]

Taliesin, qui n'avait pas le moins du monde envie de passer pour le bourreau de la malheureuse, s'empressa de désigner son corps du doigt avant de répondre d'un ton pressant.
-J'ai vu d'étranges éclairs, un peu plus loin dans le quartier. Puis cette jeune femme m'est rentrée dedans. Je ne sais pas ce qu'elle fuyait, mais toujours est-il qu'elle est dans un sale état. Elle m'a dit que je devais aider quelqu'un avant de s'évanouir sans préciser qui.... Bref, on ne peut pas la laisser là, et si vous pensez pouvoir la mettre à l'abri, je peux essayer de trouver un garde, ou un clerc, à moins que vous ne sachiez où en dénicher un...

[Galathée]

L’homme suivit le geste de Taliesin et s’approcha de la silhouette étendue, sa lanterne à la main. Déjà, plusieurs lumières étaient apparues derrière des fenêtres voisines.
« Bordel de bouse pourrie. » s’exclama l’autre, en s’agenouillant près de la fille. « Elle est presque clamsée, votre nana. J’crois pas qu’on peut la bouger, non, ce serait pas prudent. »
« Faut aller chez Waukyne, c’est l’plus près. » intervint alors une voix à côté d’eux.
Un vieillard sous une cape informe avait fait son apparition.
« Roupillent sûrement, chez Waukyne. » ajouta une femme, laquelle déploya une couverture sur le corps de la malheureuse.
« On jacasse, on jacasse, elle va crever, la pauvrette. » fit un quatrième interlocuteur, un nain velu, qui était peut-être une naine.
« J’vais aller chercher Wilbur. Il était clerc, non ? »
« Juste rebouteux. »
« Il a jamais passé le grade de novice, c’est pour ça. »
« Mais quelqu’un devrait aller réveiller un vrai clerc, parce que sinon, ça va pas le faire. »
Et tous les regards de se tourner vers Taliesin.

[Taliesin]

L'elfe acquiesça.
-Bien, je vois où se situe le sanctuaire. J'y courre de ce pas et je reviens avec un clerc, même s'il faut que je l'extirpe de son lit...
Il tourna les talons, puis hésita. Si les choses ne se passaient pas bien, s'il tardait, s'il ne pouvait pas revenir pour une raison ou une autre, on risquait de l'accuser de ce qui pourrait bientôt être un meurtre. Et cela, il n'en était pas question.
Il se tourna donc vers la petite assemblée.
-Si une patrouille vient à passer avant mon retour, et demande qui l'a trouvée... Je m'appelle Taliesin, je travaille comme barde à la Bienveillance.
Puis il fila en direction du temple de Waukyne.

[Galathée]

Le clerc suivit Taliesin en maudissant Waukyne dans son collier de barbe tout au long du trajet. Comme il était ventru, il n’avançait pas vite, et poussa de hauts cris lorsqu’il lui fallut traverser un premier ruisselet qui serpentait sur les pavés. Ils parvinrent cependant assez rapidement jusqu’au petit cercle qui restait toujours autour de la jeune femme, lequel s’entrouvrit pour les laisser passer.
Elle était toujours vivante, mais blême, fiévreuse, et à la lueur des torches, apparaissait comme un cadavre en sursis. Cette vision sembla réveiller le clerc et l’arracher à ses récriminations. Avec une grimace, il s’agenouilla sur les pavés humides, puis murmura quelques mots et se mit à incanter.
« J’crois que je la connais cette petite. » murmura la naine tandis qu’il psalmodiait.
« J’suis pas certaine, c’est pas la fille à Garin ? » demanda l’autre femme.
« En tout cas, vous êtes arrivé à temps. C’était moins une, là. Même avec l’élixir magique de Wilbur. »
« C’est rien qu’du jus d’raisin oùsqu’il a craché. » grommela le vieillard.
« Même pas vrai ! » gronda un autre petit vieux, nouvellement arrivé.
« ‘Spèce de menteur ! »
« Fiente de paladin ! »
« Pet d’elfe ! »
« Hé, soyez polis, les gars. » dit la femme, embarrassée.
« Oui, ‘scusez nous. J’le pensais pas. »
Le clerc se redressa.
« Bon, elle est tirée d’affaire pour l’heure. Mais elle a besoin de soins plus sérieux. »
Il se tourna vers l’assemblée.
« Qui va payer pour elle ? »
« Payer ? » lâcha l’homme large comme un tonneau, incrédule.

[Taliesin]

Taliesin fit un pas en avant, tira sa bourse d'une poche intérieure et la tendit au clerc. Elle contenait l'ensemble de ce qu'il avait touché à la Bienveillance pour ses prestations. Ce n'était pas une fortune, mais la somme leur aurait été utile, à Galathée, Victor et lui. Tant pis : de l'argent, il en gagnerait encore, et leurs dépenses attendraient un peu. De toute façon, il avait promis une rétribution au prêtre.
-Faut-il la transporter quelque part ? A votre temple, ailleurs ?

[Galathée]

« Attendez. » fit la femme, forçant Taliesin à reprendre son argent. « Vous la connaissez pas, la fille. Pourquoi vous devriez payer ? »
« Tu pourrais la soigner, prêtre ! »
« Les soins dispensés par le temple ne sont pas gratuits. Ils demandent beaucoup de temps, des moyens, une longue prép… »
« Rapiat ! La fille est p’t’être riche, qu’est-ce que t’en sais ? »
« J’ai déjà offert mes services généreusement pour la tirer d’affaire. »
« Elle est tirée d’affaire ? » demanda un des vieux.
« Oui, je l’ai dit, momentanément, mais elle a besoin de soins plus… »
« On l’embarque chez Ilmater, ils le f’ront gratuit, eux. Charlie, tu peux la porter ? »
« Pas de problèmes. »
« Espèce de pingre ! Moi j'ai rien d'mandé pour mon élixir ! »
Et sans faire ni une, ni deux, le petit groupe de citadins abandonna le clerc pour se porter au chevet de la demoiselle.

[Taliesin]

Taliesin demeura immobile, la bourse à la main. Il n'allait pas suivre le petit groupe vers le temple d'Ilmater : il avait fait son possible pour la jeune femme. Il pouvait rentrer chez lui, à présent. Il était plus que temps.
Mais il se souvint de ce qu'elle lui avait demandé : aider il ne savait qui. Il hésita une seconde, songea aux étranges éclairs qu'il avait aperçus, puis se tourna vers le clerc.
-Si je vous donne cette bourse... Accepteriez-vous de faire un petit détour avant de rentrer au temple ? J'ai vu un phénomène étrange, avant de croiser cette fille : des éclairs, une lumière... Il y a eu des cris, aussi. Et avant de sombrer dans l'inconscience, elle m'a demandé de "les" aider. Alors, il y a peut-être des blessés...
Jeter un coup d'œil, avec un témoin... Il ne risquait rien, non ? Et s'il n'allait pas voir, il n'en dormirait pas de la nuit, de toute façon. Même s'il n'avait rien promis

[Galathée]

Le clerc dévisagea Taliesin pendant une seconde, les traits congestionnés par une colère résiduelle, avant de soupirer.
« Soit. » répondit-il, avant d’empocher la bourse.

Sur les indications approximatives de l’elfe, ils se mirent en route, descendant vers le sud-est, dans une zone qui n’était plus composée que de grands entrepôts, en bordure du Parc Verdoyant. Le clerc avait sorti sa masse, qu’il tenait devant lui d’une main ferme, aux aguets. Les deux hommes débouchèrent bientôt dans une allée plus vaste. Une odeur étrange, comme de brûlé sans en être, régnait dans l’air. Les bâtiments semblaient intacts. La pluie s’était complètement arrêtée et le sol rutilait. Le vent remonta la rue en gémissant ; quelque part, vers le Parc, un oiseau de nuit cria. Puis le prêtre s’immobilisa.
« Là… » fit-il en désignant quelque chose sur leur gauche, à quelques mètres de distance.
Rien ne bougeait. Trois petits tas difformes étaient disséminés sur les pavés, ne reflétant pas la moindre chaleur. Plus loin, une forme allongée, manifestement un corps, gisait face contre terre. Là encore, Taliesin fut forcé de constater que toute lueur l’avait déserté.

[Taliesin]

Le barde fit quelques pas en avant, cherchant à repérer des détails significatifs sur leurs macabres découvertes. Mais une sourde inquiétude s'éveilla en lui, et il jeta un regard circulaire sur les environs. S'il en jugeait par les éclairs qu'il avait entrevus plus tôt, par l'état de la jeune femme et celui du cadavre étendu non loin, ce qui s'était déchaîné ici était rien moins que rassurant. Et il n'avait pas envie de s'en mêler, de s'exposer. Il avait fait plus que ce qu'il n'aurait dû, déjà.
-A moins que vous ne puissiez ressusciter les morts, je crois que le mieux est d'aller prévenir la garde... lança-t-il au clerc. Vous connaissez mieux la ville que moi : où peut-on en quérir, dans les parages ?

[Galathée]

Le clerc s’était agenouillé à quelques mètres, près de l’un des monticules, et de bout de sa masse, il poussa un objet qui dégringola en cliquetant. Il s’agissait d’ossements.
« Que dites-vous ? » demanda-t-il en relevant les yeux vers l’elfe. « Oh ! Prenez garde !! »
Taliesin tourna la tête vers la source d’un son étrange, peu familier, et aperçut, marchant vers lui, un squelette reconstitué, l’épée courte au poing, le regard vide, mais les intentions manifestement belliqueuses.

[Taliesin]

Les yeux rivés sur la créature, Taliesin recula en direction du clerc, retenant à grand peine un chapelet de jurons. Il aurait dû rentrer directement à la maison. Ne pas chercher à accomplir le vœu proféré par une mourante. Il aurait dû écouter son instinct, et ne pas se jeter tête baissée dans les ennuis. Mais voilà, il l'avait fait, et il se retrouvait sans armes, sans magie, confronté à un danger bien réel. S'il se tirait de ce mauvais pas, il se jura de revenir à ses résolutions de ne plus s'occuper de rien d'autre que des siens.
-Hum, messire clerc, vous m'avez dit tout à l'heure que vous pouviez me changer en petit tas de poussière rien qu'en claquant des doigts... Alors, que diriez-vous d'en faire autant avec notre charmant... et décharné... compagnon ?

[Galathée]

Le clerc incanta à mi-voix, faisant quelques gestes, et le squelette s’arrêta brusquement. Loin de disparaître, cependant, il sembla hésiter un instant, puis fit volte-face et alla se planter contre un mur, s’acharnant à essayer de le traverser.
« Waukyne soit… » grommela le prêtre, en examinant un instant ses doigts.
Puis il prit sa masse, rejoignit le squelette fourvoyé et lui asséna une demi-douzaine de coups, le ramenant au même état que ses trois confrères.
« Saleté. » ajouta-t-il en donnant un bon coup de pied au ramassis d'os.
Il se tourna vers l'elfe, esquissa à nouveaux une série de mouvements, et un rayonnement blanc s'échappa une seconde de son corps, se dissolvant dans l'air.
" Ça va, il n'y en a pas d'autres."

[Taliesin]

L'elfe se massa le front et ne put s'empêcher, malgré les propos du prêtre, d'observer les environs avec anxiété.
-Je disais donc : où pouvons-nous trouver des gardes, à proximité ? J'imagine qu'il va leur falloir fouiller le quartier. Des quelettes en liberté, ce n'est pas exactement rassurant ni propice à l'ordre public...

[Galathée]

Le clerc acquiesça.
« Il y a une caserne pas loin. La police maritime, il me semble. Je ne crois pas qu’ils dépendent directement de la garde, je ne sais pas. Ce n’est pas très loin. »
Il fit quelques pas en direction du cadavre, puis se ravisa.
« On peut pas faire grand chose d’autre, de toute façon. »
Puis il fit volte-face, et se dirigea vers l’ouest, dans une direction pratiquement opposée à celle que Taliesin aurait dû emprunter pour rentrer chez lui.

[Taliesin]

Résigné, Taliesin lui emboîta le pas. Ils marchèrent quelques temps dans l'obscurité, avant de discerner, au loin, l'éclat de torches aux flammes torturées par le vent. En se rapprochant, ils découvrirent une modeste caserne, devant laquelle se tenait un soldat à la mine passablement endormie. L'elfe le salua et, en quelques mots, lui résuma la situation : les éclairs, la jeune femme blessée, les squelettes et le cadavre près des l'entrepôt...
-Il nous a paru urgent de prévenir les autorités... conclut-il. Apparemment, il ne reste plus d'autres squelettes, mais on ne sait jamais. Quant à ce qui les a réveillés, ou attirés...

[Galathée]

Le garde fit passer l’information rapidement et une certaine animation gagna la caserne. Quelques minutes plus tard, un sergent apparut au dehors, suivi par une douzaine d’hommes armés. Il s’entretint rapidement avec le clerc puis se tourna vers Taliesin.
« J’aurais besoin de vos coordonnées, citoyen, au cas où nous devons procéder à un recoupement des informations. » annonça-t-il.

[Taliesin]

-Je comprends... Je me nomme Taliesin. J'habite rue de l'Orme Creux, anciennement la maison du sergent Desmoulins. Et je travaille comme barde à la taverne de la Bienveillance. C'est là où vous aurez le plus de chances de me trouver, en soirée. Je me tiens en tout cas à votre disposition pour répondre à toutes les questions que vous jugerez bon de me poser.
En réalité, il espérait qu'on s'en tiendrait à ses déclarations et qu'on ne viendrait pas l'interroger à l'improviste. Voir débarquer une escouade chez lui ou à la taverne ne serait pas du meilleur effet pour sa réputation déjà discutable.

[Galathée]

« Très bien. Maître Gustave va rester avec nous, il nous guidera jusqu’à la scène. Vous pouvez disposer. J’espère que votre route sera plus tranquille. » dit le sergent en lui serrant brièvement la main.
Les soldats formèrent leurs rangs et s’engagèrent ensuite dans la nuit, sur les pas du clerc que ses nouvelles prérogatives semblaient déjà accaparer entièrement.

[Taliesin]

Sur un dernier regard aux hommes qui s'éloignaient, Taliesin replongea dans la pénombre en direction de son foyer. Il n'avait pas la moindre idée de l'heure qu'il pouvait être. Tard, sans doute, mais peut-être pas autant que ce qu'il pouvait croire : les événements s'étaient enchaînés sans temps morts, sans qu'il puisse réellement réfléchir à ce qui se passait. Au final, il en serait quitte pour quelques mauvais rêves, une grasse matinée... Et, éventuellement, une visite de la garde. Ce n'était pas si dramatique au final. La virée nocturne, vu comme elle avait commencé, aurait pu bien plus mal finir... Il ne fallait pas se réjouir trop vite, cependant : le trajet jusqu'à ses pénates était encore long...

[Taliesin]

Arrivant tout droit de demeure des Megrall, Taliesin passa sans s'arrêter près de l'endroit où Albérich et Euryale avaient été enlevés, puis prit la direction du front de mer. L'entrepôt de la famille du conseiller se trouvait, selon les indication données par l'employé du Syndicat du commerce, dans la Traverse des Marlins. Précisément, c'était le troisième bâtiment en partant du quai. Ce ne serait pas trop dur à trouver, même si l'elfe n'était pas encore totalement familier de ce véritable dédale que constituait le quartier portuaire. Plus que jamais, il était persuadé du manque d'intérêt de la démarche. Mais il avait promis qu'il s'en chargerait, et il était bien décidé à tenir parole.

[Galathée]

En cette fin d’après-midi, le quartier portuaire regorgeait d’activité et Taliesin dut plus d’une fois s’arrêter pour laisser passer un chariot chargé de marchandises ou des hommes en transportant d’autres. Certains carrefours étaient même encombrés au point qu’il fallait se faufiler entre les badauds comme un jour de marché. L’activité commerciale semblait se teinter de frénésie à l’approche de l’hiver. Bientôt, des tempêtes rendraient les voyages en mer hasardeux et les échanges se ralentiraient. Jusque là, chaque seconde devait être exploitée au mieux.
L’elfe finit par trouver le comptoir des Megrall, un vaste entrepôt précédé d’une petite boutique où les armuriers devaient rencontrer leurs clients. Sur la devanture du hangar était inscrit le nom de l’entreprise, en lettres d’or sur fond bleu sombre, suivi par le dessin d’un fléau et d’une épée croisés. Le bâtiment était gardé par quelques hommes en armes et il bourdonnait de la même activité que le reste du quartier. Des hommes y entraient et en sortaient, avec des caisses ou des sacs, parfois presque rien. De la rue, on entendait quelqu’un vociférer à l’intérieur, et même sans pouvoir en deviner les mots, Taliesin reconnut, aux inflexions, une parenté avec le vieux Siegfried qu’il venait de rencontrer.
Le comptoir des Megrall ne se situait ni près, ni loin de l’endroit où avait eu lieu l’embuscade. C’était à quelques rues de là, sans plus.