[Bâtiment] Ambassade de Manost

[Lothringen]

Lothringen se remémora péniblement ces longues heures passées à brasser du vide et à douter de tout, tandis qu'il essayait en vain toutes les positions et que la fatigue lui endolorissait les membres, enflait la gorge et tirait les traits. Il ne se souvenait plus de la façon dont cela s'était terminé, mais il savait que la lutte avait été longue ; à un moment, il avait même cru surprendre la pâleur de l'aube à sa fenêtre...

"J'ai dormi un peu, mais moins qu'il n'aurait fallu, c'est évident", répondit-il en se massant douloureusement les paupières. "Je... je passe beaucoup de temps à essayer d'analyser les événements passés ou à tenter d'anticiper l'avenir. C'est comme de faire une pause quand le jeu va trop vite ; sans cela, je me sens perdu, comme aspiré par une histoire qui ne dépend plus de moi. J'ai besoin de ces moments pour faire le point, me retrouver."

Il sourit tristement, oubliant le gâteau suspendu à mi-parcours.

"Ce ne sont pas les sujets de préoccupation qui manquent, ces temps-ci. J'ai peur pour ta vie, et puis..." Il marqua un temps avant de se décider à finir sa phrase. "Je me pose beaucoup de questions sur nous deux. Nous avons vécu des moments forts ensemble, mais tout est allé très vite..."

[Mornagest]

Ses traits s'étaient attristés lorsque Lothringen évoquait ses difficultés à s'endormir. Il compatissait, souffrant lui-même de façon chronique de ce genre de nuits blanches, insupportables de longueur, de monotonie, et de fatigue accumulée. Mais les derniers mots prononcés le rendaient perplexe et sonnaient désagréablement à ses oreilles.

"C'est certain, mais... je ne suis pas sûr de comprendre ce que tu veux dire par là."

Il n'avait pas envie d'échafauder des suppositions idiotes, il préférait laisser le temps à Lothringen d'expliquer le fond de sa pensée avant de réagir. Un grand changement par rapport à ce qu'il avait déjà pu faire par le passé, où il était bien plus sanguin et prompt à la colère incontrôlée, même envers le semi-drow, souvent sans motif valable. Il s'étonnait lui-même, pour le coup. Il triturait cependant nerveusement un morceau de pain, attendant la réponse de Lothringen.

[Lothringen]

Un simple coup d'œil lui fit regretter de s'être épanché de la sorte. Ce n'était pas vraiment le moment... Ce n'était jamais le moment, en fait, et le malaise croissait doucement tandis que l'urgence leur faisait repousser à plus tard.

Il haussa les épaules, un peu gêné.

"Pas plus que moi lorsque tu m'as dit que tu avais besoin de savoir si nous étions toujours nous-mêmes. Je me demande ce que tu veux, ce que je cherche, et si c'est bien la même chose. Je me demande si je ne t'ai pas forcé la main, orientant notre histoire dans une direction que tu ne désirais peut-être pas... Je me demande comment les choses vont tourner, et ce que nous feront cette cité et ton nouveau poste..."

Il esquissa un sourire qu'il voulut rassurant.

"Rien que ne m'apprenne l'avenir et un peu de patience, mais tu l'auras compris, je suis d'un naturel plutôt anxieux. Et... je n'ai pas vraiment l'habitude."

Tous ces choix à faire, à chaque instant ; tous ces doutes : la rançon de la liberté...

[Mornagest]

Il poussa un soupir intérieur de soulagement. Il se rendait compte qu'il aurait très mal vécu une remise en question du fond de leur relation, même si, quelque part, il aurait compris. Était-ce une vie normale, ce qu'ils vivaient ? Certainement pas. Lothringen avait ses désirs, lui avait les siens... communs ? En partie, seulement. Arriveraient-ils à passer le cap ?

"Forcé la main, sûrement pas. J'ai accepté les propositions que tu m'as faites, dans le bosquet, parce que je savais que c'était sans doute ce qu'il y avait de mieux à faire. Je sais que je suis influençable, mais je doute vraiment que tu aies cherché à me pousser vers quelque chose que je ne désirais pas..."

Il ne doutait pas de Lothringen, mais de lui-même, comme toujours. Mais en ce moment, c'était plutôt l'avenir qui lui était totalement flou.

"Le futur... j'ignore de quoi il sera composé." Peut-être allaient-ils mourir ce soir même ? Peut-être cela connaîtrait-il une fin heureuse ? Comment savoir, sinon laisser les évènements arriver, et agir au mieux pour ne pas se laisser submerger par eux ?

"Je partage tes angoisses. Je pense qu'elles ne m'ont jamais quittées, pas depuis des mois. Mais, quelque part, si je n'ai pas fui depuis tout ce temps, c'est que j'ai encore l'espoir que tout ceci se termine bien."

Il sourit faiblement pour appuyer ses dires. Il espérait, oui.

[Lothringen]

A moins que tu n'aies renoncé à me fuir pour la même raison que tu t'accroches à une cité où l'on te manipule...

Il garda cette réflexion pour lui, tout en avalant son gâteau par bouchées. Quand ils en auraient fini avec cette affaire, ça irait mieux. Du moins auraient-ils un répit de quelques jours : ils se l'étaient promis. Lothringen se rendit compte qu'il attendait ce moment avec une impatience qui devenait de jour en jour plus douloureuse. Ils étaient l'un près de l'autre, mais pouvaient si rarement se parler à cœur ouvert ; et quand ils le pouvaient, l'urgence de la situation prenait le devant de la scène. Sauf peut-être ce matin...

Les doutes de Lothringen étaient plus profonds qu'il ne semblait. Il se rappelait sur quels malaises s'étaient conclues leurs deux dernières nuits au bosquet : le temps ne faisait rien à l'affaire...

[Mornagest]

Le silence s'était établi entre eux deux, pesant, gênant. Le guerrier ne savait qu'ajouter à cela. Ses idées étaient déjà tellement confuses, que les mettre en ordre et les expliquer de vive voix lui paraissait insurmontable. Mais il avait conscience que cela pesait également sur Lothringen, qui souhaitait une réponse ferme, précise, rassurante... une réponse qu'il ne pouvait lui-même se donner. Qu'était-il ? Où allait-il ? Pourquoi ? Désespérant, parfois...

Nerveusement maintenant, il mastiquait sans goût sa part de gâteau. Il lui donnait une saveur âcre en bouche. Il ne pourrait plus jamais en manger sans penser à ce moment sinistre. Il voulait briser le silence, mais il ignorait comment. Il leva les yeux vers le semi-drow, espérant lui arracher une réponse, et il surprit son air triste, presque résigné. Il déglutit avec difficulté, puis parvint tout de même à prononcer :

"L'heure est sombre. Ce n'est sans doute pas le meilleur moment pour réfléchir à tout ça... on a tendance à tout voir en noir dans ces cas-là. Je... je pense que ça ira mieux quand tout ceci sera terminé."

[Lothringen]

"Quand tout ceci sera fini." Cela revient comme une antienne... Mais en ceci comme dans notre enquête, la vérité est que nous piétinons.

Lothringen dut faire un violent effort sur lui-même pour se décider à répondre, et ne réussit d'abord qu'à lâcher un soupir involontaire.

"Tu as raison, ce n'est pas le moment, et rien ne sert d'en rajouter."

Dire qu'ils venaient de faire les imbéciles avec tellement de conviction, quelques instants plus tôt... Il s'en voulait.

"J'ai un réel talent pour gâcher les choses, on dirait."

Il se leva de table.

"Reste encore un peu si tu veux ? Je vais voir où en sont nos chances d'en finir un jour avec ce jeu de cache-cache."

C'est-à-dire qu'il voulait voir si ses subordonnés avaient quoi que ce soit de nouveau à leur apprendre. A défaut, ils n'avaient pas fini de tourner en rond.

[Mornagest]

Il protesta.

"Ne dis pas n'importe quoi. Ces questions... elles sont importantes. Primordiales, même. Le sujet est délicat, c'est pour cela que nous avons du mal à en parler sérieusement, sans... enfin, tu vois bien, je ne fais qu'énoncer des généralités, je ne sais pas où nous allons, voilà tout. Moi aussi, j'aimerais savoir."

Il hésitait à accompagner Lothringen. Peut-être avait-il besoin de rester seul un moment ? Il sentait assez mal ces choses, et il décida de rester assis en l'attendant.

[Lothringen]

Il avait écouté ces dernières paroles sans réagir, se contentant d'un sourire désabusé.

"Je sais, dit-il seulement. Je sais tout cela. Ne t'inquiète pas, le moment venu, je ne dévierai pas de la voie que j'ai choisie ; tu peux compter sur moi."

Mais vu que je suis en train de prendre parti dans des intrigues qui engagent mon pays sans qu'il le sache, que je demande aux hommes que je dois protéger de se battre ou de mourir pour nous, il serait bon de savoir quelle est ma cause...

Ces pensées en tête, il retourna vers les bureaux des principaux responsables de l'ambassade, en quête de l'ambassadeur ou du chef des renseignements. A cette heure-ci, ils devraient être à leur poste.

[Mornagest]

Il finit par se décider à chercher d'abord après l'ambassadeur. Celui-ci se trouvait bien à son bureau, assis derrière une pile de documents en attente d'être lus, relus et analysés dans leur moindre détails. Il examinait en ce moment même une liasse de parchemins dont les notes étaient, semblait-il, rédigées à la hâte.

"Messire Lothringen. Content de vous voir. Je lisais justement une série de notes de notre homme concernant cette fameuse taverne, ainsi que d'autres remarques sur les conseillers. Nos espions ont bien travaillé. Mais, asseyez-vous, je vous en prie. Par quoi voulez-vous commencer ?"

[Lothringen]

Lothringen salua, non sans songer avec une fugitive honte que d'autres travaillaient pendant qu'il s'attardait au lit jusqu'à point d'heure.

"Messire Ortéguy..."*

Répondant à l'invitation, il prit place en face du bureau, tout en réfléchissant à l'alternative proposée. Peut-être y avait-il des va et vient intéressants dans cette taverne, mais sans connaître les intentions et les tireurs de ficelle, on n'en tirerait pas grand chose. Quant à ces remarques sur les conseillers... Il se souvenait bien des propos de monsieur T. - tissu de mensonges dont il lui serait difficile d'effacer le souvenir, trop vite confondu avec ce qu'il savait par ailleurs. Il se trouva d'autant plus friand de ces compléments d'information qu'il ne les avait pas vraiment espérés.

"Voyons ce que nos espions pourront nous apprendre à propos du Conseil."

*Votre PNJ récurrent vient de gagner un niveau ! Le voilà doté d'un nom propre.

[Mornagest]

"Bien." Il fouilla rapidement dans les parchemins pour en sortir plusieurs, couverts de notes plus ou moins illisibles. Des flèches, des espèces de points d'interrogation parcouraient l'ensemble des documents.

"Toutes les informations que je vais vous révéler sont à prendre avec précautions, vous vous en doutez... Dargor semble bien avoir agi de son côté. Sa secte de fanatiques était inconnue des autres conseillers, d'après ce que nos hommes ont pu entendre. Il n'a pas d'allié connu au sein du conseil, mais il est suffisamment bien vu pour n'attirer les foudres de personne. Son réseau de connaissances dans l'administration mélandienne est plutôt curieux ; j'ignore d'où il vient, et même qui l'a nommé. Peut-être Seina, le barde... mais dans ce cas, il bénéficierait d'une réputation plus douteuse. Bref, il cachait bien son jeu jusqu'à maintenant. Le chancelier aura peut-être cette carte à jouer à un moment ou un autre."

Il consulta un autre parchemin.

"Terenas, maintenant. Ce qu'on sait de lui rejoint les indications de notre espion ; il se rend tous les soirs dans une taverne ignoble où résident la crème des truands mélandiens. Vous pourrez constater cela vous-mêmes... assassins, prêtres déchus, trafiquants d'armes, de drogues et de tout ce que vous pouvez imaginer. Il semble connaître beaucoup de monde là-bas, et il y conclut visiblement des affaires avec toutes ces personnes charmantes. Malheureusement, nous n'avons pas pu établir de lien certain entre ses pratiques et la tentative d'assassinat sur le chancelier. Cela dit, le dernier, Enetos..." il retrouva le papier le concernant "ah, voilà. Enetos, lui, n'a pas de vice caché. Ou alors, bien caché... il a évidemment des contacts de ci, de là, mais il n'entretient pas de liens directs avec les milieux occultes de la cité. Apparemment en bons termes avec Devir, ce qui tendrait à penser qu'il est étranger à ce complot."

Il rassembla les parchemins relatifs au conseil mélandien, puis en fit un tas plus ou moins ordonné.

"Un avis sur la question ?"

[Lothringen]

Lothringen prit quelques instants pour confronter ces éléments à ce qu'il avait en mémoire.

"Tout ce que vous me dites ne fait que confirmer ce que j'ai appris par un autre informateur, bien moins fiable que nos agents... A ceci près que cet homme nous a indiqué Enetos comme étant l'instigateur de cette secte démoniaque. Enetos, et non Dargor. Il n'était apparemment pas en contentieux avec Dargor ni avec le chancelier, du moins pas qu'ils le sachent, puisque tous deux étaient en affaires avec lui... Et, curieusement, ce faux indic ne se trompe pas quand il s'agit de dénoncer Terenas dans son bouge ?

Il nous faut donc supposer qu'il travaille pour Enetos... Et que ce dernier a très envie de voir ses collègues s'entretuer. Nous manquons de preuves, évidemment. On pourra toujours prétendre que cet indic a agi de son propre chef, mais qui le croira ? C'est jouer bien gros pour qui n'a pas d'arrières... Essayez de concentrer les efforts de nos hommes sur cet individu, un certain Monsieur T., propriétaire d'un bouge, dans le quartier pauvre, pas très loin de l'autre, d'ailleurs. Et sur Enetos, si possible...

Mais pour l'instant, parlez-moi du rapport sur la taverne."

[Mornagest]

L'ambassadeur griffonna quelques notes concernant l'intéressé, afin de concentrer les recherches d'informations sur son compte. Puis il répondit à Lothringen.

"Comme je vous l'ai dit, la taverne est belle et bien fréquentée par Terenas. Elle est bondée le soir et la nuit. En matinée et en journée, seuls les poivrots classiques y vont. Plus tard, la population change grandement, et c'est visiblement le point central de tous les trafiquants du quartier. De nombreuses transactions s'y déroulent... notre espion a pu sans problème se procurer du lotus noir, et a même pu comparer les tarifs de trois trafiquants... il y a également aperçu des gardes impériaux... preuve supplémentaire que le conseil ferme les yeux sur ces pratiques scandaleuses."

Il fouilla de nouveau ses notes, puis acheva :

"On peut apparemment y passer également la nuit, en compagnie de... disons, de ce qui vous plaît."

Un véritable paradis pour les gens de peu de vertu, en somme. Un héritage sympathique pour le chancelier fraîchement émoulu...

[Lothringen]

Lothringen décroisa les jambes pour les étendre quelques instants.

"Je vois mal ces aimables hommes d'affaire se réunir à portée d'oreilles de tous les visiteurs. Des précisions sur l'agencement des lieux ?"

S'introduire dans le bâtiment serait relativement aisé, mais l'essentiel était de savoir où chercher ensuite. Lothringen ne savait plus trop si une visite de l'endroit s'avèrerait si utile que ça, désormais. Foncer dans le tas ne leur apprendrait pas ce qu'ils voulaient savoir, c'était certain. La culpabilité de Terenas devenait en outre plus que douteuse. Quant à surprendre des informations... Par la magie, possible... Réussite aléatoire, mais cela valait peut-être le coup d'essayer.

[Mornagest]

"Il y a plusieurs recoins peu ou prou discrets, dans lesquels les gens peuvent aller discuter tranquillement... sans crainte d'être écoutés. Je pense - mais cela n'engage que moi - qu'une bonne partie des gens de cette taverne sont des gardes du corps plus ou moins attitrés de ce Terenas et ses lieutenants. Une troupe de vingt maladrins pour vous défendre, vicieux et sans pitié, c'est mieux qu'une escorte de garde impériaux, apparemment."

Il parcourut encore un instant ses notes, cherchant des yeux s'il n'avait pas omis un point important, puis conclut :

"Voilà pour l'essentiel... si vous avez d'autres questions, conseiller ? Je peux également donner d'autres ordres à notre homme, si vous le désirez."

[Lothringen]

Lothringen prit le temps de la réflexion.

"Il y a plusieurs pistes que nous avons omis de suivre en leur temps, et qui sont peut-être froides, et peut-être pas. Alors que j'ignorais qui était impliqué dans l'attentat, après avoir fait soigner le chancelier, j'ai envoyé un prêtre de Talos prévenir les autres membres du Conseil à l'Antichambre. Peut-être a-t-il parlé devant tous, et peut-être pas... Il s'agirait de découvrir à qui il a parlé. Cette personne-là nous a envoyé trois assassins."

Nouveau temps mort.

"Mais n'y envoyez pas notre homme. Je préfère qu'il reste dans les alentours de la taverne, disponible pour porter un message ou chercher du renfort, dans l'éventualité où nous irions y faire un tour."

Iraient-ils ? Il fallait qu'il en parle à Mornagest. Et qu'ils s'entendent bien sur leurs objectifs...

"D'ailleurs, je ne suis pas certain d'avoir bien compris ce que vous me disiez au sujet de la tierce activité de cette taverne, après les négociations commerciales et la boisson. Loue-t-elle des chambres à l'heure, ou fournit-elle elle-même la "compagnie" ?"

Ceci pour savoir s'ils pourraient s'y introduire par ce biais, ou s'il fallait rejeter cette éventualité au rang des idées bancales.

[Mornagest]

Ortéguy inscrivit promptement les indications de Lothringen afin d'envoyer plus tard un autre espion enquêter sur la question.

"J'ai d'autres hommes à disposition pour surveiller ce prêtre. Nous pourrons peut-être en apprendre plus par là. C'est une piste à creuser, en tous les cas. Concernant la taverne, j'ai pu comprendre que les clients pouvaient choisir d'amener eux-même leur compagnie, mais qu'un certain autre type était également, hum, disponible à l'intérieur. Des enfants, d'après notre espion."

Il fit une moue dégoûtée. Les mœurs mélandiennes lui étaient décidément impossible à concevoir.

[Lothringen]

Cette moue-là n'était rien en regard de celle de Lothringen ; ce n'était plus de l'écœurement, c'était de la nausée. En un instant, la carnation du semi-drow avait tourné au gris pâle - c'était à croire qu'il avait vomir sur le champ. Le temps d'un coup de poignard, sa propre histoire lui était elle aussi revenue en mémoire : il lui serait fort difficile de faire abstraction de cet aspect-là de la taverne, s'il s'y rendait. Après les sacrifices rituels et les vierges éventrées, les viols de prépubères - il ne faisait décidément pas bon grandir dans cette cité...

"Je vois".

Sa voix était glacée. Comme pour dissuader son interlocuteur de prononcer le moindre mot de plus.

Mornagest. Il faut que je le retrouve. Maintenant.

Lothringen se leva.

"Je n'ai pas d'autre question ni d'autre consigne pour le moment ; il va me falloir discuter plus avant de tout ceci avec le chancelier. Il me reste à vous remercier pour votre travail, et à vous demander de transmettre ces compliments à nos espions ; il est bon de pouvoir compter sur eux en des moments comme celui-ci. Sur ce, à très bientôt sans doute..."

Sur ces mots, il prit congé et retourna auprès de Mornagest, demeuré dans la salle à manger, à tromper son ennui en engloutissant plat sur plat. Lothringen accueillit cette vision avec un pâle sourire - il avait rarement été aussi heureux de le revoir.

"Nous avons du nouveau..."

Et il fit un rapport fidèle de sa discussion avec Ortéguy.

[Mornagest]

Il écouta jusqu'au bout le récit de Lothringen, tout en serrant les poings. Des fanatiques, des violeurs, des trafiquants. Voilà avec quoi il devrait composer pour régir la cité... à moins de purger tout cela et nommer des personnes de confiance. Cela s'avèrerait peut-être même moins dangereux ; des conseillers de cette nature ne pouvaient être autre chose qu'un danger à plus ou moins long terme. Le complot contre lui en était la preuve directe...

"Quel est ton sentiment vis-à-vis de tout cela ? Les pistes sont brouillées... à cette taverne, nous pourrions en apprendre beaucoup, mais c'est risqué. L'option du talassien peut aussi nous mener quelque part, tout comme nous semer n'importe où..."

Il enrageait de ne savoir que faire. Il avait longtemps vécu une existence où des choix directs s'imposaient à lui, où tout se décidait pour les heures à venir... prévoir, juger, estimer, tempérer et mûrir, tout cela était nouveau, et s'il avait jusqu'ici survécu, c'était en grande partie grâce à la sagesse de Lothringen, qui décidait de manière bien plus pragmatique que lui.

[Lothringen]

Lothringen réfléchit quelques instants. Il partageait le sentiment de Mornagest ; ces pistes étaient bien minces, et bien aléatoires... mais ils n'avaient pas mieux sous la main.

"Nous manquons encore d'informations, ou pour mieux dire, de certitudes. Nous pourrions évidemment nous terrer ici pendant des jours et attendre que les espions nous en apprennent davantage... Mais je ne crois pas que le temps joue pour nous."

Se rendre dans cette taverne, c'était se jeter dans la gueule du loup, et en prime, il ne s'agirait sans doute pas du bon prédateur... Comme aux cryptes.

"Si nous agissons prudemment, ce bouge peut nous permettre d'en apprendre beaucoup, en effet. En tout cas sur les activités de Terenas... C'est aussi un excellent moyen de nous faire piéger sans secours possible. Alors, il faut bien nous entendre sur ce que nous attendrions d'une telle expédition, et sur les précautions à prendre..."

Il se tut un moment.

"Il ne faudra pas se trahir. En serons-nous capables ?"

Il doutait de lui-même autant que de Mornagest. L'un comme l'autre pouvaient se montrer beaucoup trop impulsifs, et pas toujours très bons acteurs...

[Mornagest]

Jouer la comédie n'avait jamais été son fort ; l'occasion de se tester, peut-être... mais il ne s'agissait pas là d'un jeu, hélas.

"Tu penses à nous introduire là-bas sous le couvert d'un déguisement ou d'une métamorphose ? Hum... il faudrait bien se mettre d'accord sur nos raisons d'être là-bas, ne pas déraper et... que j'apprenne à tenir ma langue", ajouta-t-il avec un soupçon d'humour. Leur jeune âge jouait en leur défaveur ; ils étaient fougueux et impulsifs, chacun à leur manière.

"Quel serait notre motif ? Se fournir en drogues ? En armes ? J'ai plus de connaissances dans les épées que dans les substances bizarres, pour ma part."

Il se mit soudain à rire, un peu nerveusement, alors que son compagnon lui jeta un coup d'œil interrogateur. Lorsqu'il se calma, il expliqua :

"Hum... je m'imaginais métamorphosé en nain bourru venu trafiquer des haches de bataille... tu imagines le tableau ?"

[Lothringen]

Lothringen tordit un sourire. En fait, il l'imaginait assez bien ; ce serait le genre de rôle que Mornagest aurait peu de peine à jouer. Mais il y avait des mais.

"Des trafiquants d'arme... Hum, ça me semble bancal. Je doute que l'on puisse approcher le marché sans être connu de Terenas, ou sans s'être fait parrainer. L'irruption fortuite d'un nouvel acteur attirerait l'attention... et la défiance. Venir en quête de drogue est déjà plus aisé. Pas besoin de grandes connaissances alchimiques pour feindre l'addiction, payer sa dose et s'éclipser.

Pour ma part, je n'ai pas besoin, et je déconseille, de rester longuement sur place, à tendre l'oreille. Il me suffirait d'avoir eu une vision des lieux, et alors je pourrais me retirer en un lieu plus sûr pour espionner magiquement. Clairaudience, scrutation... les deux sont viables. Mais je ne peux espionner ainsi qu'un endroit à la fois."

Que faire en outre si les individus changeaient tout simplement de pièce ? La soirée serait perdue. Après une inspiration, il se résolut à évoquer une autre solution qui ne lui plaisait guère, mais qui avait un avantage décisif sur les autres...

"Une autre solution est d'entrer sous prétexte de louer une chambre de leur bordel. Cela nous donne un lieu à nous dans la place... Mais c'est aussi nous plonger au cœur de leurs turpitudes. Je crois que cela peut être assez pénible, cependant... Car nous ne sommes pas là pour mettre fin à leurs trafics, n'est-ce pas ?"

Ses traits se crispaient sous l'effort. S'il s'écoutait ? Il invoquait Tymora, et détruisait cet endroit pierre par pierre, par le fer et par le feu, jusqu'à ce que toute sa souillure ne soit plus que cendres fumantes sous les gravats. Mais leur objectif était autre, indifférent à tout cela... N'est-ce pas ?

[Mornagest]

Mettre fin à tous ces trafics... les dieux savaient combien Mornagest détestait ces pratiques odieuses. Il s'était parfois, souvent même, estimé mauvais, brutal, impulsif et à l'âme noircie par la rancœur et la haine, mais qu'était-ce en comparaison de ces ignominies sans nom ?

"Hum..." L'idée même de demander à passer la nuit avec un enfant lui faisait froid dans le dos. "Demander de la drogue me répugnerait nettement moins, tout de même. À moins que cela nous ouvre la porte vers d'autres indices, je préfèrerais éviter ta deuxième solution. Sauf si tu veux... comment dire ? Si tu veux débarrasser la cité de ces crapules. Mais je doute que ce soit utile... sitôt ceux-ci éliminés, d'autres prendront leur place, je le crains."

L'éternel renouveau de la criminalité dans un endroit comme Melandis ne datait pas d'hier ; du reste, il avait également cours partout ailleurs, à Manost, à Lumenis... et même dans les endroits moins peuplés. Où la paix résidait-elle ? Où pouvait-on vivre en toute quiétude pour ses proches et soi-même ? La mort était-elle le seul échappatoire ? Il se refusait de songer encore à cela, même s'il dut faire un effort pour se changer les idées.

"C'est toi qui décides. Ça dépend également de tes sortilèges, si je comprends bien."

[Lothringen]

"Ce n'est pas parce que d'autres le referont que je supporterais aisément d'y assister sans rien faire," répliqua Lothringen en soupirant. "Mais tu as raison, autant choisir la solution par défaut, et nous ne changerons de stratégie que si elle vient à échouer. Nous disions donc, nous faire passer pour des drogués, juste le temps d'observer les lieux et de repérer où se tiennent les discussions intéressantes... Après cela, nous sortons.

Le sort de scrutation me permet de suivre une personne préalablement identifiée, où qu'elle aille: il faudrait donc pour cela que tu me montres le conseiller. Mais il me faut un miroir d'argent poli pour lancer ce sort, et je n'ai cela qu'à l'ambassade. En outre, l'incantation est très longue... Clairaudience et clairvoyance sont d'incantation plus faciles, mais le capteur reste fixe. Hum. Ils suffiront sans doute."

Il réfléchit encore quelques instants.

"Entrons séparément, ce sera plus discret. Les intoxiqués du lotus noir ne sont guère sociables, en règle générale... Vois-tu autre chose à mettre au point maintenant ?"

Après ce qu'il s'était passé aux cryptes, il n'aimait pas beaucoup l'idée de cette expédition, si modeste qu'elle puisse paraître. Mais ils manquaient de pistes...

[Mornagest]

La perspective de se rendre de la sorte dans la gueule du loup ne l'enchantait guère, mais avaient-ils le choix ? Ils devaient rattraper un retard certain sur leurs ennemis, qui risquaient à tout moment de les prendre au piège. Plus ils attendaient, plus leurs chances de réussite s'amenuisaient, hélas.

"A priori, non... j'espère juste que nous n'aurons pas de surprises en arrivant là-bas. Mais, si nous devions changer de stratégie, comment ferons-nous ? Une nouvelle apparence ?"

Restait également à déterminer le moment où ils se rendraient dans ce bouge infâme. En soirée semblait plus approprié pour rencontrer Terenas, mais cela impliquait probablement qu'il y aurait plus de monde sur place... plus de dangers. Il fit part de ses sentiments à Lothringen.

[Lothringen]

Il acquiesça.

"Plus de danger, mais je ne vois pas l'intérêt d'observer une taverne d'ivrognes, et c'est ce à quoi l'endroit se résume en journée. Quant aux explorations préalables... Hum, en fait de sécurité, n'était-ce pas ce qu'était censé être notre visite aux cryptes ?" remarqua-t-il en souriant. "Le repérage a déjà été fait cette fois-ci, je pense inutile d'y revenir", reprit-il plus sérieusement.

"Et pour la solution de rechange... Ma foi, cela dépend du problème rencontré. Il est hors de question de vouloir affronter Terenas en un tel endroit, je pense. Une prompte retraite si nous nous sentons repérés. Et un nouveau déguisement, peut-être. Ou un renoncement pur et simple, après tout ! J'en sais trop peu sur ce que nous pourrions trouver là-bas... Peut-être rien d'utile, qui sait ?"

Il esquissa un geste d'impuissance. Il suffirait de pas grand chose - absence de Terenas ce soir-là, conversation qui tourne sur tout autre chose que ce qui les intéressait, nombreux changements de salle - pour que l'opération fasse un complet chou blanc.

[Mornagest]

"En effet... j'espère qu'au moins nous nous en sortirons indemnes, ou peu s'en faut."

Il goûtait assez peu les combats ratés comme leur dernier en date, finalement. Du reste, Lothringen avait entièrement raison. Attaquer dans la taverne serait signer leur arrêt de mort ; les malandrins présents lorsque Terenas était là devaient être peu ou prou à sa solde, ou sous son contrôle plus ou moins étroit. Ils finiraient bardés de dagues en un clin d'œil.

Une petite erreur de leur part pourrait autrement leur être fatale. Si Terenas avait bel et bien organisé ce complot contre lui, s'ils venaient à être découverts, ils ne finiraient que très rapidement à l'état de cadavres, excepté si l'homme voulait s'amuser un peu avec eux auparavant... qui sait ? Peut-être avait-il également sous ses ordres, des nécromanciens déments qui seraient ravis de pouvoir disséquer vivants des ex-chanceliers ou des semi-drows... il retint un frisson. Morbides pensées...

"Il ne nous reste plus qu'à attendre ce soir, alors, et que la fête commence."

La préparation de leur exploration proprement dite ne prendrait guère de temps. Seule l'incantation de Lothringen était nécessaire. Quant au trajet...

"Mais, euh, on y va à pied ?", demanda-t-il timidement.

hrp : si tu veux poursuivre sur une ellipse jusqu'en début de soirée, ne t'en prive pas

[Lothringen]

Il faudrait arriver à pied. Mais il ne fallait pas qu'on puisse les suivre depuis l'ambassade, probablement étroitement surveillée désormais. Bah. Il y avait certains recoins, dans le jardin de la mélancolie, où ils étaient à peu près certains de pouvoir se rematérialiser sans être vus. Un bon point de départ pour des drogués, à ce qu'il avait cru comprendre...

L'après-midi fut longue. Aucune nouvelle ne revenait des nouvelles investigations ordonnées par le conseiller manostien, ni même des événements en ville. Le nouveau chancelier avait été assassiné en public deux jours plus tôt, personne ne savait où était son corps, personne n'osait interpréter ce qu'il s'était passé, pas plus que la disparition du conseiller Dargor, survenue la veille. Les chuchotis s'étaient taris à mesure que le complot semblait prendre de l'ampleur. Personne n'avait rien vu, rien dit. Melandis recouvrait ces petits drames ordinaires comme l'eau putride d'un égout signale de quelques bulles l'engloutissement d'un cadavre, avant de recouvrer aussitôt sa trompeuse uniformité de bonasse.

Lothringen avait soigné ses sortilèges. Il avait pris pour lui le déguisement, et adopté l'apparence d'un ouvrier bâtisseur en sarrau de toile sale. Il avait réservé à Mornagest la métamorphose (son gabarit valant signalement à lui tout seul) et opté pour l'allure du sicaire entre deux contrats. A l'un comme à l'autre, il avait donné les traits creusés et le teint bistre si caractéristiques des victimes de la poudre noire. Il les connaissait bien : le trafic de lotus noir avait à Manost beaucoup de succès, hélas. Les autorités fermaient les yeux tant que ces gens ne venaient pas agressifs ou voleurs, préférant s'en tenir à la répression que de s'attaquer directement aux trafiquants. On avait fini par surnommer ces pauvres hères les "Bienheureux", à cause du sourire extatique qu'ils affichaient lorsque la poudre les mettait en transe...

Avant de lancer sa téléportation, le semi-drow fit l'inventaire de ce qu'ils avaient convenu.

"Mes haches sont dissimulées sous le déguisement, mais bien présentes. Dès l'arrivée au jardin, nous nous séparons et marchons quelques temps, le temps de vérifier que nous ne sommes pas repérés, puis nous nous rendons séparément sur les lieux, aux alentours du crépuscule. Si tu as besoin de me parler discrètement quand on sera là-bas, va aux latrines... Peut-être pourrai-je y lancer mon sort de clairaudience, d'ailleurs. Si tu te sens repéré dans la taverne, ne prends pas de risque :essaie de filer rapidement. Il y aura un de nos hommes dans les parages, pour surveiller ce qu'il se passe. Il inspira profondément. Est-ce que je n'oublie rien? "

[Mornagest]

Le programme paraissait simple. Malheureusement, tout ce qu'il prévoyait, en général, ne se passait pas, mais alors là, pas du tout comme prévu. En attestaient les péripéties qu'il avait vécues avec Lothringen, depuis sa première entrevue avec lui à Manost, jusqu'à leur épopée dans la fange des égouts de Melandis. Il soupira intérieurement. Que leur arriverait-il, cette fois ? Un gigantesque complot au sein de la taverne ? Une lame plongeant dans le dos, quelque part dans un recoin de la cité, où même les mendiants n'osaient s'aventurer ?

"Combien de temps restons-nous ?", demanda-t-il simplement. Impensable de songer à une quelconque offensive le soir même. Il leur faudrait rassembler leurs informations et décider de la marche à suivre pour confondre Terenas...

"Tu attends autre chose de moi que d'écouter et marchander avec les trafiquants ?" La partie sortilèges ne pouvant être assurée que par Lothringen, il se bornerait à observer de tous ses sens pendant cette soirée, sauf si le semi-drow avait une autre idée en tête. Peut-être l'envoyer lutter contre un autre bœuf, comme chez monsieur T.