[Habitation] L'escale

[Althéa]

Cuisine


Garder son calme. Ne pas crier, ne pas montrer ni sa peur ni sa faiblesse, ne pas donner le moindre motif qui déclencherait la violence. Et pourtant, elle était effrayée. Le goût du sang dont quelques goûtes étaient parvenues jusqu'à sa bouche lui donnèrent un haut le cœur. Elle parvint à éviter de vomir juste à temps. Sa tempe meurtrie lui lançait douloureusement et elle craignit que sa cicatrice ancienne ne se soit rouverte à cause du coup. Garder le contrôle. Pas un soupir, pas un gémissement. Ne pas laisser couler la moindre larme. Garder le contrôle. Et le contrôle de sa vessie qui n'attendait qu'une occasion pour se relâcher. Non, elle n'allait pas se pisser dessus. Elle se força à respirer calmement pour se calmer. Les liens trop serrés lui mordaient les poignets. Non, ne pas penser. Pas à cela. Elle s'imagina sa fille, dormant au Loyal Paladin, veillée par Titoeil. Elle n'avait pas eu le cœur de la réveiller pour l'exposer à l'air froid de la nuit. Elle était loin de tout cela ... Elle essaya de ne pas imaginer ce qui se serait passé si elle l'avait emmenée avec elle.

Le bibendum la fixait. Elle n'avait aucun mal à l'imaginer éructant et bavant de rage, tout en se jetant sur d'infortunés adversaires. Elle se garda bien de soutenir son regard. Il y avait une seconde personne derrière elle. Inutile de se dévisser le cou pour tenter de la voir. Pas la peine de lui répondre, il avait bien vu qu'elle avait repris connaissance. Et sa voix trahirait sa terreur. Elle hocha donc la tête.

[Mornagest]

"Bien", poursuivit la voix. Elle n'était pas déformée intentionnellement, mais plutôt suite à une consommation excessive de tabac, qui l'avait rendue rauque. Elle appartenait à un homme, probablement mûr. Posée, sans agressivité évidente dans le ton. Tout cela, Althéa l'enregistrait plus ou moins consciemment, dans un recoin de son esprit, tandis que la majeure partie de celui-ci exprimait une seule chose : la peur, pure et dure, qui lui tenaillait les intestins et manquait lui arracher des larmes ; ce qui aurait probablement des conséquences fâcheuses.

"J'irai droit au but, nous attendons beaucoup de vous. J'espère donc que vous ne commettrez aucun impair. Ce serait... regrettable."

À nouveau, la voix paraissait énoncer une constatation sur le temps qu'il faisait, alors que la menace pesait lourdement sur les épaules de la jeune femme. Ce détachement la fit frissonner malgré elle, mais personne ne lui en tint rigueur, du moins, oralement.

"Nous cherchons à obtenir certaines informations qui sont cruciales pour nous. Si vous vous montrez raisonnable, tout se passera bien.
- Sinon, cette cave risque d'être le dernier endroit que vous verrez", poursuivit immédiatement une autre voix, plus haut perchée, avec un accent léger. Elle lui fit l'effet d'une lame de rasoir courant le long de sa joue. Nouveau frisson, plus prolongé.

"Nous avons eu connaissance des relations que vous avez avec le conseiller à la diplomatie. Il est momentanément absent de la cité, mais nous ignorons jusque quand, et pourquoi. C'est là que vous intervenez, très chère... que savez-vous à ce sujet ?"

La voix s'était faite mielleuse, mais l'interrogation finale portait un soupçon d'agressivité ; sans doute pour éviter que la bretteuse ne prenne les menaces à la légère.

[Althéa]

Où était Lothringen ? Elle n'en avait aucune idée. Il venait les voir de temps en temps, elle et sa fille. S'il se montrait un père patient et attentif, il était clair qu'il avait fait une croix sur leur brève histoire. Certes, il se montrait prévenant, lui demandant souvent si elle n'avait besoin de rien mais tout le reste allait désormais à cette inconnue pour qui il s'absentait de plus en plus souvent. Elle n'avait pas cherché à savoir ni espéré plus de leur relation. Il l'avait prévenue, elle avait accepté. Même si cela lui faisait mal, elle commençait à se faire une raison. Elle était et resterait seule. Si elle s'était trop attachée, elle ne pourrait s'en prendre qu'à elle même. Pas de rancœur, juste de la peine.

Mais ce qu'elle ressentait maintenant, c'était la peur. La peur primale, venue du fond des âges. La peur d'avoir mal, de mourir là dans cette cave voûtée qui puait l'humidité et où l'on ne retrouvait jamais son cadavre. Elle laissa échapper un sanglot, ce qui fit sourire le bibendum céleste en face d'elle. Calme, retrouver son calme. Ne pas céder, ne pas hurler. Se concentrer sur sa respiration. Réfléchir.

Les hommes, et la femme peut être, à moins qu'il ne s'agisse d'un eunuque cherchaient à savoir quelque chose sur Lothringen. Quelque chose en rapport avec ses voyages. Visiblement, on cherchait à le discréditer, une fois n'était pas coutume. Elle se souvint d'une tentative avortée au théâtre de Manost alors qu'il se trouvait en compagnie du conseiller Mélandien. Lothringen était le conseiller de l'ouverture, non helmite et de elfe noir de surcroît. Il avait apporté à la ville un visage quelque peu différent et cela ne plaisait visiblement pas à tout le monde. Mais quel rapport avec ses voyages. Avait on eu vent de sa relation avec l'étrangère ? L'avaient ils identifiée ? Et comment savaient ils pour leur relation ? Les manostiens sans doute. Les cancans se propageaient vite. Ils étaient peut être au courant pour Leodacya. Oh, Valkur faites qu'ils ne sachent pas où ils se trouvent. Protégez-la. Faites qu'elle ne soit pas mêlée à tout ça. Elle n'a rien à voir avec toutes ces histoires. Elle se fiche de savoir où va son père tant qu'il est là quand elle a besoin de lui. Elle préférait mourir plutôt que de les voir toucher un seul de ses cheveux ...

Et que pouvait elle répondre ? Même si elle avait voulu dire quoi que ce soit, ce qui n'était uniquement le cas, elle n'avait aucune idée des projets du semi drow. Leurs projets respectifs ne regardaient qu'eux. Ils avaient passé depuis longtemps cet accord tacite et n'étaient encore jamais revenus dessus.

Mais là, elle savait qu'elle risquait de payer pour une réponses non satisfaisante ou trop évasive. Un "je ne sais pas" pourrait avoir des conséquences dramatiques. Un mensonge aussi. Vite, trouver quelque chose.

"Quand je suis venue le trouver il y a deux jours, il n'était pas là. On dit qu'un diplomate luménien est venu le voir il y a peu, pour affaires. Peut être est il allé là bas ..."

Elle avait parlé d'une voix éraillée, tremblante et malhabile, comme si elle peinait à retrouver ses mots.

[Mornagest]

La réponse fut immédiate. La jeune femme ressentit une vive douleur à la joue, puis se rendit compte, malgré le fait qu'elle se retrouva quelque peu sonnée, que c'était la grande brute qui lui avait asséné un coup de poing au visage, avec une vitesse si fulgurante qu'elle ne l'avait même pas vu venir.

"Te fous pas de notre gueule", lança la voix haut perchée derrière elle. "Il a pas reçu de luménien depuis longtemps. Il était là l'autre jour, et maintenant plus. Aucune communication officielle, aucun voyage prévu... il a bien dû filer quelque part, non ? Toi qui le fréquentes si souvent, tu dois bien l'savoir."

Un bruit métallique, et Althéa sursauta au contact glacé de l'acier qui venait de glisser sur sa gorge avec une précision redoutable. Un mouvement, et elle perdrait tout son sang.

"Je plaisante pas, beauté. Ou tu te montres sage, ou tu risques de regretter longtemps d'être venue au monde."

Il lui tira les cheveux en arrière, offrant la gorge de la bretteuse à la gourmandise de sa lame... s'il se donnait la peine de l'utiliser.

[Althéa]

Peu à peu, elle sentit le sang poindre puis suinter doucement de sa pommette gauche pour rouler sur sa joue telle une larme. Tout le coté de sa tête l'élançait douloureusement. Encore un peu, elle perdait connaissance. Mais le pire était la lame effilée qui se promenait le long de son cou et la force brute qui ne demandait qu'à lui dessiner un deuxième sourire si elle ne coopérait pas. La tête en arrière, elle entendait sans le voir l'homme derrière elle, contenant à peine sa jubilation. Ne pas bouger, ne pas déglutir, oublier de respirer. Elle sentit tout à coup son pantalon trempé et dut faire mille efforts pour s'empêcher de réagir. Le bibendum eut un rire gras et l'arme s'éloigna, restant à la hauteur de son visage.

Elle reprit lentement le contrôle de sa respiration ou plutôt essaya. Maintenant, elle le savait. Les dés étaient pipés. A moins qu'elle ne trouve une solution, elle ne sortirait jamais de là. Vite, proposer quelque chose pour qu'ils la tiennent en vie du moins assez pour que quelqu'un se rende compte de son absence et entreprenne des recherches. Elle réfléchit à toute vitesse à la recherche de la moindre solution. Et la trouva ...

"Lothringen consigne ses rendez-vous dans un agenda. Il est très méticuleux. Je sais où se trouve ce carnet. Je connais un passage pour y accéder sans être inquiété par la garde"

Elle avait parlé les yeux fixés sur la lame lui renvoyant l'image de son visage tuméfié. Lothringen méticuleux, à d'autres. S'il écrivait ses rendez-vous, c'était sans doute à la volée lorsque l'envie lui prenait. Sans compter qu'il cacherait volontiers le coté personnel. Mais ça, les autres n'étaient pas censés le savoir.

[Mornagest]

Un moment de silence, cette fois. Les agresseurs semblaient étudier la question avec prudence. Un retournement de comportement de la jeune femme n'était pas exclus ; sans doute avait-elle réellement peur. Simuler la peur était chose relativement aisée, cela dit...

"Mouais. Et je suppose que tu vas nous proposer de nous y emmener toi-même ? Tu nous prends pour des débiles ?"

Elle serrait les mâchoires, attendant un nouveau coup porté au visage, ou ailleurs, mais il ne vint pas. Elle rouvrit les yeux.

"On avait prévu l'coup, vois-tu, beauté ? On a fait faire un chouette petit truc pour les gonzesses dans ton genre."

Pour la première fois, l'homme à la voix haut perchée atteignit le champ de vision d'Althéa. Grand, mince, il aurait pu mériter le qualificatif de "beau", si son visage n'était pas déformé par une expression de pure haine qui marquait le moindre centimètre de son faciès. Il sortit de sa besace un collier noir d'apparence totalement banale, en cuir simple, et l'amena près du visage de la jeune femme.

"Un beau joujou, non ? Un collier puissamment enchanté. Si celui... ou celle qui le porte désobéit, clac !" il claqua des mains, faisant sursauter la bretteuse "étranglé sur-le-champ. Je suis sûr que ça va te plaire, poupée."

Sans tarder, il enfila le collier autour du cou de la prisonnière, en le serrant juste assez pour effectuer une pression désagréable sur sa gorge.

"Tu seras bien sage, comme ça, pendant notre petite excursion. Qu'en dis-tu ?"

[Althéa]

Un collier étrangleur. Elle fit mille effort pour ne pas se lever en hurlant et supplier qu'on lui enlève. En revanche, elle ne put empêcher les larmes de lui monter aux yeux, lui brouillant temporairement la vue. Elle ferma les paupières quelques secondes et reporta son regard sur l'homme. Se souvenir de tous les détails, ne rien oublier pour le cas où elle sortirait vivante de cette histoire. Si elle s'en sortait. Le collier lui serrait la gorge et l'oppressait, l'empêchant de respirer et de déglutir confortablement.

Oublier, se concentrer sur des pensées rationnelles pour espérer survivre. Elle ne connaissait rien sur le fonctionnement du collier. Déjà, il était quasi impossible qu'il puisse être mû par une énergie propre et décider de l'étrangler soi-même. C'était une des personnes présentes dans la pièce qui déclencherait le processus. Restait à déterminer laquelle. Sûrement celui qui l'accompagnerait. Mais elle n'en était pas vraiment convaincue. Tout restait à confirmer. Pour le moment, attendre qu'ils la détachent et observer. Feindre la bonne volonté et attendre ... Elle hocha doucement la tête.

[Mornagest]

Un craquement derrière elle, du mouvement, puis la première voix reprit :

"Bien. Sage fille. Vous nous mènerez tranquillement jusqu'à ce fameux carnet de rendez-vous du conseiller, et nous pourrons en savoir plus..."

Elle ne précisa nullement ce qui adviendrait ensuite d'Althéa, ni évidemment, dans quels buts ils désiraient obtenir ce carnet - probablement inexistant par ailleurs.

"Nous vous rendons la liberté de mouvements."

Le personnage lui apparut enfin. Grand, mais moins que la brute, il avait une carrure large. Sa voix collait assez bien avec son physique ; il devait avoir moins de trente ans. Son visage était masqué par une espèce de tissu attaché à plusieurs endroits.

Pendant qu'Althéa essayait d'en savoir plus quant à sa physionomie, la grande brute lui détacha les liens sans ménagement, lui meurtrissant les poignets et les chevilles au passage. Toutefois, elle éprouva un vif soulagement en ayant de nouveau la possibilité de jouer avec ses membres ankylosés par son séjour prolongé sur la chaise. Combien de temps était-elle restée inconsciente dans cette cave ? La raideur de son dos lui donna quelque indice sur ce point.

Ils lui bandèrent les yeux, précaution évidente afin de s'assurer qu'elle ne puisse reconnaître le bâtiment crasseux dans laquelle elle avait été emmenée.

Ils marchèrent longtemps, tournant, retournant, la faisant pivoter sur elle-même à de nombreuses reprises, si bien qu'elle perdit rapidement son sens de l'orientation. La seule indication qu'elle avait venait de son ouïe ; aucun bruit, sinon celui de leurs pas. Ils étaient quatre, supposait-elle. Tous ceux de la cave, sans doute. Ils marchaient sur des pavés, la plupart du temps, mais passèrent quelques instants sur de l'herbe humide de rosée. La nuit était à son apogée.

Ils ôtèrent enfin son bandeau. Althéa cligna des yeux, fit le tour des lieux du regard, et constata instantanément qu'elle connaissait cet endroit. Ils se trouvaient devant sa propre porte...

[Althéa]

Méfiance. Qu'ils se trouvent là était peut être un hasard. Un point de départ à partir d'un lieu qu'elle connaissait ou plutôt d'un lieu "neutre". Quoi qu'il en soit, elle préférait ne pas rester trop longtemps devant. L'air frais de la nuit lui redonna quelques forces. Elle était sortie de cette cave putride et se retrouvait maintenant en terrain connu. Elle connaissait Manost, mais le Manost caché, celui des passages secrets, des toits et des portes cochères dont les officiels se gardaient bien de mentionner. Ce Manost là recelait de pièges multiples pour le flâneur malavisé. Avec un peu de chance, le groupe qui l'escortait y tomberait, peut être ... Sinon, elle aviserait. Elle ne sentait plus la peur. Non, elle était bien au delà, presque anesthésiée. Elle respirait par à coups convulsifs, tandis que sa tempe et sa pommette blessée l'élançaient sourdement. Mais elle devait rester lucide pour pouvoir trouver une solution ...

D'abord, jeter un œil sur le groupe à proprement dit. Repérer les mages et les plus dangereux. Ceux à éliminer au plus vite. Surtout celui susceptible d'actionner son mortel collier. L'examen ne dura que quelques secondes ...

[Mornagest]

Qu'est-ce qui ressemblait plus à un mage qu'à autre chose ? Aucun des trois hommes présents n'avait l'air d'un pratiquant des arcanes. La grosse brute tenait du bête barbare ou du videur de taverne glauque. Le type avec sa voix aiguë passait plus pour un assassin vicieux prêt à tuer n'importe qui du moment que ça lui rapportait quelque chose. Le dernier, enfin... masqué de la sorte, difficile de juger. Sa stature laissait supposer qu'il savait se battre, mais il n'arborait aucune arme sur lui, du moins, de façon visible.

"À vous de nous guider, Althéa", déclara ce dernier. "N'oubliez pas, nous vous tenons à l'œil. N'essayez pas d'alerter d'éventuels gardes ; même s'ils nous arrêtaient, ils ne pourraient vous sauver de la strangulation."

[Althéa]

Mais alors, comment fonctionnait le collier ? Magie ou non ? Un bandeau de cuir qui aurait pu passer pour ordinaire mais qu'elle sentait tout de même serré autour de son cou. S'il ne l'empêchait pas de respirer, il la gênait grandement et son contact manquait chaque fois de la plonger dans la panique la plus profonde. Pas moyen d'y passer la main sans attirer l'attention. Peut être qu'une fois dans les dédales ...

Son esprit établit à toute vitesse un itinéraire. Y passant régulièrement, elle avait appris à en éviter les pièges, cachés dans la pénombre. Mais des yeux pas exercés dans les passages étroits ...

"Je connais un itinéraire. Suivez-moi"

Elle les conduisit jusqu'à une arcade. Dans les beaux quartiers de la ville, on aurait mis en valeur sa belle croisée d'ogives, à peu près seul ornement architectural que l'église manostienne avait tolérée pour ses bâtiments. Ici, on laissait les murs se teinter des mousses et se fendiller peu à peu. Une brique s'était déchaussée à l'abri des regards. Petit détail que le passant ordinaire aurait à peine remarqué. Althéa, se juchant sur la pointe des pieds la fit pivoter. Il y eut un cliquetis sinistre et un pan de mur disparu, laissant la place à une sorte de tunnel qu'éclairait simplement les torches dans la rue et la lumière de la lune. Elle se retourna vers le groupe et demanda.

"Qui vient avec moi ?"

Le pari était risqué. Ou ils l'avaient bonnement crue, ou elle était cuite ...

[Mornagest]

Les trois hommes lui dardèrent un seul regard suspicieux.

"Qui nous dit que cela mène bien dans les appartements du conseiller ? Tu n'essaierais pas de nous envoyer tout droit chez les gardes, non ?" grogna l'espèce de castra. "Laisse-moi te dire encore une chose sur ce collier. Il agit seul, sans besoin d'être contrôlé. L'un d'entre nous trois le dirige... s'il vient à mourir ou à s'éloigner de lui, tu mourras étouffée. Mais, pour plus de précautions..." il se glissa derrière Althéa et lui fit sentir la froideur de sa lame sur le cou "au moindre geste suspect, tu meurs. Simple, non ? Alors, réfléchis bien avant de nous envoyer n'importe où, mignonne."

[Althéa]

Althéa avait hoché la tête en silence. Tant de préoccupations pour elle. C'était dire ils étaient désespérés ... Toute ces intimidations. Ils avaient donc intérêt à la garder en vie, non ? Elle tentait vainement de se rassurer. Si son plan ne fonctionnait pas, elle risquait de mourir le souffle coupé et puisqu'ils avaient l'air de jouer dans le raffinement, elle risquait fort de s'étrangler petit à petit. Et le contact glacé de la lame lui rappelait qu'ils avaient d'autres moyens de la tuer s'ils le voulaient. Elle s'efforça de ranger cette idée dans un coin de sa tête.

Pour le moment, elle était en vie ... Pour le moment ... Dans peu de temps, ils seraient plongés dans les ténèbres sous la ville. Et là, elle avait peut être sa chance. C'était mieux que subir la torture au fond de la cave, non ? Elle frissonna ...

"Je suppose que vous voulez que je passe devant" murmura-t-elle.

[Mornagest]

"Pour l'instant, oui", répliqua le masqué. "Menez-nous, et pas de coup fourré. C'est tout ce que nous vous demandons."

Sa voix était plus posée que celle de son comparse, nerveux. Tous trois s'apprêtaient à suivre la jeune femme, non sans redoubler de prudence ; les menaces, c'était une chose, mais les mettre en application, une autre. Peut-être mourrait-elle pour avoir voulu tester leur crédibilité.

"Où ce tunnel mène-t-il ?" Il restait méfiant. La moindre des choses pour un conspirateur.

[Althéa]

"Au deuxième étage du palais des murmures, dans la chambre du conseiller de la diplomatie. Ce qui explique que le passage n'est pas sécurisé. Le conseiller n'apprécie pas vraiment d'avoir des gardes au pied de son lit ..."

Elle mentait, et plutôt effrontément. Des années de pratique pour enjoliver la réalité, la transformer, la remanier ou la contredire à sa guise. Un don qu'elle exerçait depuis l'enfance. Lorsqu'elle était allée battre la campagne tel une enfant sauvage, elle prétendait, devant son père qui lui demandait où elle était partie, elle répondait qu'elle était allée à son cour de maintien. Et cela lui avait permis de passer de bons après midis d'école buissonnière. Plus tard, lorsqu'elle rejoignait Angelo en douce dans les tavernes, elle prétendait qu'elle recrutait les futurs matelots. A Titoeil qui la voyant revenir couverte de plaies et de bosses alors que ses missions à la vierge d'argent l'avaient confrontée à une bagarre en règle, elle répondait qu'elle était tombée d'un arbre. Et ainsi de suite. Autant de mensonges qui lui avaient rendu service la plupart du temps. Elle s'y exerçait souvent, devant sa glace, le plus souvent par jeu. Ce n'était pas du mensonge, mais de la diplomatie ...

Mais là, son mensonge allait lui être profitable ? Les autres allaient ils se douter qu'après une longue marche dans les tunnels sombres, ils déboucheraient dans une salle du temple où elle espérait que les prêtres pourraient la ranimer le cas échéant ? Penseraient ils que le labyrinthe était truffé d'obstacles glissants et de ponts branlants ? Il valait mieux pour elle que non.

[Mornagest]

Un nouveau coup d'œil suspicieux de la part des trois types. Il fallait dire que le passage n'était guère engageant... comment ce petit bout de femme osait-il l'emprunter pour se rendre au palais ? Elle devait probablement craindre les araignées, voire même sa propre ombre...

"Vaut mieux pour toi qu'ce soit vrai. Sinon, des morceaux de toi risquent de servir de repère pour le r'tour. Allez, avance. Et pas d'coups fourrés. Je suis capable de lancer ma dague plus vite que tu ne pourras la voir partir."

Ils allumèrent une torche et poussèrent sans ménagement la bretteuse en avant dans le tunnel humide et aux relents de moisissure.

[Althéa]

Un tunnel plutôt étroit. Voire trop étroit pour qu'un homme de la carrure du bibendum puisse passer de front. Avec un peu de chance, il gênerait ceux venant derrière lui. Beaucoup de chance peut être ... Il planait sur les lieux une humidité ambiante et tenace qui prenait à la gorge avec des relents de moisi. Non, un passage peu engageant. De l'eau putride dévalait le long des murs pour terminer sa course en ruisselet sale courant sans doute vers les égouts. Curieusement, le sol était pavé, sûrement un vestige plus ancien de la ville, petit détail qui le rendait dangereusement glissant pour des pieds non avertis. Là était peut être sa chance.

Le sol allait s'inclinant au fur et à mesure de leur progression. Il descendait plus loin sur une vaste cuve circulaire. Là, le sol se réduisait brusquement pour ne devenir qu'une simple margelle. Si l'on ne le voyait pas à temps, on était quitte pour un bon bain. Ensuite ... Ensuite ... Si seulement elle arrivait à plonger les hommes dans le noir ...

Elle se retourna pour voir l'ordre dans lequel les hommes la suivaient.

[Mornagest]

Prudents, très méfiants, voire carrément complètement paranoïaques, les kidnappeurs avançaient à pas mesurés, sondant le sol délicatement avant d'y poser plus franchement le pied, craignant de glisser ou de déclencher un cataclysme en enfonçant un pavé, début d'un redoutable mécanisme destiné à écrabouiller les intrus en une infâme bouillie...

L'homme à la voix haut perchée menait le trio. Venait ensuite l'homme masqué, puis enfin la brute. Ainsi, tous pouvaient avoir un oeil sur la jeune femme, même si le mieux à même de la tuer en cas d'embuscade restait l'infect castra dont l'attitude laissait à penser qu'il ne se gênerait sûrement pas pour exécuter ses menaces.

[Althéa]

Donc la première cible serait le castra. Celui qui avec un peu de chance prendrait un bon bain. Valkur, s'il te plait, un tout petit déséquilibre, rien du tout. Juste assez pour qu'il lâche sa torche. Le mieux serait qu'il tombe dans l'eau. Juste le temps de ralentir les autres. Après, elle aviserait. Et si tout cela ne servait à rien ... La peur s'atténuait sensiblement, lui laissant croire durant quelques secondes qu'elle pouvait s'en sortir. Elle n'avait quasiment aucun plan et avisait à la dernière seconde. Voire n'avisait pas du tout. Le moindre faux pas et Leodacya ne la trouverait plus jamais auprès d'elle quand elle se réveillerait.

Progressant lentement, ils ne tardèrent cependant pas à arriver du coté de la margelle.

"C'est maintenant que tout se décide" songea Althéa.

[Mornagest]

Le premier arriva au niveau de l'ouverture et manqua marcher dans le vide. S'il n'avait aperçu un vague reflet de sa torche dans l'eau sise en contrebas, il se serait laissé emporter dans le vide et choir dans le liquide croupi.

Apercevant, sur la droite, Althéa, qui avait bien évidemment évité le piège, il grogna une insulte intranscriptible ici, avant de la saisir à la gorge, tout en replaçant sa lame contre sa peau.

"Encore un coup comme ça, et tu dégueules tes tripes !"

Son regard exprimait une colère mal contenue, et il maîtrisait à peine la main qui appuyait sur la gorge de la jeune femme. Il suffirait d'un rien pour qu'il l'assassine, désormais.

[Althéa]

Raté, pour un peu, elle se serait mise à pleurer de colère et d'angoisse. Non, pas d'angoisse, de terreur. De terreur pure. Peu s'en fallut pour qu'elle devienne folle, folle de terreur. Rien, il n'y avait plus rien susceptible de lui sauver la mise, et la vie. Ses jambes pendaient inertes au dessus du sol. Ne pas tenter le moindre mouvement, sinon, il lui serait impossible de faire le moindre mouvement avant un très grand moment.

Nul possibilité de faire demi tour, c'était avouer sa traîtrise. Pas moyen non plus de continuer plus avant. Elle avait le temps de souffrir mille morts avant que les prêtres n'interviennent. S'ils intervenaient jamais. Impossible aussi de se défendre. Quoi qu'il se passe, elle était donc fichue. Et quoi qu'il se passe, elle finirait étripée. Pas d'échappatoire. L'homme qui la tenait sentit soudain son corps devenir mou et sa tête pencher brusquement en avant ...

[Mornagest]

Il faillit ne pas réussir à la maintenir debout, et tomber avec elle dans la fange, quelque cinquante centimètres en contrebas. Cela l'aurait peut-être réveillée, mais si elle avait heurté un corps coupant ou quelque chose du genre, ils en seraient réduits à trouver le chemin seuls. Évidemment, cela leur aurait aussi épargné les gémissements de cette sale gamine froussarde, mais c'était autre chose...

Venu pour aider son comparse, la brute souleva Althéa sans effort, l'assit contre le mur et lui flanqua deux claques bien senties afin de la réveiller.

[Althéa]

Elle sentit ses cervicales protester quand sa tête alla basculer d'un coté puis de l'autre. Sa pommette se rouvrit d'un coté pendant qu'une molaire menaçait de se déchausser de l'autre. Un traitement de choc qui eut l'effet de l'assommer un peu plus. Elle ouvrit néanmoins les yeux dans l'espoir de faire cesser les coups. Mais à quoi bon ? Plus rien ne les empêcherait d'avancer. Plus rien ne l'empêchait de courir à sa perte. Il ne lui restait que quelques pas.

La troupe avança dans les méandres nauséabonds des tunnels. Au bout de quelques tournants, se dessinèrent les contours d'une porte vermoulue. Le temple, ou plutôt l'un des couloirs du temple, jouxtant la statue de Helm. Il suffisait d'un ou deux prêtres ... Curieusement, ils ne l'effrayaient plus comme avant. Et leur présence serait une bénédiction. Elle ouvrit doucement la porte et commença le décompte.

10, 9, 8 ... Et soudain se lança. Aussi vite qu'elle pouvait, elle se rua dans le couloir en hurlant :

"A l'aide"

Mais les prêtres, partis en procession à travers la ville avaient déserté le temple. Elle se retrouvait seule ....

[Mornagest]

Les trois hommes jurèrent simultanément, donnant un effet qui aurait été comique, abstraction faite du dramatique de la situation. Passée la surprise, ils bondirent à la poursuite de l'impudente, qui risquait gros en agissant de la sorte. D'autant que personne ne semblait répondre à son cri désespéré...

La jeune femme se heurta rapidement à un obstacle de taille : la première porte qu'elle rencontra semblait fermée. Elle tira, tira de plus belle, mais elle ne céda pas. Et les trois autres n'étaient qu'à quelques enjambées, qui allaient rapidement être réduites à néant.

Alors qu'ils s'apprêtaient à la rattraper, Althéa se rendit compte que la porte devait être poussée pour être ouverte... elle donna un coup, pestant contre elle-même, mais se fit tirer par les cheveux à ce moment. Ils l'avaient, elle allait mourir...

Le castra débuta la danse en lui flanquant un coup de poing dans le ventre, lâchant des insanités innommables. La brute réitéra simultanément ses claques, et la voleuse sentit sa lèvre supérieure s'ouvrir et laisser échapper un filet de sang.

"Petite putain ! Tu vas crever à petit feu !
- Du calme. Il n'y a personne, ici. Où sommes-nous ? Répondez. Votre vie ne tient qu'à un fil..."

Un nouveau crochet asséné du droit lui remit les idées en place.

[Althéa]

... manquant la faire tomber de nouveau. Cette fois, il n'y avait plus d'espoir, elle avait tout tenté, abattu sa dernière carte. Un autre mensonge et elle repartirait les pieds devant. Et encore, peut être la mort valait elle mieux que ce qui l'attendait. Elle contrôla avec peine les tremblements de son corps. Lentement, du sang coula sur sa tunique en un mince filet. Elle ne prit pas la peine de l'essuyer. Plus de mal, plus de peur. Plus rien. C'est comme si elle n'existait déjà plus. Perdu.

Quoi qu'elle fasse, quoi qu'elle dise, ils finiraient bien par la tuer. Pas de témoin gênant. Elle ne pouvait que retarder l'échéance. Trop nombreux, trop bien entraînés, trop soupçonneux. Et il y avait le collier. Et le silence oppressant régnait dans le temple désespérément vide. Plus moyen d'appeler à l'aide.

Dans son esprit, elle vit Leodacya marchant, sa menotte serrant celle de son père. Elle n'était pas de l'autre coté. La vie allait continuer sans elle. Et elle passerait de l'autre coté sans Leodacya. Plus jamais son rire, plus jamais ses sourires, ses gazouillis qui deviendraient bientôt des mots pour devenir plus tard de nombreuses questions. Son regard exprimait déjà la curiosité et une certaine espièglerie. Plus tard, elle leur jouerait de nombreux tours. Oh, comme elle voudrait la voir grandir, s'extasier devant tous ses progrès. Ou tout simplement être à ses cotés. Mais pour cela, il fallait qu'elle vive.

"Nous ferions bien de retourner dans le couloir. Nous sommes tranquilles pour le moment mais ..."

Ce qu'ils firent, retrouvant la puanteur suffocante des tunnels. La semi-obscurité que perçait seulement la lueur maladive des torches. Ses grands yeux sombres brillèrent bizarrement dans l'obscurité. Se trompaient ils où l'avaient ils vu sourire l'espace d'un instant ?

"Nous sommes dans une sorte de tunnel sous la ville. Érigé en même temps que la ville, il me semble. . Idéal pour celui voulant se déplacer sans se faire voir. Un vrai dédale comme vous avez pu le constater. Un vrai dédale, quelques portes soigneusement dissimulées donnant sur les points stratégiques de la ville. Aucun moyen de revenir à son point de départ ni de se retrouver au moins de le connaître sous le bout des doigts, aucun moyen de repérer les portes non plus pour sortir. Regardez derrière vous, vous ne retrouverez rien. Et à ce qu'il me semble, vous n'avez laissé aucune marque. Tous les embranchements se ressemblent et le sol est traitre à certains endroits. Sans moi, à la vérité, vous ne sortirez pas d'ici. Du moins, pas vivant. Et je ne plaisante pas ..."

[Mornagest]

La réponse d'Althéa n'eut pas l'air de satisfaire le vicieux, qui s'empressa de lui asséner une nouvelle claque retentissante. Le sang coula de plus belle.

"Tu le savais, hein, et tu n'as rien dit ?
- Du calme. Nous aurons besoin d'elle pour sortir. Ne la blessez pas trop."

L'autre ne s'empêcha cependant pas de lui flanquer une baffe de plus.

"Dehors, maintenant. On trouvera le palais des murmures sans toi, catin. Mais fais-nous sortir d'ici avant."

Il la hissa sur ses pieds en la tirant par sa chemise, manquant en faire craquer les coutures, puis la poussa un pas en avant.

[Althéa]

Althéa avait encaissé les coups sans broncher, ou presque. Elle se sentait tout bonnement groggy. Quelque chose, elle le sentait s'était plus ou moins déplacé dans son dos et elle n'était pas trop pressée de savoir quoi. La douleur allait et repartait mais chaque fois un peu plus forte. Tôt ou tard, elle allait payer l'addition et s'estimerait heureuse s'il s'agissait seulement d'une semaine de repos complet.

Elle allait avancer lorsqu'un pressentiment affreux pointa le bout de son nez. Rien ne lui disait qu'ils la laisseraient en vie une fois sortis des tunnels. Et restait toujours le collier. Si on lui enlevait, elle aurait un peu plus de latitude. Et peut ffêtre pouvait elle négocier. Pour le reste ...

"Il ne vaudrait mieux pas me perdre dans le tunnel, dit elle en se retournant doucement, si je comprends bien, si nous nous éloignons malencontreusement l'un de l'autre, je risque de ne plus être en mesure de vous aider à retrouver la sortie. Peut être vaudrait il mieux enlever le collier. Oh oui, j'oubliais ... Un rôdeur qu'on avait dépêché pour assainir les caves du Loyal Paladin est tombé sur un tunnel comme celui-ci. Lui et son équipe se sont trouvé confrontés à une cinquantaine de rats. Peu d'entre eux en ont réchappé. Il vaudrait mieux pour vous que vous n'alliez pas dans cette galerie. A première vue, elle ressemble à n'importe quelle autre"

Comme pour répondre à ces paroles, des crissements indistincts résonnèrent dans le tunnel. Mais peut être le groupe ne l'avaient il pas remarqué avant ...

Car Althéa ne mentait pas (*).

(*)Voir les caves du Loyal

[Mornagest]

Le masqué ricana, puis souffla :

"Althéa, ne nous prenez pas pour des imbéciles. Ce collier restera sur vous tant que nous n'aurons pas ce que nous désirons. Autrement dit, si nous devons mourir, vous subirez le même sort. Et si c'est au fond d'un boyau sinistre, et que personne ne vous retrouvera et vous ressuscitera, ce sera réellement la fin de l'aventure. Et votre fille ne vous verra jamais, n'aura jamais de mère. Est-ce ce que vous désirez ?"

[Althéa]

Elle secoua la tête lentement. Durant le mouvement, ses cervicales endommagées par les coups protestèrent et elle eut droit à un nouvel élancement. Elle faillit hurler de douleur mais parvint tout juste à se retenir. Il fallait qu'elle tienne. Pas seulement pour elle, mais pour sa fille qui s'était peut être réveillée et attendait patiemment qu'elle vienne la chercher dans son lit. Non, elle ne voulait pas mourir dans ce tunnel étroit mais la retrouver et la voir grandir. Encore et encore, cette pensée était le seul leitmotiv qui lui permettait de ne pas céder à la panique.

Il fallait qu'ils lui enlèvent le collier ou au moins qu'ils lui donnent une garantie. Pas une promesse mais quelque chose de concret. Et elle ne voyait rien d'autre. Avec leurs menaces, ils essayaient de l'impressionner. Mais au fond, n'avaient ils pas peur de finir eux aussi dans les dédales ?

"Je crois que nous voulons la même chose vous et moi, poursuivit elle d'une voix posée, vous voulez sortir et je suis la seule qui connaît le chemin. Sans moi, vous ne sortirez pas. Je vous donne ma parole et vous avez votre dague pour me la faire tenir. Y a-t-il quelque chose que je dois savoir avec ce collier ?"

[Mornagest]

Une nouvelle claque faillit jaillir, mais le vicieux s'abstint de justesse.

"Idiote. Tout ce que tu as à savoir, c'est qu'il scellera ton destin si tu continues. Tu préfèrerais mourir grâce à lui plutôt que de ma main, je peux te l'assurer. Alors, maintenant, en route ! Et fini, les discussions de bonne femme. On veut casser du drow. Alors t'avise pas de nous fâcher encore un peu plus..."