[Lieu] Un vallon dans les ténèbres...

[Kasumi]

Quête : un désir de crépuscule

Les sentiments de Kasumi étaient étrangement mitigés. Les évènements s’étaient enchaînés trop vite, de façon trop erratique avec leur cortège d’émotions vives et opposées. Après l’inquiétude et le désespoir, la libération d’Astrée et du conseiller l’avait rendu euphorique. La rencontre avec des cavaliers Luméniens avait apporté une touche d’irréalité tant ce brusque retour à la normale était inattendu. Il s’était progressivement réhabitué à cet état en échangeant avec des soldats qu’il avait croisé lors de son passage au fort. Et pourtant… Une impression oppressante et insidieuse entachait son soulagement d’avoir accompli l’improbable et de s’en être sorti. C’était comme si les brusques évènements avaient définitivement balayé sa sérénité. Comme si son existence, loin de les absorber totalement, ne se contentait soudain plus de la promesse d’une vie paisible et calme à Luménis. Le rôdeur tourna cette idée dans sa tête sans trouver comment expliquer le sentiment d’urgence et d’insatisfaction qui aurait du disparaître avec la promesse d’un retour vers son foyer. Il y avait bien sûr Belenn qui manquait à l’appel, il y avait aussi le conseiller, qui était l’ombre de l’homme généreux et accessible qui l’avait envoyé à Respelm. Il y avait surtout Astrée… manifestement mal à l’aise. Et la compréhension se fit aussi brutale et inattendue que tout le reste. Elle ne les accompagnerait pas, elle ne l’accompagnerait pas… Le demi-elfe éprouva une profonde tristesse à cette idée.

[Galathée]

Deux cavaliers proposèrent finalement au conseiller de le mener à une tente où il pourrait se reposer. Il ne prononça pas un mot, mais ne résista pas lorsque l'un d'entre eux lui prit le bras pour l'entraîner et s'éloigna sans un regard pour ses sauveurs.L’expression des officiers luméniens en disait long sur leur inquiétude à son sujet, mais ils se retinrent de faire le moindre commentaire. De la même manière, on délesta Astrée de la jeune luménienne qui tournait de l’œil et elle fut accompagnée jusqu’à l’infirmerie du campement. Les officiers invitèrent ensuite les quatre aventuriers dans la tente d’état-major où on leur servit une légère collation.

Arya leur expliqua qu’elle avait, avec l’aide de Phylacrypte, traqué et tué les trois Sharites qui s’étaient mis en quête de Belenn, mais qu’elle avait été incapable de retrouver le clerc lui-même. C’est seulement au moment de la levée des ténèbres qu’elle avait pu localiser la zone approximative où il se trouvait et s’était rendue jusque là. Elle n’avait cependant rien vu, sinon un cratère de quelques mètres de profondeur. Elle n’y avait pas trouvé la moindre trace de Belenn, nulle preuve de sa mort mais nulle preuve de sa survivance, et avait fini par remonter jusqu’au campement, comme prévu, où elle avait rencontré l’armée luménienne qui débarquait tout juste.

L’officier en charge des troupes, le commandant Melvil, leur expliqua ensuite que Théobald Longuehune était entré dans une colère noire lorsqu’il avait appris que Darren Flèche-Sombre avait laissé leur petit groupe partir sans escorte conséquente et sans en avertir les conseillers. On avait fait parvenir des ordres à la garnison de cavaliers stationnée dans la Traînée des Chevaux et avec l’aide de Marcus, ils avaient pu localiser l’endroit où ils s’étaient rendus. Les officiers avaient rallié les troupes ventre à terre depuis Luménis, puis ils avaient cheminé au plus vite vers le vallon. Ils étaient arrivés deux heures plus tôt.

[Voyageuse]

Astrée ne retint qu’une chose de l’exposé : Belenn avait disparu sans laisser de trace. Il était peut-être en vie… Au fond d’elle-même, elle savait qu’il ne fallait pas nourrir un tel espoir. Mais elle avait vu tant de morts ce jour-là, vécu tant d’émotions contradictoires, et elle était tellement épuisée, qu’elle n’avait pas la force d’accepter l’idée de sa mort. Elle préférait laisser une petite porte ouverte à l’optimisme.

Dès qu’elle fut sortie de la tente où avait eu lieu la réunion, son premier réflexe fut de rechercher un peu d’eau. Arya avait heureusement pensé à ses compagnons et laissé sur le feu une grande gamelle d’eau chaude. Astrée en remplit une bassine, ajoutant de la neige pour obtenir une température confortable, et s’isola dans une des tentes. Elle se sentait tellement sale… Elle se frotta à s’en arracher la peau, partout où elle avait reçu la moindre éclaboussure de sang. Et enfila avec bonheur une tenue propre.

En ressortant de la tente, elle fut à nouveau saisie par le froid glacial. A croire que la température avait baissé de dix degrés depuis la veille. Mais elle se doutait qu’il n’en était rien et que c’était juste une des conséquences du sort qu’elle avait reçu. Enfin… elle irait sûrement mieux demain.
La fatigue se faisait encore davantage sentir maintenant que tout danger était écarté, que la tension était retombée. Elle n’avait qu’une hâte : dormir. Elle aperçut Taliesin, qui semblait aussi épuisé qu’elle. Elle se souvint alors qu’il était blessé à l’épaule et qu’il n’avait sans doute pas reçu de soins… Elle grimaça, hésita… Elle était réellement à bout de forces. Mais sa conscience lui interdisait de laisser un blessé sans soins. Elle prit donc sa trousse à pharmacie et s’approcha du barde.
- Taliesin ? Tu m’as l’air d’avoir pris un mauvais coup sur ta clavicule. Veux-tu que j’essaie de voir ça de plus près ? Je dois avoir ce qu’il faut pour te soigner là-dedans. Si jamais c’est plus grave que ça en a l’air, je t’accompagnerai à l’infirmerie. Je n'aurai pas assez de force pour remettre une articulation en place.

[Kasumi]

Quête : un désir de crépuscule

Kasumi s’attarda dans la tente des officiers après le départ d’Astrée. Il avait envie, probablement comme elle, de procéder à quelques ablutions fort nécessaire et enfiler une tunique propre. Mais il sentait qu’on l’avait mené ici pour discuter de la situation et dresser les premiers plans pour le lendemain. S’éclaircissant la gorge, il demanda au commandant Melvil ce qu’il prévoyait lui-même de faire et il apparut rapidement évident que la meilleure solution, maintenant que le conseiller avait été retrouvé en vie, était de scinder son contingent en trois groupes aux missions distinctes. Les premiers joueraient le rôle de messagers rapides destinés à porter la bonne nouvelle et couper court aux inquiétudes que suscitait la vacance au pouvoir d’un des conseillers. Les seconds formeraient une escorte qui rallierait la cité par le chemin le plus sûr, ce qui prendrait un temps plus long en raison de la dégradation du climat. Enfin, quelques combattants poursuivraient les recherches du clerc, réuniraient les corps des paladins et tâcheraient de détruire les dernières engeances de l’ombre.

Malgré sa fatigue, le rôdeur se proposa spontanément de rester avec ce troisième groupe :

- Une épée et un arc de plus n’est jamais inutile et j’ai déjà pu avoir un bref aperçu des forces à l’œuvre ici et de la nature du terrain. Je me sentirais plus libre de partir une fois les paladins enterrés et Belenn retrouvé. Je ne souhaite pas le laisser en arrière.

Une autre raison, qu’il n’avouerait pas devant les officiers, le poussait à vouloir retarder son départ. Il prendrait peut être ainsi le temps de mettre de l’ordre dans ses pensées. Une façon lâche de repousser les grandes décisions, se fit-il sombrement la réflexion.

[Taliesin]

A l'extérieur, Taliesin adressa un sourire gêné à Astrée. Il suffisait de jeter un regard à la jeune femme pour se rendre compte de son épuisement : on pouvait presque la voir chanceler sur ses pieds. Pourtant, il devait l'avouer, un peu d'aide ne serait as de refus. Sitôt que les officiers Luméniens lui en avaient donné la permission, il s'était esquivé pour procéder à des ablutions poussées et à un changement de tenues. Tout cela n'était pas allé sans difficultés : sa blessure, quoi qu'un peu apaisée par la potion qu'il avait bue dans la tour, persistait à le faire souffrir et rendait presqu' inutilisable son bras gauche.
-Merci pour ton offre, Astrée... J'ai des scrupules à te donner encore du travail et à te priver d'un repos bien mérité, mais si tu t'en sens la force... Il faudrait sans doute me poser une attelle, m'immobiliser le bras... Et je ne suis pas capable de le faire seul... J'imagine que cela pourrait prendre peu de temps. Mais... Tu n'es pas obigé de le faire, vraiment. Je peux attendre, ou demander un coup de main aux soldats...

[Voyageuse]

- C'est vrai que je suis fatiguée mais... Ce ne sera pas très long, je devrais pouvoir le faire avant le repas. Attends-moi dans cette tente, je vais chercher un peu d'eau chaude et de quoi faire des bandages.

Elle revint presque aussitôt avec le matériel, et l'aida à ôter sa chemise.
Elle observa attentivement la blessure : l'épaule avait pris une teinte violacée et était enflée. Elle effleura doucement l'hématome, arrachant une grimace à Taliesin.
- Les os sont en place, et tu n'as pas une fracture trop grave. Il suffira de maintenir l'articulation immobilisée pendant plusieurs jours pour ressouder tout ça. Je m'en occupe!
Elle enduisit la zone de baume apaisant et aseptisant, puis commença à préparer son matériel, tout en observant son compagnon d'aventure à la dérobée. Il était certainement épuisé, lui aussi, mais depuis leur sortie de la tour il paraissait avoir retrouvé un moral d'acier.

- Tu m'as l'air épuisé toi aussi. Mais je devine que l'idée de rentrer enfin auprès des tiens doit te donner des forces. Plus que quelques jours et tu seras de retour chez toi...

[Taliesin]

-Oh oui... répondit l'elfe. J'aurais bien chapardé à Calme Péril son sort de téléportation pour rentrer à la maison d'un claquement de doigts... Mais en aurais-je eu l'opportunité que je n'aurais sans doute pas pu m'en servir : il s'agit d'un sortilège des plus puissants. Dans tous les cas, effectivement, ce n'est plus qu'une question de jours : je partirai dès l'aube, avec Arya, pour porter la bonne nouvelle à Luménis. Nous y serons rapidement, et je pourrai alors profiter du repos du guerrier...
Il s'interrompit, soudain mal à l'aise. Vu son état d'esprit, il aurait eu tendance à s'extasier sur sa famille, à évoquer le bonheur des retrouvailles à venir. Mais il gardait à l'esprit ce qu'Astrée leur avait révélé de ses pertes irréparables. Et s'il avait bien compris, elle vivait désormais seule, dans une petite cabane, dans les environs déserts du vallon... La perspective du retour à cette solitude n'était certainement pas à proprement parler un motif de réjouissance. Inutile, dès lors, d'en rajouter.
-En tout cas.. Malgré tout ce que nous avons affronté, je garderai un bon souvenir de cette expédition... Cela faisait longtemps que je n'avais pas eu l'occasion de participer à quelque chose qui finit bien. Et puis, cela m'a donné l'occasion de connaître Kasumi... De te connaître, toi. J'espère sincèrement que nous aurons l'occasion de nuos revoir. Et, à vrai dire, je n'en doute pas un seul instant.

[Voyageuse]

Astrée réalisa aux paroles de Taliesin qu'elle était peut-être partie un peu tôt de la réunion : ils avaient visiblement commencé à parler du trajet retour. Mais après tout, cela ne la concernait pas.
- Moi aussi j'ai été ravie de vous connaitre, tous, répondit-elle. Et je trouverai peut-être de temps en temps un prétexte pour descendre à Luménis, aux beaux jours. Ca me permettra de vous revoir.
Oui, elle trouverait sûrement quelques bonnes raisons pour leur rendre visite. Enfin... Si elle osait. Elle ne pouvait chasser de son esprit l'idée qu'une fois là-bas, quand ils auraient repris le cours de leur vie, elle ne serait pour eux qu'un souvenir. Oserait-elle faire irruption à nouveau dans leur vie? Quelque part, elle en avait très envie, pourtant...

- D'ailleurs, je me rends comte que je ne sais même pas où je peux vous trouver, ni toi, ni Kasumi. Je sais qu'Arya travaille à l'université...
Et Belenn au temple. Elle refusa de s'appesantir sur l'idée qu'il n'y serait peut-être plus.
- Tu travailles comme barde? Où ça? A la bienveillance?
Tout en parlant pour lui occuper l'esprit, elle avait saisit fermement son bras et lui faisait subir quelques mouvements doux pour mettre l'articulation bien en place avant de poser le bandage. Elle allait le plus doucement possible, mais elle sentait, vu son état, que la manoeuvre pouvait être douloureuse...

[Taliesin]

Taliesin grimaça lorsque sa clavicule protesta violemment contre les manœuvres que lui faisaient subir Astrée. Il s'efforça cependant de ne pas trop y faire attention et se hâta de répondre :
-Oui... Du moins, j'y travaillais avant de demander mon congé au tenancier. Mais c'est un brave homme et je ne doute pas qu'il accepte de me reprendre. Pour le reste, vous pouvez aussi me trouver chez moi. J'habite rue de l'Orme Creux, l'ancienne maison de la famille Desmoulins. Tu ne devrais avoir aucun mal à trouver. Et tu ne devras pas hésiter à passer nous voir, à l'occasion. Ce serait dommage que tu visites Luménis sans que nous ayons l'occasion d'évoquer quelques souvenirs communs... Cela me chagrinerait de ne plus avoir de tes nouvelles, en tout cas.

[Voyageuse]

- Je ne sais pas si j'oserai, répondit-elle spontanément.
Elle rougit un peu d'avoir parlé sans réfléchir. Le barde risquait de prendre sa phrase comme un refus de son hospitalité, d'être vexé... Elle tenta de préciser sa pensée.
- Je veux dire... Je ne connais pas ta famille, je suis timide, je n'oserai pas m'imposer. Et puis, tu as dû beaucoup leur manquer. Ils seront heureux de te revoir sain et sauf et vous voudrez sans doute tous oublier le plus vite possible cette séparation. Je ne voudrais pas venir rappeler de mauvais souvenirs. Quoique... ils ne sont pas si mauvais puisque nous avons réussi.

L'articulation était maintenant bien en place. Elle saisit l'attelle, la posa, et plaça quelques bandages bien serrés pour immobiliser complètement le bras en écharpe.
- Tu devras garder tout ça en place quelques jours au moins. Une fois que tu seras rentré, ta compagne sera certainement ravie de refaire tes pansements... Elle va être aux petits soins pour toi! Je paries que tu vas en profiter pour te faire dorloter... Ah, le retour du guerrier... Profites-en bien !
Elle sourit.
- Je verrai bien une fois à Luménis si j'ose passer vous voir. Je ne sais pas comment réagira ta compagne...
Au fond d'elle, elle se demandait aussi si passer du temps avec la famille de Taliesin ne risquait pas de raviver en elle des souvenirs difficiles. D'un autre côté, elle serait heureuse de le revoir dans d'autres circonstances. Elle irait peut-être. Inutile d'y penser trop à l'avance. Elle verrait bien...

[Taliesin]

Taliesin adressa un sourire réconfortant à la jeune femme et, sans vraiment y réfléchir, lui toucha le bras.
-Allons, tu ne devrais pas être si gênée. Ma compagne est rôdeuse, comme toi : je suis sûr que vous vous entendrez bien. J'imagine qu'elle sera heureuse de faire la connaissance ce ceux qui ont dû me supporter pendant tout le voyage... Et puis, elle et Kasumi se connaissent bien... C'est important, je trouve, de tisser de liens, d'avoir un cercle... Aucun de nous n'est sur Hélonna depuis longtemps, nous n'avons donc guère de connaissances, de gens sur qui compter... Alors, si le coeur t'en dit, tu ne devras pas hésiter à venir nous voir. Tu seras la bienvenue. Et nous ferons de même si nous venons à passer dans ces parages... Qui sait, peut-être que ma petite famille voudra explorer la tour !
Il était sincère : s'il avait hâte de rentrer chez lui, il n'avait pour autant aucune envie de perdre contact avec ceux qui avaient partagé avec lui les épreuves des derniers jours. Ils faisaient partie de son univers, à présent. Contribuaient à le repeupler.

[Voyageuse]

Elle savait qu'il avait raison. Elle ne pouvait pas rester toute sa vie isolée sans voir personne. Et puisque cette aventure lui avait permis de se lier d'amitié avec ses compagnons, il faudrait qu'elle conserve des liens avec eux.

La dernière phrase de Taliesin la fit sourire.
- Oh, ça m'étonnerait que vous veniez un jour jusqu'ici! A moins que ton fils ne se découvre une vocation de chasseur de morts-vivants et n'ait envie de s'entraîner dans la forêt maudite, plaisanta-t-elle. Mais on ne sait jamais... Si pour une raison ou une autre vous venez dans la région, je serai ravie de vous héberger : J'habite tout près d'ici, à 1h30 environ au sud-est, il suffit de suivre la rivière qui coule un peu à l'est d'ici.
Elle savait très bien que ces indications étaient inutiles, que jamais il ne viendrait. Mais elle devait quand même leur proposer l'hospitalité!

- Quant à moi, c'est d'accord, je te promets de passer te voir à Luménis. De toute façon, là-bas je logerai sûrement à la Bienveillance, on se croisera donc le soir. J'aimerais bien te voir à l'œuvre dans ton métier de barde. Je t'ai déjà entendu chanter pendant le voyage, mais c'est pas la même chose! Et, ajouta-t-elle avec un clin d'oeil, je te promets de ne rien dire à ta compagne concernant la jeune demi-elfe qui dînait à côté de toi lors de notre dernière nuit dans la forêt. Elle ne te quittait pas des yeux!

Elle sourit, espiègle, puis recula d'un pas pour observer le résultat de ses soins.
- Je crois que j'ai fini. Tu ne pourras plus bouger ton bras, mais au moins tu n'auras plus mal, et tout devrait rentrer dans l'ordre petit à petit. Je pense qu'il est temps de rejoindre les autres maintenant. Ils ont dû préparer le repas...

Elle s'étira, et réalisa la fatigue qui s'était abattue sur elle. Les soins n'avaient pas été longs ni difficiles, mais la concentration requise avait achevé de l'épuiser. Elle n'aspirait qu'à une chose : dormir. Elle n'était pas certaine de parvenir à avaler quoi que ce soit au repas. Pourtant elle aurait bien besoin de reprendre des forces...

Suivie de Taliesin, elle se dirigea vers l'une des tentes qui paraissait servir de salle à manger, d'où s'échappait déjà un délicieux fumet.

[Galathée]

Le souper leur fut servi en compagnie des officiers dans une tente aménagée pour l'occasion. Les gradés étaient au nombre de sept et comprenaient deux femmes, un elfe et quatre hommes, dont le commandant Melvil, Vera et le prince elfe dont Kasumi avait oublié le nom. Les quatre aventuriers furent la cible de plus d’un égard : ils étaient les héros du jour, et personne n’entendait leur en voler le titre. On leur servit du vin goûteux et les mets qui se succédèrent sur la table, bien que rustiques, avaient été savamment cuisinés, et dans des quantités louables. La viande avait le goût prononcé du gibier sauvage, accommodé par quelqu’un qui maîtrisait la chose avec doigté.

Ni le conseiller, ni la luménienne ne firent leur apparition. A la personne qui s’en enquit, l’un des officiers expliqua qu’Albérich Megrall s’était endormi aussitôt qu’il en avait eu l’opportunité et qu’il était fiévreux, mais c’était quelque chose qu’ils avaient anticipé et avaient avec eux un médecin de campagne qui pouvait veiller sur sa santé. Il serait pris en charge par le temple dès leur retour à Luménis, il n’y avait rien d’inquiétant dans cette évolution. Personne n’avait besoin d’en parler pour deviner que le Lathandrite était éprouvé. La Luménienne se reposait, elle aussi.

Evidemment, les soldats étaient curieux d’entendre leur histoire et on leur demanda de raconter leur invasion de la tour en détail, la témérité de l’expédition laissant plus d’un vétéran songeur. Mais leur bravoure et leur détermination étaient des plus appréciées et Melvil était certain que lorsqu’ils seraient rentrés à Luménis, les conseillers veilleraient à les récompenser avec les honneurs.

Leur expédition avait été rondement menée et couronnée de succès, Lathandre devait, après tout, veiller quelque part sur la cité qui lui était dédiée. Et puisqu’il y avait un barde dans l’assemblée, peut-être finirait-il, un jour, par mettre cette aventure en vers, pour la postérité.

HRP : Bravo à tous, la quête est officiellement terminée ! Désormais, vous êtes libres de vous-mêmes et de décider comment continuer. Comme l’a dit Kasumi plus haut (il va sans doute le répéter ), l’armée va se diviser en trois groupes : deux cavaliers partiront à l’aube pour rallier Luménis au grand galop, un second groupe partira un peu plus tard pour escorter le conseiller, un troisième groupe restera encore une journée (et une nuit) pour nettoyer le vallon et enterrer les victimes. Je reste disponible pour qui veut et... je n'en ai pas tout à fait fini avec vous .

[Voyageuse]

Astrée n’avait pas faim. Elle était trop fatiguée pour apprécier vraiment les plats qui leur étaient servis, trop fatiguée aussi pour bavarder. Elle tentait de donner le change, répondait aux questions qu’on lui posait, mais laissait le plus possible ses compagnons mener la discussion.
Et puis, il manquait quelqu’un à ce repas : Belenn. Il avait disparu durant leur mission. Il était probablement mort… Elle n’arrivait pas à assimiler cette idée, elle refusait de se dire qu’elle ne le verrait plus, qu’elle n’entendrait plus ses réparties bourrées d’humour. C’était trop dur à accepter. Peut-être parce qu’elle était trop épuisée.
Et puis, L’idée du départ prochain de ses amis la perturbait plus qu’elle n’aurait cru. Elle devinait à quel point elle allait se sentir seule, sans eux. Ils lui manqueraient. Elle jeta un regard en biais à Kasumi, assis à côté d’elle.
Il va me manquer.
Elle s’était habituée à sa compagnie. Ils avaient fait tant de choses ensemble. Elle irait le voir à Luménis. Et les autres aussi.

Elle jeta un coup d’œil à son assiette, où on avait servi une viande sans doute délicieuse. Mais elle se sentait presque nauséeuse à l’idée de la manger. Elle saisit machinalement son couteau… Et tout lui revint.
Son couteau. Elle avait frappé Albérich. Et surtout… Elle avait tué Calme Péril. Elle revoyait son regard amusé, son sourire narquois. Entendait sa voix, ses paroles. Elle l’avait tué. Il était là, incisif, provocateur, et l’instant d’après… il n’était plus. Comme ça. Sans avoir eu le temps de voir venir. Et cétait elle qui l’avait fait…

Soudain très pâle, elle se leva, sans un regard pour ses amis, espérant qu’ils ne verraient pas son malaise. Elle sortit sur le seuil de la tente, fit quelques pas. Elle avait la nausée et tremblait comme une feuille. Elle se laissa tomber assise dans la neige, en saisit une poignée et se mit à s’en frotter compulsivement les mains. Come pour les laver du sang qui les tâchait irrémédiablement, définitivement. Réflexe idiot et inutile. Elle sentit une larme couler sur sa joue.
Elle inspira profondément, tenta de se reprendre. Ses compagnons allaient s’inquiéter… Essayant de retrouver la maitrise de son corps parcouru de frissons, elle rentra dans la tente et repris sa place à table..

[Kasumi]

Quête : un désir de crépuscule

Le rôdeur s’était décrassé en un temps record. A le voir quelques minutes plus tôt, on aurait pourtant estimé qu’il lui aurait fallu une semaine de bains répétés pour lui retirer toutes les traces des derniers jours marqués par les combats et les rigueurs du voyage. Le demi-elfe qui prenait part au repas était transfiguré et s’était même payé le luxe de coiffer ses cheveux d’ordinaire en bataille.

Les mets du repas étaient délicieux, surtout en comparaison de l’ordinaire des derniers jours et il avait fini par se laisser tenter, rejetant ses réflexions sur l’avenir après les préoccupations immédiates de son estomac affamé. Son allant était pourtant grandement freiné par la mine défaite de sa voisine. Il répondit aux sollicitations qui lui étaient directement adressées par politesse mais sans vraiment s’appesantir sur les évènements, s’inquiétant pour Astrée. Lorsqu’elle se leva, il faillit la suivre mais fut interrompu dans son geste par une question. La rôdeuse était déjà de retour, manifestement encore plus marquée qu’à son départ.

Kasumi se pencha alors vers elle et, en un geste protecteur, posa sa main sur la sienne. Alors que les conversations baissaient et que le repas touchait à son terme, il prit la parole pour s’excuser :

- J’ai peu dormi ces derniers jours et la journée de demain promet d’être longue. Couvrir le vallon entier ne sera pas une mince affaire. Il me reste donc à vous souhaiter à tous la bonne nuit.

Sa décision de rester au moins un jour de plus était prise depuis longtemps mais il ressentait un certain apaisement à l’annoncer ainsi, le rendant plus tangible. Il espérait qu’Astrée aurait à cœur de ne pas rentrer directement chez elle, bien conscient qu’elle en avait parfaitement le droit. Il se leva et se dirigea vers la sortie sur un dernier regard à ses compagnons et de nouveaux souhaits de bonne nuit à ses hôtes.

[Taliesin]

Son repas déjà terminé – il avait mangé avec appétit et, malgré ses pensées tourbillonnantes, réussi à discuter avec ses commensaux – Taliesin se leva, souhaita la bonne nuit aux officiers et sortit avec ses compagnons. Dehors, il leur fit avec chaleur ses adieux. Il partirait aux aurores, le lendemain, et il espérait que les deux rôdeurs prendraient le temps de se reposer, de se remettre un peu des émotions et des fatigues de leur expédition dans la tour. A Astrée, que l'épuisement et les soucis marquaient profondément, il réitéra ses invitations à venir le voir, lorsqu’elle serait de passage à Luménis. Avec Kasumi, il échangea des promesses de rencontres prochaines. Puis, non sans éprouver un pincement au cœur, tant à cause de la séparation à venir que de l’absence douloureuse de Belenn, il gagna sa tente. Là, contrairement à ce qu’il avait craint, il s’endormit sitôt réfugié sous les couvertures, sombrant dans un sommeil lourd, sans rêves.
Il lui semblait qu’il avait tout juste de fermer les yeux lorsqu’un soldat vint le réveiller. L’esprit encore embrumé, il s’habilla, récupéra ses affaires et, sous la conduite de son guide, gagna une tente où on lui servit un rapide petit déjeuner. Puis on le mena vers les limites du campement : il y trouva Arya – qui, matinale comme toujours, était déjà en selle – ainsi que les deux messagers dépêchés par l’armée afin de transmettre la nouvelle de la libération d’Albérich. Quant au conseiller, bien sûr, il n’y en avait nulle trace : on ne l’avait pas vu émerger de sa tente depuis qu’il y était entré. Tant pis : aurait-il été là que Taliesin se serait senti trop mal à l’aise pour aller lui parler. Sans doute irait-il le voir au temple, lorsqu’il y serait rentré…
Quelques minutes plus tard, ils filaient dans a lueur grise qui précède l’aube, aussi vite que le permettait l’épaisse couche de neige, en direction de Luménis. En direction de la maison.

[Voyageuse]

HRP : j'allais oublier : Merci à Gal pour cette magnifique quête pleine de rebondissements! J'ai adoré!

Astrée fut soulagée de voir le repas se terminer. Elle n'avait quasiment rien avalé, n'osant plus reprendre le couteau de table qui avait déclenché son malaise. Son couteau à elle était resté là-bas, au sommet de la tour. Elle aurait été bien incapable de s'en servir à nouveau.
La seule pensée qui la ragaillardissait était l'idée que Kasumi resterait le lendemain. Lorsqu'il l'avait annoncé, son visage s'était illuminé et ses yeux avaient brillé d'une joie presque enfantine. Et elle avait immédiatement décidé qu'elle irait avec eux à la recherche de Belenn.

Elle sortit juste après Kasumi, en même temps que Taliesin. Elle fut touchée par l'amitié que lui manifesta le barde, renouvelant son invitation à aller le voir. Elle lui promis de passer. Taliesin échangea ensuite quelques mots avec Kasumi, qui attendait non loin, puis s'éloigna vers sa tente.
Elle avait attendu quelques minutes pendant leur discussion, sans trop savoir pourquoi. Elle avait l'impression que, si Kasumi n'était pas parti se coucher tout de suite, c'était pour l'attendre.

Sitôt Taliesin parti, il se tourna d'ailleurs vers elle. Elle lut son inquiétude dans ses yeux. Mais à ses questions, elle n'osa pas répondre la vérité : qu'aurait-il pensé si elle lui avouait qu'elle avait tant de mal à se remettre du coup de couteau qu'elle avait dû donner pour lui sauver la vie? Elle ne voulait pas paraitre faible et trop sensible. Elle lui dit simplement qu'elle était épuisée.
Puis s'éloigna à son tour pour se coucher. A regret. Peut-être aurait-elle dû parler, finalement. Peut-être aurait-il compris, sans la juger faible ou inapte.
Tu aurais dû lui faire confiance.
Oui mais... elle était trop épuisée. Vraiment trop. Incapable de réfléchir, de mettre des mots sur ses émotions. De s'expliquer.

Avant de s'endormir, elle sortit la statuette qu'il lui avait offerte, la contempla un moment, songeuse. Il avait si bien su rendre l'expression de son visage, lui donnant un air tellement heureux... Elle sourit, et tenta de garder à l'esprit cette image pour pouvoir s'endormir. Epuisée, elle trouva le sommeil plus vite qu'elle ne l'aurait cru. La dernière image qu'elle vit, à la frontière entre la conscience et l'inconscience, fut une statuette avec le regard vert de Kasumi, rieur.

Mais cette image s'estompa hélas trop rapidement, et sa nuit fut hantée de cauchemars. Elle voyait et revoyait son couteau, son geste pour poignarder le sharite, elle revivait les sorts qu'elle avait reçu, ressentait à nouveau la terreur... Elle se réveilla à maintes reprises et fut presque soulagée de voir l'aube apparaitre.
Elle se leva bonne dernière, l'esprit encore embrumé, presque aussi fatiguée que la veille.

[Kasumi]

Quête : un désir de crépuscule

Kasumi sombra rapidement dans un sommeil sans rêves malgré les journées mouvementées qui s’étaient succédé depuis le départ de Luménis. Le voyageur rompu à l’adversité en lui reconnaissait une opportunité de prendre un repos bien mérité. Soit il s’en remettait à la vigilance des gardes Luménien et se sentait en sécurité malgré la proximité du vallon, soit les efforts consentis dernièrement réclamaient leur tribut. En tout état de cause, il se réveilla peu avant l’aube et se sentait en bonne forme malgré ses blessures récentes. Il ne s’attarda guère sur sa couche de fortune et se leva avec l’intention de s’enquérir de l’état de ses compagnons. Mais il lui apparut bien vite que Taliesin et Arya avaient déjà quitté le camp et qu’Astrée se reposait encore.

Il n’eut pas le cœur d’aller la déranger après tout ce qu’elle avait subi dans la tour et se dirigea vers la tente où ils avaient dîné la veille. Il y prit un rapide et frugal petit déjeuner avant de retourner dehors auprès des chevaux. Leurs montures avaient été réunies sans grande difficulté par la troupe et le demi-elfe alla lui-même vérifier l’état d’Ombrage et de Moïse, la jument de la rôdeuse. Il fut vite rassuré en constatant avec quel appétit il engloutissait le fourrage mis à leur disposition. Le hongre semblait s’être approprié une place de choix peu impressionné par la taille des chevaux de guerre. Il grinçait des dents et envoyer des ruades à l’adresse de ceux qui s’avisaient de lui disputer sa part. La jument d’Astrée semblait plus réticente à s’imposer, cédant facilement le pas aux autres animaux qui se pressaient autour de la mangeoire improvisée.

S’inqui étant finalement de ce que la rôdeuse n’avait pas apparu, le rôdeur s’approcha de sa tente en se demandant avec angoisse si elle n’avait pas choisi de partir au petit matin. Il resta à l’extérieur comme il sentait l rôdeuse s'agiter sous l'abri de toile et lança doucement au travers du rabat :

- Astrée ? Comment te sens-tu ? Il va bientôt être l’heure d’y aller.

[Voyageuse]

La nuit avait été agitée, et Astrée avait du mal à émerger. Elle se sentait presque aussi épuisée que la veille, comme si elle n'avait pas dormi. Au début, l'esprit encore embrumé, elle mit cela sur le compte des nombreux cauchemars qui avaient entrecoupé son sommeil. Le moins qu'on puisse dire, c'est qu'il n'avait pas été réparateur.
Elle commença à s'inquiéter davantage lorsque, ayant rangé ses affaires dans on sac, elle voulut déplacer celui-ci... et eut l'impression que son poids avait doublé. Elle vérifia que c'était bien le sien, qu'il contenait bien ses affaires et que rien n'y avait été ajouté par erreur. Et dut se rendre à l'évidence : elle n'avait pas plus de force qu'un enfant. Exactement comme la veille... Ce qui signifiait que les effets du sortilège qu'elle avait subi ne s'étaient pas estompés. Et cela expliquait peut-être en partie son état de faiblesse général.

Elle blêmit à l'idée de rester ainsi privée de ses moyens. Le sortilège était-il permanent? Allait-elle définitivement se trouver dans cet état de faiblesse?
Pourvu que non... Si seulement Belenn était là. Lui saurait quoi faire.
Oui, mais il n'était pas là, et elle n'avait pas vu de clerc dans le campement. Alors... à qui s'adresser?

C'est à ce moment-là qu'elle entendit l'appel de Kasumi. Un instant, un sourire illumina son visage, repoussant à l'arrière-plan ses soucis.
- J'arrive! lança-t-elle joyeusement.
Après tout, ce n'était pas urgent. Elle allait suivre les autres, partir à la recherche de Belenn. Ensuite elle aviserait.
Dans ton état tu ne pourras guère être utile. Tu ferais mieux de les prévenir.
Oui mais... Elle n'allait quand même pas rester ici à ne rien faire! Elle allait se faire un sang d'encre en imaginant les risques qu'ils allaient prendre. Si jamais Kasumi ne revenait pas?

Elle sortit de la tente, toujours hésitante sur la conduite à tenir, et sourit à son homologue qui l'attendait devant la tente.
- Je suis presque prête, je dois juste essayer d'avaler quelque chose avant d'y aller.
Lui dire? Ou pas? Elle remit la décision à plus tard.

Elle se dirigea vers la tente commune, accompagnée de Kasumi qui semblait vouloir veiller à ce qu'elle se nourrisse convenablement cette fois-ci. Elle réussit tant bien que mal à avaler un bol de thé, une ou deux tartines de confiture, quelques fruits secs. Elle se sentait encore nauséeuse mais s'efforçait de ne pas y penser.

Ce n'est qu'au moment de prendre leurs armes, quand elle sentit l'effort que lui demandait le simple fait de soulever ses armes, son carquois, qu'elle se mit à douter du bien-fondé de sa décision d'accompagner le groupe.
Elle surpris le regard du rôdeur qui l'observait avec inquiétude.
Il a compris. Il a vu que je n'y arrivais pas. Pas normalement
Elle lui adressa un sourire embarrassé. Comment lui dire? Pas facile d'annoncer qu'on n'est plus qu'un poids mort inutile. Elle préféra attendre ses questions...

[Kasumi]

Quête : un désir de crépuscule

Les craintes diffuses de la veille concernant la rôdeuse s’avérèrent fondées. Le sourire qu’Astrée lui adressa l’empêcha de révéler son inquiétude mais il tint à l’accompagner pour veiller à ce qu’elle fasse honneur au petit déjeuner, argumentant qu’elle ne leur serait pas d’une grande utilité si elle s’effondrait d’inanition au milieu de la matinée. Sa plaisanterie, loin de détendre la rôdeuse, la fit avaler de travers et elle lui jeta un regard indéfinissable. De crainte de l’avoir froissée, Kasumi se tint en retrait de sa compagne pendant qu’elle avalait péniblement son repas. Il sortit finalement de sa réserve en observant les efforts que devait déployer la jeune femme pour porter son équipement. Ses raits ne portaient pas plus de trace de repos que la veille au soir ce qui ne manqua pas de l’alarmer davantage. Sentant une ouverture et désireux de briser le silence qui semblait s’être instauré entre eux, il prit la parole d’une voix pleine de sollicitude :

- Tu sembles ne pas avoir dormi. Peut être devrais-tu te reposer ce matin ? Un ou deux gardes prévoient de toute façon de garder le campement.

[Voyageuse]

Oh non. Surtout pas ça...
Elle ne survivrait pas à une matinée entière à se ronger les sangs au campement en imaginant les pires tragédies. Elle savait bien que le rôdeur ne cherchait que son bien, qu'il était sincèrement soucieux de son état, et ne pouvait lui en tenir rigueur de proposer cette solution radicale. Mais elle sentait malgré tout un peu vexée d'être ainsi considérée comme un poids mort.
Vu ton état, tu en es un.
Non, elle refusait de l'admettre. Elle trouverait sûrement à se rendre utile... Mais elle devait auparavant expliquer la situation à son compagnon. Pour qu'il comprenne...

- Non, je veux vous accompagner. Il est vrai que je n'ai pas beaucoup dormi, mais... Ce n'est pas seulement le manque de sommeil qui me met dans cet état. C'est plus compliqué que cela.
Elle s'interrompit. Elle n'avait jamais abordé le sujet de ce qui s'était passé pour elle en haut de la tour. Et ne voulait surtout pas s'y attarder, préférant oublier tout ça le plus vite possible. Elle alla droit à l'essentiel.
- Hier, en haut de la tour... Pour m'empêcher d'agir, ils m'ont jeté un sort, ou plutôt deux sorts, qui m'ont beaucoup affaiblie. Je croyais que leurs effets allaient disparaitre avec un peu de repos. Mais ce matin...
Elle sentit sa gorge se nouer, sa voix se voiler.
- Les effets n'ont pas disparu. Et je ne sais pas comment les annuler, je ne sais pas ce qu'ils m'ont fait exactement. J'ai peur de... Je ne voudrais pas rester comme ça toute ma vie... Je ne sais pas quoi faire.
Elle leva vers Kasumi un regard implorant. Sachant très bien qu'il ne pouvait rien pour l'aider, mais soulagée de pouvoir partager son angoisse.

[Kasumi]

Quête : un désir de crépuscule

Le rôdeur fut horrifié par la confidence de sa compagne. Evidemment, il s’était douté que les Sharites avaient usé de leurs maléfices sur elle mais se l’entendre confirmer de sa propre bouche l’accablait. La jeune femme semblait si désemparée et angoissée qu’il eut envie de la serrer à nouveau dans ses bras. Il retint pourtant son geste avant même de l’avoir vraiment esquissé lorsqu’il se rendit compte qu’il avait trop envie de rechercher son contact. Comme sur la tour lorsqu’il s’y était abandonné. Il se sentait impuissant à soulager son amie et soudain trop maladroit pour réussir à l’apaiser dans une étreinte.

Pour autant, il se put s’empêcher de croiser son regard tourné vers lui et sentit le rouge lui monter aux joues. Il tenta de faire diversion en prenant la parole :

- Lorsque le vampire m’a touché, je me suis senti très faible comme s’il m’avait privé de ma force. Et pourtant, le sort de Belenn a suffi à me la rendre. Tous comme les soins que tu m’as alors dispensés. En attendant de trouver un prêtre qui te soigne, je compte bien m’acquitter de cette dette que j’ai envers toi. Si tu veux venir, tu seras la bienvenue mais je veux que tu promettes de faire attention à toi. La plupart de nos ennemis doivent avoir été détruits par la lumière du jour donc inutile de prendre des risques.

[Voyageuse]

Astrée était trop préoccupée pour prendre conscience du trouble soudain du rôdeur. Mais sa sollicitude lui allait droit au coeur.
Elle sourit au souvenir de leur mésaventure dans la forêt maudite et des soins qu'elle avait dû lui prodiguer.
- Tu as raison, je suppose qu'un clerc saura me soigner. Enfin, je l'espère, songea-t-elle à part elle. Mais je ne veux pas que tu croies avoir une dette envers moi. Je n'ai pas fait grand-chose cette nuit-là, c'est surtout Belenn qui t'a guéri.
Néanmoins, au fond d'elle-même, elle était touchée de savoir qu'il comptait à son tour prendre soin d'elle. Et aussi un peu déconcertée à cette idée : elle avait l'habitude de se débrouiller seule depuis si longtemps...

En revanche, elle ne se sentait guère enthousiaste à l'idée de reprendre la route. Elle soupira, et reprit la parole, coupant court aux protestations de Kasumi sur la qualité de ses soins.
- Tu sais, je viens de passer une bonne décade à voyager sans interruption, et l'idée de repartir encore ne m'enchante pas vraiment. Peut-être à cause de la fatigue et de l'affaiblissement que ces sorts ont entrainés. Je n'ai pas le choix pourtant...
Elle sourit à Kasumi.
- Mais le point positif de tout ça, c'est que cela me permettra de profiter un peu plus longtemps de ta compagnie ! Enfin, si tu acceptes de me supporter encore quelques jours... C'est un réel plaisir pour moi que de voyager avec toi. Et pour aujourd'hui, je préfèrerais vous accompagner. Je sais bien que je ne serai pas utile à grand-chose, dans mon état, mais rester ici à vous attendre en imaginant les pires catastrophes me rendrait malade d'inquiétude. S'il t'arrivait quelque chose alors que j'attends ici, je ne me le pardonnerais jamais de n'avoir rien pu tenter pour t'aider.


HRP : je te laisse conclure ? Enfin comme tu veux...

[Kasumi]

Quête : un désir de crépuscule

Kasumi se sentit sourire alors qu’Astrée lui parlait comme elle le faisait. Ainsi donc elle avait aussi pris plaisir à voyager en sa compagnie. Le rôdeur ne l’avouerait jamais mais son cœur s’accéléra à ces paroles. Sans elle, il serait probablement mort à l’heure qu’il était. Si elle ne l’avait pas sauvé lors du combat contre les non morts, elle l’avait bel et bien fait face au chef des Sharites alors même qu’elle se trouvait affaiblie. Il ne voulu pas lui remémorer ces instants qui l’avaient obligé à tuer un homme et, au lieu de cela, il l’entraîna en lui prenant le bras en un geste qui pouvait davantage signifier la camaraderie entre personnes ayant frôlé ensemble la mort, que l’étreinte chaste d’un amoureux pour sa belle. Il répliqua avec humour pour ne pas qu’elle se méprenne sur ses intentions :

- Qui veillerait sur moi sinon toi ? Je ne peux pas compter sur une armée de soldats Luménien pour assurer ma sécurité mieux que tu ne le ferais. Je ne suis pas près de me lasser de ta compagnie. En veillant sur toi, c'est une part de moi-même que je protège, ajouta-t-il mentalement.

Arrivé près de l’enclos, il l’aida à seller sa monture puis tous deux se mirent en selle pour rejoindre le groupe de soldats, n’attendant qu’eux pour se diriger vers le vallon. Kasumi demeura à côté de la monture de son amie aussi longtemps que le terrain le permettait. Une fois les chevaux arrivés péniblement au vallon par la piste gelée, le groupe se mit en devoir de rejoindre l’endroit où Belenn avait manifestement disparu, espérant contre tout pronostic que les deux rôdeurs y découvrent des traces exploitables qui leur avaient échappé la veille.

[Galathée]

En chemin vers le site où avait été détruit l’artefact, la patrouille luménienne tomba sur un groupe d’une dizaine de zombies qui erraient comme les rescapés d’une explosion, se heurtant les uns aux autres, avant de repartir de leur démarche saccadée. Ils n’offrirent pas la moindre résistance aux soldats, qui savaient qu’en les fauchant, ils renvoyaient des âmes perdues au repos auquel elles n’auraient jamais dû être arrachées. Lorsqu’ils parvinrent enfin au lieu-dit, ils purent constater de leurs yeux qu’Arya n’avait pas menti : ils ne trouvèrent qu’un cratère de quelques mètres de profondeur, où la terre était encore chaude. Loin d’être brûlée, elle semblait avoir retrouvé, un instant, le printemps. L’herbe y était aplatie mais verte, et rayonnante de vie. Les rôdeurs repérèrent des traces qui indiquaient qu’effectivement, quelqu’un s’était approché de cet endroit, mais il n’y avait aucun signe qu’il (ou elle) en fut reparti. Ils ratissèrent les lieux avec minutie, les sens aux aguets, tandis que les militaires luméniens les attendaient, scrutant les bois avec une certaine nervosité, qui était peut-être une simple envie d’en découdre. Ils furent récompensés lorsqu’un mort-vivant furieux, portant encore une armure de paladin cabossée, surgit des broussailles, l’épée dressée. La créature était moribonde mais, comme le sanglier blessé, d’autant plus dangereuse, et elle chargea à travers tout, sans prendre la moindre précaution. Cette apparition brutale et suicidaire surprit un cavalier luménien, dont le cheval fut touché, avant qu’il ne puisse réagir et affronter le non-mort. Ses collègues se portèrent à son secours et ils taillèrent en pièces le revenant. Celui-ci reprit alors les traits éprouvés du cadavre déjà odorant d’un paladin luménien, et deux des militaires se chargèrent d’emmener son corps vers la tour, où on avait décidé d’ériger le cimetière, en terre consacrée à Lathandre.
Les rôdeurs furent forcés de renoncer. Toute trace de Belenn et de l’artefact maudit responsable de sa disparition s’était volatilisée. Ils avaient plus de chance de retrouver le clerc par hasard sur un chemin que d’espérer le pister à partir du néant. Ils remontèrent donc en selle et passèrent le restant de la journée à traquer les derniers morts-vivants du vallon. Ils tuèrent des goules et des blêmes, un vampire catatonique, une vieille momie agonisante, furent forcés de combattre trois nouveaux paladins, de loin les plus coriaces de leurs adversaires, et petit à petit, ils ressentirent l’assainissement des lieux au plus profond de leur corps. Malgré l’hiver, une forme de plénitude tranquille revenait dans les allées boisées du vallon. Astrée aperçut un premier rouge-gorge, le vol sombre d’une petite troupe de corneilles, le passage léger d’un lapin de garenne sur le tapis immaculé. Le vent dans les branches, loin de sembler sinistre, était symbole de normalité. Le songe étrange, le poids de la nuit, s’était finalement levé, et avec cette libération, la nature reprenait ses droits. Le soleil resplendissait dans le ciel presque blanc, il faisait toujours incroyablement froid, leurs paroles filaient en volutes dans l’air, mais ils se sentaient tous irrémédiablement vivants.
A la mi-journée, ils rallièrent la tour, où tous les soldats s’étaient donné rendez-vous pour déjeuner et échangèrent les dernières nouvelles. Les paladins furent identifiés par ceux qui les connaissaient, un débat s’engagea pour savoir s’il fallait ramener le corps de leur chef, Erwan de Sallis, à Luménis, mais il fut décidé qu’il aurait préféré reposer auprès de ses hommes et il fut enseveli auprès d’eux. Les Sharites furent également enterrés, sans que les rôdeurs n’observent de gestes déplacés de la part des Luméniens. Ils travaillaient professionnellement et sans éclats. Au sommet de la Tour, le temple lathandrite fut nettoyé, les volets rouverts, les draperies sombres retirées. Pour le reste, la nature souveraine et ses mille agents se chargerait de renvoyer les traces de cette sinistre aventure à l’oubli.
L’après-midi ressembla à la matinée : ils pourchassèrent les morts-vivants, ratissant les bois avec discipline, jusqu’à ce que, satisfaites, toutes les patrouilles ne remontent vers le campement. Le soleil se coucha sur leurs traces, rougeoyant.

[Voyageuse]

Le froid était glacial, et Astrée avait beau avoir accumulé les épaisseurs de vêtements, elle n’arrivait pas à se réchauffer. Elle fut donc soulagée de rejoindre la relative chaleur du feu qui les attendait au campement.
Le bilan de la journée était mitigé. La vie revenait dans le vallon, les derniers morts-vivants avaient été éliminés. Mais ils n’avaient retrouvé aucune trace de Belenn. Même si elle avait du mal à l’admettre, l’idée qu’elle ne le reverrait plus faisait son chemin. S’il avait survécu, il serait revenu vers le campement, ou, tout au moins, ils auraient retrouvé des traces. Mais il n’y avait rien…
C’est donc le cœur serré qu’elle suivit le reste du groupe dans la tente principale. Elle réussit tant bien que mal à manger, sous la surveillance attentive de Kasumi qui semblait mettre un point d’honneur à veiller à ce qu’elle s’alimente correctement. L’attitude du rôdeur l’amusait, et la touchait en même temps. Elle se dit confusément que le voyage en sa compagnie serait vraiment agréable.

Elle sortit de table parmi les premiers. Elle se sentait épuisée après cette journée de chevauchée, ce qui n’augurait rien de bon pour le voyage qui s'annonçait. Elle salua Kasumi qui était sorti juste derrière elle, et se dirigea vers sa tente tandis que le rôdeur regagnait la sienne. Avant d’y entrer, elle tourna un instant son regard vers le sud-est. Vers chez elle. C’était dur de se savoir si près et de ne pas pouvoir y passer. Elle aurait bien voulu demander la permission de récupérer quelques vêtements, mais elle n’osait pas retarder le groupe.
Tant pis, tu y retourneras bientôt.
Elle soupira et se glissa sous la toile. Quelques minutes après, elle se couchait, sous une montagne impressionnante de couvertures, après avoir, comme un rituel, contemplé quelques instants la statuette de Kasumi.

[Kasumi]

Quête : un désir de crépuscule

Kasumi était épuisé et se sentait vide lorsque le groupe regagna l’abri du campement. La vie naturelle reprenait ses droits suite à leur intervention et pourtant, détruire les paladins déchus avaient été une tâche déprimante et dangereuse. Pire, Belenn n’avait laissé aucune trace, réduisant à néant les maigres espoirs du rôdeur de le retrouver en vie.

Les cavaliers n’avaient heureusement subi aucune perte mais tous étaient éprouvés et l’ambiance se fit morose, les Luméniens préférant le recueillement pour les disparus à la jubilation d’avoir remporté une victoire totale. Les deux rôdeurs ne tardèrent pas à retourner dans leurs tentes respectives où chacun chercha un repos mérité mais qui serait probablement long à venir.

[Galathée]

Alors qu’elle allait s’endormir, Astrée sentit quelque chose sous son oreiller de fortune. Passant sa main sous l’étoffe, elle dénicha alors quelque chose qui ressemblait furieusement à une enveloppe de parchemin. Epuisée, elle songea un instant à remettre son investigation au lendemain, mais la curiosité la tarauda, cruelle, et elle finit par rallumer la bougie qui lui servait de phare au milieu des ténèbres. C’était effectivement un pli couleur crème, sur lequel était inscrit, d’une patte élégante, son prénom. Si elle crut un instant trouver là le mot doux d’un admirateur secret, elle fut rapidement détrompée en découvrant le message suivant :

► Afficher le texte

Chère Astrée,

Vous devez désormais avoir compris que je ne rejoindrais pas votre groupe. Comme je le disais, ça a été un plaisir de vous rencontrer, et je regrette que nous n’ayons pu mieux nous connaître. En même temps, cela vous protège certainement des désagréments d’une perte supplémentaire. Vous m’oublierez vite, j’en suis persuadé. Sachez néanmoins, si cela peut tempérer votre souci, que je ne suis pas mort, pas au sens où vous l’entendez, du moins. Pensez à moi comme à un ami qui est parti pour un long voyage, un voyage éternel et porteur de sens, sens qui a été à nouveau renforcé par des rencontres, dont la vôtre. Vous êtes une femme forte, et vos souffrances, si elles ne disparaîtront jamais vraiment, peuvent être atténuées par de nouveaux lendemains. Offrez-vous cette chance. Vous ne trahissez pas ceux qui sont partis en étant heureuse. Vous les consolez.

Je vous écris ces quelques mots car j’ai une requête à vous faire. Vous possédez un vaillant destrier, qui n’est plus tout jeune, auquel vous êtes très attachée, je le sais. J’ai moi-même un cheval à Luménis, au Fort, qui porte le nom délicieux de Prince des Frelons. Je ne pourrai pas aller le chercher ni même m’en occuper. Je voudrais que vous le preniez. Il pourra décharger Moïse quand celui-ci est fatigué, et malgré son patronyme, c’est un être de bonne composition. Vous verrez qu’il peut se faire bourdonnant ou grimpeur selon les besoins. Il devrait vous plaire et je sais qu’il appréciera votre sagesse et votre gravité. Peut-être mettra-t-il, parfois, un peu de soleil dans votre cœur quand vous en manquez.

Je vous remercie de ce service, d’avance.
Bonne route à vous désormais, et soyez assurée que Lathandre veille,
Adieu,

Belenn

***

Kasumi allait se pelotonner sous ses couvertures, lorsqu’une tache claire, près de son sac, attira son attention. Il se pencha pour ramasser une enveloppe blanche sur laquelle était inscrite son nom. Il s’assit sur sa couche pour la décacheter, un peu surpris, vaguement inquiet. Il y découvrit les mots suivants :

► Afficher le texte

Cher Kasumi,

A l’heure où vous lisez ces lignes, vous devez avoir compris que je vous ai faussé compagnie définitivement. Je suis reparti en escapade, voyez ça comme cela, butinant à droite à gauche, au gré des nécessités. Ces quelques jours en votre compagnie ont été très instructifs, cependant, pas seulement lorsque j’ai pu observer vos délicieuses réactions dans les lieux louches de Luménis. Je regrette que nous n’ayons pu échanger plus profondément, mais vous êtes un homme qui a déjà franchi un bon bout de chemin, qui s’est déjà posé mille questions, et a trouvé de nombreuses réponses. Je ne vous aurais pas été très utile, au final.
Aujourd’hui, s’offre à vous une nouvelle route, moins familière et plus dangereuse, peut-être, que ces chemins de guerre que vous avez maintes fois empruntés. Je ne connais pas l’avenir, mais je vous le souhaite lumineux, à l’abri de la solitude et en écho avec votre âme et votre cœur, qui se languissent, eux aussi, de trouver l’harmonie.

C’est cependant au guerrier que vous êtes, l’homme qui affronta et vainquit le vampire, que je m’adresserai encore avant de prendre congé, une fois pour toutes. L’autre Kasumi n’a pas besoin de moi pour se frayer un passage jusqu’à la chaleur dorée à laquelle il aspire.
Mais il est donc des choses dont je n’ai nul besoin dans mon voyage, mais qui pourraient aider, peut-être, ceux qui continuent à arpenter ces contrées. Vous trouverez avec cette lettre un petit morceau de roche orangé. C’est un Eclat de Soleil, issu du cœur même de l’astre. Si vous le faites sertir sur une arme, il lui conférera certains pouvoirs de l'aube, et vous protégera notamment des drains funestes qui vous ont affligé dans la forêt et des maladies que transportent certaines créatures. De manière générale, vous trouverez votre lame mieux armée pour pourfendre la non-vie et les ténèbres. Si vous le lui demandez, elle vous donnera la lumière quand vous serez dans l’ombre.
Je sais que je ne ferai pas de vous le chantre d’une seule voie, vous êtes trop indépendant pour vous vouer à la cause d’un seul. Je pense, cependant, que vous ne galoperez jamais trop loin de ces prairies où rayonnent l’espoir, la bonté et la foi irréductible en l’être humain. En cela vous êtes digne d'être le paladin, le rôdeur si vous préférez, de la véritable lumière en ce monde.

Je me retire, désormais, et vous enjoins de continuer sur la piste que vous tracez, chaque jour que Lathandre fait,
Adieu,

Belenn

[Kasumi]

Quête : un désir de crépuscule

Kasumi relit deux fois la lettre avant d’en saisir toutes les implications. Son côté pratique le poussa à s’interroger sur comment la lettre était arrivée dans sa tente avant de rejeter cette question sans réelle importance. Ainsi donc Belenn avait quitté le monde des vivants… Mais au sentiment de tristesse qui toucha le rôdeur se mêla une grande fierté d’avoir connu le clerc si fantasque. Une étrange félicité s’empara de lui en songeant que l’homme n’avait pas échoué et probablement rencontré un destin à mesure de ses idéaux. Certes, Belenn avait été un ami qui lui manquerait beaucoup. Il aurait aimé le connaître davantage mais il ne pouvait plus désormais que lui rendre hommage. L’homme avait su percer ses doutes et sa carapace de secrets pour découvrir une part de lui-même qu’il pensait perdue. En serrant le petit objet qui accompagnait la missive, il sentit une larme lui rouler le long de la joue, une larme qui ne contenait pas que de la peine et du chagrin mais mélange de tous les sentiments qu’il avait refoulés ces derniers jours, ces dernières heures et même ces dernières années.

Des sentiments qu’avaient du percevoir le clerc. Mais alors qu’il envisageait cette idée, il se demanda subitement s’il avait été si transparent et sentit la rougeur lui monter aux joues. Il se félicita d’être seul dans sa tente alors qu’il réalisait que peut être d’autres auraient remarqué son étrange comportement vis-à-vis d’Astrée. Il n’oserait plus croiser son regard maintenant qu’il imaginait qu’elle pouvait savoir. Il se demanda ce qu’en dirait Belenn et soudain se sentait ridicule. Seul l’avenir déciderait ou non de lui donner cette chance à laquelle il aspirait.

Il dissimula soigneusement le pli dans une manche de sa tunique et la pierre au fond de son sac avant de s'allonger sur son lit. Ses yeux restèrent ouverts cette nuit-là alors que son esprit bouillonnait.

[Voyageuse]

Astrée reposa la lettre, songeuse. Elle se demandait ce que Belenn entendait lorsqu’il disait être parti pour un long voyage éternel. Cette idée lui évoquait la mort, irrémédiable, et pourtant Belenn le niait. Peut-être parce qu’un prêtre considère la mort simplement comme un voyage éternel ? Ou peut-être était-ce autre chose, qu’elle ne comprenait pas ? Et puis, comment avait-il fait pour lui transmettre ce message ?
Non, elle ne comprenait pas. Cela n’était pas rationnel et pourtant… c’était réel. Elle effleura du doigt le parchemin, semblable à n’importe quel autre parchemin. Belenn lui avait bien écrit ce mot.

Elle soupira… Finalement, peu importait comment il l’avait fait. Peu importait où il était à présent. Elle ne le saurait certainement jamais, et il était inutile de s’obstiner à vouloir tout comprendre. Mais s’il avait pris la peine de lui écrire ces lignes, à l’instant de quitter leur monde, alors elle devait leur accorder toute l’importance qu’on accorde aux dernières volontés d’un mourant.
Elle irait chercher ce cheval à Luménis. De toute façon, elle était forcée de trouver un prêtre, alors autant aller le chercher jusque là-bas.

Quant au reste… Elle lut et relut les lignes écrites par Belenn, le cœur envahi par l’émotion. Une phrase résonnait dan sa tête : « Vous ne trahissez pas ceux qui sont partis en étant heureuse. Vous les consolez »
Comment avait-il pu deviner ? Comment pouvait-il ainsi pressentir ce qu’elle ressentait au fond d’elle-même sans oser se l’avouer ? Il y avait plusieurs jours qu’elle n’avait pas pensé à sa fille et à son défunt mari, et elle en ressentait une vague culpabilité. Elle ferma les yeux un instant, revit leur visage, entendit leur rire… Quelques années de bonheur absolu, trop vite envolées. Une larme roula sur sa joue.
« Vous ne trahissez pas ceux qui sont partis en étant heureuse.»
Facile à dire. Oui, elle avait peur d’oublier le visage de sa fille, de son compagnon, peur de les enfouir au fond de sa mémoire. Oui, elle n’osait pas imaginer être à nouveau heureuse sans eux, elle aurait l’impression de trahir ainsi leur mémoire.

Elle savait bien que Belenn avait raison, pourtant. Que la vie devait reprendre ses droits. Qu’elle devait aller de l’avant. Mais c’était un chemin difficile à trouver…
Son regard tomba sur la petite statuette. Elle revit le sourire de Kasumi, puis repensa à Taliesin, à Arya. Confusément, elle comprit qu’elle venait de s'engager sur ce chemin. Sa nouvelle vie l’attendait. Mais aurait-elle le courage et la volonté de le suivre ?
Laisse faire le temps. N'aie pas peur de l'avenir...