[Lieu] Les hauts plateaux

[Galathée]

Les hauts plateaux du centre d’Hélonna bordent la Trouée des Chevaux au sud, se profilant ensuite le long de la Forêt Maudite et des Montagnes de Fer. Steppes herbeuses, vallonnées, elles accueillent une faune diversifiée et féconde, ainsi que de petits groupes d’éleveurs nomades qui profitent des grands espaces. Ces tribus vagabondes vivent en symbiose avec l’environnement et ont appris à partager les prairies avec des créatures plus étranges, tels des licornes et des centaures.
Ces plaines surplombent la vallée proprement dite, où serpente la route qui relie Luménis à Lunaros.

***

Quête : Brumes

Albérich Megrall avait sombré peu de temps après son arrivée au campement de l’armée luménienne, en contre-haut du vallon ténébreux. Epuisé, tant physiquement que mentalement, il n’avait plus les ressources pour faire face, et la fièvre l’avait saisi, l’enfouissant dans un délire salvateur, qui masquait la réalité et ses nécessités douloureuses. Il louvoya entre éveil et sommeil pendant plusieurs jours. De temps en temps, il émergeait, bercé par le pas d’un cheval, reconnaissait la bâche d’un chariot aménagé à son intention, confortable et chaleureux, obscur. Puis il regagnait rapidement les vapeurs de ses songes et cauchemars, chemins de traverse que n’avait pas empruntés l’existence. La souffrance refluait, il ne parvenait ni à la comprendre, ni à la repousser. L’univers était composé d’instants, il ne se souviendrait de rien plus tard. Comme si son esprit lui offrait une dernière trêve avant de le forcer à reprendre une place dans le monde… Parfois, dans un instant de lucidité, il avait l’impression de devenir fou, la sensation d’être en train de mourir, puis il repartait à la dérive.

Des visages peuplaient son errance. Euryale et Erwan, Noir Dessein et Calme Péril, Marcus, Taliesin, Kasumi, la jeune rôdeuse dont il ignorait le nom, d’autres Sharites, d’autres Lathandrites, parfois son père, et le kaléidoscope de ces rencontres n’avait aucun signification, aucune direction. Des épisodes ordinaires succédaient à des scènes fantasmagoriques, ses émotions défilaient, étouffées par la léthargie, magnifiées par le trouble, à la fois palpables et irréelles. Il était là et ailleurs. Hors de lui et au plus profond de sa carcasse, prisonnier.

Quand il s’éveillait, il était parfois envahi par l’angoisse, surpris d’être vivant, et les dernières paroles de Calme Péril lui revenaient en mémoire, celles où il accusait un commanditaire, où il révélait un dessein. Etre aux mains, affaibli, de ceux qui avaient voulu toute cette mort, toute cette souffrance, le paralysait, il sentait le goût de la bile sur sa langue, le tambourinement du sang à ses tempes, la sueur qui lui baignait brusquement l’échine et le front, et la panique lui comprimait les poumons jusqu’à ce qu’il parvienne à reprendre son souffle, à repousser ces mots cruels et sans doute mensongers. Mais Maelwedd était désormais conseiller. Malgré sa fatigue, son incapacité à penser droit, Albérich savait déjà, sans le formuler, qu’il ne lui disputerait pas la place. Le fort triomphe du faible, c’était l’ordre du monde, et il savait de quel côté il se trouvait. Puis le délire le rattrapait, il plongeait à nouveau, se perdait dans des limbes obscures, où curieusement, il se sentait en sécurité.

Un jour, il revint à lui peu avant l’aube, et la terreur le submergea. A tâtons, il gagna la sortie du chariot, se glissa au dehors, pieds nus dans la neige, et détala au hasard, droit devant, sans aucune maîtrise de lui-même. Il eut vaguement conscience de voix qui l’interpellaient, mais cela ne fit que l’encourager à courir plus vite, plus loin, n’importe où. Son épouvante était impérieuse, elle lui dictait sa conduite sans qu’il ne puisse y réfléchir, sans qu’il ne puisse réellement comprendre ce qu’il essayait de fuir. Quatre soldats de son escorte finirent par le rattraper alors qu’il titubait dans un petit bois de sapins, aveugle et sourd. Ils essayèrent de le raisonner sans parvenir à obtenir le moindre signe de reconnaissance de sa part. Soudain, le soleil se leva entre les troncs, brisant la grisaille, et le conseiller se figea. Une seconde plus tard, il s’écroulait, inconscient. Après discussion, les officiers en charge de son rapatriement prirent la décision de ne pas prendre de risques supplémentaires, et Albérich Megrall passa la fin du périple dans une torpeur sans remous, assommé par une décoction radicale réservée de coutume aux prisonniers de guerre récalcitrants.

Puis un soir, ils furent à Luménis. Albérich n’en vit ni les portes, ni les rues. Les effets de la drogue qu’on lui administrait ne se dissipèrent que plus tard, alors qu’il reposait au Temple, entre des mains inquiètes mais bienveillantes.

[Kasumi]

Le rôdeur était satisfait de son séjour à Rohan et se dit que c’était une ville où il prendrait plaisir à retourner si l’occasion s’en présentait. Si la chambre ne s’était pas révélé des plus spacieuses, la nourriture locale avait gommé ce désagrément et mieux que tout, Astrée avait été délivrée de sa malédiction et semblait plus en forme que jamais.

Une fois les portes franchies, Kasumi talonna sa monture et lui lâcha sa bride, laissant les muscles d’Ombrage se délier en un galop rapide. Au bout de quelques centaines de mètres, il lui fit ralentir l’allure, peu désireux de fatiguer la monture d’Astrée qui accusait une moins bonne forme. La route de Luménis traversait une campagne vallonnée avec des prairies à perte de vue. Le paysage était enchanteur quoique tourmenté par le vent circulant du large et s’engouffrant, bien plus loin, dans le défilé donnant son nom à la région. Ils virent au loin quelques troupeaux de moutons et de chevaux pour l’essentiel. Mais s’il y avait des bergers pour les guider, ils ne se montrèrent pas aux voyageurs. La route était tout aussi déserte en cette saison morte pour les affaires mais les rôdeurs s’en satisfaisaient fort bien, échangeant quelques mots de temps à autre. Kasumi prenait un plaisir particulier à cette chevauchée sans pression en compagnie de sa comparse.

Ils cheminèrent tout de même à bon train tout l’après-midi mais durent bientôt se rendre à l’évidence. Ils n’atteindraient pas la prochaine auberge avant la tombée de la nuit. La température semblant remonter avec la proximité de la côte, il se pouvait que le bivouac ne soit pas une si mauvaise idée finalement. Le demi-elfe désigna un bosquet en contrebas de la route à sa compagne.

- Il est temps de nous arrêter si nous voulons réunir assez de bois pour le feu. Inutile de chercher à nous dissimuler et un bon feu rendra l’endroit confortable. Davantage qu’un coin de plancher en tous cas.

[Voyageuse]

Astrée acquiesça. Elle sentait que Moïse était fatigué, et savait qu'il lui faudrait le ménager pour qu'il puisse terminer le voyage dans de bonnes conditions.
Ils mirent donc pied à terre, et s'approchèrent du bosquet. Il était jouxté d'un grand pré herbeux, traversé d'un minuscule ruisselet qui permettrait d'abreuver les bêtes. Les arbres les abriteraient du vent. Le lieu idéal pour bivouaquer.
Rapidement, ils défirent le harnachement des chevaux. Ombrage semblait en pleine forme, mais ce n'était pas le cas de Moïse. Tandis qu'Astrée, avec douceur, enduisait d'onguent les muscles endoloris de son cheval, Kasumi se mit en devoir de réunir une quantité suffisante de bois pour la nuit. Sa compagne le rejoignit bientôt, semblant décidée à rattraper par un surcroît d'activité toutes les soirées où elle n'avait pas pu faire grand-chose.

Bientôt, le feu se mit à crépiter joyeusement, et ils s'attelèrent à la préparation du repas, entrecoupée de discussions épiques sur la quantité d'oignons, d'herbes ou d'épices qu'il fallait y mettre. Kasumi finit par abandonner la partie, arguant que la cuisine était une affaire de femmes - ou peut-être content d'être débarrassé de la corvée...
Une odeur appétissante s'éleva enfin dans l'atmosphère. La nuit était tombée, et avec elle une humidité glacée. Les deux rôdeurs s'installèrent près du feu, et Astrée servit à Kasumi une portion impressionnante de ragoût. Elle s'en servit autant, se sentant affamée, sans doute à cause de sa vitalité retrouvée.

[Kasumi]

L’air frais, le calme nocturne et la chevauchée avait ouvert l’appétit des rôdeurs et ils mangèrent sans rechigner. Astrée se révélait bonne cuisinière, malgré ou peut être grâce à ses divergences d’opinion sur les condiments à utiliser. Toujours est-il que le ragout avait cette saveur si particulière que prennent les aliments quand on les savoure à la chaleur d’une bonne flambée.

Kasumi avait étalé une couverture sur le dos des montures et en fit de même pour lui alors que la nuit fraîchissait l’atmosphère. Au cours de leurs échanges, les rôdeurs décidèrent de ne pas instaurer de tour de garde. La région semblait relativement sûre et leur campement était dissimulé depuis la route au cas improbable où des maraudeurs passent par là. Bientôt, la fatigue du grand air les rattrapa et ils ne luttèrent que quelques instants avant d’aller trouver la chaleur accueillante de leurs couchages. Ils avaient dressé la toile d’Astrée entre deux arbres et se partageaient l’espace à l’abri de toute intempérie. Devant eux, le feu crépitait doucement, dispensant sa chaleur bienfaisante et l’effet conjugué de bien être et de fatigue les emporte rapidement.

HRP : Gal, si tu veux en profiter pour amener une invitée surprise, c’est le moment ! D'ailleurs, si tu pouvais nous changer de sujet, ce serait gentil

[Galathée]

La neige se mit à tomber. L’hiver étendait peu à peu son blanc manteau sur l’entièreté de l’île et on approchait de la fin de Nuiteuse, et du début d’une nouvelle année. Protégé par la toile de la rôdeuse, les deux voyageurs n’en devinaient que les flocons feutrés qui se posaient peu à peu au-dessus de leur tête. Ils s’étaient bien emmitouflés et ne risquaient pas de souffrir du froid. Mais alors qu’ils sombraient petit à petit, ils entendirent soudain les chevaux bouger. Ombrage hennissait à mi-voix, coléreux. Moïse soufflait par les naseaux. Quelque chose leur faisait manifestement peur. Peut-être un oiseau de nuit en chasse, un renard curieux, peut-être autre chose. La nuit semblait silencieuse.

[Kasumi]

Kasumi émergea rapidement de son sommeil aux premiers signes d’agitation. Avisant qu’Astrée s’était elle aussi redressée sur sa couche, il empoigna son épée. Dans un murmure, il l’incita à rester près du feu et à garder les chevaux alors qu’il s’enfonçait dans l’obscurité du bosquet.

Les chevaux renâclaient toujours et il décrivit un large arc de cercle pour se rapprocher du feu depuis la direction opposée à la tente. Ainsi, l’intrus serait coincé entre Astrée et lui-même et serait forcé de se révéler cette fois-ci. Les traces relevées autour du dernier bivouac et la réaction des chevaux faisaient penser à un loup mais il était improbable que la meute les eut suivis jusqu’ici. A supposer qu’elle ait quitté la forêt, elle aurait du leur préférer l’autre groupe et ses nombreuses victuailles. A moins que…

Plus que quelques mètres sous le couvert des arbres et déjà il serait de retour à son point de départ. Kasumi songea que l’intrus avait déjà du s’enfuir lorsqu’il regagna le cercle de lumière. Il s’apprêtait à demander à la rôdeuse si elle avait vu quelque chose mais un éclair blanc fila à la limite de son angle de vision. L’animal avait laissé des traces distinctes dans la boue et avait manifestement fouillé l’endroit où les rôdeurs avaient enterré les reliefs de leur repas. S’ils ne s’étaient pas réveillé à temps, nul doute que le chapardeur audacieux s’en serait pris à leurs sacs de victuaille.

Le demi-elfe arbora une mine incrédule de s’être laissé ainsi berné. Il tourna son regard vers sa compagne :

- Est-ce que tu as pu le voir ?

Du reste, il était peu probable que le visiteur nocturne ait franchi la limite de lumière mais la rôdeuse avait peut être eu plus de chance que lui.

[Voyageuse]

Astrée avait guetté de son mieux un éventuel intrus, tandis que Kasumi, avantagé par sa capacité à voir dans le noir, explorait les environs.
Mais elle eut beau écarquiller les yeux, elle ne pouvait rien distinguer au-delà du cercle de lumière. Tout juste un vague mouvement dans l'obscurité, dont elle ne savait s'il était réel ou le fruit de son imagination.

Elle répondit d'un signe de tête négatif à la question de Kasumi.
- Non, je n'ai rien vu. Il m'a semblé deviner un mouvement par là, ajouta-t-elle en désignant l'endroit où ils avaient laissé les restes de leur repas, mais je n'en suis pas sûre. Il fait trop sombre. Je n'ai pas les dons de vision des demi-elfes, moi...

Les rôdeurs décidèrent de ne pas suivre les traces. L'animal semblait isolé, et ne présentait donc pas de réel danger. Si jamais il revenait, ils aviseraient.
Ils se glissèrent donc à nouveau sous la tente, bien décidés à reprendre leur nuit trop tôt interrompue.

[Kasumi]

Avant de retourner au chaud, Kasumi s’ouvrit à la rôdeuse de son impression d’avoir été suivi depuis les montagnes :

- Je sais que cela parait un peu fou mais il me semble que notre visiteur de ce soir est le même que celui qui s’est nourri de nos vivres dans les hauteurs. Les traces correspondent mais je peux me tromper. Je ne sais pas ce qui peut pousser un animal aussi loin de son terrain de chasse. Je n’ai jamais vu un animal isolé avoir tant d’audace.

Bien qu’étonné par l’attitude du loup, les rôdeurs estimèrent le danger insuffisant pour se priver de sommeil. Seul, il ne s’en prendrait pas aux chevaux et ces derniers les préviendraient de toute nouvelle incursion, guidés par leur instinct.

Le reste de la nuit se déroula sans autre incident et le campement semblait en ordre sous les premiers rayons d’un soleil timide peinant à réchauffait l’atmosphère. Les alentours étaient maintenant recouverts d’une fine pellicule blanche ayant recouvert les traces du loup, le reléguant à l’échelle du rêve incertain.

[Voyageuse]

Un froid piquant régnait, et les deux rôdeurs s'empressèrent de ranimer le feu.
Toute trace de leur visiteur avait disparue. Tout en s'activant à préparer le petit déjeuner, Astrée songeait à l'hypothèse de son compagnon concernant le loup. Son état de santé l'avait empêchée de s'intéresser vraiment aux incidents qui avaient émaillé le début du parcours, mais Kasumi était expérimenté et elle ne remettait pas en cause son jugement. S'il avait raison, alors ils devaient s'attendre à d'autres visites.

Un bon thé chaud accompagné de tartines et de fruits secs eût tôt fait de chasser le froid et l'engourdissement de la nuit, et les deux voyageurs s'activèrent à plier la tente et préparer leurs montures. Les chevaux lorgnaient la fine couche de neige d'un air perplexe. Heureusement, ils avaient pu brouter l'herbe à volonté la veille, et les rayons du soleil faisaient déjà fondre la neige.

Après avoir pris soin d'étouffer le feu qui se mourait, les deux rôdeurs reprirent la route, un peu monotone, qui descendait sur Luménis. Un vent d'ouest, doux et humide, leur fouettait le visage, ralentissant leur progression. La route serpentait dans un paysage de grandes prairies herbeuses, entrecoupées de champs cultivés aux abords des rares hameaux, et de quelques bouquets d'arbres. Ils aperçurent quelques troupeaux de moutons ou de chevaux, parfois leurs bergers, deux paysans réparant une clôture, un groupe d'enfants jouant aux abord d'une ferme. La zone était peu habitée, et il s'en dégageait une sorte de calme immuable.
Ils avançaient plus lentement que la veille, Moïse montrant quelques signes de fatigue. Ils devisaient tranquillement, observant les paysages qui se succédaient. Astrée, qui d'ordinaire préférait la marche à pied, se surprenait à apprécier cette longue chevauchée en compagnie de Kasumi.

[Kasumi]

Les deux rôdeurs progressèrent ainsi de front toute la journée dans la calme assurance que rien de fâcheux ne pouvait leur arriver. Kasumi se sentait à l’aise à cheminer ainsi avec sa compagne. La réserve naturelle du début avait progressivement cédé le pas à une franche camaraderie après les aventures du vallon et le séjour à Rohan. Aucun d’eux n’éprouvait le besoin de presser le pas et la fatigue de Moïse était au fond une raison de plus de ne pas se hâter en profitant du calme bucolique de la région enneigée.

Ils prirent le temps d’allumer un petit feu pour agrémenter leur déjeuner de midi et se remirent en selle sans hâte. Ce n’est que tard dans l’après-midi qu’ils commencèrent à songer à trouver un endroit propice pour leur bivouac. Un esprit bienveillant dut interpréter leurs attentes lorsque, à la faveur d’une déclivité, ils aperçurent les fumées d’une petite bourgade, guère plus qu’un hameau mais peut être suffisamment importante pour comporter une auberge.

Kasumi porta un regard interrogateur sur sa compagne :

- Je n’aurais rien contre passer une nuit au chaud si nous pouvions enfin trouver un logement comptant plus d’un lit de libre. Tentons-nous notre chance ?

[Voyageuse]

Astrée acquiesça.
- Pourquoi pas? Ce n'est qu'un petit hameau de bergers, mais peut-être trouverons-nous une place dans une grange, à défaut de lit...

Un petit chemin quittait la route principale en direction du hameau, et les deux rôdeurs eurent tôt fait d'atteindre la petite bourgade. Une dizaine de maisons étaient regroupées de part et d'autre du chemin, flanquées d'un petit potager, d'une grange ou d'une étable. Quelques poules erraient en semi-liberté. Un seul puits, au centre, semblait fournir l'eau potable pour tout le hameau.

Le jour déclinait déjà, et ils se hâtèrent en direction du puits, apparemment animé à cette heure-ci d'après les bruits de voix qui en parvenaient. Bruits de voix qui s'interrompirent dès leur arrivée. Trois paires d'yeux se tournèrent vers eux, surprises, curieuses, vaguement inquiètes. Elle appartenaient à trois enfants, dont la parenté ne faisait aucun doute. Les deux plus jeunes s'empressèrent de se cacher derrière leur grande soeur, qui ne semblait guère plus à l'aise qu'eux.
- Bonjour, dit Astrée. Excusez-nous de vous déranger... Nous sommes deux voyageurs qui cherchons un endroit où passer la nuit. connaissez-vous quelqu'un qui pourrait nous héberger? Au moins dans une grange?

La jeune fille ne pipa mot, mais ils crurent deviner un vague acquiescement de la tête. Elle se précipita soudain vers l'habitation la plus proche, suivie de ses deux frères. Ils crurent un instant l'avoir effrayée, mais elle revint bientôt, suivie d'un homme à la carrure imposante qui les toisa des pieds à la tête.
- Vous êtes qui? Parce que si c'est encore pour me vendre un de vos chevaux boiteux, on vous a déjà dit non!
Instinctivement, Astrée se tourna vers Kasumi. Elle devinait que l'homme leur faisant face était du genre à préférer parler "d'homme à homme", du genre à considérer les femmes comme partie négligeable.

[Kasumi]

Kasumi fit un pas en avant et se plaça presque par réflexe entre l’homme et Astrée. D’une voix qu’il voulait diplomatique, il engagea la conversation :

- Bonsoir, n’ayez pas d’inquiétude, nous ne sommes pas des marchands mais de simples voyageurs. Je m'appelle Kasumi et je retourne à Luménis avec mon amie Astrée. Nous cherchons simplement un endroit pour nous abriter durant une nuit. Le froid s’est abattu plus vite que nous le pensions. Un simple toit dans le coin d’une grange nous aiderait et nous vous dédommagerions pour votre accueil.

[Voyageuse]

L'homme sembla hésiter un instant.
- Pas des marchands, hein? Et vous dites que vous pouvez nous dédommager? Z'avez de l'argent?
Devant le signe de tête affirmatif de Kasumi, il poursuivit.
- Faut pas nous en vouloir mais... Les seuls personnes qu'on voit d'habitude, c'est des va-nu-pieds qui vont de hameau en hameau pour nous vendre leur camelote. Des paniers, des tapis, des chevaux. Toujours à mendier, et à voler quelques poules au passage. Les voyageurs comme vous, ils font halte plus loin, à l'auberge de Fontvieille. Mais c'est à presque trois heures d'ici, vous n'y arriverez jamais avant la nuit.

Il gratta un instant sa barbe, semblant réfléchir intensément.
- Je m'appelle Thomas. J'ai une grange, il y a de la place pour vous et vos chevaux, mais il vous faudra partager l'espace avec mes trois poulains. Vous pouvez même dîner avec nous si vous voulez, mais je vous préviens, c'est pas un repas de luxe. Ou j'y pense.... si vous voulez plus de confort, le vieux Malthus doit avoir une chambre de libre, depuis que ses filles sont parties. Je pense qu'il accepterait de vous héberger si vous lui donnez une pièce d'or. C'est comme vous préférez. Qu'en dis-tu, Malthus?
Kasumi et Astrée réalisèrent que d'autres personnes s'étaient approchées, attirées sans doute par le bruit de la conversation. Parmi eux, un vieil homme de petite taille acquiesça.
- Oui, j'ai bien une chambre, avec un grand lit. Enfin, grand.... Pas tant que ça, mais mes deux filles y dormaient, donc vous devriez y tenir!

[Kasumi]

Kasumi se détendit visiblement en constatant qu’il avait affaire à d’honnêtes villageois plutôt accueillant. Il réfléchit un moment à leurs propositions d’hébergements et, indécis, chercha à capter le regard de sa compagne. Après un échange muet, il prit sa décision. Il n’avait nulle envie de trop s’imposer parmi ces gens aussi accortes qu’ils puissent être. Cela éviterait aussi de tirer au sort qui profiterait du lit. Et une intuition le poussa à rester à proximité des chevaux si le rôdeur nocturne avait l’audace de se montrer à nouveau.

- Votre offre est fort généreuse maître Malthus mais mon amie et moi nous contenterons de la grange. Nous sommes également heureux d’accepter votre invitation à dîner maître Thomas. Nous vous céderons volontiers une pièce d’or si cela vous convient pour une place dans la grange.

Le rôdeur comprit à la l'expression fugace d'Astrée qu'elle aurait préféré dîner seule mais il était impossible de refuser l'offre sans vexer leur hôte et éveiller des soupçons à leur égard.

[Voyageuse]

Astrée acquiesça discrètement, signifiant son accord à Kasumi. Leur hôte hocha la tête :
- Une pièce d'or, c'est parfait, et c'est certainement plus que cela ne vaut.
Il sembla soudain pris d'un doute.
- J'espère que vous n'avez pas l'intention de partir avec mes poulains, hein? Non, vous m'avez l'air honnête... Et puis de toute façon vous pourriez pas les détacher sans réveiller tout le hameau. On a l'habitude de se protéger contre les voleurs, ici ! Mais assez bavardé, je vais prévenir ma femme que vous nous rejoignez pour dîner.
Le vieux Malthus ne sembla pas s'offusquer outre mesure que les deux rôdeurs refusent son hospitalité, et les salua d'un signe de tête avant de s'en retourner, tout comme les deux autres villageois que la curiosité avait poussés à s'approcher. Seuls quelques enfants faisaient mine de vouloir s'attarder, lorgnant avec intérêt les deux voyageurs qu'ils imaginaient sans doute riches ou héros de grandes aventures - la deuxième hypothèse n'étant pas vraiment fausse, songea Astrée. Mais un froncement de sourcil des adultes les renvoyèrent vite chez eux.

Les deux rôdeurs s'installèrent donc dans la grange du père Thomas. Grâce aux nombreuses bottes de foin qui l'isolaient du froid, il y régnait une température agréable. Trois poulains et leur mère en occupaient un angle. L'un des deux gosses qu'ils avaient croisés au puits apporta bientôt un peu de fourrage supplémentaire pour leurs chevaux, et, timide, s'enfuit sans avoir prononcé un mot.
Tandis que Kasumi défaisait le harnachement des montures, Astrée entassa une bonne quantité de foin dans un angle pour fabriquer deux couchages confortables, certainement plus en tout cas que le sol auquel ils étaient habitués. Puis elle rejoignit son homologue et, ensemble, ils s'occupèrent de panser les bêtes. Astrée comprit rapidement qu'Ombrage préférait être soigné par son propriétaire légitime. Il avait du caractère... Elle faillit taquiner Kasumi à ce sujet, lui demander si le caractère du hongre était à l'image de celui de son maître, mais elle ne voulait pas le froisser par une plaisanterie mal interprétée.
Moïse était moins fringuant que son compagnon. Il souffrait à nouveau de son genou : son articulation était douloureuse et ses muscles trop tendus. Elle massa un moment les muscles endoloris, et les enduisit de baume, songeant au passage que sa réserve baissait à vue d'oeil. Heureusement, Kasumi, ayant terminé avec sa propre monture, eut la bonne idée de venir à son aide avec son propre onguent.

Les deux chevaux furent bientôt confortablement installés devant une mangeoire et un abreuvoir pleins, et visiblement ravis du confort qu'on leur offrait. La jeune fille apparut à son tour pour leur apporter un peu d'eau pour quelques ablutions.
- Le dîner sera servi dans dix minutes, leur apprit-elle. Et je crois avoir oublié de me présenter. Je m'appelle Sylvaine.
Ils la suivirent dans la ferme, simple bâtisse comportant trois grandes pièces, l'une servant de cuisine et salle de séjour, et les deux autres de chambres. Une dame grande et forte les accueillit à la porte. La table était déjà mise, et une délicieuse odeur de soupe leur fit prendre conscience qu'il étaient affamés.

HRP : Désolée, c'est un peu long (et pourtant j'en ai enlevé!)... Mais je te laisse la parole ! Avance aussi loin que tu veux, je rentre tard ce soir.

[Kasumi]

Les rôdeurs se contentèrent d’une toilette rapide sur le visage avant de se laver les mains avec soin pour enlever le baume qu’ils avaient utilisé pour soigner les chevaux. Après avoir monté leurs affaires à l’étage de la grange, les voyageurs se rendirent dans la maison d’habitation de leurs hôtes où ils furent accueillis avec la chaleur simple des fermiers. Après une prière adressée à Chauntéa par Thomas, la tablée attaqua de bon cœur le repas chaud et nourrissant à défaut d’être extrêmement raffiné.

La chaleur du feu et une bouteille de vin débouchée pour l’occasion achevèrent de délier les langues et bientôt les rôdeurs apprirent que leurs hôtes avaient habité Luménis avant de préférer la vie au grand air à leur existence citadine d’autrefois. Ici, le petit lopin de terre qu’ils cultivaient et l’abondance de pâtures fertiles suffisaient amplement à nourrir leur famille. La conversation dévia sur les évènements récents qui avaient marqué la grande cité et les répercussions qu’elle avait eues à la campagne, même dans l’intérieur des terres. Puis sans malice aucune, la femme de Thomas, Evelyne, s’adressa à Astrée qui avait quelque mal à se départir de sa réserve :

- Mon Thomas et moi aimions bien voyager ensemble dans notre jeunesse. Qu’est-ce qui vous a poussé sur les routes en plein hiver si la question n’est pas indiscrète, bien sûr ?

[Voyageuse]

Astrée fut prise de cours par la question de leur hôte. De toute évidence, elle les prenait pour un couple, ce qui pouvait se comprendre étant donné la situation. Elle se demandait comment les détromper, ni si elle le devait vraiment, pour ne pas les mettre mal à l'aise. Ni que répondre concernant la raison de leur voyage : leur mission était sensée être secrète, mais elle ne savait pas trop à quel point.
Elle ne pouvait pourtant pas éluder la question... Et elle ne savait pas mentir. Elle choisit donc de s'en tenir à la vérité, mais une vérité quelque peu tronquée.
- Oh.... Moi aussi j'aime voyager, mais ce trajet n'était pas vraiment prévu en fait. Un ami à nous est décédé récemment et m'a demandé, avant de mourir, d'aller récupérer son cheval à Luménis. Je ne suis pas luménienne, précisa-t-elle, j'habite près des montagnes de fer. Et en un sens je suis ravie de faire ce voyage, il me donne l'occasion de profiter un peu plus longtemps de la compagnie de mon ami, qui devait rentrer à Luménis.
Elle jeta un coup d'oeil complice à Kasumi, qui ne s'offusquerait sans doute pas qu'elle n'ait pas clairement démenti leur statut de couple. Enfin, elle l'espérait...

[Kasumi]

Kasumi adressa un sourire reconnaissant à Astrée mais remarqua le trouble que la réponse de la rôdeuse suscita chez ses hôtes.

- Oh, je suis désolée de ma maladresse. Je vous adresse mes condoléances pour votre ami.

Alors que le repas touchait à sa fin, Thomas se leva de table et revint avec une bouteille d’eau de vie dont il servit un verre à chaque adulte. Il trinqua en l’honneur de leur ami disparu et à la réussite du reste de leur voyage.
Le repas ne s’éternisa pas outre mesure et bientôt hôtes et visiteurs se souhaitèrent la bonne nuit. Evelyne les accompagna jusqu’à la grange et s’assura qu’ils s’installent confortablement. Après que Kasumi lui assura qu’ils n’avaient besoin d’aucune couverture supplémentaire, Evelyne adressa un sourire énigmatique à Astrée avant de redescendre l’échelle et de les laisser s’installer.

Les couchages étendus sur une botte de foin éteint plutôt confortables surtout en comparaison des lattes dures et froifdes de la veille et Kasumi trouva rapidement le sommeil. La présence des chevaux et du foin réchauffait agréablement l’atmosphère et leur visiteur nocturne ne sembla pas se manifester…

[Voyageuse]

Astrée, comme Kasumi, dormit d'un sommeil paisible. Ses cauchemars semblaient avoir disparu, et elle s'en réjouissait, espérant que ce n'était pas seulement une accalmie. Après tout, peut-être étaient-ils dûs en partie à son état de faiblesse générale consécutif à la malédiction.
Elle se leva de bonne heure, et profita de ce que Kasumi lui tournait le dos pour procéder à une rapide toilette avant de s'habiller et de lui laisser la place.

Déjà, les bruits extérieurs leur annonçaient que leurs hôtes étaient levés, eux aussi, et qu'il était temps d'aller déjeuner. Ils enfilèrent rapidement leurs pelisses et s'apprêtèrent à sortir dans le froid du petit matin. Astrée, glissant sa main dans ses poches, sentit la présence de la statuette de Kasumi à travers la doublure, et un sourire heureux s'afficha sur son visage. Comme chaque fois...
Voyant que Kasumi l'observait, elle sortit de sa poche la statuette en question, et fit simplement, sans se départir de son sourire :
- Comme tu vois, elle ne me quitte plus. Et je suis sûre qu'elle me porte bonheur... En tout cas, elle est vraiment très belle, ajouta-t-elle en détaillant une fois encore les courbes sculptées dans le bois, l'expression si heureuse du visage. Tu es vraiment doué. Merci encore...
Elle détourna un instant les yeux, sentant le rouge lui monter aux joues. Puis remit l'objet dans sa poche et poussa la porte de la grange.

[Kasumi]

Kasumi s’humecta le visage et mis un peu d’ordre dans sa mise avant de rejoindre sa compagne. Il lui adressa un sourire gêné et sincère en constatant combien elle tenait à la statuette qu’il lui avait offert. Ne sachant que répondre, il s’approcha d’elle sans un mot. Une fois qu’il fut tout près, il lui souffla :

- Attends !

La jeune femme suspendit son geste et se figea lorsqu’il porta la main à ses cheveux. Alors que la voix de Thomas se faisait entendre dans la cour, Kasumi ramena prestement sa main dans laquelle il avait recueilli plusieurs brins de paille.

- Dormir dans une grange peut avoir quelques inconvénients, annonça-t-il simplement ne guise d’explication.

Alors qu’il franchissait la porte de la grange, il entendit la voix inquiète du fermier qui s’adressait à sa femme :

- Les loups sont de retour apparemment. La faim a du les faire sortir de leur forêt mais heureusement, ils ne se sont pas approchés des poulaillers cette fois-ci.

Lorsqu’il vit que les rôdeurs s’étaient réveillés, il les salua chaleureusement et les invita à le rejoindre en désignant les traces dans la neige.

- Pensez-vous pouvoir nous aider ? Nous n’avons guère de quoi vous rémunérer mais chasser ces loups nous rendrait bien plus service que la pièce d’or que vous nous aviez promise.

[Voyageuse]

Astrée sentit son coeur s'arrêter de battre l'espace d'un instant lorsque Kasumi s'approcha si près d'elle. Son teint vira soudain au rouge pivoine.
Elle se figea, avec l'impression que le temps avait suspendu sa course... Et sourit, un rien amusée, lorsqu'il lui montra les brins de paille. Ce n'était que ça...

Elle n'eut guère le temps de s'attarder à analyser l'émotion qui l'avait envahie : déjà, il l'entraînait au-dehors. Elle le suivit, l'esprit ailleurs, entendant à peine les remarques du fermier.
Elle comprit vaguement qu'il parlait de loups... Encore... D'instinct, elle se tourna vers Kasumi, attendant sa réponse. Et sentit à nouveau le rouge lui monter inexplicablement aux joues.
Heureusement, le trouble qui l'envahissait fit place à l'amusement lorsqu'elle s'aperçut que Kasumi avait lui aussi un peu de paille dans les cheveux.
-Ne bouge pas, lui souffla-t-elle.
S'approchant à son tour tout près de lui, elle passa doucement la main dans ses cheveux, puis lui tendit sa trouvaille sans un mot, avec un sourire espiègle.

[Kasumi]

Kasumi se prêta avec amusement à l’inspection en règle de la rôdeuse mais ressentit tout de même un petit frisson alors que la main s’attardait dans sa chevelure. Mais autant pour dissimuler son trouble inexplicable que par intérêt pour les paroles du fermier et leurs implications, il s’approcha des traces que désignait Thomas. Après un rapide examen, il conclut, sans grande surprise de la taille et du nombre d’empreintes, qu’il s’agissait d’un animal isolé de la même stature que celui qui s’était manifesté la veille. A en juger par la taille, il devait soit s’agir d’un jeune adulte, soit d’une femelle. Le point positif était que le fermier ne devait guère risquer pour la sécurité de son bétail. Le rassemblement de maison tiendrait éloigné un loup isolé et celui-ci en particulier semblait avoir une autre cible en tête.

Il s’empressa de rassurer le fermier sur ce qu’il avait appris sans pour autant révéler les soupçons qu’il nourrissait sur l’attitude de l’animal et ce qui l’avait attiré si près de la ferme :

- Je pense que vous avait affaire à un seul animal ce qui est assez inhabituel. Vous ne devriez pas vous inquiéter outre mesure d’une attaque même si je vous recommande de rentre vos poules ces prochains jours. Je vais voir si nous pouvons remonter sa trace mais e préfère vous ne peut pas vous garantir de l’éloigner. Le dîner d’hier soir méritait une pièce d’or à lui seul et je ne me sens en rien floué de vous la céder.

Les fermiers les invitèrent à partager leur déjeuner et les voyageurs reprirent la route le ventre plein. Fidèles à leur promesse, ils ne reprirent pas la route directe de Luménis mais s’attardèrent dans les collines sur les traces du loup.

[Galathée]

Les traces vagabondaient dans la terre boueuse, hérissée d’herbes jaunies et parfois prise dans la glace ou dissimulée par une plaque de neige. L’animal semblait musarder, sans tenter de réellement camoufler ses empreintes, ni en se montrant particulièrement désinvolte. Peut-être chassait-il le mulot…
Les deux rôdeurs cheminèrent ainsi pendant plus d’une heure, mais le loup avait toujours de l’avance sur eux et les traces remontaient à plusieurs heures. Ils débusquèrent quelques lièvres, un renard, un envol de faisans colorés, mais sans apercevoir leur proie. Finalement, ils arrivèrent dans un paysage plus accidenté, de rochers et de gravillons, qui rendit la piste plus difficile à suivre, jusqu’à finalement arriver sur les bords d’une petite rivière. Le loup était manifestement entré dans l’eau glacée, dont le courant frémissant avait résisté au gel, mais pour ressortir où…

[Kasumi]

Kasumi jeta un regard interrogateur à Astrée. Leur proie ne semblait pas plus décidée à se manifester qu’à se laisser distancer. Etant donné l’endurance et la discrétion que l’animal avait démontrées jusqu’ici, il ne serait pas facile de le rattraper. En outre, à supposé qu’ils retrouvent la trace du loup, progresser dans ce terrain caillouteux les retarderait énormément là où le canidé ne serait même pas ralenti.

- Ce loup a un comportement étrange, quelque chose me dit qu’il ne veut pas être trouvé mais qu’il cherche pourtant à nous trouver lorsqu’il est certain de parvenir à nous filer entre les doigts.

Sur ces mots, il fit volter sa monture et se dirigea vers les hauteurs pour rejoindre la route principale menant à Luménis. Cette nuit, le demi-elfe était bien décidé à attendre le loup de pied ferme au cas où il fasse une nouvelle apparition.

[Voyageuse]

Astrée se dit que Kasumi n'avait pas tout à fait tort : le loup semblait vouloir les suivre à la trace, sans pour autant se laisser observer. Peut-être un jeune égaré?

Ils rejoignirent sans encombre la route de Luménis et se remirent en route. Au bout de deux heures environ ils arrivèrent, comme Thomas le leur avait annoncé, en vue d'un petit village de quelques dizaines d'habitations : Fontvieille.
Ils le traversèrent sans s'arrêter, jetant au passage un coup d'œil à l'auberge, simple bâtisse qui ne se distinguait pas des autres hormis la pancarte qu'elle arborait. Quelques enfants jouaient sur la petite place centrale, et leur jetèrent des regards emprunts de curiosité, détaillant ouvertement les armes de Kasumi.

A la sortie du village se pressaient des maisons plus modestes, faites de bric et de broc. L'endroit était désert, à l'exception d'une fillette d'une huitaine d'année, assise sur un banc de pierre, qui observait d'un oeil fasciné leurs arcs. N'y tenant plus, elle s'approcha d'Astrée :
- Vous êtes des chasseurs?
La rôdeuse sourit, amusée.
- Heu... Oui, on peut dire ça. Disons que je sais chasser, et mon ami aussi.
- Parce que mon père, il avait un arc comme le vôtre. Et il savait rudement bien chasser! Il nous ramenait du gibier presque tous les jours et il en vendait même à l'auberge!
Ses yeux s'emplirent de tristesse.
- Depuis qu'il n'est plus là, on n'a plus beaucoup de viande à manger... Alors je me disais... Si vous chassez... Vous ne voudriez pas nous en rapporter un peu? Juste un tout petit peu...

Le coeur d'Astrée se serra. Oui, bien sûr, ils allaient lui ramener de la viande... Elle lança un coup d'oeil complice à Kasumi.
- Justement, je me disais que ce serait pas mal d'avoir un peu de viande fraiche à midi pour améliorer un peu notre ordinaire. Et puis, ajouta-t-elle dans un chuchotement parfaitement audible à l'adresse de la petite fille, je te parie que j'en rapporte plus que lui !
Elle se tourna vers le rôdeur.
- Qu'en dis-tu, Kasumi ?

[Kasumi]

Kasumi sentit lui aussi son cœur se serrer à la requête de la fillette. Il maudissait les autres villageois de la petite communauté mais, après tout, peut être n’avaient-ils que juste assez pour subsister en ces terres battues par les vents à l’aube de l’hiver. Laissant là ses réflexions sinistres, il s’empressa d’arborer un air confiant et répondit à la petite fille et à sa compagne :

- Bien sûr ! C’est une excellente idée, une bonne occasion de se dégourdir les doigts.

Sans plus tergiverser, le rôdeur scruta les environs, à la recherche du meilleur terrain de chasse. Un petit bois de pin tout proche promettait quelques pistes de gibier même s’il faudrait abandonner les chevaux. Le demi-elfe vérifia l’état de ses flèches et la tension de la corde de son arc. Le gel n’avait heureusement pas eu de prise sur l’arme et il partit, satisfait, en la compagnie de la rôdeuse. Une fois qu’ils se furent éloignés du petit hameau, il reprit la parole :

- Que le meilleur gagne ! Je ne te laisserai pas gagner facilement même si cette partie est ton idée.

Sans plus un mot, il s’enfonça dans les bois, une flèche encochée.

[Voyageuse]

Astrée se positionna à quelques mètres sur la droite de son compagnon, suivant une trajectoire parallèle à la sienne. Tous deux progressaient sans le moindre bruit, les sens aux aguets.
Un léger bruit à droite, simple bruissement de branchages. Astrée s'immobilisa et banda son arc, fixant le buisson de toute sa concentration. Elle devinait une présence. Elle pouvait même sentir sa position, ses mouvements...

L'animal n'eut pas le temps d'émerger de sa cachette. A peine aperçut-elle la tâche claire de son pelage que la flèche fusait, droit vers le coeur. Le chevreuil s'écroula sans même comprendre ce qui lui arrivait...
Astrée s'approcha tout doucement de sa proie, mais celle-ci n'avait nulle besoin d'être achevée. Elle reprit donc sa traque silencieuse, jetant un coup d'oeil à Kasumi qui avançait régulièrement.

[Kasumi]

Kasumi se retourna pour assister au premier fait d’arme de la rôdeuse et ne put s’empêcher un sourire devant une telle démonstration d’adresse et d’efficacité. Il se sentit également gagné par l’euphorie de la course, se disant qu’il devrait se montrer plus attentif s’il voulait revenir à hauteur. Aucun autre animal de la même taille ne se présenta pourtant. Le gros gibier se protégeait de l’hiver et peut être leur présence avait-elle été détectée malgré leurs efforts. Ils parvinrent néanmoins à dénicher plusieurs lièvres et quelques oiseaux qu’ils abattirent sans gâcher une seule flèche. La rôdeuse s’avéra redoutable et ses proies, deux perdrix et six lièvres, pendaient à sa ceinture en plus du chevreuil abattu à l’orée des bois. Au contraire de Kasumi qui peinait à retrouver ses réflexes de chasseur avec seulement trois prises. Alors que la course du soleil progressait au dessus des arbres, le demi-elfe était prêt à s’avouer vaincu et fit signe à la rôdeuse de bifurquer pour aller récupérer leur prise principale.

Alors qu’ils cheminaient en se réjouissant de leur bonne fortune, ils entendirent un craquement sur leur droite. Kasumi se figea et encocha une flèche à son arc. Cette fois-ci, il s’agissait d’un gros animal, peut être même un jeune grizzli si la chance tournait…

Mais bientôt, ce fut un sanglier de bonne taille sui déboucha devant eux sur la piste. Deux flèches partirent simultanément mais cela ralentit à peine l’animal et le fit entrer dans une rage furieuse. Il chargea vers eux, bien décidé à en découdre et, alors qu’Astrée encochait une nouvelle flèche, Kasumi dégaina ses épées et attendit l’animal de pied ferme. Un épieu aurait été plus approprié mais il était bien trop tard pour en tailler un. La seconde flèche d’Astrée s’enfonça dans le poitrail de la bête fulminante mais le sanglier la brisa d’un coup de tête. Le trait n’avait pas suffi à percer suffisamment le cuir épais pour l’arrêter. Kasumi bondit du côté de l’animal alors qu’il chargeait aveuglément. Les deux lames semblèrent rater la furie tant les mouvements du demi-elfe furent rapides. Le sanglier effectua encore quelques pas avant d’être rattrapé par la mort. Il gisait dans la neige du sous-bois, proprement égorgé.

[Voyageuse]

Astrée ne put s'empêcher d'admirer le sang-froid et la dextérité de son compagnon. Face au sanglier, il n'avait pas hésité une seconde sur la conduite à tenir et sa stratégie s'était révélée efficace : sa proie gisait maintenant au sol.
Elle ne put cependant s'empêcher de le taquiner, lançant avec un clin d'oeil :
- Bien joué ! Mais c'est bien la première fois que je vois un chasseur abattre un sanglier à l'épée... On voit que tu es plus habitué à la traque des morts-vivants et autres joyeusetés de ce genre. Mais puisqu'aujourd'hui tu as jeté ton dévolu sur un sanglier, ajouta-t-elle, il ne nous reste plus qu'à le transporter! Et je vais pouvoir tester au passage le tranchant de ton magnifique cadeau...

Joignant le geste à la parole, elle se dirigea vers un tronc de noisetier assez épais, et parvint, après quelques efforts, à le couper à la base. Elle le dénuda, le trancha à la bonne longueur, et entreprit, avec l'aide de Kasumi, d'y attacher le sanglier.
Les deux rôdeurs, portant leur gibier suspendu sur la perche improvisé, revinrent donc sur leurs pas, Kasumi en tête. Astrée peinait sous le poids de la bête, et se disait qu'elle serait bien incapable de transporter le chevreuil en plus. Il leur faudrait faire plusieurs voyages, ou aller chercher les chevaux.

[Kasumi]

Les deux chasseurs progressèrent en ployant sous le poids de leur butin. Leur progression était rendue difficile par la déclivité du sol et l’abondance de racines et de branches mortes qu’ils devaient enjamber en ahanant. C’est finalement couverts de sueurs qu’ils retrouvèrent la première prise de la journée. Elle gisait là où ils l’avaient laissé et visiblement n’avait été trouvée par aucun prédateur sylvestre. Leur chance du jour était une malédiction pour leurs épaules et malgré la guérison totale de sa coéquipière, Kasumi sut qu’ils ne parviendraient jamais à soulever et encore moins à transporter les deux animaux en un seul voyage. Peu désireux de voir cette belle prise intéressait un maraudeur, il fit signe à la rôdeuse de poser le sanglier au sol à côté du chevreuil. Après avoir pris le temps de recouvrer son souffle, il s’exprima d’un ton réjoui mais las :

- Je vais surveiller nos proies. Cela te dérange-t-il d’aller chercher Ombrage et Moïse ? Avec leur aide, nous aurons tôt fait de ramener toute cette viande au hameau.

Il aurait très bien pu se charger de cette tâche mais laisser la rôdeuse seule dans ses bois avec les carcasses aurait été faire preuve de peu de galanterie. Celle-ci acquiesça de bon cœur et promit de faire vite. Au bout de dix minutes, ce à quoi le demi-elfe s’était préparé se produisit : un souffle d’air plus qu’un craquement de branche l’avertit qu’il n’était plus seul. Il tendit son esprit vers la présence et parvint à frôler un esprit aussi fuyant que ne l’avait été le loup les soirs précédents. Cependant, malgré la brièveté du contact mental, il se rendit vite compte de son erreur et dut revoir son jugement, en fait de loup, il s’agissait indéniablement d’une femelle. Celle-ci lui renvoya une pensée formulée par des images et des sensations animales. Celles d’une course au travers de la forêt derrière un sanglier puis celles de la carcasse gisant morte à ses pieds. L’impression ressemblait à s’y méprendre à une accusation face à des voleurs de proie. Kasumi s’émerveilla de réussir à capter avec une telle précision les sensations de l’animal toujours invisible à sa vue. C’était la première fois qu’il faisait l’expérience d’une telle promiscuité de pensée avec un animal et il comprit alors l’émerveillement de ceux qui étaient plus doués que lui dans cette discipline. Il détacha un des lièvres de sa ceinture et s’approcha de l’endroit où il sentait la présence. Celle-ci s’éloigna brusquement tant mentalement que physiquement et il s’arrêta pour déposer l’offrande sur une souche. Il fit ensuite plusieurs pas en arrière et retourna auprès du sanglier et du chevreuil. Comme la louve ne se montrait pas, il chercha à nouveau à entrer en contact avec elle. Comme il y parvenait quoiqu’imparfaitement, il tenta de lui transmettre des images d’apaisement, lui signifiant que c’était là sa part pour s’être jointe à sa chasse. Au bout d’une éternité, elle sortit du couvert des arbres avec commisération, reculant d’un pas quand elle avançait de deux et manifestement prête à prendre la fuite au premier signe d’agressivité. Le demi-elfe demeura parfaitement immobile alors que la louve bondit tel un éclair, saisit la proie dans sa gueule et disparut derrière un fourré dans un mouvement fluide et efficace.

Le bruit de sabots se fit alors entendre, signifiant qu’Astrée avait choisi ce moment pour réapparaître.