[Lieu] Mine pénitentiaire de Gargouille

[Galathée]

Le jeune garçon sourit.
" Ouais, pas de soucis." répliqua-t-il de son ton un peu endormi.
Mélégorn tira alors Taliesin par la manche, et fit signe d'écrire dans le vide. Apparemment, il en avait assez de devoir communiquer en gesticulant et espérait que la maison renfermerait quelque chose qui pourrait y palier. Il désigna aussi la chaîne qui les reliait, puis l'extérieur.
" J'comprends rien à c'qui dit, vot'copain, c'la dit, m'sieur." ajouta le garçon et Mélégorn soupira d'exaspération.

[Taliesin]

-Oh, il voudrait du papier et de l'encre, pour écrire, répondit le barde. Si tu peux en trouver... Ah, et il nous faudrait aussi de quoi couper cette chaîne. Si tu penses pouvoir trouver ça ici, sans sortir de la maison, ça nous arrangerait beaucoup. C'est marrant cinq minutes, une chaîne, mais on finit par s'en lasser. Et, tant que j'y suis... Un sac ou deux, pour ranger le tout... Je sais qu'on te demande beaucoup de choses en même temps mais si tu pouvais faire ça pour nous... On te devrait vraiment une fière chandelle.

[Galathée]

" Pour le papier, ça ira, mais pour votre truc, faudra que je passe par la forge, et c'est dehors..." répondit-il. " Mais je vais d'abord aller vous chercher les autres trucs..."
Puis, abandonnant son seau fumant dans l'embrasure de la porte, il s'esquiva vers les étages. Les deux elfes entendirent son pas pesant s'éloigner, puis les marches d'un escalier de bois craquer lorsqu'il entama son ascension.
Les deux elfes purent alors commencer à rassembler des victuailles sur la table. Mélégorn dénicha de quoi allumer un feu, ce qu'il brandit avec un sourire ravi sous le nez de son partenaire. Il ne leur fallut que quelques minutes pour obtenir un amas acceptable de nourriture.
Lorsque la porte grinça à nouveau...
" Anselme ?!" s'écria une voix de femme.
" J'arrive, m'man !" répondit le gamin depuis les étages.
" Bon, ça va. Dépêche-toi." fit la femme.
La porte se referma. Mélégorn était plus nerveux, à nouveau, il désigna l'extérieur. L'enfant réapparut quelques secondes plus tard et l'ensorceleur lui prit le papier des mains tandis qu'il lâchait vêtements et sacs sur le sol.
" J'ai pas vraiment trouvé de trucs à votre taille. Z'êtes plutôt fluets, vous savez ?" dit le garçon.
Mélégorn brandit un message sous le nez du barde.
" Nous devons nous replier dehors. Le gosse peut nous déposer du matériel à l'extérieur. Nous risquons trop."

[Taliesin]

Taliesin acquiesça.
-Merci, dit-il au gamin. C'est très bien comme ça. Nous, on va prendre ce que tu nous as amené, déjà. Et repartir dehors. Tu connais un coin pas trop loin où on pourrait être tranquille, ou personne ne nous verrait ? Nous pourrions aller t'y attendre. De ton côté... Le mieux c'est que tu retournes auprès de tes parents, que tu voies s'ils n'ont rien à te faire faire. Et que tu nous ramènes ce que tu auras pu prendre à la forge... Mais il faudra être discret, d'accord ?
Si tout se passait bien, il ne leur faudrait que quelques instants pour mettre les vivres dans un sac, ramasser couvertures, vêtements. Et se carapater.

[Galathée]

Le gamin dévisagea Taliesin avec les yeux ronds, semblant ne pas comprendre ce qu'il lui voulait.
" J'suis sûr que p'pa et m'man voudraient savoir que vous êtes là. J'peux aller les prévenir. Ça leur fera plaisir..."
Mélégorn secoua la tête, pinça les lèvres et se remit à écrire.
Fixons-lui un rendez-vous arbitraire, au fond du jardin. Nous reviendrons. Il ne doit pas savoir où nous sommes.

[Taliesin]

Le barde releva les yeux sur l'enfant.
-Non, il ne faut pas leur dire. Nous préparons une surprise. Alors si tu leur dis que tu nous as vus, que tu noua as donné des choses, la surprise sera fichue... Ils seront bien plus heureux le moment venu, s'ils n'ont rien deviné, tu comprends ? Alors il faut vraiment que tu agisses le plus discrètement possible.
Il lui sourit, encourageant.
-Ecoute, il faut vraiment qu'on file, sinon, on pourrait se faire surprendre. Et tes parents vont se douter de quelque chose si tu ne vas pas vite les voir. Quand tu auras trouvé ce qu'il faut pour la chaîne, apporte-le nous près de la haie, derrière l'étable. Et aussi, si tu peux... Des plantes contre la fièvre. Ta mère doit bien t'en donner, ou à ta sœur, quand vous êtes malades... Bref, si tu as l'occasion... Dans tous les cas, on te verra venir. Mais surtout, rappelle toi ! Il faut être discret, ne rien dire à tes parents. Ne pas te faire voir. Même si ça prend un peu plus de temps. On peut compter sur toi ?
Les plantes... Il avait complètement oublié les plantes, jusqu'ici. Et pourtant Victor, dans ses bras, semblait rien moins qu'aller mieux. Il avait besoin de vêtements chauds. De nourriture. Mais de soins, surtout. Comment avait-il pu l'oublier ?
Comment ? Simplement en étant épuisé, affamé, à cran. C'était un miracle qu'il n'ait pas fait une imbécilité alors que le gamin s'apprêtait à surgir dans la pièce. Miracle qu'il tienne encore debout.
Mais ce n'était pas une raison. Il devait tenir. Serrer les dents. Le plus dur était passé, peut-être. Quand ils seraient partis de la maisons, qu'ils auraient gagné un lieu à l'écart... Alors, il aurait le droit de se relâcher.
Juste un peu.

[Galathée]

Le gosse acquiesça, le regard toujours un peu flou, puis sourit, et détala. Mélégorn poussa un profond soupir et s'affaira à rassembler ce que l'enfant leur avait apporté dans l'un des deux grands sacs de cuir qu'il avait déposés sur le sol. Quelques minutes plus tard, ils étaient prêts à partir. Ils n'avaient pas pu vraiment établir un inventaire de ce qu'ils emportaient, mais il y avait là de quoi manger, de quoi se vêtir, c'était le principal.
Chargés, titubant, ils regagnèrent l'extérieur et constatèrent avec embarras qu'où qu'ils aillent, leurs traces seraient dramatiquement visibles. De plus, les fermiers réaliseraient bien assez tôt qu'on avait dévalisé leur garde-manger. Il y avait peu de chance qu'ils puissent réellement revenir vers la ferme après ce larcin. Il était aussi possible que l'enfant, délivré du sort, soit parfaitement capable de se souvenir de ce qui lui était arrivé alors qu'il était sous son emprise.
Mélégorn entraîna Taliesin et son fardeau droit vers le bois le plus proche, sans se soucier de nouvelles empreintes. Sous la canopée percée des arbres nus, la neige serait plus éparse et ils pourraient perdre d'éventuels poursuivants. Restait à décider de la distance qu'ils mettraient entre eux et la ferme. D'autant que le bois n'était pas à proprement parler une forêt : ils devraient en sortir tôt ou tard.

[Taliesin]

Malgré l'épuisement, le souci quant à l'état de Victor, la conscience aiguë de leur situation précaire, le barde s'efforça de marcher le plus vite possible à la suite de l'ensorceleur, pour gagner les bois. Son cerveau aussi engourdi que ses membres peinait à fonctionner, mais il fallait bien réfléchir, coûte que coûte.
Les fermiers remarqueraient la disparition de leur nourriture, si pas celle du reste. Ils verraient leurs traces dans la neige. Ils avaient au moins un chien... Peut-être ne prendraient-ils pas le risque de se lancer à leur poursuite : ils ne connaissaient pas leur valeur, après tout. Mais ils pouvaient toujours aller prévenir des voisins, organiser une battue. Sonner l'alerte auprès des autorités locales, sinon directement auprès des gardes du camp.
Revenir chercher ce que pourrait leur apporter l'enfant serait des plus risqués. Il faudrait voir s'ils osaient tenter le coup. Quoi qu'il en soit, pour l'heure, sitôt gagné l'abri des arbres, il faudrait qu'ils fassent halte. Pour se changer, manger un morceau. Sans cela, ils ne tarderaient guère à s'effondrer... Ensuite, ils verraient. Chercheraient peut-être un itinéraire de fuite. Celui qui rendrait la tâche des chasseurs la plus ardue possible...

[Galathée]

Ils ne tardèrent pas à atteindre la lisière des bois, hors d'haleine, trébuchant, et dévalèrent un semblant de remblai avant de s'immobiliser. Mélégorn entreprit aussitôt d'ouvrir son balluchon et de retirer son manteau détrempé. Les deux elfes avaient cependant un problème qui ne manquerait pas de les handicaper encore quelques temps : reliés par la chaîne, ils ne pouvaient changer de chausses, car celles qu'ils portaient étaient conçues pour leur situation particulière. A moins de découper et recoudre les vêtements que leur avait apporté l'enfant, ils seraient inutiles tant qu'ils étaient rivés l'un à l'autre.
L'ensorceleur était déjà torse nu dans le froid piquant, révélant une anatomie noueuse et marbrée de bleus au soleil inutile qui s'était brillait entre les branches.

[Taliesin]

Taliesin déposa doucement Victor à ses pieds. C'était d'abord de lui qu'il fallait s'occuper : habillé de vêtements secs et épais, il pourrait mieux combattre la fièvre, même si rien ne remplacerait des plantes...
Fouillant à son tour dans le sac, il dénicha ce dont il avait besoin : chausses, chemise, manteau. Un peu trop grands pour le gamin, mais toujours mieux que son aube trempée...
-Encore un peu de courage, bonhomme... murmura-t-il en se penchant sur l'enfant. Tu vas te les geler un bon coup, mais c'est pour la bonne cause. Et d'ici peu, tu auras bien chaud...
Puis il entreprit de lui retirer sa tunique.

[Galathée]

Enlever les vêtements figés de l'enfant s'avéra plus difficile qu'il ne l'avait pensé pour le barde dont les doigts étaient gourds et les gestes fébriles, signe de sa propre faiblesse. Victor avait toujours aussi chaud, même nu, et ses lèvres craquelées indiquaient qu'il se déshydratait. Son corps était bleuâtre, marbré, irrité, autant de traces d'une nuit passée dans des fripes détrempées, mais ne portait sinon aucune marque étrange. Quelques ecchymoses bénignes, un genou éraflé, les stigmates habituels de l'enfance. Par contre, ses orteils étaient d'une couleur très inquiétante, le gel les avait manifestement attaqués sans pitié.

[Taliesin]

Taliesin tint un instant entre ses doigts les orteils gelés du gamin, une grimace explicite étirant ses lèvres bleuies. Il allait falloir lui trouver de l'eau chaude pour espérer éviter de gros dégâts. Si c'était encore faisable...
Mais pour l'instant, le plus urgent était de le couvrir. Il lui enfila donc les chausses, boutonna la chemise, lui passa le manteau avant de l'enrouler dans une couverture, prenant soin de protéger le plus possible ses pieds. L'opération lui prit un certain temps, n'alla pas sans quelques difficultés - nouer des lacets avec des doigts que l'on sent à peine est plus ardu encore qu'en défaire - mais il y parvint finalement.
Il se détourna alors quelques instants de Victor pour s'occuper de lui-même. Lorsqu'il fut aussi chaudement vêtu qu'il était possible de l'être, il poussa un léger soupir. Le changement était radical. Pas parfait, non, loin s'en fallait. Mais c'était déjà un soulagement certain de ne plus sentir sur ses épaules sa chemise gelée mais bien une autre, épaisse, sèche.
Le début du bonheur... songea-t-il non sans un soupçon d'ironie.
Il se tourna alors vers Mélégorn. La première étape était passée. Restait à entamer la deuxième...
-Que dirais-tu de manger un bout ? Autant profiter de cette halte pour nous refaire des forces... Aussi peu que ce soit. Et il va falloir que j'essaie de réveiller le petit pour lui faire avaler, et surtout boire quelque chose. Si nos amis fermiers se manifestent, on aura plus de chance de leur échapper ici qu'à découvert, de toute façon.

[Galathée]

Mélégorn secoua vigoureusement la tête et se pencha sur un nouveau morceau de parchemin, sur lequel il griffonna rapidement.
Nous sommes à deux pas de la ferme, nous devons nous éloigner. Notre piste mène droit à ce remblai. Nous pouvons manger en marchant. Le gosse n'est pas en état de mastiquer quoi que ce soit, donne-lui de la neige à boire.

[Taliesin]

Taliesin acquiesça. La neige, il y avait pensé. C'était la seule eau à leur disposition. Mais il aurait aimé que Victor avale quelque chose : rester à jeun ne l'aiderait certainement pas à combattre la fièvre.
Le cœur serré, il alla ramasser un peu de neige qu'il laissa fondre un moment entre ses mains. Ses paumes, ses doigts protestèrent violemment, mais il s'efforça de nier la douleur : c'était tout ce qu'il pouvait faire pour le gosse. Galathée, elle, aurait su choisir, trouver les plantes. Identifier le mal, surtout. Elle aurait pu le soigner. Lui, il en était incapable. Il devait se contenter de le porter... et de le voir s'étioler. Pour être à l'aise avec les enfants, il l'était. Pour jouer avec eux, faire l'imbécile, il n'était pas le dernier. Mais il se rendait cruellement compte de son incapacité crasse à s'occuper d'eux réellement, lorsque le besoin s'en faisait sentir. Victor aurait dû rejoindre Galathée. Ne jamais lui être arraché... Au lieu de cela, c'était avec lui qu'il s'était retrouvé. Et qu'il allait peut-être mourir.
Tais-toi. Tu es fatigué. Il a juste de la fièvre. Tu trouveras une solution.
Avec un soupir las, il se pencha sur le petit garçon, versa l'eau encore glacée entre ses lèvres. De l'eau froide contre le mal... Il secoua la tête, se redressa. L'impuissance dans laquelle il était le mettait en rage. Alors, sans vraiment réfléchir, il leva les mains et incanta.

Taliesin --> soins légers --> Victor

Il était parfaitement conscient que le sort était inadapté. Qu'il ne servirait sans doute à rien. Mais peut-être rendrait-il néanmoins quelques forces au gamin. On pouvait toujours espérer... Et agir, même dans le vent, même en pure perte, c'était sa seule solution pour ne pas désespérer.
Morose, il rassembla la tunique de l'enfant et ses propres frusques qu'il fourra dans un sac. Inutile de laisser des preuves de leur passage, de leur identité. Il y en avait déjà trop. Il prit alors Victor dans ses bras, le serra contre lui, et se tourna vers Mélégorn.
-Je te suis... souffla-t-il

[Galathée]

Ils repartirent, toujours épuisés, mais déjà moins glacés. Taliesin avait cependant l'impression que son ouïe et sa vue lui jouaient de temps en temps des tours, que des papillons de lumière sombre dansaient à la périphérie de son champ de vision, qu'un sifflement aigu résonnait brusquement à son oreille avant de s'éteindre. Il avait très chaud et en même temps très froid, et bientôt, il réalisa qui lui aussi avait probablement pris froid. Bien sûr, il était elfe, à l'abri de nombreuses maladies bénignes qui fauchaient les humains, mais il n'en était pas pour autant invulnérable.
Echo à sa propre douleur, Mélégorn toussait de temps en temps, un aboiement caverneux qui résonnait sur les troncs nus, vestige d'années passées à la mine ou simplement résultat d'une mauvaise nuit dans la tourmente, difficile à dire.
Ils cheminèrent dans le bois, les branches craquant sous leurs pas, veillant à éviter les espaces ouverts où leurs traces se seraient à nouveau imprimées dans une neige immaculée et malléable, comme impatiente de recueillir leur confession, des preuves, un signe. Le bois n'était évidemment qu'un leurre et ils débouchèrent rapidement dans un nouveau champ désert, longèrent une haie hérissé de cristaux de gel, traversèrent un ru figé, remontèrent une colline qui s'effilocha en avalanche miniature sous leurs pieds, avant de gagner la crête. Au loin, il leur sembla entendre des aboiements, mais l'immensité blanche et désolée du paysage renvoyait les sons en trompe-les-sens, et ils ne purent déterminer d'où ils venaient. Une nouvelle ferme, des poursuivants, un chasseur embusqué, difficile à dire.
Le ciel ne promettait toujours pas de flocons, mais le vent était piquant et virevoltant sur les sommets, et malgré leur épuisement, ils durent se remettre en route. Ils dévalèrent, presque chutant, le flanc opposé de l'excroissance, puis gagnèrent une nouvelle tache noire, un nouveau bois, qui serpentait d'est en ouest. Cette fois, Taliesin sentit que Mélégorn était prêt à faire une halte, ce qu'il fit, dans un espace de souches et de rochers bosselés, au creux des arbres.

[Taliesin]

L'elfe se laissa tomber sur un rocher, gardant cependant Victor dans ses bras. Il lorgna les environs, sinistre, puis poussa un profond soupir.
-On ne va pas pouvoir continuer comme ça longtemps... fit-il. Nous sommes à bout de forces. Après une bonne nuit de sommeil, je pourrai à nouveau convoquer des montures, et tout sera beaucoup plus simple, alors. Mais pour l'heure, j'en suis totalement incapable...
Il tendit l'oreille, guettant de nouveaux aboiements, signes - ou non - d'une éventuelle poursuite.
-S'ils sont à nos trousses, ils n'auront de toute façon aucun mal à nous rattraper. Mieux vaudrait trouver un endroit où nous abriter, nous défendre en cas de besoin. Enfin, peut-être as-tu d'autres idées... Auquel cas je m'en remets volontiers à toi. J'avoue ne plus avoir l'esprit très clair.

[Galathée]

Mélégorn s'était assis dans la neige, repliant son manteau sous ses fesses et fourrageait dans son sac. Il redressa la tête pour écouter les paroles de Taliesin, puis hocha la tête, pensif. Il avait l'air prêt à se poser là où ils étaient. La nuit ne tarderait pas à les surprendre et s'ils ne faisaient pas halte, ils risquaient de geler sur pied. Il fallait prendre le risque.
Il sortit le briquet à amadou de son sac et le montra à Taliesin. Entravés comme ils l'étaient, ils étaient forcés de faire les choses de concert et ne pouvaient pas vraiment se distribuer le travail.

[Taliesin]

Du feu. Toutes les fibres de son corps aspiraient à du feu. Pourtant, c'était une imprudence notoire : la fumée trahirait leur position à des lieues à la ronde. Les branches l'atténueraient peut-être un peu, la rendraient plus diffuse. A peine. L'idéal aurait été de trouver une grotte... Malheureusement, les alentours ne semblaient pas propices à la présence de ce genre d'abri.
Du feu, donc. Sans cela, ils mouraient à n'en pas douter. C'était déjà un miracle qu'ils aient survécu à la nuit précédente...
-D'accord... fit-il simplement.
Après avoir déposé Victor et vérifié qu'il était bien emmitouflé, il se leva. Il fallait rassembler du bois. Il y en avait partout autour d'eux... Mais il était humide.
Au final, réussir à allumer un feu ferait aussi figure de miracle.
Ils firent cependant de leur mieux, ramassant les branches mortes qui leur semblaient les moins pourries, les moins mouillées, rassemblant une bonne quantité de brindilles et de branchettes. Ils durent faire plusieurs allé-retours, mais, au final, ils disposaient de suffisamment de combustible pour tenir toute la nuit. Si les flammes voulaient prendre, évidemment.
Ils ne changèrent pas de lieu pour leur campement et s'installèrent à l'endroit exact où ils avaient fait halte. Les arbres étaient assez resserrés, alentour, les protégeant du vent. Et ils se trouvaient au cœur du petit bois. C'était probablement le mieux qu'ils puissent trouver.

[Galathée]

Une fois le petit feu allumé, Mélégorn se dégagea un petit espace dans la neige et se laissa simplement tomber sur le dos, où il demeura immobile pendant de longues minutes. Ensuite, il se redressa et retourna à son sac, d'où il extirpa un petit caquelon qu'il lança au barde, avant de poser un morceau de fromage durci sur le sol, quelques pommes, une miche de pain qui semblait dure comme du roc, un bocal de fruits au sirop, difficilement identifiables, trois oignons et un petit potimarron ventru, un sac où s'entrechoquaient des fruits secs et un pichet ventru, scellé de cire. Il le déboucha et en huma l'intérieur avec une grimace avant d'en prendre une gorgée. Il le tendit ensuite au barde. C'était une bière qui sentait mauvais, mais de l'alcool tout de même.

[Taliesin]

A la vue des victuailles, l'estomac du barde se fit bruyamment entendre. Ils n'avaient rien avalé depuis leur dernier repas au camp, et là, devant eux, c'était une bonne part du garde-manger des fermiers qui s'étalait pèle-mêle. De quoi les rassasier. Les faire tenir quelques jours. Si leurs poursuivants ou le froid n'avaient pas leur peau avant.
La bière ne le tentait guère. Pourtant, c'était un bon moyen de se donner un petit coup de fouet... Il en but donc une gorgée, le regrettant aussitôt. Elle était forte, âpre. Pire, elle lui fit tourner la tête presque dans l'instant. Boire de l'alcool à jeun, quelle idée...
Pour éponger, il grignota un morceau de pain - qui était effectivement dur comme du roc -, un peu de fromage - guère plus tendre - et conclut avec une pomme. Il avait encore faim, mais son tournis lui était passé. Et ils devaient ménager leurs réserves...
Il entreprit alors de s'occuper de Victor. Contre toute attente, le feu avait bien pris, et il décida de débarrasser le gamin de sa couverture. Il déposa celle-ci sur le sol, étendit l'enfant dessus puis, après une hésitation, lui retira également son manteau. Les flammes diffusaient une chaleur bienvenue : inutile, dès lors, de trop le couvrir. Cela ne pourrait qu'aggraver la fièvre.
L'étape suivante consista à recueillir de la neige, à la faire fondre, à la faire boire tant bien que mal par le petit garçon. Taliesin n'avait aucun moyen de savoir si son sort l'avait aidé, si le mal empirait. Tout ce qu'il pouvait espérer, c'était que Victor revienne à lui. Pour manger un peu. Parler, qui sait. Son inconscience prolongée lui pesait, le rendait malade. C'était un mauvais signe, à n'en pas douter.
Et s'il ne se réveille jamais ? ne pouvait-il s'empêcher de penser, lugubre.
Mais les choses ne pouvaient pas tourner si mal. C'était impossible, impensable...
Et pourtant...

[Galathée]

La nuit était tombée rapidement, et avec elle, le froid était revenu. Un petit vent piquant s'était levé, mais ils étaient relativement bien protégés, dans leur repli de terrain. Mélégorn s'était nourri de son côté, sans bruits, avant de s'allonger dans la neige pour piquer un petit somme. Il semblait désormais plongé dans une sorte de transe, un sommeil elfique dont Taliesin avait oublié les techniques depuis longtemps, s'il les avait jamais connues. Il était cependant probable qu'il pourrait en sortir à la moindre alerte.
Victor demeura inerte pendant de longues heures, tandis que le feu rougeoyait entre les troncs nus. Sa peau marbrée avait retrouvé une couleur plus rosée, mais il était toujours fiévreux, la respiration rapide, gémissait parfois dans son sommeil agité. Le barde tenta de le veiller mais finit par s'assoupir à son tour, la fatigue prenant le dessus sur sa volonté pourtant tenace.

Il s'éveilla beaucoup plus tard. Lorsqu'il ouvrit l'oeil, il découvrit un ciel étoilé au travers des branches sombres des arbres, une lune claire qui éclairait tout, et un feu mourant. Mélégorn dormait toujours. Victor, par contre, avait les yeux ouverts, et tirait doucement sur ses chausses, recroquevillé sous sa couverture.

[Taliesin]

Le barde s'était redressé en sursaut, les tripes nouées par une angoisse sourde. Il s'attendait à entendre des aboiements, des pas...
Mais c'était juste Victor. Et un Victor éveillé, de surcroît !
Tu vois ? Quand te décideras-tu à cesser de toujours envisager le pire ?
Son soulagement fut tel qu'il failli se fendre d'une exclamation joyeuse. Il se retint de justesse, cependant. Il ne fallait pas réveiller Mélégorn. Ils auraient besoin de toutes leurs forces, lorsqu'il faudrait reprendre la route. Alors, autant que lui, au moins, puisse dormir tout son saoul...
-Hé, content de te revoir parmi nous, bonhomme... murmura-t-il en se penchant sur l'enfant..

[Galathée]

Victor eut un maigre sourire, qui étira ses lèvres craquelées. Il avait les yeux humides, les cheveux collés sur le front par la sueur. Ses joues semblaient un peu creuses, bien qu'elles soient rubicondes. Il ouvrit la bouche comme pour dire quelque chose, mais rien ne sortit. Il referma les yeux, juste une seconde, et poussa un léger soupir. Sa main avait trouvé celle de l'elfe et s'y lova, ses doigts tentant de s'y agripper sans réelle force. Il soupira à nouveau, quelque chose qui venait du fond de sa poitrine, puis toussa. Il sembla à Taliesin qu'il était sur le point de s'assoupir à nouveau.

[Taliesin]

Le cœur serré, Taliesin étreignit doucement les doigts de l'enfant. Il faisait peine à voir, paraissait encore plus mal en point éveillé qu'endormi.
Pourtant, il ne pouvait pas le laisser sombrer à nouveau. Pas à cause de cette crainte diffuse qu'il ne rouvre plus jamais les yeux : il était encore capable de la renvoyer là où elle devait être, hors de sa conscience, hors des possibles.
Non, le gosse devait juste tenir encore un peu pour manger, ne serait-ce qu'une bouchée. Et boire, aussi. Ce n'était pas les quelques gouttes qu'il avait dégluties dans son inconscience qui allaient l'aider à se requinquer.
-Victor, attends... murmura-t-il.
Passant un bras sous lui, il le redressa en une position vaguement assise.
-Ne te rendors pas tout de suite. Je sais que tu en as envie, besoin... Mais il faut que tu avales quelque chose. Tu te sentiras mieux après. Je crois qu'on a... oui, des fruits au sirop. Tu te sens capable d'en manger ? Si je t'aide ?

[Galathée]

Le petit garçon le dévisagea quelques secondes, les yeux plissés, comme s'il n'avait pas compris ce qui avait été dit ou ce qu'il devait faire. Son regard dérivait, ne parvenant pas à se fixer longtemps au même endroit. Il toussa à nouveau, puis son simulacre de sourire revint et il hocha la tête, formant un maigre "oui" du bout des lèvres. Il fit ensuite une tentative piteuse pour se redresser et finit plié en deux par une nouvelle quinte de toux.

[Taliesin]

L'elfe grimaça. Il semblait bien que la fièvre fasse délirer peu ou prou le gamin : sans doute ne savait-il même pas où il se trouvait. C'était mieux, probablement. Il souffrait peut-être d'une simple grippe, carabinée, certes, mais d'une simple grippe tout de même. Quoi qu'il en soit, les effets étaient spectaculaires et peu rassurants pour lui qui n'y connaissait goutte en la matière.
Galathée, elle, aurait su. Évidemment. Mais elle n'était pas là...
-Donne moi une seconde, et je suis à toi... souffla-t-il.
Il jeta une brassée de branches dans le feu. S'empara du bocal qu'il ouvrit tant bien que mal. Puis, revenant à l'enfant, il l'entoura à nouveau de son bras pour le soutenir. Le contact, au moins, Victor paraissait en avoir conscience. Il l'avait cherché, même.
-Allez, ouvre la bouche, bonhomme... Ce truc m'a l'air fameux... fit-il en piochant un morceau de fruit et en l'approchant des lèvres du gamin.
Si seulement il pouvait en avaler quelques-uns...

[Galathée]

Victor se laissa nourrir bien que sa faiblesse ne facilite pas les choses : chaque bouchée prenait une éternité, et il manqua plusieurs fois s'étrangler sur un morceau de poire ou de cerise que Taliesin avait pourtant pensé suffisamment tendre.
Il eut cependant la satisfaction de voir que l'enfant reprenait peu à peu une certaine contenance. Son visage était toujours tiré par le trouble qui s'était niché dans son organisme, mais son regard se faisait moins vague, plus concentré, plus incisif. Il finit même par saisir lui même les morceaux de fruits.
L'elfe constata que l'enfant semblait prêt à ingurgiter le bocal entier, ce qui n'était peut-être pas très prudent dans son état, mais était immanquablement un signe de meilleure santé.

[Taliesin]

Quelque peu soulagé, Taliesin laissa Victor poursuivre encore un moment son repas puis, doucement, posa la main sur la sienne alors que le gamin allait à nouveau se servir.
-Je crois qu'il vaut mieux t'arrêter là pour cette fois. Tu vas attraper une indigestion si tu vides le bocal. Et avec ta grippe, je préfère ne pas imaginer les dégâts... Par contre, je vais te donner de quoi faire descendre tout ça...
Se penchant, il récupéra le caquelon qu'il avait pris soin de remplir de neige avant de s'endormir. Laquelle avait fondu grâce à la chaleur du feu, et non plus à celle de ses mains, qui ne s'en portaient que mieux.
-Tiens... fit-il en tendant le récipient à l'enfant, ne sachant trop s'il devait l'aider ou le laisser faire seul, mais se tenant en tout cas prêt à éviter le moindre accident susceptible de tremper leurs frusques ou leurs couvertures.

[Galathée]

Victor s'était désormais assis, la couverture drapée sur les genoux, et il lorgnait les environs en silence, son regard troublé courant lentement sur les arbres, le feu, leurs affaires, Mélégorn qui reposait, aussi immobile qu'une statue. Il but longuement, vida le caquelon et le rendit à Taliesin. L'elfe réalisa alors combien l'enfant s'était déshydraté au cours de leurs pérégrinations. Cependant, Victor sourit.

[Taliesin]

Il lui ébouriffa doucement les cheveux puis, tout en faisant particulièrement attention à ne pas tirer sur la chaîne, il s'éloigna quelque peu pour remplir à nouveau le caquelon de neige. Après l'avoir déposé près du feu, il revint s'assoir à côté de l'enfant.
-Allez, courage, souffla-t-il. C'est juste une mauvaise période à passer. Tu as dû attraper froid dans l'entrepôt, et notre nuit à la dur, hier, ne t'a pas aidé... Du repos, de la nourriture, un bon feu... Bientôt il n'y paraîtra plus.
Il l'observa un instant.
-En tout cas, tu ne dois surtout pas hésiter à me dire si tu as besoin de quelque chose. Je crains de ne pas être très doué, comme garde-malade; Mais enfin, je ferai de mon mieux.