[Lieu] La campagne luménienne

[Taliesin]

Montés sur Patience, qu'ils avaient empruntée à la Taverne de la Bienveillance, Arya et Podrick émergèrent des portes de Luménis. face à eux, étincelante sous les rayons du soleil, la campagne s'étendait à l'infini. Son manteau négeux, immaculé, étincelant, paraissait vierge de toute trace, en dehors de celles, légères, des animaux. Le seul vrai signe d'activité huméine provenait de la route que les frimas de l'hiver rendait à peine moins fréquentée. Le commerce ne s'arrêtait jamais vraiment...
-On va où ? s'enquit le petit garçon, tenant toujours les rênes.

[Arya Du Varden]

L’elfe n’avait aucun souvenir de ses premières expériences de cavalière comme si elle eut toujours su, pourtant elle était admirative devant l’aisance de l’enfant à avoir immédiatement saisi les quelques consignes qu’elle lui avaient données. Elle en fut presque à regretter de n’avoir pas pu trouver un cheval plus fougueux, voire un cheval chacun. Elle ne pouvait résister à ressentir qu’il fut un membre de sa race, l’amour qu’elle lui portait gommant la différence physique qui s’apparentait encore pour l’instant surtout aux oreilles tant il était menu.

Tu es sidérant Podrick, il faudra que le printemps vienne bien vite pour te voir dans ta première chevauchée. Maintenant que Patience a pu s’échauffer un peu, nous pouvons lui demander d’aller au petit trot. Je te laisse faire et peu importe où nous allons, tout est si merveilleux que le chemin que nous suivrons n'est pas important. Alors à toi de décider.

L’astre du jour brillait de tous ces feux pour venir accompagner les premiers pas du jeune cavalier, ses rayons tentaient de radoucir un peu la température hivernale pour que cette promenade fut un véritable succès, mais n’y arrivait guère. La neige scintillait comme si les étoiles du firmament étaient descendues pour affirmer que ce jour était la renaissance de l’enfant, alors que l’elfe vibrait en concert avec cette nature dont la beauté était le repos de l’âme.

J’aime la nature telle qu’elle se présente à nous, elle est source de vie et d’apaisement. Je t’apprendrai à puiser la force qu’elle offre généreusement, les humains ne savent ce qu'elle peut offrir et se moquent des elfes, pourtant ceux qui ont compris ne s'en privent pas.

A cet instant, traversa l'esprit de la magicienne la seule sortie de Lumenis qu’elle avait entreprise depuis son arrivée six mois plutôt, c’était pour Lathandre et sa question vint comme si elle espérait que ce qu’elle avait fait était destiné au dieu de l’enfant.

Quel dieu vénères-tu Podrick ?

[Taliesin]

Le môme se retourna, surpris.
-Le dieu que jvénère ? Heu... Ben ça, c'est une bonne question... murmura-t-il.
Il fronça les sourcils.
-A Luménis, y a pas mal de gens qui sont pour Lathandre, alors, j'imagine que c'est pareil pour moi. J'y connais pas grand chose, en dieux. mais lui, il a l'air sympa. Ses clercs, ils parlent d'espoir, de jours qui seront mieux...
Il reporta son attention sur le paysage enneigé, comme s'il estimait avoir répondu, faillit engager Patience sur la route.
Mais se retourna à nouveau.
-Hum, mais tu sais, à la maison, on parlait pas beaucoup des dieux. Sauf mon père. Quand il était complètement ivre, il arrêtait pas de répéter "Corellon nous a retiré sa bénédiction". Enfin, moi j'ai jamais su d'qui y voulait parler. C'était peut-être un clerc, j'me disais, paraît qu'ils en lancent, des bénédictions. Mais ça pourrait aussi bien être un dieu. Et ça d'vait en être un, j'me dis maintenant. Parce qu'une fois il a dit aussi, mon père, que ces "gens d'en haut", y s'foutaient pas mal de ce qui nous arrivait, à nous, en bas.

[Arya Du Varden]

Ce ne fut qu’un demi-étonnement pour l’elfe d’ouïr que Podrick ne vénérait aucun dieu, bien que pour elle cela lui soit impossible de ne pas honorer celui qui était la source de sa vie. C’était un manque supplémentaire dans l’éducation de son petit protéger qui n’avait eu comme guide qu’un mauvais père et qui donnait à l’enfant une vue erronée de l’engagement et de la loyauté qu’on portait à son dieu et de l'amour que celui-ci nous portait.

Cet homme qu’elle ne connaissait pas, qu’elle mésestimait déjà avec force bien qu’il fut le géniteur de son petit protéger, n’en paru que plus ignominieux d’oser porter la responsabilité sur Corellon, père et dieu suprême des elfes, les causes de ses malheurs. Arya était outrée et tintèrent allègrement dans sa tête ces vérités si souvent répétées par les siens dont elle savait être une digne représentante. Tout dans son attitude et dans le regard qu’elle se posa sur les voyageurs et commerçants qu’ils croisèrent à cet instant devint hautain et méprisant. Pourtant, prenant immédiatement conscience de la présence de Podrick, elle en revint à de meilleurs sentiments, à ceux qu’elle portait à l’enfant.

Elle ne pouvait laisser passer cet opprobre et se devait de l’instruire. D’un rapide coup d’œil, Arya avait repéré un petit muret qui courrait le long d’un champ bordé de noisetiers aux branches dénudées, endroit idéal pour s’arrêter non seulement pour offrir à l’enfant quelques brides d’instruction, mais également pour tenter de cerner qui était ses parents, ses ancêtres, pour qu’ils vénèrent un dieu elfe. Questions auxquelles l’enfant ne pourrait répondre, mais peut-être que le portrait de son frère l’amènerait sur un nouveau chemin par quelques souvenirs qui pourraient surgir dans la mémoire de l’enfant. Surtout, elle se devait de l’initier au respect de ce dieu commun, Corellon n’abandonnait jamais les siens. Cette appartenance l’interpellait, elle était ahurie. Lumenis ne possédait même pas un temple dédié à son dieu et voilà qu’un petit humain lui parlait que sa famille l’aurait vénéré.

Nous allons nous arrêter un moment, nous devons laisser à Patience le temps de se reposer un peu, surtout, il est important que tu saches qui est Corellon, car c’est le dieu que je vénère, le dieu des elfes.

Elle saisit plus fermement les rennes, guida la jument à une centaine de mètres de la route avant de lui donner ordre de s’arrêter et que tout deux sautent à terre. Après que la bride fut attachée autour d’un tronc, elle déroula une des couvertures qu’elle avait pris soin d’emmener et la déposa sur la neige. Elle s’assit le regard brillant de l’adoration et du respect qu’elle portait à son dieu et attira l’enfant près d’elle.

Il est important que tu saches que Corellon Larethian est le dieu suprême des elfes. C’est lui qui a créé la race elfe et nous le vénérons tous. Ou presque pensa-t-elle intérieurement. C’est un dieu juste et bon, jamais il ne nous abandonne. Lorsque je suis arrivée sur Helonna, j’aurai pu le maudire de m’imposer une si grande épreuve, refuser de vendre mes potions aux non-elfes, trouver qu’ils n’avaient pas à être instruits à l’alchimie par moi. Pourtant je l’ai fait, c’est mon destin qui mettait deux routes face à moi, mépriser les habitants de cette terre ou découvrir qui ils étaient. Corellon me teste pour me permettre de grandir dans ma foi et dans la magnificence de ma race dont il est le père. Je n’ai jamais cessé de le vénérer, de sentir sa présence. Elle serra doucement les mains de l’enfant dans les siennes. Ce que tu viens de m’apprendre me laisse penser que notre rencontre n’est pas le hasard, mais la volonté de Corellon, voilà la réponse à ta question "Pourquoi moi?"

[Taliesin]

Podrick resta quelques secondes à la dévisager, un peu décontenancé, un peu perdu face au tour soudain très grave qu'avait pris leur petite promenade. Surtout, il avait l'air de ne savoir quoi répondre.
-Heu... j'veux bien vous... te croire... fit-il quand il eut trouvé. Pour c'que tu dis sur ton dieu et tout. Mais... Moi, franchement, j'ai pas de souci, avec les dieux. Je leur en veux pas, je leur reproche rien. L'seul que je connais un peu c'est Lathandre, juste parce qu'on voit souvent les prêtres et qui'ilssont plutôt gentils... Mais après ça... J'vois pas pourquoi mon père il parlait de Corellon, et j'vois pas franchement pourquoi Corellon il se préoccuperait de moi. J'suis pas un elfe...
Il sourit.
-Enfin, p't'être que J'suis une nouvelle épreuve qu'il vous envoie, en fait !

[Arya Du Varden]

Parler de son dieu semblait si naturel à l’elfe, qu’elle fut surprise de l’interrogation qu’elle put lire dans le regard de Podrick, surtout, elle aurait préféré que son petit protéger avance dans la même direction qu’elle pour leur rencontre, ce ne pouvait être autrement, lors de la naissance de l’enfant, Corellon devait être là, même si la raison restait obscure. Le regard enjoué et attendri, Arya dévisagea Podrick avant de lui répondre.

Non, tu n’es pas un elfe, cela est une certitude et une autre est que ce n'est pas une épreuve que Corellon m'envoie. Je ne sais pas plus que toi, pourquoi ton père l'évoquait lors de ses beuveries, mais il y a une raison et c’est cette raison qui est la présence du dieu des elfes dans ta vie.

Si dans ton cœur Lathandre est plus présent, alors tu as le droit de le vénérer. Ce qui est indispensable, c’est que tu suives un chemin, que tu célèbre celui qui te semble le juste. Tu es un humain et les préceptes de mon dieu te seront peut-être indifférents. Mais pour un elfe, il est son père, nous sommes nés de son sang, il nous protège et nous guide, il est juste et bon, il a su rester humble.

Bien que Lathandre soit un dieu bien plus vaniteux qui a commis quelques erreurs, il est le dieu de la lumière. Si je devais porter secours à un lathandrite au risque de ma vie, je le ferai, alors Lathandre porterait un regard bienveillant sur moi et Corellon serait là lui aussi, cela je le sais. Lathandre et Corellon ne sont pas vraiment des amis, mais ils ne se battent pas entre eux, si Corellon est le père de tous les elfes, Lathandre est le dieu du printemps et du renouveau. Peut-être que le temps nous permettra de comprendre la présence de Corellon dans ta vie, cela ne peut être le hasard. Attrapant sa sacoche, Arya commença à sortir feuilles et fusains et le ton toujours enjoué, déroula délicatement une feuille devant elle. Je pense qu’il est temps que je découvre à quoi ressemblait un jeune humain à l'allure elfique qui s’appelait Aymeric.

[Taliesin]

Toujours un peu décontenancé, mais conscient qu'il lui serait plus facile de décrire son frère défunt que de débattre de matières telles que le rapport des mortels avec les dieux, Podrick s'exécuta de bonne grâce.
Ses indications furent d'abord vagues, imprécises, et il finit par demander à Arya de se baser sur son visage à lui, arguant qu'il lui dirait ce qu'il fallait modifier ensuite. Et, peu à peu, comme il parvenait à dégager des détails plus clairs de ses souvenirs embrumés, le portrait prit forme, dessinant les contours d'un adolescent d'une quinzaine d'années, les traits fins, harmonieux. En fait, c'était... un Podrick en plus vieux, dont l'âge n'aurait pas alourdi, endurci le visage. Sans doute était-ce en cela qu'on le trouvait elfique, et Arya put noter que le qualificatif n'était pas usurpé.

[Arya Du Varden]

Pendant que sa main laissait courir le fusain sur la feuille de papier selon les indications de l’enfant, l’esprit d’Arya était bien ailleurs. Elle ne savait pas encore comment, ni ce qu’elle pourrait découvrir, mais elle avait bien l’intention de faire des recherches pour éclaircir tous ses mystères qui entouraient son petit protéger.

Mais bien vite, le croquis avançant, les traits de l’adolescent se précisant, elle en revint uniquement à regarder en souriant Podrick, comparant son visage avec celui de son frère dont les contours se précisaient un peu plus à chaque instant. La ressemblance était absolue et elle imaginait déjà le petit bout de chou une décennie plus tard. Il n’aurait pas la beauté parfaite des elfes, mais pour un humain, il s’en approcherait par les traits fins et harmonieux de son visage.

Lorsqu'il fut terminé, la magicienne tendit le dessin à l’enfant tout en l’enlaçant et en posant un baiser sur sa joue.

Aymeric était très beau, il avait vraiment un air elfique et comme tu as pu le constater, c’est en partant de ton visage et simplement en le vieillissant que j’ai dessiné celui de ton frère. Votre ressemblance est grande et dans quelques années, lorsque tu auras l’age qu’il avait, tu auras aussi l’air elfique.

Cela faisait près d’une heure qu’ils s’étaient arrêtés et bien que l’astre du jour fut seul maître dans le ciel azur, la température était basse. Il était temps qu’ils se remettent en route et profitent encore de cette superbe journée pour s’évader dans les paysages à la blancheur immaculée qui donnaient une vie particulière aux arbres dont les branches privées de feuilles s’élançaient vers le soleil comme pour mieux capter ses rayons qui apportaient la vie. Elle se leva, laissant à Podrick le croquis dont elle n'aurait pas besoin pour en faire un autre, ayant parfaitement mémorisé les différences avec celui de son petit protéger, et s’enquit de ranger son matériel et de rouler la couverture laissant l'enfant revivre les souvenirs qui devaient se bousculer alors qu'il tenait devant lui le visage de son frère trop tôt disparut et dont l'absence le faisait encore souffrir.

Reste juste à savoir quelle était la couleur de ses yeux et de ses cheveux pour que le peintre puisse faire un portrait vraiment ressemblant.

[Taliesin]

Le gamin avait fixé longuement le portrait, une expression indéfinissable sur le visage. Il finit cependant par le ranger soigneusement et rejoignit la magicienne.
-Heu, tout pareil que moi... répondit-il. Enfin, j'crois...
Il se concentra, puisa à nouveau dans ses souvenirs.
-P't'être... P't'être qu'il avait les cheveux encore un peu plus clairs. Et les yeux... Ben verts, aussi. Mais p't'être plus... plus brillants : ça f'sait de l'effet quand y vous regardait vraiment ! Mais je saurais pas dire plus...

[Arya Du Varden]

La magicienne sourit, faire de l’effet sur d’autres humains avec un visage aussi elfique, elle n’avait aucun doute que le regard devait sembler presque envoûteur.

Cela donnera une ligne de conduite pour le peintre, mais comme il l’a fait pour mes parents, nous irons le voir au cours de son travail pour préciser un trait ou pour la couleur des yeux et des cheveux. Pour l’instant grimpe sur Patience, elle doit commencer à s’ennuyer à nous attendre.

Dès que l’enfant fut monter, Arya le rejoignit et lui laissa guider leur monture comme il l’avait fait jusqu’à présent. Puis, la route étant libre sur une grande distance, elle prit les rennes et s’en fut sur cette voie sur laquelle la neige n’était plus glace grâce aux rayons de l’astre du jour et où elle pouvait être certaine qu’il n’y aurait pas de trou ou de pierre qui puissent blesser la jument. Il était temps de profiter d’un peu plus de vitesse et même si ce n’était pas une chevauchée effrénée, Patience démontra que malgré son grand age, elle pouvait encore offrir à son cavalier un plaisir certain de liberté.

Malgré le bien-être que la magicienne ressentait à galoper entre les champs enneigés, s’émerveillant autant de la nature que de l’aisance de son petit protéger qu’elle laissait libre bien qu’elle fut prête à le retenir si par mégarde, il perdait l’équilibre, elle ne força pas sa monture, ni sur la vitesse, ni sur la durée. Après quelques minutes, raisonnable, n’attendant pas que la jument doive par elle-même démontrer qu’elle avait atteint ses limites, Arya ralentit le rythme et lorsque Patience fut revenue au petit trot, elle laissa à nouveau l’enfant guider l’animal.

Quelques maisons se dessinèrent à l’horizon et les nombreuses charrettes de marchands qui étaient arrêtées aux abords de la route, laissaient à penser qu’il dut y avoir une taverne ou une auberge. La magicienne n’avait pas faim, mais la soif se faisait et une boisson chaude ne pourrait qu’être la bienvenue. Bien qu’il fut délicat de laisser l’enfant diriger la monture, la magicienne n’hésita pas à lui laisser le plaisir de démontrer ses capacités toutes nouvelles s’il le souhaitait.

Il faut mettre Patience au pas, puis avancer lentement en longeant les charrettes et aller juste devant la taverne où nous pourrons laisser prudence le temps de prendre une boisson chaude. Il n’y a que deux places de libre, je pense qu’il vaut mieux choisir celle de droite, les chevaux sont bien plus calmes. Si tu te sens capable de nous emmener jusque là sans encombre, alors je te laisse le faire.

[Taliesin]

Le gamin acquiesça, serra les rênes dans ses doigts gourds puis, concentré, la langue légèrement tirée dans une mimique appliquée et minutieuse, il se mit en devoir d'amener Patience à bon port. Les choses n'allèrent pas sans quelques incidents : un homme marchant à vive allure croisa leur route, puis, alors qu'ils atteignaient la façade de l'auberge, l'un des chevaux attachés là renacla bruyamment, ce qui fit sursauter Podrick. Patience, en revanche, se montra parfaitement imperturbable, ne fit aucun écart, et, quelques instants plus tard, ils avaient gagné la place libre que la magicienne avaiit désignée.
Le gamin lâcha alors les rênes et poussa un soupir de soulagement;
-Bon, j'ai écrasé personne, c'est d'jà ça...

[Arya Du Varden]

Tout en restant prête à retenir la monture en cas de réel incident, Arya sentait que son petit protéger voulait réussir la délicate mission qu’elle lui avait confiée. Certes, Patience fut par son caractère placide une actrice incontournable, mais l’elfe ne pouvait qu’apprécier la conscience de l’enfant qui ne chercha pas à faire de l’esbroufe et prit tout son temps pour parfaitement réussir sa manœuvre.

C’est plus que cela, la manœuvre n’était pas facile pour une première fois et tu t’es très bien débrouillé. Ne reste plus qu’à l’attacher solidement pour qu’elle ne prenne pas la clef des champs pendant que nous nous désaltérerons.

La magicienne se laissa glisser au sol, immédiatement suivie par Podrick qui après une démonstration et quelques infructueux essais réussit à attacher solidement la bride autour de la barre destinée à cet effet. Il n’était certainement pas nécessaire que l’attache soit parfaite au vu du caractère de la jument, mais l’elfe savait qu’il était préférable qu’il apprenne dès le début les bons gestes.

La taverne était un point de rencontre sur cette route qui en cette saison hivernale était fréquentée principalement par les commerçants et autour des tables des hommes de tous ages dialoguaient bruyamment dans une cacophonie qui vint les cueillir sur le seuil de la porte et qui, après les heures passées dans le silence où le seul bruit assourdi par la neige fut celui des sabots de leur monture, fut ressentit par la magicienne telle une agression. Si elle fut seule, elle aurait sans aucun doute renoncé à entrer. Mais, n’offrant qu’une fugace grimace, elle s’efforça de sourire en jetant un regard circulaire afin de trouver deux places et dut se résoudre à se joindre à une tablée fort bruyante, mais qui avait au moins l’avantage d’être sympathique et les hommes présents n’hésitèrent pas à faire un peu de place sur la table qu’ils avaient largement envahies avec les plats et boissons servies pour que l’elfe et son petit protéger puisse consommer à leur guise. Discuter n’était pas aisé surtout pour Arya qui avait pour habitude de parlant d’une voix douce et spontanément, ils baissèrent un peu le volume de leur voix de ténors ce qui ne put que réjouir l'elfe qui malgré tout dut se pencher vers l’enfant pour qu'il comprenne ses paroles.

Peut-être as-tu faim et souhaiterais manger quelque chose ?

[Taliesin]

Podrick s'était dirigé jusqu'à la table d'une démarche un peu raide, et il avait laissé paraître une grimace en s'asseyant. Mais déjà, il n'y paraissait plus, et il semblait parfaitement à son aise dans la salle bruyante et bondée.
-Heu, j'ai rien contre grignoter un p'tit truc ! fit-il joyeusement. Mais après, ça dépend de ce que tu as prévu. Si tu veux qu'on fasse encore une longue ballade, moi ça me va très bien, mais j'mangerai un peu plus, histoire de pas tomber d'inanimition en cours de route ! Sinon, j'peux attendre qu'on soit rentrés à la Bienveillance.

[Arya Du Varden]

Amusée par la réplique de Podrick, la magicienne ne doutant pas que son appétit soit déjà grand, bien que le petit déjeuner ne fut pas si loin, posa un regard enjoué sur lui.

Faisons déjà le choix que tu manges un peu plus, ainsi nous serons libres de décider à tout moment ce que nous souhaitons faire. Tu sais, il y a longtemps que je n’avais pris le temps de chevaucher et je suis vraiment ravie de notre balade, les paysages sont si resplendissants avec leur manteau blanc que je voudrais que le crépuscule ne vienne jamais. De toute manière, peu importe quand nous rentrerons, il faut bien que tu manges.

A ce moment là, le serveur s’approcha de leur table pour s’enquérir de leur commande et la magicienne se dit que le repas pris ici, même s’ils rentraient directement, leur laisserait du temps pour faire autre chose.

Que proposez-vous comme plat du jour et avez-vous des tartes ?

[Taliesin]

-Le plat du jour, c'est de la dinde avec des châtaignes, fit le serveur. Mais si vous préférez, on a du chapon, ou du porc, avec des pommes de terre. Pour les tartes, hum... On est un peu dépourvus, en la matière, tout ce qu'on peut faire, éventuellement, c'est de la tarte aux pommes.
Podrick avait acquiescé pour tout ce que l'homme avait nommé. Une chose était certaine : il n'était pas du genre difficile, au niveau de la nourriture.

[Arya Du Varden]

L’enfant n’ayant pas émis de préférence, l’elfe choisit pour lui du chapon, viande qu’elle estimait plus tendre et plus goutteuse bien qu’elle-même n’en prit pas, le déjeuner n’étant pas un repas auquel elle se soumettait, mais tenta juste une tarte aux pommes accompagnée d’un thé. Lorsque les plats furent servis et goûtés, une seule constatation pouvait se faire, il valait mieux emmener avec soi de quoi se sustenter même si l’enfant avait vidé son assiette avec appétit.

La luminosité dans la taverne s’était peu à peu éteinte, mais l’elfe n’y avait pas fait attention, plus occupée à sa conversation avec Podrick, sur des sujets les plus divers qui convenaient parfaitement à cette journée qu’elle voulait finir gaiement, et lorsqu’elle héla le serveur pour régler son dû, se rendant compte malgré le verre des vitres légèrement teinté d’ocre que le soleil semblait déjà voilé, elle constata que la salle s’était bien vidée de ses clients et un doute l’assaillit, la neige serait-elle au rendez-vous pour leur retour à Lumenis ?

A peine dehors, la constatation fut vite faite, le ciel couleur gris plombé semblait vouloir rejoindre le sol au blanc immaculé qui ne brillait plus guère sous les rayons déjà pâles du soleil. La neige ne tarderait pas à faire son apparition et le retour risquait de ne pas être une promenade avec le vent qui s’était mis de la partie. Il valait mieux reprendre la route rapidement, mais avant tout, s’équiper chaudement avant le départ pour ne pas avoir à s’arrêter.

L’elfe donna à son petit protéger le pull chaud qu’elle avait prévu pour lui, sortit les deux couvertures dont la plus petite servirait à lui couvrir les épaules et la plus grande à protéger leurs jambes du froid qui risquait d’être intense sous les assauts du vent.

Pourtant, à ce semblant de précipitation, faisait face la calme imperturbable de l’elfe qui se fut réjouit de ce temps si l’enfant ne fut pas avec elle. Mais elle se rassurait en pensant que le petit avait déjà affronté pires assauts sans être aussi bien couvert, le ventre plein, et la promesse d’un gîte accueillant comme l’était la taverne de la Bienveillance. Une pointe de plaisir pourtant se faisait sentir dans l’intonation de sa voix alors que l’enfant grimpait déjà sur le dos de la jument.

Je pense que notre promenade ne sera plus que la route qui nous ramène à Lumenis et il est préférable que je guide Patience. Nous allons d’ailleurs lui demander quelques efforts dès qu’elle aura pu s’échauffer de manière à parcourir le plus de chemin possible avant la tempête de neige qui sera sur nous dans moins d’une demi-heure.

Ne voulant pas forcer la jument, la magicienne lui laissa le temps nécessaire ne la menant qu’au trot, avant de la lancer au galop. Mais avant même que celle-ci eut le temps de ressentir la fatigue malgré son grand age, la prudence voulut qu’Arya lui baissa son rythme car déjà les flocons légers s’étaient mis à tomber dru et le vent qu’il affrontait de face n’étaient pas là pour faciliter la tâche.

L’horizon n’existait maintenant plus, tout n’était que neige virevoltante sous les assauts du vent, rapidement, l’elfe du manœuvrer pour dépasser des attelages lourdement chargés qui avançaient avec peine, voire, qui n’avançaient plus du tout bloqués par des congères que s’étaient formées ça et là.

Bien qu’attentive à l’avancée de la jument, scrutant la route devant elle, Arya le cœur battant revivait une expérience où seul le temps avait une correspondance, la vieille jument était un étalon fougueux et volontaire, sa cavalière plutôt téméraire, une paire, qui depuis la naissance de cet animal sur lequel elle avait jeté son dévolu, étaient devenus complices et affrontaient avec audace un temps similaire.

Souvenir nouveau, émotions fortes, comme pour lui faire partager ce qu’elle venait de revivre, l’elfe serra son petit protéger contre elle et posa un baiser sur sa tête avant de presque crier pour faire concurrence au vent glacé.

Ca va Podrick ?

[Taliesin]

-Pas d'problème, ça baigne ! s'exclama le môme, pas impressionné pour deux sous.
Pourtant, la tempête se révélait aussi violente que son commencement s'était montré brutal. Le vent hurlait, la neige tombait sans discontinuer, et il était évident qu'ils seraient transis et trempés jusqu'aux os avant d'arriver à la Bienveillance. Mais peu importait à Podrick qui semblait simplement s'amuser, confiant.
Devant eux, la route était encombrée, et il leur fallut encore ralentir l'allure : le brusque déchaînement du temps avait pris par surprise certains marchands, et il y avait un véritable embouteillage devant les portes de la ville... Ils ne pourraient pas les franchir avant au mieux quelques minutes.

[Arya Du Varden]

Malgré le froid et le vent qui cherchait à profiter de l’immobilité des marchands, voyageurs et citoyens pressés d’échapper à ses assauts pour les éprouver, formant avec la neige un manteau blanc qui venait se coller à tous ce qui entravaient leur chemin, l’attente pour passer les portes se faisaient calme et les conversations s’engageaient entre les uns et les autres. Certains se plaignaient du froid arrivé trop tôt, de la neige qui leur avait fait rater des affaires, alors que d’autres, se ventaient d’aventures par des temps bien plus durs à croire qu’ils étaient des surhommes pour s’en être sortis vivants.

Patience fidèle à son nom ne piaffait pas, elle avançait chaque fois qu’Arya le lui commandait et ce n’était guère souvent et uniquement pour quelques pas. Maintenant, qu’ils étaient immobiles sans avoir à porter son attention à tout instant, la magicienne frissonna alors qu’une énième bourrasque chargée de neige venait à balayer les devants de la porte comme s’il eut voulu disperser la foule compact qui attendait de passer.

Tout à coup, la charrette qui était devant elle ne pouvant avancer, la magicienne n’hésita pas un instant et promptement guida la jument pour la contourner et ainsi prendre un peu d’avance, celle-ci en bloquant une autre qui bloquait quelques cavaliers, ce n’était certes que quelques places de gagnées dans la file d'attente, quelques ronchons qui rouspétaient, mais dans la tempête et frigorifiés, c’était un temps précieux qui n'avait pas d'oreille. Surtout que maintenant qu'ils étaient arrivés à Lumenis cela ne ressemblait plus à une aventure d'affronter les éléments.

Lorsqu’enfin ce fut leur tour, le garde se contenta que la magicienne décline leurs noms pour les laisser passer et les voilà maintenant entre les murs de la cité, foulant les pavés enneigés en direction de la taverne .

[Galathée]

Quête : Brumes


D'ici...

Comme il l’avait prévu, il finit par trouver un certain rythme de marche et il se détacha de ses sensations corporelles pour profiter du paysage. La campagne luménienne s’étendait tout autour de lui, vaste plaine de champs et de prés, blancs pour l’heure, émaillés ça et là de fermes cossues dont s’échappaient de petites colonnes de fumée. Cette partie de la région était densément peuplée, des villages se dressaient à intervalles rapprochés sur la route, profitant de l’incessant passage des marchands et des voyageurs pour générer leur prospérité. Albérich n’avait pas réellement déterminé son itinéraire, mais il savait qu’il trouverait une auberge en fin de journée, immanquablement. Tout en avançant, il bénissait Marcus de lui avoir donné un peu d’argent pour la route. C’était un aspect de son périple qu’il avait complètement négligé, un peu naïvement sans doute, espérant pallier au problème en offrant ses services.
Mais quels services, Albérich, exactement ?
Il ne se retrouva jamais vraiment seul sur la route. Il y avait peu de personnes à pied, mais chariots et cavaliers le doublaient continuellement, le forçant de temps à temps à s’écarter pour ne pas être écrasé. Il était perdu dans ses pensées, confuses, se remémorait ses échanges du matin, avec Longuehune, avec Marcus, se demandant s’il n’avait pas oublié de dire des choses fondamentales, qu’il n’aurait plus jamais l’opportunité de rattraper. La décision de l’intendant, de quitter le Temple, le troublait. La défection de Tybert n’avait pas été une réelle surprise, mais que Marcus s’éloigne était autrement plus inquiétant. En même temps, il était à ce point taillé pour ce qu’il faisait qu’il ne pourrait jamais s’éclipser longtemps. Les champs l’ennuieraient. Le petit sanctuaire villageois. Les vaches et les poulets. Cela lui arracha un sourire, furtif, puis la solitude revint se poser sur son épaule, comme une corneille baladeuse et peu farouche, curieuse de savoir jusqu’où il irait. Le flux des voyageurs lui donnait une fausse impression de partage, qui disparaîtrait rapidement, il le savait. Il faisait de plus en plus froid, le soleil ne se montrerait pas. Le ciel creva brusquement, transformant les quelques flocons tranquilles qui l’avaient accompagné jusque là en averse de glace impitoyable. Il se réfugia sous un arbre nu pour regarder passer les nuages, et mangea ce qu’il lui restait de petits pains fourrés. Son estomac s’en accommoda plutôt joyeusement. La marche lui avait ouvert l’appétit.
Lorsque les nuages s’apaisèrent, il reprit son périple, emmitouflé dans son manteau, le souffle blanc. Chaque chariot qui passait devenait promesse de mouchetures boueuses, et il finit par arpenter directement les terre-pleins qui jouxtaient la route, plus sûrs. L’hiver semblait éternel, la nature était prisonnière, figée, les arbres dressaient des branches noires sur le ciel terne. Il s’efforça de ne penser à rien, et la fatigue fit le reste : bientôt, il dut se concentrer tout entier sur chacun de ses pas, et résister à l’envie imprécise de s’asseoir par terre et d’abandonner. Enfin, quelques maisons apparurent près de la piste, signe d’un petit bourg de convenance, d’une auberge au moins, à venir.

[Taliesin]

Il s'agissait d'une bourgade d'une trentaine de bâtisses, guère impressionnante mais, tout de même, la plus vaste de celles qu'il avait croisées jusqu'ici. L'éloignement relatif de Luménis permettait à des communautés de bonne taille de se développer : le clerc avait fait du chemin, plus, peut-être, qu'il ne l'aurait cru. Pas assez, cependant, pour que l'auberge locale soit très grande. A cheval ou en chariot, la distance ne devait guère représenter qu'une demi journée de voyage, et ne s'arrêtaient là que les malheureux surpris par la nuit ou désireux de se mettre à l'abri de subites intempéries.
Sur l'enseigne pimpante de l'établissement, on pouvait lire "Au hérisson paillard". Nom étrange, sans doute inspiré de quelque chanson grivoise de troubadour. La salle commune était semblable à tant d'autres, avec ses tables rondes, ses tabourets, son comptoir lustré. En revanche, le tenancier détonnait quelque peu : jeune, mince, élancé, il avait plutôt le physique d'un jeune premier que celui d'un aubergiste traditionnel. Pour l'heure, il s'afférait à servir ses premiers repas aux affamés précoces. Ils étaient une demi-douzaine, marchands bedonnants ou voyageurs anonymes.

[Galathée]

Albérich s’approcha du comptoir d’un pas qu’il espérait tranquille. Il était en réalité épuisé, et la fatigue le rendait fébrile et inquiet, sensible au moindre bruit, au moindre regard, au plus petit signe qu’il aurait pu deviner et interpréter sur les traits des étrangers.
Tu es invulnérable d’insignifiance, Albérich. Invisible.
Aussi près de Luménis, il était cependant toujours possible qu’il soit reconnu. Les conseillers avaient veillé à être accessibles, et lui-même avait participé à plus d’une cérémonie officielle et publique. Mais la route avait usé son expression, les derniers événements vieilli son visage. Hors du contexte où on s’attendait à le rencontrer, il ne ressemblait sans doute qu’à un énième voyageur et s’en félicitait.
Il s’arrêta au comptoir, guettant l’instant où le tenancier aurait quelques secondes à lui consacrer, tout en s’interdisant de penser à ce qui s’était produit la dernière fois qu’il avait posé son sac dans une auberge.

[Taliesin]

-Bien le bonsoir ! fit le jeune homme, revenant à son comptoir après avoir servi un cinquième repas d'affilée. Et bienvenue au "Hérisson paillard" ! Vous désirez un lit et un repas ? Juste un repas ? Je crois que j'ai à peu près de quoi satisfaire tous les appétits. Sauf les appétits d'ogres, malheureusement. Comme ceux-ci sont fort peu nombreux dans les environs, on a arrêté de préparer du ragoût de marmot depuis au moins trois mois...
Il avait l'air enjoué, détendu, débordant d'énergie. Et de plus en plus incongru à chaque instant, dans sa salle commune où les visages étaient tirés par les fatigues du voyage.

[Galathée]

Bien qu'il soit recru et que quelques secondes lui fussent nécessaires pour comprendre la boutade, Albérich s'efforça d'esquisser un sourire amical à son interlocuteur empressé.
" Le lit et le couvert, merci." répondit-il finalement. " Et mon appétit tient plus du moineau que de l'ogre, je sais que vous parviendrez à le satisfaire."
Il jeta un coup d'oeil furtif vers la salle, mais les voyageurs étaient accablés par les turpitudes de leur propre route. Il était cependant impatient de pouvoir se poser, seul, quelque part.

[Taliesin]

-Appétit de moineau, alors ? reprit l'autre, toujours guilleret. Oh, oui, je pense que j'ai de quoi vous combler. Si vous me laissez cinq minutes pour gagner l'arrière-cour, je suis sûr que je peux vous dégoter un ou deux vers. Ou alors vous ramasser quelques miettes de pain en cuisine.. Remarquez, si je vais en cuisine, je peux toujours vous en ramener un repas chaud. Et vous, vous y picorerez ce que bon vous semblera...
Il fouilla dans un tiroir, en tira une clef.
-Pour la chambre, je vous file la 1. Premier étage, juste en haut de l'escalier. Vous m'avez l'air tellement crevé que j'aimerais vous donner plus près, mais au rez-de-chaussée, il n'y a que ma piaule. Et en général, les clients préfèrent être seuls dans leur plumard. Moins convivial mais plus reposant; j'imagine.

[Galathée]

Un peu interdit, Albérich remercia l’étrange tavernier et s’esquiva vers les étages. Malgré la nuit naissante, il était encore tôt et il espérait pouvoir prendre un peu de repos avant de manger. Le risque était de s’endormir pour n’émerger qu’à la nuit noire, mais il entendait s’asseoir, s’allonger, souffler, repartir.
La chambre 1 était étroite et sombre, le mobilier consistait en un lit bordé d’une couverture grise un peu élimée, une petite table branlante et une chaise usée. Tout était cependant propre et la pièce avait été aérée peu auparavant. Après avoir retiré son manteau humide, il s’assit sur le lit, faisant grincer les lattes du sommier, et poussa un formidable soupir comme il reprenait contact avec chacun des muscles ankylosés de sa carcasse percluse. C’est à dire plus ou moins tous. Doucement, il entreprit de s’étirer, de dérouler ce qui était récupérable, conscient de sa faiblesse. Il aurait eu besoin de plusieurs mois de convalescence pour retrouver le corps vigoureux qu’il avait avant de tomber aux mains des Sharites. Pourtant, en y repensant, il était bien conscient de n’être pas resté entre leurs mains si longtemps. A peine plus d’une veille. C’était risible, à bien y réfléchir. Une simple veille. Dix misérables jours, dix misérables nuits. Comment avait-il pu tomber si bas, si vite ?
Simplement. Parce qu’il était faible et l’avait toujours été. Parce qu’il n’était taillé que pour les choses faciles, une petite vie banale de clerc dans un temple protégé. Parce qu’il était comme son père l’avait toujours dit, un bon à pas grand chose. A chanter, écrire, pérorer.
Il se redressa en frissonnant. L’animation lasse de la salle d’auberge lui changerait immanquablement les idées, et c’était nécessaire. Il se frotta le visage des deux paumes puis quitta sa chambre à pas mesurés, une gêne désagréable dans le dos et une tension douloureuse dans la cheville gauche. Arrivé en bas, il s’assit rapidement à une table libre, et reposa son attention fébrile sur les quelques inconnus qui l’entouraient.

[Taliesin]

Ils étaient un peu plus nombreux. Les six voyageurs, marchands ou simples arpenteurs de routes, qui terminaient leurs repas. Plus trois jeunes gens hilares, yeux pétillants et verbe haut, qui s'esclaffaient autour d'une pinte. Pas encore ivres : il était trop tôt. Juste d'une humeur des plus joviales et réjouies. En accord avec celle du tavernier. Qui,d 'ailleurs, s'était assis parmi eux, trinquait en leur compagnie... et prenait une bonne part dans la joyeuse discussion.
L'un de ses comparses finit par l'informer du retour d'Albérich et le jeune homme bondit de sa chaise, rejoignant Albérich en quelques enjambées alertes.
-Vous voulez manger tout de suite ? Vous préférez boire un petit truc en attendant ? Juste profiter de la chaleur de la cheminée ? Dites-moi ce qu'il vous faut... Je ne suis pas exactement le djinn d'une lampe merveilleuse, mais je m'efforcerai, dans la mesure de mes maigres moyens, de satisfaire le moindre de vos désirs.

[Galathée]

« Si ça ne vous dérange pas trop... J’aimerais autant manger rapidement. Histoire d’aller m’écrouler dans mon lit ensuite. » fit-il, un peu penaud. « Et si vous avez une bière légère pour accompagner le repas, je suis intéressé. »
Un petit coup de pouce pour dormir ne serait pas un luxe. Il regretta de ne pas y avoir songé avant de partir : de nombreux herboristes luméniens auraient pu lui fournir de quoi garantir des nuits sans heurts et sans migraine matinale. Mais c’était trop tard. Il avait fui sans réfléchir.

[Taliesin]

Le tenancier fit un signe à ses compères, l'air de dire qu'il revenait bientôt, et fila en cuisine. Il revint quelques instants plus tard avec un bol de ragout, un morceau de pain, une pomme; L'odeur du ragoût était indéfinissable. Pas désagréable, non. Juste... impossible à identifier.
-Il n'a pas belle mine, mais tout ce qu'il y a dedans est comestible et frais, c'est garanti sur parole ! dit le jeune homme. Je suis pas expert en cuisine, mais je progresse. Aujourd'hui, je ne fais presque plus rien cramer, et personne n'a plus été malade à cause de moi depuis... trois mois.
-Deux mois ! lança l'un de ceux qui semblaient être ses amis.
-Ouais, deux mois, d'accord. Mais il avait déjà l'air malade avant d'entrer... se justifia le tenancier. Hum... Donc, vous avez le repas, et il vous fallait... Ah oui, une bière pas très forte. Harry, la Shi-Meÿ naine, elle est considérée comme forte ?
-Pour nous, non. Pour les autres, oui. File lui une Crique.
-Oui, t'as raison...
Il s'en fut quérir ladite boisson, en ramena un pichet plein à ras-bord qu'il déposa - non sans en renverser un petit peu - sur la table d'Albérich.
-Voilà... J'espère que tout vous conviendra. Je sais que c'est loin d'être parfait, alors n'hésitez pas à me faire des remarques. J'apprends chaque jour un peu plus ! Et je suis sûr que le Hérisson Paillard finira par être réputé...
-A cause du nombre de décès parmi la clientèle...
-...pour la convivialité et l'agréable simplicité de son accueil, termina le tenancier, jetant un regard noir en direction de ses compères.

[Galathée]

L’atmosphère décalée de l’auberge était certainement contagieuse pour qui avait le cœur léger, mais Albérich fut tout juste capable d’esquisser un nouveau sourire et se sentit terriblement embarrassé. Il était bien conscient que n’importe qui d’un peu normal aurait embrayé sur les commentaires des amis de l’apprenti tenancier, mais il se sentait tout simplement incapable de formuler la première syllabe du début d’une boutade. Cette gaucherie n’était pas uniquement provoquée par la fatigue et les derniers événements, c’était le relent d’un vieux travers, remontant à sa prime adolescence, quand il souffrait encore d’une timidité maladive et anxieuse acquise dans les rues du port luménien. Il avait été la victime des plaisanteries enjouées de Thibaut et Reynald pendant des mois avant de petit à petit remonter la pente et s’imposer comme un esprit vif, lui aussi. Cependant, il lui restait ce fond de maladresse, susceptible de le piéger dans ces moments particuliers où il était en méforme. Maintenant. Alors qu’on riait autour de lui. Il n’en était que plus gêné.
Il goûta à la mixture improvisée de son hôte, la trouva étrange, effectivement, mais pas immangeable. Il n’avait de toute façon pas grand faim, comme de coutume, n’aspirait qu’à s’emplir de quelque chose de comestible, histoire de disposer d’assez d’énergie pour manger le lendemain. La Crique recommandée par les fêtards était beaucoup trop sucrée à son goût, mais elle avait une utilité purement pratique, et il se força à boire malgré les récriminations de sa gorge et de son estomac malmené.

[Taliesin]

L'hilarité, la bonne humeur du tenancier et de ses amis allait sans cesse croissante... Et les pintes étaient servies avec prodigalité, bien que le propriétaire des lieux fît de louables efforts pour ne point trop y toucher. Sans parvenir, cependant, à s'abstenir tout à fait. Les autres clients, amusés, déroutés voir craintifs, ne s'attardèrent pas dans la salle commune. Ils avaient de la route à faire le lendemain, des tractations à mener, ou d'autres occupations dont eux seuls avaient connaissance. Cinq d'entre eux regagnèrent donc leur chambre, après s'être fendus de "bonsoir" timides ou amicaux. Ne demeurèrent donc, dans la vaste pièce, qu'Albérich, un homme d'un certain âge, barbu et sec comme une trique assis au coin de l'âtre et, évidemment, les quatre compères déchaînés.