[Lieu] Les Rocheuses du Dragon

[Taliesin]

Taliesin éclata de rire.
-Minute, bonhomme ! Je disais ça comme ça, ce n'est pas un projet ! Mais je crois que ça pourrait être une bonne idée, nos compétences respectives se complètent... Gal... Pourrait indiquer les itinéraires les plus sûrs aux voyageurs, leur procurer des infusions propres à les soulager de leurs maux, et être aussi maîtresse des écuries. Moi... Je crois que je m'en tiendrais à l'élaboration des recettes, au choix des alcools - il faut bien les tester avant de les mettre en vente, pour être sûr de ne pas décevoir les consommateurs ! Ah, et à l'animation des soirées évidemment : je suis un artiste de renom, et je ne peux abimer mes mains, je dois les préserver pour la musique, tu comprends bien... Quant à toi... Oh, tu aurais la vie douce... Tu ferais le service, la plonge, tu nettoierais les chambres après le départ des clients, couperais le bois pour le feu, chasserais pour nos procurer du gibier, balayerais la cour et les écuries, rangerais les instruments médicaux de Gal, entretiendrais les miens... Et chasserais les clients indésirables. Des broutilles, en somme !
Il sourit, lui ébouriffa les cheveux.
-Ce serait vraiment l'idéal. Plus j'y pense, plus j'en suis persuadé.

[Galathée]

Victor lui retourna un sourire peu impressionné.
" Tu as oublié que je serai un barbare lanceur de boules de feu. Alors si tu ne veux pas que je mette le feu à ta précieuse auberge de renom, ou à ton costume d'apparat si raffiné, tu ferais mieux de ne pas me parler de balayer de cour. Tu peux embaucher une fille pour ça. Genre Mathilde. Elle aime bien ça, frotter la maison, elle le fait bien. Je suis certain qu'elle te suivrait au bout du monde, en plus..."
Il gloussa.
" Moi je serai en train de traquer les monstres dans la campagne. Mais je reviendrai une fois par an pour tester tes recettes, et je recommanderai votre taverne à mes compagnons d'aventure !"

[Taliesin]

Taliesin secoua la tête. La chose arriverait vite, évidemment : d'ici moins de dix ans, Victor serait un homme fait et s'en irait courir le monde. Mais ce qui passerait en un clin d'œil pour lui paraîtrait bien plus long à l'enfant...
-Pardonnes-moi, mais tu n'es pas encore tout à fait un barbare lanceur de boules de feu. Il te faudra de longues, rudes, pénibles et épuisantes années d'apprentissage avant d'y parvenir. Et de toute façon, nous ne te laisserons pas aller avant tes soixante ans révolus. Avant, c'est trop jeune pour courir l'aventure. Mais Gal et moi t'aiderons de notre mieux à te préparer, et nous veillerons à te ménager beaucoup d'exercice physique : tu auras de quoi faire, à l'auberge.
Il croisa les mains derrière la tête.
-Et si Mathilde s'acquitte des tâches ménagères à la perfection, je ne suis pas certain que ce soit pour autant sa passion. Nous l'engagerons, oui, mais seulement pour qu'elle t'apprenne à faire le ménage et le reste. Après, elle sera libre de faire des choses plus passionnantes. Les filles ont le droit aussi de s'amuser, et ça ne serait que justice qu'un garçon les remplace pour les travaux qui leur sont trop souvent et trop injustement dévolus. Et, qui sait ? Tu y prendras peut-être goût ! Victor, l'expert du plumeau et du balai ! De quoi faire dix mille chansons !

[Galathée]

Victor hocha la tête, concentré, les yeux un peu écarquillés.
" Oh ! Regarde !" s'exclama-t-il alors, désignant un point derrière l'épaule de Taliesin.
Profitant de la réussite de ce tour vieux comme Toril, le gamin se leva et partit en courant entre les arbres. Il s'immobilisa cependant non loin.
" Si tu crois que je vais rester avec toi, si c'est ton programme, tu rêves !" glapit-il, passablement hilare. " Je peux déjà commencer mon apprentissage ! Je parie que tu étais à peine plus vieux quand tu es parti sur les routes, toi ! Je demanderai au Fort ! Je suis certain que quelqu'un m'arrachera aux griffes de tes projets ! Je le dirai au conseiller Megrall ! Il me fera clerc de Lathandre ! Tout sauf le plumeau !"

[Taliesin]

Taliesin se leva, tranquille.
-Allons, Victor, ton destin est inéluctable : tu dois l'accepter. Le plumeau et le balai seront, à jamais, tes seules armes. Je l'ai lu dans les astres. Va au Fort : ils te feront récurer les armures ou les écuries. Va au Temple : ce sera la lessive de tes aînés et la plonge qui t'attendront. Tu ne pourras y échapper.
Il fit un pas en avant.
-En restant avec moi, au moins, tu sais à quoi t'attendre, et tu connais ma bienveillance. Alors reviens, Victor : tu as de la lessive à faire, il faut que nous soyons propres et convenablement habillés pour nous présenter à Loth Imarhil. Et je t'assure que ce genre d'activité peut être attrayant : il suffit de voir la saleté ou la poussière comme des ennemis qu'il te faut terrasser ! Tu seras le guerrier de la propreté !

[Galathée]

" Jamais !" cria Victor. " Plutôt servir de casse-croûte à une meute de loups !"
Et Taliesin l'entendit détaler dans la broussaille, dans une direction approximative qui longeait la rivière. Puis l'enfant s'immobilisa à nouveau, hors de vue, cette fois. Le silence s'installa. Le feu crépitait toujours, de temps en temps un flocon tombait sur le sol, tranquille. Victor semblait décidé à ne pas capituler.

[Taliesin]

Taliesin, debout à côté du feu, hocha ostensiblement la tête.
-Vous me décevez, jeune apprenti nettoyeur. Si vous refusez votre destin, il va falloir que je vous l'impose de force, et je crains qu'il ne vous en cuise, lorsque j'aurais remis la main sur vous... Tenez-vous prêt à subir votre juste châtiment : j'arrive.
Puis il s'écarta doucement de la lueur du foyer, se faufila derrière un arbre... et commença sa chasse, aussi silencieux que possible. Une veillée animée, hein ? Il n'aurait pas imaginé autant... Mais n'allait certainement pas s'en plaindre.

[Galathée]

Taliesin se glissa entre les arbres, félin. Les traces de Victor étaient visibles dans la fine couche de neige, même si de temps en temps, elles se perdaient dans des zones dégagées, protégées par la ramure d'un conifère stoïque et toujours verdoyant. Le gamin avait parcouru un sacré bout de chemin, l'elfe ne le voyait pas, malgré le renfort, de plus en plus ténu, des flammes de leur bivouac. Puis soudain, les empreintes disparurent complètement. Au milieu d'une plaque de neige. Comme si Victor s'était volatilisé.

[Taliesin]

Taliesin fronça les sourcils. L'enfant ne manquait décidément pas de ressources... L'idée qu'il ait pu être enlevé, là, sous son nez, lui traversa bien l'esprit, mais il la repoussa tout en se moquant de lui-même. Il était vraiment pitoyable, parfois.
Et, plutôt que de s'abandonner à ses délires paranoïaques, il se mit en devoir de retrouver le fuyard, lorgnant les empruntes pour vérifier qu'il n'ait pas tout simplement fait demi-tour, prenant soin de marcher dans ses traces pour gagner, presque invisible, le pied d'un arbre dans les branches duquel il aurait pu se réfugier...

[Galathée]

Taliesin commença à retracer son chemin vers l'arrière.
" Ne bouge plus." dit alors une voix, venant des hauteurs, en commun.
L'accent était pourtant marqué, comme si l'individu parlait une langue étrangère. Il y eut du mouvement dans les arbres, et trois silhouettes sautèrent au sol. Elles étaient emmitouflées dans des vêtements chauds, on voyait tout juste les yeux luisants. A leur silhouette, élancée mais de taille modeste, Taliesin devina qu'il s'agissait là d'elfes. Ils avaient leurs arcs pointés sur lui.

[Taliesin]

Le barde s'était pétrifié. Son cœur avait marqué un temps d'arrêt.
Des délires, hein ?
Sa gorge était instantanément devenue sèche comme du papier, et il eut de la peine à déglutir. Cependant, en voyant apparaître les silhouettes, il se sentit gagné par un léger soulagement. Des elfes. Ceux de Loth Imarhil, probablement.
Il garda donc les mains bien en évidence - il n'avait de toute façon aucune arme sur lui - et attendit la suite des événements, préférant demeurer silencieux tant qu'on ne lui posait pas de questions.

[Galathée]

Le meneur du groupe s'approcha de Taliesin, l'arc toujours bandé. Il s'arrêta à moins d'un mètre, le barde put le détailler, ce qu'il en voyait, du moins. C'était un homme, probablement un peu plus âgé que lui. Certainement plus fort, sans doute plus rapide. Il avait l'air perplexe, soupçonneux.
" Tu voyages avec un enfant humain, pourtant tu es du Peuple. Qui es-tu ?" demanda-t-il, en elfique, cette fois.
Les inflexions étaient méconnues, mais le sens parfaitement clair. Il n'avait pas l'air d'être prêt à accepter des circonvolutions, Taliesin avait intérêt à être franc.

[Taliesin]

Il n'avait de toute manière aucune envie de mentir : il était plus simple de dire la vérité, au moins en grande partie, que de se perdre dans des mensonges qui, tôt ou tard, se retournaient forcément contre vous.
-Je m'appelle Taliesin. Et l'enfant se nomme Victor, répondit-il, également en elfique. Nous nous rendons à Loth Imarhil sur les conseils de l'un de ses résidents, Mélégorn, Il m'a demandé de remettre des documents à Halderion Polfinn... Peut-être Ombeline, du peuple du Griffon, ou la petite Méli qui les accompagne vous ont-ils prévenus de notre visite.

[Galathée]

Il y eut un murmure parmi les elfes, mais leur chef leva la main pour les faire taire. Taliesin comprit qu'ils étaient bien plus nombreux que les trois qu'il avait autour de lui. Les autres étaient probablement dans les arbres, avec l'infortuné Victor.
" Les Bannis du Griffon ne descendent pas des montagnes avant le printemps, mais s'ils vous ont laissés passer, sans doute devrions-nous en faire de même. Cependant, il n'est pas dans nos habitudes de laisser des humains vagabonder dans la Lorien sans les tenir à l'oeil, quel que soit leur âge et leur force, et même s'ils sont accompagnés par un elfe doré." reprit-il de sa voix ferme. " Vous pouvez regagner votre campement, mais nous vous escorterons demain matin."
Il fit un signe et un elfe sauta à terre, tenant Victor contre sa poitrine. L'enfant avait été bâillonné et ses poings liés dans son dos, mais son ravisseur le libéra aussitôt, et, dans un souffle, les rôdeurs de la Lorien disparurent vers les hauteurs.

[Taliesin]

Taliesin s'efforça de demeurer impassible, de ne rien laisser paraître de son indignation, de la colère qui menaçait, sourde. Les elfes les avaient sans doute observés depuis leur entrée dans les bois. N'avaient donc pu manquer de voir qu'ils étaient relativement inoffensifs. Pourquoi, dès lors, les aborder ainsi ? Pourquoi ligoter, bâillonner un garçonnet de huit ans ? Juste parce qu'il était humain ?
Les choses s'annonçaient moins faciles que prévu. Et Victor ne tarderait probablement guère a revoir son opinion sur la race la plus hautaine de Toril.
Repoussant ces considération, le barde s'approcha de lui et posa la main sur son épaule. L'enfant paraissait secoué par l'événement. Il y avait de quoi...
-Allez, viens, mon grand... souffla-t-il. Je crois que nous remettrons notre partie de cache-cache à plus tard...
Il lui prit la main et, doucement, l'entraîna vers leur bivouac.

[Galathée]

Victor suivit Taliesin jusqu'au campement, un peu pâle mais stoïque. Le moindre bruit le faisait sursauter, mais il finit par se détendre. Plutôt que de battre en retraite dans la tente, il se rassit près du feu, frotta ses mains, probablement moites, sur son pantalon, puis lança un brave sourire au barde.
" Bon, au moins, on sait que quelqu'un monte la garde, non ?" chuchota-t-il.
Puis il frissonna et son regard retourna au feu, où il se perdit. Il semblait pétrifié, comme s'il ne voulait ni s'avouer vaincu, ni démontrer qu'il n'avait pas peur.

[Taliesin]

Le barde ne sut d'abord que dire ou que faire. Ils étaient probablement épiés, écoutés, il ne fallait pas qu'il prononce le moindre mot susceptible d'être mal interprété, de vexer leurs futurs hôtes. En même temps, il ne voulait pas laisser l'enfant ainsi... Il se contenta donc de lui presser l'épaule, un instant, s'abstenant de le serrer contre lui. L'enfant voulait faire bonne figure, ce n'était sans doute pas très recommandé de s'abandonner à de trop grandes effusions. Il comptait bien lui parler, cependant, lorsqu'ils seraient réfugiés dans leur tente. A l'abri de la toile, on ne pourrait pas voir leur conciliabule.
-Oui, fit-il. Et nous pourrons donc dormir sur nos deux oreilles sans craindre d'être attaqués par un fauve. La route sera peut-être longue, demain. Ce repos sera donc bienvenu et ne pourra nous faire que du bien.

[Galathée]

Victor acquiesça, puis demeura au coin du feu encore une dizaine de minutes, silencieux et frissonnant. Taliesin vit son visage changer d'expression, la colère y succédant à la tristesse, mais rien ne sortit. Il finit par se lever, s'étira ostensiblement, puis regagna l'intérieur de leur tente rouge écarlate, jetant un coup d'oeil embarrassé à l'elfe avant d'y disparaître. Ce dernier l'entendit se changer sous la toile, toujours muet, puis se glisser sous les couvertures.

[Taliesin]

Taliesin était mal à l'aise. Il comprenait que Victor n'ait rien voulu dire, rien voulu laisser paraître alors que ses éphémères ravisseurs les observaient sans doute. Restait à espérer qu'il le ferait, à l'abri de la tente, lorsqu'il l'aurait rejoint...
Le barde ne s'attarda donc pas au dehors, rangea rapidement leurs affaires puis, sans emporter ses armes, laissées ostensiblement près du feu, il s'engouffra à son tour sous la toile pimpante. Il se changea, s'étendit sous sa propre pile de couvertures puis, après une hésitation, il tendit la main pour toucher l'épaule du petit garçon.
-Victor... souffla-t-il, si bas que seul son interlocuteur pouvait l'entendre. Si tu veux dire quelque chose, tu ne dois pas hésiter. Quoi que ce soit. Si on se parle à l'oreille, ils ne pourront rien percevoir du tout. Et... Je crois qu'il ne vaut mieux pas que tu gardes les choses pour toi, je sais que ça a été rude... Enfin, je ne veux te forcer à rien.

[Galathée]

Victor se retourna vers lui.
" J'ai eu peur, c'est tout. Ils sont tombés du ciel, et une seconde plus tard, j'étais si haut... Mais ils ne m'ont pas fait mal, ou quoi... C'est juste... c'était juste un peu humiliant." murmura-t-il.
Il poussa un bref soupir.
" Taliesin, tu sais bien que les elfes ils sont comme ça, hein. Tu dois me promettre que tu vas penser à Galathée. Même si tu les trouves pas gentils... Parce qu'il faut qu'on retrouve Galathée. Je ne veux pas qu'à cause de moi, on ne trouve pas d'aide. Ils ne me feront pas de mal, même s'ils ne m'aiment pas. Tu me promets ?"

[Taliesin]

Il demeura silencieux, décontenancé par les mots de l'enfant. Se pouvait-il qu'il fût déjà si perspicace ? Car ses craintes étaient justifiées : rien qu'à voir l'indignation qui s'était emparée de lui lorsqu'il avait découvert le petit garçon ligoté, ballonné, on pouvait juger de ce que serait sa réaction si on venait à lui infliger de nouvelles humiliations... Il devrait serrer les dents. Se montrer aussi stoïque que Victor.
Ce ne serait pas évident.
-En même temps, tu sais, je ne vois pas en quoi ils pourraient nous aider... Au mieux, ils me débarrasseront de ce collier qui me trahira partout ou j'irai, tant qu'il ornera mon cou. Mais, pour Gal... Je ne crois pas qu'elle soit dans la région, puisque c'est près de Luménis qu'on l'a laissée... Dès lors, qu'attendre de nos hôtes ?
Il soupira.
-Mais je te promets que je penserai à Gal. Que je ne ferai rien de stupide ou d'irréfléchi. Que je ravalerai ma colère et ferai bonne figure : je suis bon comédien, c'est l'avantage. Et, s'il y a lieu, s'ils sont vraiment mauvais avec toi... Nous les maudirons de concert, en privé.
Il secoua la tête. C'était étrange comme les rôles s'inversaient. C'était Victor qui lui demandait de se surveiller. Alors qu'il serait en butte aux vexations...
-De ton côté, il faudra que tu tiennes bon... murmura-t-il. Oui, ils ne te feront pas de mal, mais ce n'est pas agréable d'être avec des gens qui ne vus aiment pas... Je sais que je n'ai pas besoin de dire cela, que tu agiras comme il le faut... Et dans tous les cas, nous ne resterons pas longtemps. Quelques jours, au pire.

[Galathée]

Victor acquiesça dans le noir et s'emmitoufla plus douillettement dans ses couvertures.
" Quelques jours, oui. Ce qu'il faudra." murmura-t-il. " On sera forts tous les deux. On l'est déjà souvent, non ? C'est pas une bande d'elfes qui va nous faire peur !"
Il rit pour lui-même.
" Mais si je dois tenir votre rythme demain, j'aime autant dormir."
Il soupira.
" Bonne nuit, Taliesin."

[Taliesin]

-Bonne nuit, Victor, répondit-il en s'emmitouflant à son tour.
Il espérait que le sommeil ne se ferait pas désirer. Les jours précédents, il était venu vite, aidé par la fatigue de la marche. Même les soucis n'avaient pu l'éloigner bien longtemps. Il en irait peut-être autrement aujourd'hui, cependant. Car il pensait savoir à quoi s'en tenir, du moins en partie, sur les jours à venir.
Mais il se pouvait que les choses ne soient pas aussi dures qu'il ne l'imaginait : même sans Méli, même sans le peuple du Griffon. Les bannis du Griffon, aurait-il fallu dire, quoi que le terme puisse revêtir comme réalité...
Et puis, quoi qu'il en soit, il tiendrait bon. Il s'en sentait capable. Avoir Victor sous sa responsabilité le rendait plus fort, même si les angoisses étaient parfois décuplées : il devait veiller sur lui, faire bonne figure quoi qu'il advienne, ne pas flancher pour ne pas qu'il flanche. Sans parler du réconfort qu'ils s'apportaient mutuellement. Il n'aurait d'ailleurs pas été loin de jurer que le petit garçon était plus solide que lui...
Non, décidément, la seule chose qui pourrait l'abattre serait la solitude. Et il priait les dieux pour que, plus jamais, il n'ait à la connaître.
Même s'il savait que cela viendrait. Dans quelques décennies.
Dans un battement de paupières.

[Galathée]

Le sommeil le prit néanmoins, délicatement, et l'entraîna dans un néant de songes obscur, où courait, éternelle, une rivière.
A l'aube, il fut réveillé par le murmure d'une conversation, à peine audible. Sur la couche voisine, Victor avait les yeux grands ouverts, et les oreilles, il aurait pu le jurer, aux aguets. L'enfant le salua d'un petit signe de la tête en le découvrant.
" Ils sont là depuis presque une heure." murmura-t-il. " A mon avis, ils sont au moins sept. Ils attendent qu'on se lève, je crois. Mais je ne comprends rien à ce qu'ils disent. Je n'avais pas pensé à ça..."

[Taliesin]

Le barde se frotta les yeux. Réprima tant bien que mal un bâillement. Il avait toujours aimé prendre le temps de se réveiller, paresser de longues minutes au lit, tandis que ses sens se dépouillaient peu à peu de la brume des songes. Malheureusement, et trop souvent à son goût, la réalité se ruait à sa rencontre avec fracas et écartait brutalement toute possibilité de répit avant le grand plongeon dans le monde réel... Il en allait ainsi aujourd'hui.
-Quand j'aurais des conversations en elfique avec eux, je ferai en sorte de te traduire, ou de te donner un résumé plus tard... lui souffla-t-il à l'oreille. Et je ferai l'intermédiaire, si on vient à te poser des questions en cette langue. Mais j'imagine qu'on s'adressera à toi en commun... Dans tous les cas, tu sauras ce qui se passe. Tu peux compter sur moi.
Il se tut. Les elfes n'avaient pas cessé de discuter, les murmures nés sous la tente étant trop bas pour qu'ils les entendent. Peut-être pouvait-il apprendre quelque chose de leurs intentions ou de leur état d'esprit en espionnant, mine de rien, la conversation...

[Galathée]

Les elfes attendaient, tranquilles. Taliesin ne perçut aucune nervosité dans leur ton, aucune impatience. La lumière était encore très grise, signe que le soleil n'était pas encore levé. Sans doute changeraient-ils d'attitude sur leurs invités décidaient de paresser. Ils parlaient à voix basse, soucieux de ne pas les déranger ou de ne pas se faire entendre, mais l'ouïe fine du barde lui permit néanmoins de percevoir une partie de ce qu'ils échangeaient. Comme Victor l'avait compté, ils étaient sept, dont deux femmes. Certains parlaient peu, d'autres plus. Il reconnut le timbre de celui qui semblait les mener la veille, et il n'était pas parmi les plus bavards, même si ses interventions visaient le plus souvent à couper court à tout palabre.
Ils discutaient principalement de la route vers Loth Imharil, laquelle était bonne, apparemment. Ils étudiaient la possibilité de se scinder en deux groupes, pour ne pas abandonner toute patrouille, et s'interrogeaient sur la pertinence d'envoyer un éclaireur pour requérir l'assistance d'une escouade de la ville. Certains plaisantèrent sur la dangerosité des deux voyageurs qu'ils avaient surpris. Taliesin comprit qu'ils ne craignaient pas Victor, même si le mépris et la défiance que l'enfant leur inspirait n'était pas feints, du moins dans le chef de certains. Ils étaient moins sûrs de lui, bien évidemment. Un elfe doré, de son âge, ils l'avaient classé dans les adeptes des arcanes, a priori, et donc potentiellement à surveiller. L'un d'entre eux proposa de l'attacher et le bâillonner pour pallier à tout risque, mais cela fut accueilli par des protestations véhémentes. Il fut décidé que puisque les Bannis du Griffon l'avaient laissé passer, ils se contenteraient de le guider.
Le soleil se leva.

[Taliesin]

Toujours murmurant, Taliesin fit un bref résumé de la conversation à Victor, prenant cependant soin d'éluder de traduire les remarques le concernant directement. Au final, cette séance d'écoute à la dérobée ne leur avait rien appris. Sinon que les elfes de Loth Imarhil se montraient particulièrement méfiants et décidés à se protéger. Les mesures qu'ils prenaient contre deux individus isolés en témoignaient... et lui paraissaient quelque peu exagérées. Mais cela, il devait bien se garder de le dire à leurs futurs hôtes.
-Allez, habillons-nous et allons les rejoindre... dit-il finalement. Inutile de les impatienter en traînassant davantage.

[Galathée]

A la lumière grise du petit jour, Taliesin put détailler plus aisément les membres de leur escorte imposée. Quatre d'entre eux étaient des elfes des bois, la peau cuivrée et les cheveux sombres, leurs yeux verts incisifs dans des visages naturellement curieux, plus trapus que leurs trois compagnons elfes de la lune, à la peau pâle presque luminescente dans cet environnement enneigé. Le chef du groupe était l'un d'entre eux, aux cheveux argentés coupés courts, svelte et le regard presque transparent. Une autre, mince et petite, avait les cheveux bleu ciel, ce qui, Taliesin le sentit, surprit Victor au plus au point. C'était pourtant relativement banal parmi les elfes argentés.
Lorsque les voyageurs parurent, ils se tournèrent vers eux, à la fois intéressés et distants. Ils étaient manifestement plus attentifs au barde qu'à l'enfant, et les quatre elfes des bois s'écartèrent du bivouac pour regagner les bois.
" Quand vous serez prêts, nous partirons." dit le meneur.

HRP : je ne le mentionne plus mais par défaut, ils parlent toujours en elfique, sauf quand je mentionne le contraire.

[Taliesin]

Taliesin acquiesça.
-Le temps de rassembler nos affaires, et nous sommes à vous, dit-il simplement.
Il choisit de ne pas demander à Victor de jouer du pipeau pour leur convoquer un petit déjeuner. Les elfes auraient pus 'impatienter. Pire, s'offusquer qu'un hymne à un dieu humain résonne sous le couvert de leur forêt. Ils avaient encore un peu de pain, ils grignoteraient tout en marchant.
Aidé de l'enfant, il boucla les sacs, chargea la mule. Puis lorgna son épée et son arc, appuyées contre un tronc voisin.
-Désirez-vous que nous vous remettions nos armes ? s'enquit-il.
Il rechignait à se démunir ainsi, mais le fait qu'il le propose spontanément pourrait être apprécié par leurs hôtes. Et, de toute façon, même armé, il n'aurait pu lutter contre eux, le cas échéant. Trop nombreux, trop à l'aise dans leur élément...

[Galathée]

Les elfes s'entreregardèrent, surpris par la proposition. Pour la première fois depuis le réveil, leurs yeux s'attardèrent, méfiants, sur Victor.
" Non." trancha finalement leur chef. " Mais gardez-les au fourreau. Même en cas de grabuge, nous nous chargerons de tout."
Son regard dur se posa sur l'enfant.
" Une flèche est vite partie, ne prenez pas de risques inconsidérés."
Il fit ensuite signe à ses hommes et Taliesin constata que décision avait été prise de scinder leur patrouille : un des elfes de la lune et deux des elfes des bois demeurèrent en arrière, tandis qu'ils n'étaient plus que quatre à encadrer les voyageurs. Cependant, ils ne firent pas mine de partir.
" Et votre tente ?" demanda finalement le meneur.