[Lieu] Les Rocheuses du Dragon

[Taliesin]

Le barde s'était légèrement tendu lorsque le chef de leur escorte avait proféré ses menaces à peines voilées tout en regardant Victor. Il avait fait effort pour demeurer impassible mais, quand on l'interrogea sur la tente, il ne put réprimer une grimace. Évidemment, il n'avait pas pensé à ça.
-Je l'ai convoquée magiquement, dit-il, décidant d'être relativement franc. Inutile de nous encombrer avec : elle disparaîtra si je viens à lancer un sort similaire.
Ses mots confirmeraient leur opinion le concernant, à savoir qu'il était un praticien des arcanes. Que faire d'autre, cependant ? Il fallait espérer qu'ils se contenteraient de l'explication. Qui n'était pas un mensonge, au demeurant.

[Galathée]

Les elfes s'entreregardèrent à nouveau, puis le meneur haussa les épaules, et ils se mirent en route. La femme aux cheveux bleus ouvrait la piste, attentive mais détendue, et le meneur du groupe les suivait. Les deux elfes des bois avaient gagné la forêt, sans doute même les arbres, ils étaient invisibles. De temps en temps, un sifflement s'échappait, aigu, des branchages, et Taliesin comprit bientôt, à son rythme, qu'il ne s'agissait pas de celui d'un oiseau. Le manteau de neige qui couvrait la voie était immaculé, réparé par la nuit, et leurs pieds s'y enfonçaient jusqu'aux chevilles. La rivière glougloutait, tranquille, quelque part sur leur droite. Les ramures tanguaient dans la brise, craquant. On n'entendait que le crissement de leurs pas, leur souffle, parfois le cri d'un animal, et les signaux que s'envoyaient les éclaireurs perdus dans la broussaille.
Soudain, un sifflement modulé trancha sur les habituels coups brefs, et l'elfe bleue leva la main pour arrêter le groupe. Il y eut un bruissement sec dans les taillis sur leur droite et un chevreuil déboula sur la route. Il ne parvint pas à rallier le côté opposé : une flèche lui transperça l'échine, le clouant sur place. Celle-ci avait fusé juste entre Taliesin et Victor, les frôlant sans les toucher, et l'elfe de tête se tourna vers l'arrière, s'autorisant un sourire appréciateur à l'attention du tireur. Elle sourit également aux voyageurs, du moins Taliesin pensa-t-il le noter. Ils se remirent en marche sans un mot et c'est le meneur qui chargea la bête sur son épaule.
Ils firent halte à la mi-journée. Le rythme avait été soutenu, Victor était un peu fatigué et il s'assit avec un soupir de soulagement sur un tronc foudroyé, tandis que les elfes des bois réapparaissaient de nulle part. Un casse-croûte composé de pain dur et d'une pâte étrange leur fut distribué à tous, rôdeurs comme étrangers.

[Taliesin]

Taliesin s'était installé près du petit garçon, avait remercié poliment lorsqu'on leur avait offert leur part du repas, mais était demeuré silencieux, depuis. Les elfes ne semblaient pas disposer à de vaines paroles : leur chef, surtout. Et l'eussent-ils été que lui n'aurait su quoi leur dire. Il n'osait guère s'adresser à Victor, de peur qu'on lise dans leurs propos des choses qui n'y étaient pas. On les jaugeait, sans doute. Les jugeait, probablement. Inutile, dès lors, de leur donner du grain à moudre, des raisons de se défier d'eux. L'embiance n'était pas réellement tendue, mais il espérait tout de même que le trajet ne se prolongerait pas inutilement : il était plus pénible, par certains côté, que les marches dans la montagne, alors qu'il était seul avec l'enfant.

[Galathée]

Ils se remirent en route peu après, toujours au même rythme. Moins d'une heure plus tard, la route se divisa soudain en deux, une branche disparaissant dans la broussaille, vers le coeur de la forêt, l'autre rejoignant les rives de la rivière. A l'entrée de la branche boisée, se trouvaient une douzaine de soldats, à nouveau elfes de lune et elfes des bois mêlés. Ils saluèrent les rôdeurs et leurs invités, personne ne s'arrêta. Taliesin vit que deux cabanes se dressaient dans les arbres voisins, apparemment vastes, et reliées par une passerelle suspendue qui enjambait la route. C'était apparemment un poste de garde permanent.
La route qui descendait vers la rivière se scinda à nouveau, une branche continuant dans les bois, large, la piste principale, tandis que la seconde bifurquait droit sur l'eau. Victor se rapprocha de Taliesin.
" Ils vont nous noyer, tu crois ?" demanda-t-il, à moitié inquiet, à moitié plaisantant.
Sa remarque en commun fit rire l'elfe qui les précédait, mais elle ne s'arrêta pas. Ils traversèrent un bosquet épais de sapins sombres, puis débouchèrent sur la rive et un quai. C'était seulement un appontement modeste, qui longeait les flots endiablés du cours d'eau, mais trois petites barges s'y trouvaient amarrées.
L'elfe bleue s'immobilisa et se tourna vers Victor, tandis que le meneur jetait son chevreuil à terre et s'approchait des embarcations.
" Tu as le choix entre Le Rayon de Lune, La Carpe Muette et Danse d'Ecrevisses. Lequel choisis-tu ?" demanda-t-elle à l'enfant, souriante, en commun.
" Heu..." répondit Victor, pris au dépourvu.
Il se tourna vers le barde.
" On ne triche pas !" s'exclama l'elfe.
" Les Ecrevisses ?"
" En avant pour les Ecrevisses."
Elle les laissa alors pour rejoindre son chef.

[Taliesin]

Taliesin eut un élan spontané de sympathie pour la jeune elfe. Elle s'était montrée gentille avec l'enfant, lui avait même parlé dans sa langue, ce qui témoignait d'une belle ouverture d'esprit, pour sa race. Si d'autres habitants de Loth Imarhil la partageaient, il se pouvait que le séjour ne fût pas si désagréable que ça, pour l'enfant. Et pour lui.
Les embarcations paraissant assez vastes pour porter leur mule, il tira doucement sur sa longe et se rapprocha du quai miniature. Les eaux de la rivière étaient tumultueuses, fougueuses : la navigation s'annonçait donc rapide et agitée. Sans danger, probablement, puisque les elfes devaient la faire plus souvent qu'à leur tour. Ce pourrait donc être une petite distraction bienvenue pour Victor.

[Galathée]

Lorsqu'ils s'approchèrent, ils trouvèrent les quatre elfes qui les avaient escortés en grande conversation, apparemment assez animée. Le meneur avait l'air buté, l'elfe bleue l'invectivait avec des grimaces expressives, les deux elfes des bois étaient impassibles mais intervenaient de temps à autre.
Taliesin repéra l'embarcation que Victor avait choisie, une barque elfique élégante, taillée dans le bois avec un respect des mouvements végétaux dont n'étaient pas capables les forestiers humains. On avait l'impression que la coupe avait accompagné l'arbre plus qu'elle ne l'avait contraint, comme si le bateau était une sorte de fruit qu'avait porté le tronc avait de le libérer, intègre et parfait.
La proue de la barge était sculptée en forme d'écrevisse, ce qui lui donnait un profil plutôt comique. Les yeux du crustacé étaient incrustés de gemme et ses antennes étaient si fines qu'il était difficile de croire qu'elles n'aient pas été brisées mille fois déjà.
Le batelier s'approcha des voyageurs et leur fit signe d'embarquer. C'était un elfe de lune, lui aussi, mais plus musclé que ses congénères, signe qu'il avait l'habitude de manoeuvrer son embarcation sur le courant.

[Taliesin]

Ils s'exécutèrent sans mot dire. L'elfe, après avoir laissa la longe de la mule au batelier - il serait sans doute plus à même de la faire embarquer - aida Victor à grimper dans le bateau. Il le rejoignit, déposa son sac à ses pieds et s'installa à côté de lui, sur l'un des bancs. Les elfes de disputaient apparemment pour savoir lesquels d'entre eux allaient les accompagner. Il se dit que ce serait une bonne chose si la jeune femme aux cheveux bleutés étaient du voyage, tout en songeant que cela ne changerait sans doute rien à l'accueil qui leur serait fait à Loth Imarhil : elle ne semblait investie d'aucun pouvoir.

[Galathée]

Après quelques minutes de palabre supplémentaires, les elfes de leur escorte finirent par se séparer. Le meneur et l'un des elfes des bois partirent vers la forêt tandis que les deux autres prenaient place à bord de la barge. Sans que rien ne soit échangé, le batelier défit les deux amarres, et une seconde plus tard, ils étaient au coeur du courant. La rivière était vive mais large, sans rochers apparents, et il n'y avait pas grand chose à faire, sinon se laisser porter. S'aidant d'une perche, leur guide veillait cependant à ce qu'ils n'approchent pas trop près des berges.
L'elfe bleue échangea quelques mots avec son compagnon, puis elle vint rejoindre Taliesin et Victor à l'arrière du bateau, leur souriant amicalement avant de s'asseoir face à eux.
" Je ne me suis pas présentée, je suis Evaniel. Lui, c'est Temeris, mais il ne vous parlera sans doute pas." dit-elle en commun, en désignant l'elfe des bois qui restait campé à la proue, scrutant les rives, une flèche encochée dans la corde de son arc. " Nous serons aux abords de Loth Imarhil en cours de soirée, nous vous déposerons à un endroit où vous trouverez de quoi vous loger et vous restaurer. Il est fort probable que demain matin, quelqu'un se présente pour s'enquérir de vous, puisque vous prétendez connaître Mélégorn Polfinn."
Elle les scruta, d'abord Victor brièvement, puis Taliesin, plus longuement.
" Pourtant, je gage que c'est votre première visite à Loth Imarhil... N'est-ce pas ?"

[Taliesin]

Mélégorn Polfinn. Ainsi, le dénommé Halderion auquel il leur avait conseillé de s'adresser était de sa famille. Son père, peut-être... Et que dire à la jeune elfe quant aux circonstances de leur rencontre ? Pour la première fois, il regretta de ne pas avoir lu les notes de son défunt compagnon d'évasion, ou la page qu'il lui avait demandé de brûler. Il ne savait pas ce qu'il avait pu vouloir transmettre aux siens et, surtout, ce qu'il avait voulu taire. Probablement pas sa captivité, mais... il ne pouvait en être sûr. Il se promit donc de remédier à ce problème sitôt que lui et l'enfant seraient seuls. Histoire de ne pas commettre d'impair.
En attendant, mieux valait se montrer évasif.
-Enchanté de faire votre connaissance, Evaniel, dit-il, affable. Quant à nos noms, je pense que vous les connaissez déjà... Et vous ne vous trompez pas : je n'ai jamais eu la chance de visiter Loth Imrahil par le passé.

[Galathée]

Elle eut un petit sourire embarrassé.
" Bon, dans ce cas vous devez savoir que nous vous débarquerons dans le village voisin de Loth Imarhil, où sont accueillis les voyageurs non-elfes, Etellèn Rindë. Vous aurez accès à la cité en vous présentant aux portes, cependant..."
Elle baissa les yeux sur Victor.
" L'enfant ne pourra pas y entrer. Son âge n'a aucune importance, pas plus que les liens que vous entretenez. La règle est immuable. Si vous voulez qu'il soit admis à Loth Imarhil, il faudra que vous obteniez un laisser-passer. Vu que vu connaissez Polfinn..."
Elle sourit à nouveau.
" Vous ne le connaissez pas, en fait, je le devine à votre mine. Polfinn pourra vous avoir un laisser-passer. Mais il déteste les humains, j'aime autant vous le dire. Ça ne veut pas dire qu'il ne fera pas une exception pour votre ami, mais autant vous y préparer."
Elle se tourna à nouveau vers Victor.
" Que cela ne t'inquiète pas pour autant. Etellèn Rindë est très sûr, tu y trouveras à vaquer pendant le temps que ton compagnon reste parmi les siens."

[Taliesin]

Taliesin demeura stoïque, conserva son sourire chaleureux. Mais n'en passa pas moins.
Une cité interdite aux non-elfes. Il connaissait le mépris de bon nombre de ses congénères envers les autres races, mais beaucoup de leur communautés n'étaient pas à ce point repliées, refermées.
Qu'importait, en réalité. Ils ne comptaient pas s'y attarder...
-Nous nous plierons bien volontiers à vos règles, dit-il, affable. Mais demander un laisser-passer ne sera sans doute pas nécessaire. Nous n'abuserons pas très longtemps de votre hospitalité : j'ai promis à Mélégorn de remettre ses écrits au sieur Halderion, dont j'ignorais qu'il était son parent. C'est là la principale tâche que nous avons à accomplir en votre cité, avant de poursuivre notre route. Celle ci, et sans doute, également, solliciter la permission de traverser la Lorien. Notre périple est encore long et cela nous éviterait un immense détour.

[Galathée]

Evaniel sourit, chaleureuse.
" Je pense que vous trouverez bon accueil en nos murs, Taliesin. Les elfes de votre race sont rares et toujours bienvenus, je pense que vous attirerez plus d'un regard, plus d'une invitation. Et si votre périple est encore long... Peut-être trouverez-vous assistance parmi nos rôdeurs. Certains connaissent des chemins oubliés qui transforment une veille en un jour, un mois en une veille." fit-elle.
Elle se leva.
" Si vous avez d'autres questions, n'hésitez pas à me les poser. Sinon, il vous suffit de laisser faire le courant et notre capitaine. Couvrez-vous, cependant, il fait plus froid sur la Pettyanen que dans les bois."

[Taliesin]

-Merci pour votre gentillesse... dit le barde, plus spontané qu'hypocrite.
Il n'avait aucune envie de rester plus de deux ou trois jours parmi les elfes. Tout pourrait être réglé en quelques heures, d'ailleurs : remettre les documents à Halderion, s'enquérir, éventuellement, d'un trajet sûr et rapide. Et, si un miracle avait lieu, se faire ôter le collier qui lui enserrait le cou. Rien de bien long.
Et les sollicitations, les invitations... Il les déclinerait. Sauf, bien sûr, si elles conditionnaient l'obtention d'un secours important. Il devait penser à Galathée, prendre sur lui.
Mais que pourraient faire les habitants de Loth Imrahil ? Qu'entreprendraient-ils pour l'aider à retrouver une humaine ? Une représentante de la race méprisée ?
Rien, évidemment. A part leur permettre le passage au sein de leur domaine.
-Je pense que nous repartirons dans une poignée de jours... glissa-t-il à Victor. Il ne te faudra pas être patient très longtemps. Et dans le cas peu probable où les choses se prolongeraient... Je t'obtiendrai ce fameux laisser-passer. Ou demeurerai avec toi au village. Quoi qu'il advienne, tu ne seras pas tout seul.

[Galathée]

Victor acquiesça sans rien répondre. Il avait l'air embarrassé mais le franc parler sincère de l'elfe aux cheveux bleus semblait l'avoir rasséréné quelque peu. Les choses étaient dites, le chemin se balisait peu à peu. Il ouvrit son sac et en sortit une couverture, qu'il drapa sur leurs épaules à tous les deux. Il dévisagea ensuite l'elfe, hésitant.
" Tu crois que je peux m'appuyer sur toi pour dormir ? Je ne veux pas que ça te cause des soucis, ou quoi. Qu'après, ils te regardent bizarrement."

[Taliesin]

Le barde demeura un instant silencieux. la question était pertinente. Evaniel avaient parlé d'eux comme d'amis, de compagnons. Sans doute ne pouvait-elle imaginer, malgré son ouverture d'esprit, que quelque chose de plus profond puisse les lier. Quelque chose qui révolterait probablement nombre d'elfes.
-N'hésite pas, bonhomme... murmura-t-il. Nous respecterons leurs règles, ne nous offusquerons pas si certains montrent qu'ils ne t'aiment pas parce que tu es humain. Mais il y a des choses sur lesquelles je refuse de joeur la comédie. Je ne leur cacherai pas que tu m'es cher. Qu'ils en pensent ce qu'ils en veulent, je n'en ai cure.

[Galathée]

Victor eut un calme sourire, puis posa la joue contre l'épaule du barde et ferma les yeux. Ce dernier l'enserra de son bras, et l'enfant se détendit, s'endormant bientôt. La marche du jour, même si elle avait été courte, avait été des plus soutenues. La mule s'était aussi couchée. Lorsqu'Evaniel et Temeris aperçurent Victor endormi, leurs visages reflétèrent un peu de surprise, un rien, peut-être Taliesin l'avait-il même imaginée, mais ils ne dirent rien.
La barge caracolait dans l'onde, légère, sans cahots, filant parfois à des vitesses vertigineuses, avalant plus de lieues que Taliesin et Victor n'auraient pu en fournir en des jours et des jours. Le courant était fort, tumultueux, il y avait peu de chance que la Pettyanen soit jamais gelée. De temps en temps, des poissons surgissaient autour d'eux, en bancs affolés, ils virent aussi des loutres qui jouaient dans l'eau froide. A un endroit, l'elfe des bois pointa son arc sur la surface de l'eau, mais rien n'en sortit, et ils continuèrent vers le lac. Une fois ou l'autre, Taliesin vit des quais en bordure de berge, mais la plupart étaient déserts et aucun signe de la raison pour laquelle ils se dressaient là n'était visible. Jamais ils ne virent d'embarcation venant en sens inverse. D'ailleurs, cela semblait chose impossible : il était probable que l'on remorquait les barques par la route ou par un autre moyen plus magique, dont les elfes étaient généralement friands.
Le jour déclina.
Autour d'eux, arbres, arbres et arbres encore. Le courant était devenu plus paresseux. La forêt semblait éternelle, immense, infinie.
Au crépuscule, il se mit à faire vraiment froid. Victor ouvrit un oeil et dévisagea le barde dans la pénombre.
" On est où ?" demanda-t-il d'une petite voix frigorifiée.

[Taliesin]

-Je n'en ai pas la moindre idée... fit le barde, sincère. Enfin, je peux quand même dire que nous sommes très loin de l'endroit où nous étions quand tu t'es endormi. La rivière aime visiblement à s'éloigner des montagnes, et elle nous a porté à une vitesse assez incroyable, je dois l'admettre. Avec un peu de chance, nous ne sommes pas très loin du village dont on nous a parlé... Vu le rythme de notre avancée, j'aurais même imaginé que nous y arriversions bien avant. Les distances sont trompeuses, cependant, quand le paysage reste immuable...
Il espérait vraiment que le périple ne se prolongerait pas encore des heures durant. Il avait froid, lui aussi...

[Galathée]

Victor opina du chef et reposa ses yeux ensommeillés sur le décor mouvant de troncs et de berges rocheuses couvertes de neige. La rivière s’élargissait, son cours se faisait moins tortueux. Bientôt Taliesin eut l’impression d’apercevoir, au loin, ombré par les ramures de plus en plus touffues des arbres nus, une grande étendue plane, légèrement trouble, argentée. Le lac.
Il faisait nuit, désormais. Victor était éveillé mais silencieux, scrutant les environs, aveugle, frissonnant. Evaniel se tourna vers eux et leur sourit. Puis soudain, une dernière boucle de la Pettyanen se déroula, faisant prendre de la vitesse à Danse d’Ecrevisses, et ils furent littéralement projetés dans le Lac d’Argent.

[Galathée]

Quête : Des goûts, des couleurs et... des valeurs.

Quittant Belred Luyn et avec elle, les derniers replis de la Lorien, Astrée et ses compagnons entrèrent dans les plaines encore verdoyantes qui précédaient les Rocheuses. Elles paraissaient à la fois gigantesques et lointaines, et le soleil levant les força à baisser les yeux. Des fleurs innombrables couvraient l'herbe rase, pour le plus grand plaisir de leurs montures. La route s'était rapprochée de la Sylvestre et la suivait, mais à une distance respectable : le sol, en effet, était spongieux par endroits, signe que la rivière prenait des libertés avec son lit.
Mais ses flots s'encadrèrent bientôt dans une roche rouge et luisante, elle se fit torrent plus nerveux jusqu'à atteindre un petit lac rond, ombragé de saules. La route les y mena et ils virent qu'un sanctuaire y était construit, désert pour l'heure. Le lac était alimenté par cinq cours d'eau plus modestes, qu'Astrée identifia grâce à sa carte : la Kuluina au sud, puis l'Aglon, au centre le Dolen, plus court, qui arrivait à la carrière, ensuite l'Eresse, enfin l'Aglar, qui filait vers le nord. La route se poursuivait entre le Dolen et l'Eresse.

[Voyageuse]

HRP : pas de souci pour accélérer le trajet, à ta convenance

Astrée se souvenait des explications de Jill : le lieu était sacré, et on ne devait pas se baigner dans le lac, aussi tentant que ce soit. Ils se contentèrent donc d'admirer les lieux avant de poursuivre leur route. Elle surveillait du coin de l'oeil les réactions d'Eyri, qui n'avait jamais quitté la Lorien. Elle savait que certaines personnes étaient parfois impressionnées face aux montagnes. Mais bien sûr, étant un elfe, il était peu probable qu'il se montre expansif quant à ses sentiments...
Quant à elle, elle était plutôt enthousiaste. L'air ici était plus pur, la luminosité parfaite, les moustiques mille fois moins nombreux. Elle se sentait parfaitement dans son élément. Ses instincts de rôdeuse la poussaient à s'attribuer d'emblée la responsabilité de trouver eau, ravitaillement et abri pour tout le groupe, même si elle se doutait que Kalju ou même Eyri n'avaient pas vraiment besoin d'elle. Elle laissait Prince filer quand il en éprouvait l'envie, faire la course avec le cerf autant qu'il le souhaitait, mais l'obligeait à attendre les autres à intervalles régulier, réprimant sa propre impatience à atteindre les glaciers.

[Galathée]

Le trajet jusqu'à la carrière se déroula sans incident notable. Le terrain demeura plutôt plat pendant la première journée et ils trouvèrent un relais pour bivouaquer le soir, à l'endroit où la route se divisait en deux : la voie principale continuait vers la montagne, mais on pouvait aussi partir vers le sud et longer le massif vers la Trouée. A voir l'état de ce second chemin, cependant, il devait être rarement emprunté. Il n'y avait personne dans le petit bâtiment, constitué d'une unique pièce et d'un âtre. Il fallait marcher une dizaine de minutes pour trouver de l'eau dans un ruisseau voisin et il y avait une réserve de bois généreuse. Il y avait encore des arbres de petite taille dans cette zone, peu nombreux, mais sûrement suffisants pour alimenter les réserves.
Le terrain commença à grimper le jour suivant, petit à petit, et Kimik se révéla rapidement la monture la plus à même de gérer les lieux avec sérénité. Mémoire n'était pas tellement troublée non plus, mais le cerf et Prince avaient tendance à s'élancer pour déchanter plus tard. Vu le relief, Eyri fut forcé de rentrer dans le rang, même s'il évitait d'être réellement intégré à leur colonne : il restait toujours devant ou derrière. Les arbres cédèrent la place à des buissons, les cailloux commencèrent à personne la croûte de terre, mais la route demeurait large et praticable. Ils en comprirent la raison lors de leur étape du soir, lorsqu'ils rejoignirent, à l'étape, un équipage qui redescendait de la carrière, transportant d'énormes blocs de pierre grise et ocre, sur des chariots tirés par des boeufs. Le gîte était un peu petit pour accueillir à la fois les caravaniers et le groupe venu de Belred, aussi Kalju proposa, pour une fois, qu'ils campent. Après tout, le ciel était clair.

[Voyageuse]

Astrée préférait camper plutôt que s'obliger à faire la conversation à des inconnus -qui étaient peut-être très sympathiques, bien évidemment, mais elle n'avait pas la curiosité de vouloir le vérifier. Elle accueillit donc la proposition de Kalju avec entrain, et les entraîna un peu à l'écart de la route, à la recherche d'un coin d'herbe confortable et pas trop éloigné d'un point d'eau... et facile d'accès pour leurs montures, même si ce dernier point ne posait pas réellement problème tant que le relief n'était pas trop escarpé.
La présence de nombreux buissons leur assurait un approvisionnement en petit bois, et le ciel clair les dispensait de monter une tente, à moins que Félicie n'en aie besoin pour se sentir en sécurité. Pour sa part, la druidesse se sentait parfaitement à son aise, et comptait en profiter pour prendre le temps de méditer un peu avant de s'endormir. Mais, par habitude, elle se chargea d'abord de les installer tous confortablement, et de répartir entre eux les menues tâches du quotidien : trouver du bois, puiser de l'eau, cuisiner. Elle laissa Eyri en-dehors de cette organisation, puisqu'il ne parlait pas leur langue, mais l'invita bien sûr, par gestes, à partager leur repas -sauf s'il préférait cuisiner de son côté.

[Galathée]

Félicie s'amusa beaucoup de la manière dont Astrée prenait les choses en main et se mit à répondre "oui, chef !" avec entrain chaque fois que la druidesse donnait une directive. Eyri garda ses distances et Astrée ne sut rien de ce qu'il mangea ou fit de sa soirée. Kalju s'exécuta avec bonhomie mais Astrée put constater que ce n'était pas la première fois qu'il bivouaquait et il savait ce qu'il avait à faire. Il s'esquiva en début de soirée pour rejoindre les caravaniers : sans doute avait-il des questions à leur poser.
Ensuite, Astrée médita, ils dormirent tranquillement à la belle étoile (Félicie parut stupéfaite que la druidesse ait pensé qu'elle put avoir peur de dormir au dehors) et le lendemain matin, ils repartirent avant le départ des chariots de la carrière. Durant ce troisième jour, le temps fraîchit, pas tant parce que le soleil était moins présent, mais parce qu'ils grimpaient. Ils avaient laissé la route du nord derrière eux, peu après leur bivouac, et il ne restait désormais plus qu'une seule piste, serpentant dans la montagne. Devant eux, les grands pics enneigés étaient encore distants mais on percevait de plus en plus leur relief de crevasses, de rochers et de glaciers éternels. Ils traversèrent des plateaux et des alpages, couverts de fleurs et d'herbes sauvages, mais nulle part Astrée ne vit de hameaux, de gens, bergers ou promeneurs, et les seuls troupeaux qu'ils virent étaient composés d'antilopes, de chèvres ou de poneys sauvages, qui chaque fois s'enfuirent à leur approche. La barrière constituée par la forêt elfique avait largement préservé la zone de l'influence humaine. Le soir, ils eurent moins de choix pour poser leur bivouac : malgré la largeur de la route, les environs s'accidentaient rapidement et trouver un endroit plane et suffisamment grand les força à rester près de la voie principale. Les petites rivières étaient désormais plus distantes, mais il y avait des ruisseaux à profusion, et même des sources qu'Astrée trouva à son goût. Le ciel se couvrit, les forçant à monter les tentes. Le vent était sauvage mais les rochers les protégeaient. Cette fois, Eyri gagna le couvert de la tente de Kalju, comme un renard timide se glissant sous la toile. En dépit de la pluie qui martela la toile, la nuit fut tranquille.
Vint le quatrième jour. La montagne était désormais plus aride bien qu'encore couverte d'une végétation abondante, rude, que les chevaux mâchonnaient longtemps. Il faisait magnifique après l'averse nocturne mais désormais nettement plus froid. L'été pesant qui avait régné dans la Lorien cédait le terrain à un automne vivifiant, qui serait peut-être humide, mais Astrée avait l'impression que cette zone de la montagne resterait plus caillouteuse que verdoyante, quoi qu'il tombe du ciel. Leurs montures avançaient toujours d'un bon pas car la route restait excellente, mais Astrée devinait qu'elle faisait de longs détours pour atteindre son but, qu'il existait sûrement une voie plus directe, mais aucune de leurs montures n'aurait pu l'emprunter, à l'exception peut-être de Kimik. A la mi-journée, de manière tout à fait inattendue, Eyri rejoignit le flanc de la bête et Félicie l'aida à grimper en croupe, libérant le cerf qui paraissait fatigué. Puis, au détour d'une formation rocheuse presque noire, ils aperçurent la carrière, gigantesque saignée dans le flanc de la montagne, et, en pointillés, les petites constructions du hameau alentours. C'était un véritable village, d'une trentaine de bâtiments sans doute, massé le long de la route. Au fur et à mesure qu'ils approchaient, le fracas du travail en cours leur parvint : on s'affairait dans la roche. Ils atteignirent l'enceinte du village avant la pluie. Cette fois, une barrière leur interdisait le passage et un homme en livrée vint à leur rencontre. Dans son regard, on lisait une certaine surprise devant pareil équipage.

[Voyageuse]

Astrée réprima une légère grimace en apercevant la carrière et ses alentours. Après ces derniers jours passés à chevaucher au coeur d'une nature préservée, le hameau lui faisait l'effet d'une grosse verrue plantée sur la montagne. Le bruit et les vibrations du sol agressaient ses sens. Elle en comprenait la nécessité, dans une certaine mesure : les hommes avaient besoin de pierres pour construire leurs habitations. Mais il existait d'autres matériaux de construction... et surtout, bon nombre de carrières ne visaient pas la construction purement utilitaire, mais l'ornement -il y avait par ici des extraction de marbre-, ou, pour certains gisements, la fabrication de bijoux hors de prix ou de monnaie... Non, décidément, cela ne correspondait pas vraiment à ses valeurs.
Elle garda ses pensées pour elle, bien sûr. Elle était certaine qu'Eyri partageait ses impressions, mais il leur était difficile de communiquer et puis, elle ne voulait pas extérioriser sa réprobation devant le garde qui venait à leur rencontre.
Elle se tourna vers Kalju, le laissant s'exprimer le premier. Après tout, la carrière était son objectif à lui...

[Galathée]

Kalju mit pied à terre.
" Bonsoir messire. Nous arrivons de Belred Luyn et nous rendons à la carrière pour... visite, je suppose."
Le garde haussa les sourcils.
" Visite ?
— Je dois parler... affaires avec votre chef.
— Vous n'avez pas l'air d'un troll. Mais presque quand même."
Kalju acquiesça.
" Je suis un genasi. Et voici Félicie, qui vient de la Vallée, et Astrée des Montagnes de plus loin, et Eyri, de la Lorien.
— Comme toute une ambassade.
— Plus ou moins. Félicie et Eyri m'accompagnent, Astrée est druide et va monter plus haut.
— Tant que vous n'êtes pas des trolls, ma foi. Ou des bandits."
Il leva la barrière pour les laisser passer.
" Il y a un gîte pour les visiteurs, elle est sur votre gauche, avec la façade bleue. Je pense qu'il doit y rester de la place : la plupart des gens sont déjà redescendus. Pour vous ravitailler, le comptoir est juste à côté, vous ne le manquerez pas. Les bains sont plus loin, collectifs."

[Voyageuse]

Astrée songea qu'il y avait tout le confort utile. Même des bains, peut-être dans une source locale aménagée pour l'occasion : l'eau ne manquait pas en montagne et certaines sources possédaient même, parfois, des vertus curatives.
" Merci pour les informations", fit-elle en souriant avec amabilité au garde, lorsqu'elle passa la barrière à la suite de Kalju.
La priorité, lui semblait-il, était de rejoindre le gîte pour se trouver une place pour la nuit, pour eux et leurs montures. Elle se demanda si Eyri se joindrait à eux, mais avec le froid plus piquant, il devait avoir compris que c'était dans son intérêt d'avoir un toit sur la tête.

[Galathée]

Eyri avait une mine blasée, mais Astrée devina qu'il était en réalité pétrifié de peur. L'environnement était gris, boueux par endroits, poussiéreux à d'autres, bruyant et toutes les personnes qu'ils croisèrent étaient des humains, sans exception. Kalju, au contraire, était tranquille et pour une fois, il paraissait aussi sale que les autres, mais pas davantage. Le petit équipage attirait le regard mais personne ne les importuna. Astrée constata qu'il y avait quelques enfants, signe sans doute que certains ouvriers vivaient ici avec toute leur famille. Le village était composé de nombreux grands bâtiments mais il était difficile d'en deviner l'usage. Il était encore tôt, de plus, et la plupart des gens devaient être au travail.
Ils trouvèrent le gîte, un bâtiment bleu, sous la protection de Tymora. Il était composé d'une grande salle au rez de chaussée, avec tables et chaises et un âtre où cuisiner, et de chambres sommaires à l'étage, avec des lits superposés, quatre, six ou huit selon les pièces. C'était rudimentaire pour dire le moins. Sans doute les négociants plus riches bénéficiaient-ils de chambres dans d'autres endroits, sur invitation. Mais il faisait sec et propre. Il y avait quatre personnes qui bavardaient dans la salle commune, toujours des humains, et une femme les accueillit.
" Bienvenue chez nous. Je suis Karen, la gardienne du gîte. C'est moi qui nettoie, en gros, et j'surveille qu'y'a pas d'grabuge. C'est deux pièces de cuivre la nuit. Vous pouvez prendre une chambre en haut, pour vous quatre, et vous prenez la clé sur la porte. Y'en a qu'une. Je vous conseille pas de laisser des choses trop précieuses dedans, c'la dit, on sait jamais, et j'suis pas responsable."

[Voyageuse]

" On n'a rien de précieux", assura Astrée.
Peut-être le colis à destination du cordonnier avait-il de la valeur, à la réflexion. Mais il était rangé dans son sac, et ce n'était sans doute pas le genre de contenu susceptible d'intéresser un voleur.
Elle se tourna vers Kalju.
" On va s'installer là-haut, et on monte à la carrière avant le soir, je suppose ? Il nous reste de quoi dîner, ou faut-il se ravitailler ?"
Bien sûr, les lieux n'avaient pas le confort d'une auberge, et elle espérait qu'Eyri ne serait pas trop paniqué par la promiscuité avec tant d'humains. Ils avaient une chambre pour eux, ce qui était déjà un confort par rapport à certains gîtes qu'elle avait pu visiter autrefois. Elle aurait voulu le rassurer, mais le mieux placé pour cela était Kalju... et la sérénité qu'il affichait était sa meilleure arme, en l'occurrence.

[Galathée]

Eyri était resté auprès des animaux, dans l'écurie attenante au gîte. Il n'était pas clair qu'il en sortirait sans grands encouragements.
" Vous n'êtes pas obligés de monter à la carrière avec moi, dit Kalju. Je peux faire ça à mon aise pendant que vous vous installez. Je compte déposer mon sac et me mettre tout de suite en route : les gens sont encore au travail, ça me permettra de juger sur place de ce qu'ils font.
— Je veux bien me charger du ravitaillement, ajouta Félicie. Il n'y a plus grand chose et je serais curieuse de voir ce qu'ils proposent. Il me semble que j'ai vu des potagers, sur la droite, en arrivant."

[Voyageuse]

" Je préfère t'accompagner à la carrière, si tu n'y vois pas d'inconvénient. Je cherche un certain Réginald, qui s'y trouve peut-être : il travaille à l'une des deux carrières, mais ils n'ont pas su me dire laquelle, à la guilde. Il pourra me donner des renseignements utiles pour la suite de mon parcours...."
Elle se renseignerait peut-êtregalement sur le passage de Mathieu, tout récent. Et surtout, elle était curieuse de savoir ce que Kalju apprendrait...
" On devrait peut-être tenter d'expliquer à Eyri notre intention, lui proposer de venir ? Ça m'ennuie de le laisser seul à l'écurie. Je ne voudrais pas qu'il s'attire des remarques désobligeantes..."