[Lieu] À Aigues-Douces (RP : l'inattendu)

[Lothringen]

Lothringen haussa les épaules, avouant son impuissance. Ils n'avaient sans doute d'autre choix que de patienter.

"Attendons la fin de leur débarquement. Je suis curieux de voir où part la barque, où vont les hommes, et où vont les caisses. Quoi qu'il en soit, je les vois mal camper sur la plage, tous autant qu'ils sont."

Et surtout Lothringen les voyait mal, à eux deux, risquer un combat aussi déséquilibré. Peut-être pourrait-il tenter un espionnage magique, plus tard, quand il en saurait davantage sur la situation et la configuration des lieux... Divination ou tentative d'infiltration discrète, ils auraient l'embarras du choix. Mais pour l'instant, il estimait que ce serait choisir entre un sortilège gaspillé et une prise de risque inutile.

[Mornagest]

De leur position, impossible de savoir si les hommes en contrebas étaient des elfes. Leur démarche aurait pu les guider, en temps normal, mais ils étaient occupés à transporter leur cargaison, et cela déformait leur façon de se tenir.

Ils disparurent de la vue des deux aventuriers un petit moment, avant de réapparaître, sans la caisse. Ils l'avaient probablement entreposée dans une grotte, invisible du haut de la falaise. Ils revinrent débarquer l'ultime caisse, avec force difficulté car elle semblait réellement pesante. Ils parvinrent cependant à la sortir de l'embarcation et la ramener vers la plage, avant de disparaître à nouveau pendant quelques minutes.

Enfin, ils s'en retournaient vers la barque, et y montèrent tous, avant de prendre rapidement le large à coups de rames forcénés. L'endroit était sans surveillance...

[Lothringen]

La question était : entreposaient-ils les caisses en cet endroit désert avec l'intention de venir les y reprendre plus tard, ou bien ne les y déposaient-ils ici qu'à l'attention de nouveaux destinataires ? Lothringen se tourna vers Mornagest :

"Je pense que nous pouvons descendre, mais nous devrons surveiller nos arrières. Quelqu'un va peut-être venir chercher cette cargaison..."

Mais ça pouvait être dans quelques heures comme dans quelques jours. Pour l'instant, la voie était libre. Le semi-drow chercha quelques temps des yeux le meilleur chemin vers la crique au milieu des buissons sauvages et des roches instables, avant d'entreprendre cette délicate descente, glissant quelquefois malgré lui sur une terre mal accrochée.

[Mornagest]

L'accès par la terre n'était pas évident. Le sentier ne menait pas vers la plage, comme ils s'en rendirent rapidement compte, mais se contentait de la surplomber, remontant même jusqu'à une vingtaine de mètres au-dessus du sable. Ils durent donc descendre la pente, raide et rocailleuse, pour arriver sur la grève. L'exercice n'était pas aisé, et Mornagest, alourdi par son équipement, mit un certain temps avant d'atteindre le sol, non sans avoir manqué de peu une glissade qui aurait pu le mettre dans le même état que la veille...

Une fois en bas, ils comprirent le choix des étranges personnages quant à l'emplacement de leur cache. La grotte n'était en fait visible que depuis le bout de la plage. De la mer, la roche apparaissait pleine et continue...

Ils étaient devant l'entrée sombre de la caverne, qui faisait environ trois mètres de haut. La luminosité baissait rapidement, et il devenait impossible de sonder le fond de la grotte, en tout cas pour Mornagest.

"On essaie de voir ce qu'ils cachent avec autant de précautions ? Je n'ai pas l'impression qu'ils aient laissé du monde à l'intérieur..."

[Lothringen]

Lothringen tenta vainement d'évaluer la profondeur de la grotte, mais sans plus de succès que son compagnon ; se trouvant encore en extérieur, il ne pouvait activer son infravision. Un problème qui serait rapidement résolu quand il aurait fait quelques pas dans la cavité, au vu de son obscurité...

Il n'entendait rien non plus, mais s'assura tout de même que sa hache était à portée, en un mouvement réflexe dont il n'eut même pas conscience.

"Allons voir. Lourd comme c'était, ce pourrait être du métal, du minerai... ou des armes ?"

Du moins, ce type de chargement occupait-il un rang élevé sur l'échelle des probabilités. Pour le reste, c'était encore en examinant le chargement qu'ils auraient les meilleurs réponses.

[Mornagest]

Ils pénétrèrent donc dans la caverne, sur leurs gardes. Aucun bruit étranger ne venait troubler celui, rassurant, du ressac, un peu plus loin, et l'écho de leurs propres pas dans la grotte, dont les contours se dessinaient progressivement, à mesure que leurs yeux s'habituaient à l'obscurité ambiante.

Il faisait assez frais, à l'intérieur, et humide. Des stalactites assez impressionnants ornaient la voûte, située à environ cinq mètres du sol. Le bruit d'un filet d'eau suintant par un orifice dans la paroi se distinguait à présent des autres sons.

La caverne n'était pas très grande, et ne comptait pas de caches ; les quelques caisses aperçues étaient là, dans le fond. Personne n'était là pour les garder, et rien n'indiquait que ces hommes allaient revenir ici d'ici une heure ou dans trois mois.

"Pas très prudents... ils devaient être pressés, d'après moi. Je parie aussi sur des armes, là dedans."

Ils entreprirent, non sans s'être assurés que les caisses ne comportaient aucun dispositif de protection, d'ouvrir la première d'entre elles. Le bois craqua et céda sous l'impulsion. Mornagest jura. "Bonjour la discrétion... c'est de ma faute", ajouta-t-il, penaud. Il se tut en voyant l'intérieur de la caisse : un entassement de sacs de jute, contenant diverses "marchandises". Ils répertorièrent rapidement du lotus noir, du minerai probablement utilisé par les alchimistes, une poignée de mithril, de l'or, des pierres précieuses...

"J'ai l'impression qu'on a mis le pied dans quelque chose de plus gros que prévu", marmonna le guerrier.

[Lothringen]

Le semi-drow, quant à lui, restait sans voix devant le spectacle qu'il avait sous les yeux. Des denrées résolument disparates, mais dont le point commun était une valeur marchande exorbitante. Secouant la tête, il se reprit enfin.

"Il y en là pour une vraie fortune..." pensa-t-il à voix haute. Il n'avait jamais été cupide, et l'idée de se servir dans le tas ne l'avait pas seulement effleuré. C'était plutôt de savoir que quelqu'un faisait voyager clandestinement de tels montants à travers l'île qui le fascinait et l'inquiétait à la fois. Même à plusieurs centaines de lieux de Manost, Lothringen continuait de raisonner en homme politique. "Quel homme, ou organisation sur Helonna peut bien manipuler des sommes pareilles ?!"

On était loin, en effet, du petit trafic de contrebande auquel le guerrier-mage s'était plus ou moins attendu.

"Que faire à présent ? Tout cela ne nous apprend absolument rien sur les disparitions dont parlait le bourgmestre, ni même sur l'usage que ces individus comptent en faire... Peut-être aurons-nous plus de chance avec les autres caisses ?"

Après tout, ils n'avaient même plus besoin de s'inquiéter des traces de leur passage, à présent que la première caisse gisait tout à fait éventrée...

[Mornagest]

Le guerrier hocha la tête. Il y en avait pour une fortune ; il songea aux caravanes qui étaient censées transiter entre Melandis et Manost. C'était typiquement le genre de marchandises qui auraient pu circuler, drogue en moins... officiellement. Évidemment, la distance avec Dorrandin rendait l'hypothèse farfelue. Peut-être du commerce avec Lumenis et Manost, intercepté par ces pirates ? Il souffla sa réflexion à Lothringen tout en ôtant le couvercle de la caisse suivante. Celui-ci vint sans casser, cette fois.

À nouveau, le contenu dépassait leurs espérances : des armes, cette fois, en tous genres, mais pour la plupart, de guerre : épées, rapières, boucliers divers, armes de trait lourdes... guère étonnant qu'ils durent être environ huit pour porter le tout !

Mornagest jeta un coup d'œil dubitatif au semi-drow.

"À quoi rime tout ceci ? Qui peuvent-ils être ? Je doute qu'à eux seuls, ils aient pu s'emparer de tout ce matériel..."

[Lothringen]

Lothringen demeurait perplexe. Cette nouvelle cargaison – de valeur bien moindre que la première, en dépit de son caractère impressionnant – changeait un peu la donne.

"Peut-être n'étaient-ils que des transporteurs", répondit-il à Mornagest. "Si l'or avait été le premier soucis de ce... groupe, la deuxième caisse aurait eu le même type de contenu que la première : on ne peut faire plus de valeur en moins de volume. Beaucoup d'or, et maintenant des armes... Cela sent plutôt le soutien logistique ciblé que le trafic organisé. Exactement le genre de ravitaillement dont pourrait avoir besoin une organisation terroriste comme les Eldreth Veluuthra, bien que je n'aime guère penser qu'ils puissent bénéficier de tels appuis. Enfin, ce n'est qu'une intuition... L'hypothèse selon laquelle il s'agirait là d'un butin de piraterie tient aussi. Et l'un n'exclut pas l'autre, d'ailleurs."

Il soupira, lassé de ratiociner à vide. Lancés comme ils étaient, ils allaient aussi devoir examiner les deux dernières caisses, dans l'espoir peut-être illusoire d'y trouver de nouveaux indices.

[Mornagest]

Malheureusement, les deux dernières caisses contenaient également des armes, du même que celles de la précédente. Un arsenal tout de même impressionnant, même si cela ne suffisait pas à fournir une troupe complète.

"Pour environ cinquante hommes, tout de même", commenta Mornagest, "en comptant qu'ils aient chacun une arme de corps-à-corps et une arme de trait. Pourquoi pas ce groupe d'elfes ? Pourquoi, aussi... aah... c'est trop vague pour tirer quelque conclusion que ce soit." Il grimaça. Les types qui avaient amené ce matériel comptait probablement venir le rechercher rapidement.

"On peut peut-être attendre un peu, voir s'ils reviennent ? A moins... qu'ils n'aient abandonné tout ça, mais j'ai des doutes."

[Lothringen]

Le semi-drow sourit.

"Abandonner, certainement pas. Mais rien ne laisse deviner combien de temps il s'écoulera avant que quelqu'un ne vienne rechercher ces caisses. Et puis surtout... si c'est à nouveau pour les transporter par la mer, que ferons-nous ?"

D'un autre côté, ils ne souffraient pas d'une surabondance de pistes, et leur temps n'était pas compté. C'était néanmoins un peu risqué pour un espoir ténu. Ils avaient laissé de belles empreintes dans le sable mouillé, sans compter une caisse brisée... Et il ne voyait pas vraiment en quoi la magie pourrait les aider pour le moment. Il pouvait les rendre invisibles, certes, mais pas éthérés au point de pouvoir monter sur une simple barque sans se faire remarquer.

Pour toutes ces raisons, Lothringen demeurait on ne peut plus indécis. En désespoir de cause, il fit part de ses doutes à son compagnon.

[Mornagest]

Lothringen disait vrai ; ils n'avaient pas beaucoup d'options, et si les autres revenaient, que feraient-ils ? Combattre contre une dizaine d'individus était suicidaire, et s'ils avaient des choses à cacher, ils se défendraient bec et ongles. Partir risquait de les écarter d'une découverte ultérieure, notamment quant à l'identité de ces mystérieux trafiquants... elfes ? Pas elfes ?

"J'aimerais..." il fut interrompu par une voix déformée par les parois de la caverne, stridente et apeurée :

"Des intrus ! Des intrus !!"

Le temps de se retourner, et ils purent voir un type s'enfuir en courant, vers la plage.

[Lothringen]

Le juron drow qui s'échappa des lèvres de Lothringen n'était pas pour les oreilles sensibles. Se faire surprendre en si peu de temps ? ils jouaient de malchance. Le semi-drow n'ayant pas vraiment eu le temps de voir à quoi ils avaient affaire, il incanta, pour lui et Mornagest, une invisibilité simple... Puis se hâta de gagner l'entrée de la caverne avant que cette issue ne leur soit interdite par les nouveaux arrivants.

Il avait néanmoins conscience de s'être mis dans une situation difficile, doutant que son artifice tardif suffise à leur sauver la mise. Au moins, il aurait essayé.

[Mornagest]

Au dehors, une petite troupe d'hommes qui avaient déjà dégainé leur arme les attendait. Six, en tout. Étaient-ils les mêmes que précédemment ? Mornagest songea qu'ils étaient peut-être venus récupérer les marchandises entreposées ici... mais pourquoi ne pas avoir fait le transfert directement, plutôt que passer leur temps à débarquer puis réembarquer de si lourdes caisses ?

A priori, ils n'avaient pas à faire à des lumières ; les six s'avancèrent sans précautions vers la caverne, certains de mettre la pâtée à deux troubles-fête sans défense... ils ne semblaient pas songer que Lothringen pût disposer de sortilèges.

Se terrant sur le côté du passage, les deux aventuriers les virent simplement passer devant eux... puis Mornagest fit signe à son compagnon. S'enfuir, ou attendre ? Les types ne tarderaient pas à se rendre compte que la grotte était vide d'occupants...

[Lothringen]

Vide d'occupants, certes, mais une caisse était fracturée, et un premier type - celui qui avait crié aux intrus - était d'abord entré seul à l'intérieur... L'idée traversa un instant Lothringen que ses acolytes pourraient bien retourner les soupçons contre lui, et que ce serait drôle à voir. Quoi qu'il en soit, tous deux risquaient de laisser des traces beaucoup trop visibles dans le sable en s'enfuyant maintenant. Le guerrier-mage fit signe à Mornagest de rester encore immobile un moment, tout en s'efforçant pour sa part de se trouver une place à l'abri des déplacements de ces hommes. Il s'aplatit contre les rugosités de la paroi, l'ouverture à portée de bras, le cœur battant.

Et il se mit à observer. Comment étaient-ils vêtus. Qui étaient-ils. Que voulaient-ils. Et non moins important : comment étaient-ils arrivés là. Si c'était avec une barque eux aussi, la leur voler constituerait une solution assez plaisante.

[Mornagest]

C'étaient tous des humains, parlant avec le même accent que celui des gens qu'ils avaient croisés à Aigues Douces. Ils portaient des vêtements humides d'eau de mer, et quelque peu élimés, mais robustes et de bonne qualité ; des vêtements de travailleurs qui tiennent à ce qu'ils restent entiers pendant un bon moment.

Ces hommes débattaient fermement, en ce moment. Ils venaient de découvrir les caisses ouvertes et déballées, et cela ne paraissait guère leur plaire.

"Bordel ! Qui c'est qui nous a foutu ça ? Ça fait pas une heure qu'elles sont là ces caisses !
- Tu parles d'une discrétion, si deux clampins peuvent venir nous les chouraver sous l'nez comme ça ! Y r'semblaient à quoi, tes voleurs, Kain ?
- J'ai pas bien vu... y fait noir ici !
- Et y sont où ? On peut pas sortir d'ici sans passer d'vant nous...
- Et si c'étaient des mages ? Ça esspliqu'rait comment y sont v'nus si vite..."

Mornagest, de son côté, avait jeté un coup d'œil vers la plage. Leur barque était là, à peine engagée sur le sable. Elle comportait plusieurs paires de rames, et était suffisamment longue pour récupérer les caisses entreposées. Lourde, probablement... la leur voler comportait beaucoup de risques ; il faudrait être rapide...

Il revint vers Lothringen et lui indiqua par forces signes assez cocasses qu'une barque était disponible, mais qu'elle risquait d'être lourde. Quant à savoir ce que le semi-drow en avait compris...

[Lothringen]

Lothringen se demanda un instant pourquoi Mornagest était en train de lui expliquer dans le langage des signes drow que "le puits fond dans le bétail", avant d'aviser la barque sur le rivage. Ah oui. Lourde, sans doute. A son avis, ils pourraient la pousser à eux deux, d'autant qu'ils étaient relativement forts, mais pas sans être repérés. Bah. Lothringen aurait sans doute choisi de demeurer sur place un peu plus longtemps si la conversation s'était avérée plus instructive ou avait tourné moins dangereusement, mais là... Il n'y avait plus de temps à perdre. Et escalader longuement la falaise alors que ces individus avaient tout un arsenal d'armes de traits derrière eux : suicidaire.

Tourné vers Mornagest, il se mit en position de départ et abattit ses doigts un à un. Trois, deux, un... et ils coururent ensemble vers la barque, avant d'en agripper le bord chacun de son côté et de commencer à pousser, pousser, luttant contre le sable.

[Mornagest]

Leurs pieds s'enfonçaient, ils glissaient, peinaient, mais la barque avançait et commençait à glisser sur l'eau. Il était temps ; alertés par le bruit de course, les hommes étaient sortis de la caverne et voyaient maintenant leur barque glisser sur l'eau sans que personne ne soit là pour la pousser...

Ils comprirent rapidement qu'ils avaient bien à faire à des magiciens, cependant, et, alors que deux d'entre eux arrivaient sur la barque, poignard tiré, les autres allaient chercher probablement quelque arme de trait pour tenter de rattraper leur embarcation.

Alors qu'ils mettaient pied dans la barque, les deux hommes atteignirent le bord et commencèrent à se hisser.

Mornagest hésitait ; réagir leur retirerait leur invisibilité, mais ils étaient de toute façon repérés... il choisit à l'impulsion et dégaina son immense lame, réapparaissant alors aussitôt.

"Légitime défense", s'excusa-t-il en atteignant le premier à la tête, qui fut à moitié emportée par le coup.

[Lothringen]

Le semi-drow laissa au second agresseur le temps de se hisser à bord, mais ce fut pour l'y accueillir d'un coup de manche de hache asséné sans douceur sur l'arrière du crâne.

"Je suis trop bon..."

Il s'était surtout dit que s'ils pouvaient en capturer un vivant, ils en obtiendraient peut-être quelques unes de ces réponses qui leur faisaient si cruellement défaut. Du côté de la grotte, les quatre hommes revenaient avec des arbalètes chargées et des mines furieuses. Lothringen se fendit d'un sort d'image miroir. A ses côtés, Mornagest se couchait dans le fond de la barque et s'abritait derrière le corps de l'humain. Une pluie de carreaux déferla sur eux. Serrant les dents, le devin se mit à ramer aussi vigoureusement que possible.

[Mornagest]

Il ne bénéficiait pas de protections, mais il avait toujours son arc... après avoir vu la première salve de quatre carreaux se ficher sur le bois ou dans une image de Lothringen, il se releva et répliqua par un tir puissant et rageur ; ces pirates ne leur laisseraient aucune chance, il fallait défendre chèrement leur peau.

L'arc était bien plus rapide que l'arbalète, et, tandis qu'ils rechargeaient avec un carreau, ils étaient obligés de s'assurer qu'ils n'étaient pas pris pour cible par Mornagest ; le guerrier parvint à toucher l'un des quatre survivants, qui tomba à terre, atteint à l'épaule. Les autres finirent par abandonner ; les deux "voleurs" étaient trop loin, désormais.

"Tu n'as rien ? Ils laissent tomber. Je vais t'aider." Il déposa son arc et s'empara d'une autre paire de rames. "Ils ne sont plus que trois en état de se battre. J'imagine qu'ils auront filé bien avant qu'on vienne les récupérer... dommage. J'aurais bien voulu savoir d'où ils viennent."

[Lothringen]

"Tu pourras toujours demander à notre ami, là, quand il se réveillera..."

Lothringen désigna du menton l'homme qu'il avait assommé et qui gisait toujours inconscient au fond de la barque. Aucun carreau ne l'ayant pris pour cible, il devrait logiquement revenir à lui d'ici quelques temps. Un certain temps, néanmoins : le semi-drow avait frappé fort. Profitant de ce que Mornagest le relayait aux rames, ce dernier prit le temps de désarmer et d'entraver l'inconnu. Ils auraient l'air malin, s'il se jetait à la mer...

La crique n'était désormais plus qu'une petite tâche claire dans le lointain. Aucune chance, en effet, de mettre la main sur les trois autres. Ils allaient s'égayer, et probablement devoir abandonner sur place la majeure partie du chargement. S'ils essayaient de les suivre depuis la côte, en revanche, ils allaient avoir du mal : la barque s'en était largement écartée.

"Penses-tu qu'il soit sage de gagner le port du sud, maintenant ? Il n'est pas impossible que ces six hommes viennent de là-bas, ou que d'autres reconnaissent la barque et nous accusent de l'avoir volée. Nous pourrions aussi retourner à Aigues Douces... mais nous n'y serons pas avant la nuit."

En réalité, ils étaient déjà beaucoup plus près du second village que de celui où ils se trouvaient durant la matinée.

"Ou... Non, le mieux serait de poursuivre au sud, de débarquer à l'écart du village, et, si tu veux toujours un lit, d'y arriver à pied. Hum... Mais sans notre invité. Qu'en penses-tu ?"

[Mornagest]

"La nuit ne va pas tarder à tomber. Non que je ne veuille pas dormir dans une barque avec un pirate revanchard sur les bras, mais..."

Il mit cap vers le sud, indiquant par là sa décision. Rebrousser chemin leur prendrait trop de temps pour le peu de jour qu'il leur restait.

"Ta solution me paraît bonne. Avec un peu de chance et avec l'aide des courants, on peut gagner du temps par la mer..."

Leur prisonnier s'agita dans son sommeil assisté, et grogna avant de relever la tête d'un bon centimètre.

"Eeeeuh..."

[Lothringen]

"Surprise."

Assis à quelque distance de lui, sur la banquette, Lothringen laissa à l'individu le temps d'évaluer le caractère assez peu reluisant de sa situation. Un silence s'installa, bercé par le clapotis des rames. Mener des interrogatoires était une activité où le semi-drow ne prenait aucun plaisir. Du reste, priver un individu de sa liberté, quoi qu'il ait pu faire, lui répugnait souverainement. Mais quelquefois - souvent - nécessité fait loi, piétinant les principes...

Dédaignant même d'observer leur prisonnier, Lothringen jouait à faire tourner sa hache sur la pointe de sa lame.

"Nous avons quelques questions à poser à propos du trafic auquel vous vous livrez. De l'endroit d'où provient le contenu de ces caisses. De ceux à qui elles étaient destinées..."

[Mornagest]

L'homme grogna à nouveau, mais de mécontentement, cette fois. Embarqué comme il l'était, il n'avait pas beaucoup de chances d'en réchapper, s'il était tombé sur deux magiciens sadiques prêts à lui arracher des organes à vif pour voir s'il restait en vie... toutefois, la grande brute passait plus pour... une grande brute qu'un érudit adepte des arcanes, il devait bien le reconnaître. Mais sa mine patibulaire n'inspirait guère plus de confiance.

"Chais pas d'où ça vient. D'autres se sont chargés de les voler, c'est tout c'que j'sais. Je sais pas à qui. Mais c'était pour nous.
- Et pourquoi ?" poursuivit Lothringen.
"Bah... euh... on pille la côte... pour s'faire des ronds." il s'en tint là.

"Ton histoire ne tient pas debout. Piller une côte de villages de pêcheurs avec un arsenal pareil ? Vous pourriez affronter un détachement de l'armée luménienne...
- Ben... ouais. Bon, d'accord. On les r'vend. On pille pas. Mais je sais pas à qui c'est non plus. Nous, on est juste là pour transporter c'bazar par la mer jusqu'au point de rendez-vous.
- Qui se trouve... ?
- Le long de la plage, à une dizaine de kilomètres de la grotte, vers le sud, y a un piton rocheux, et une petite rivière qui s'jette dans la mer. Faut la r'monter et aller vers la gauche au premier embranchement. De là, faut environ une demi-heure sous la forêt, et y a une clairière..."

Piège grossier, ou vérité avouée par la crainte ?

[Lothringen]

Lothringen trouva cette dernière indication bien trop précise dans un discours par ailleurs bien trop flou. Cela dit, le type essayait visiblement de protéger son organisation davantage que ses clients, alors peut-être disait-il vrai...

"Et une fois que vous êtes là, vous posez gentiment vos caisses et vous disparaissez sans attendre votre destinataire ? Il paie d'avance, le généreux ? Par quels moyens, dans ce cas ?"

Et il allait se passer quoi, quand il ne recevrait pas ses caisses à temps ?

"J'aimerais ne pas avoir à soutirer chaque bribe d'information une par une. Mon peuple ne brille pas par sa patience, kivvil..."

Il se donna la peine de relever les yeux vers l'individu, dans l'espoir de cerner son état d'esprit. S'il continuait de les balader, ils seraient bons pour une détection de pensée...

[Mornagest]

L'homme se tortillait dans ses entraves, et il protesta :

"Nan, j'vous jure, c'est la vérité ! C'est là qu'on doit s'rendre. Chais pas qui on doit rencontrer, on les a jamais vus. C'était pas à moi d'm'occuper d'la transaction. On... enfin, moi, j'avais jamais fait ça avant. Les autres, j'les connais pas d'puis longtemps, alors je sais pas..."

Il hoqueta, et se mit à pleurer pitoyablement. La peur, peut-être. Ou la comédie... après quelques sanglots, il bredouilla :

"J'avais des dettes... fallait qu'j'les paie. Et on m'a proposé d'faire le passeur d'marchandises. C'est tout. Je... on vous a attaqué parce que... ben, sans barque, pas moyen de transporter tout ça. Et pas d'argent... Pitié, m'sieur l'drow !"

[Lothringen]

"Pitié, m'sieur le drow" avait dû plus ou moins constituer les dernières paroles d'un nombre trop important de surfacins placés sur le passage des elfes noirs. S'il avait vraiment appartenu à ce peuple, Lothringen aurait sans doute ricané. Mais au lieu de cela, il tourna son regard vers Mornagest, désireux d'avoir son avis. Le discours de cet homme n'était pas tout à fait absurde. Les intérêts en jeu étaient manifestement d'envergure, et il n'était pas dans les usages de ce genre d'organisation de faire trop de confidences aux sous-fifres...

"Qu'en penses-tu ? Et que devrons-nous faire de lui ?"

La nuit n'allait pas tarder à tomber, et la vue perçante du semi-drow commençait à deviner le port à l'horizon. L'homme devenait encombrant...

[Mornagest]

S'il disait la vérité, c'était un pauvre bougre acculé par la misère et contraint d'agir en maquisard sans que ce soit sa vocation... disait-il la vérité, c'était là la question. Mornagest aurait, auparavant, fait preuve de la même commisération que les drows que l'homme craignait tant, mais ils s'en étaient finalement sortis indemnes, et ils avaient désormais une piste. Le tuer, alors qu'il était sans défense, sans savoir réellement se battre... il ne le pouvait.

"Débarquons-le quelque part et laissons-le se débrouiller. Nous irons au port, ensuite, et avisons..." Inutile d'en dire plus devant le type. "Si je vous recroise, manant... tu risques de trouver les drows bien gentils par rapport à ce que je te ferai, compris ?"

L'homme hocha la tête sans mot dire, le teint bistre. Ils virèrent de bord et filèrent droit vers le rivage, vers une petite plage de galets qui communiquait assez facilement avec les terres avoisinantes. Il n'aurait qu'à marcher un peu...

Une fois l'homme relâché, ils repartirent vers le port, qu'ils finirent par atteindre alors que la nuit était maintenant bien établie. La brise nocturne soufflait doucement, rafraîchissant sensiblement l'atmosphère. Les moustiques commençaient leur quête quotidienne de sang, et cela incluait également comme cible les deux aventuriers qui débarquaient tranquillement sur la jetée déserte. Pas un bruit, pas un chat, mais plusieurs, qui rôdaient à la recherche de carcasses de poissons à terminer, après le retour des navires de pêche au port.

Mornagest avisa ce qui semblait être l'auberge du coin, le long du quai ; l'enseigne oscillait paisiblement au bout de ses chaînes quelque peu rouillées. La salle principale était éclairée. Vu l'heure, ce n'était pas étonnant.

"Je suis exténué par cette journée... si tu n'y vois pas d'inconvénient, je propose d'aller nous coucher assez rapidement... j'avoue que ma blessure à la jambe m'a bien fatigué, à défaut de me faire souffrir."

[Lothringen]

Il hocha simplement la tête. Ils auraient tout le temps, dès le lendemain, d'explorer le village ou d'organiser une expédition vers cette fameuse clairière. A chaque jour suffit sa peine...

"ça me va. Après cette longue marche mon estomac crie famine, et je traîne un sacré retard de sommeil..."

Ils pénétrèrent bientôt dans la taverne, emplie de marins excités, de chants sonores et de vapeurs de tabac. L'aubergiste leur trouva une petite table dans un coin pas trop saturé de fumée, mais ils ne put leur épargner la proximité d'une tablée d'équipage qui fêtait bruyamment la relâche et le jour de paie : c'était à peine s'ils pouvaient s'entendre sans crier.

Si la journée n'avait pas été à proprement parler éreintante, le vacarme finit d'achever Lothringen, qui écourta volontairement le dîner pour pouvoir se retirer plus vite en des lieux plus paisibles.

[Mornagest]

Le repas fut expédié, comme ils ne pouvaient facilement converser. Du reste, le guerrier avait hâte de s'allonger dans un lit douillet, et s'endormir aussitôt ; la fatigue l'avait rattrapé, dès lors qu'il avait cessé de ramer.

Il n'y avait que des chambres individuelles disponibles, dans l'auberge. Vu leur état respectif, cela ne leur ferait pas de tort de dormir rapidement, mais Mornagest demanda toutefois :

"Une idée du programme de demain ? On tente le coup, dans cette clairière ? Je ne suis pas sûr qu'on n'y retrouve pas une bonne bande de criminels..."

Il étouffa un bâillement, et s'excusa aussitôt.