[Lieu] Loth Imarhil

[Taliesin]

Taliesin poussa un profond soupir... mental. Le retour de Victor et son cadeau lui avaient quasiment fait oublier la menace qui planait au-dessus de sa tête, mais il en tenait désormais la preuve bien réelle entre les mains. Et connaissait déjà la réponse qu'il donnerait : il avait assez fréquenté les hautes sphères de diverses sociétés pour savoir qu'une telle requête ne pouvait se refuser. Il n'était jamais bien avisé de mécontenter les puissants... Il accepterait, donc, et hésitait sur un seul point.
Un instant, son regard se porta vers Victor, et il songea à demander aux messagers si celui-ci pourrait l'accompagner. Il n'avait pas envie que le petit garçon se sente exclu ou pense qu'il avait honte de l'amener avec lui. Pourtant, une soirée parmi de nobles elfes ne parlant que leur langue natale et discourant de surcroît sur des sujets politiques ou stratégiques risquait fort de lui sembler ennuyeuse à mourir... Ce ne serait pas là un cadeau à lui faire, et il y avait fort à parier qu'il s'amuserait bien plus ici, à l'auberge.
-Veuillez dire à son excellence le prince que c'est pour moi un grand honneur et un plaisir non moindre que d'accepter son invitation... fit-il enfin, d'un ton respectueux tout à fait de circonstance. Je me présenterai à son palais demain soir, à l'heure qui lui conviendra.
Au moins, Victor échapperait à ça.... Il l'enviait sincèrement.

[Galathée]

Les envoyés du Prince parurent satisfaits de la réponse du barde, et s’esquivèrent aussitôt, non sans l’avoir à nouveau salué avec courtoisie. Victor se leva pour jeter un œil à la missive, mais elle était couverte de lettres enjolivées formant un langage auquel il n’entendait goutte, il se contenta de sourire.
« Alors, tu vas pouvoir aller faire ton grand timide ailleurs ? » railla-t-il en se levant. « On y va ? Ou tu veux que j’aille échanger les livres tout seul pendant que tu répètes ? »

[Taliesin]

-Je viens avec toi, répondit l'elfe sans hésiter une seule seconde. J'ai déjà répété ce matin, et il vaut mieux que j'évite de penser à cette invitation, si je ne veux pas déprimer à l'avance. Je n'ai pas vraiment la tête aux mondanités...
Il se leva.
-Je file déposer la harpe dans notre chambre, je récupère les bouquins et je reviens.
Et de se diriger vers les étages, maussade. Non, cette soirée à venir ne le réjouissait pas le moins du monde. Il avait plus urgent à faire... Mais voilà, ce n'était pas vraiment comme s'il avait eu la possibilité de refuser...

[Galathée]

Si Taliesin faisait triste mine, Victor de son côté, se montra des plus enjoués. Il franchit la distance qui les séparait de la ville en jacassant comme une pie, puis s’engagea dans les allées enneigées de la cité en connaisseur qui sait parfaitement où il se trouve. La Tour des Archimages de la Lune Rousse n’avait pas bougé et ils s’y engouffrèrent. Quelques mages discutaient dans le hall circulaire, mais aucun ne prêta de réelle attention aux deux nouveaux arrivés. Victor se dirigea d’autorité vers l’escalier en colimaçon d’aspect velu et en gravit les marches avec entrain. La salle qui se trouvait juste au-dessus avait des aspects oppressants : les murs semblaient vivants, de plumes et de fourrures, et battaient au rythme d’un cœur invisible, d’une respiration profonde. Le sol était animé d’un mouvement similaire, irrégulier, parfois tremblant, parfois immobile. Comme s’ils étaient au creux d’un être endormi. A peine avaient-ils pénétré en ce curieux endroit que deux mages firent leur apparition, traversant l’un des murs comme s’il s’était agi d’un rideau de poils. Le premier était vêtu d’une robe grise, avait les cheveux très noirs et les yeux verts lumineux. Le second était beaucoup plus âgé, les cheveux complètement blancs et la robe brun sombre. Ils sourirent aux nouveaux venus.
« Bienvenue en notre section. » fit le plus jeune. « J’imagine que vous êtes revenus pour les livres. »
« Ils m’intéressent bien. » ajouta le plus âgé. « Peut-être devrais-tu me les montrer, mon garçon, pendant qu’Elkarr s’entretient avec ton ami. »

[Taliesin]

-J'espère que nous n'aurons pas en vain suscité votre intérêt... dit le barde en faisant glisser le sac de son épaule et en le tendant à Victor. Je n'ai vraiment aucune idée de leur valeur ou de leur rareté. D'avance, je vous prie de bien vouloir m'excuser s'il s'agit là d'opus terriblement communs...
Il se tourna vers le jeune mage.
-Je suis tout à vous, messire...
Bon, à voir la mine de celui-ci, il n'allait pas lui déclarer qu'il était son frère... Du moins l'espérait-il.

[Galathée]

Le vieux mage entraîna le petit garçon vers l’un des murs et ils le traversèrent, tandis que le dénommé Elkarr faisait signe à Taliesin de le suivre. Il plongea les mains dans une paroi et en retira, très pratiquement, un banc.
« Je ne sais pas bien comment aborder cette question avec vous. » fit le mage, pour commencer, en attendant que son interlocuteur se fut assis. « Mais je vais tâcher de le faire quand même… »
Il eut un sourire embarrassé.
« Je me nomme Elkarr, je suis mage de cette confrérie depuis 27 ans à présent, et mon domaine de spécialité est la transmutation, comme tous les érudits de cette section. Lorsque maître Nevyn est venu nous rendre visite, l’autre jour… »
Il s’interrompit.
« Connaissez-vous bien le garçon avec lequel vous voyagez ? Je veux dire… Depuis longtemps ? »

[Taliesin]

Taliesin ne put s'empêcher de froncer les sourcils. Que signifiait ce soudain intérêt pour Victor ? Le gamin aurai-il vu plus juste qu'il ne l'avait imaginé en évoquant la possibilité que le mage puisse vouloir se procurer un cœur d'humain pour ses expériences ? Cela paraissait impossible, même à Loth Imarhil ou cette race n'était guère appréciée.
Le mieux, plutôt que de s'interroger, était sans doute de laisser venir son interlocuteur au fait. En l'attendant de pied ferme.
-Je le connais depuis moins d'un an, répondit-il. Mais nous avons traversé tant de choses ensemble, depuis, que je crois bien le connaitre. En tout cas, je lui suis profondément attaché.
Et je ne vendrai pas un seul de ses organes, faillit-il ajouter en manière de plaisanterie. Cependant, il préféra s'abstenir.

[Galathée]

« Je n’en doute pas. » fit le mage avec un sourire, avant de redevenir aussitôt sérieux. « Mais… N’a-t-il jamais… agi de manière étrange ? Je veux dire… Vraiment étrange. Comme s’il n’était subitement plus lui-même mais quelque chose d’autre… de beaucoup plus violent… de dangereux, presque ? »

[Taliesin]

Le barde grimaça.
-Vous avez l'œil... fit-il, si surpris, pour le coup, qu'il ne pensa pas même à éluder la question.
Et puis, après tout... Ils avaient convenu avec Victor qu'ils en parleraient aux mages. La chose lui était totalement sortie de l'esprit, mais il ne trahissait pas là un secret.
-Il a déjà terrassé un lion... et un loup, alors qu'il ne disposait dans le premier cas que d'un caquelon, et d'une bûche dans le second. Méli, la demi-dragonne qui accompagne le p... les bannis du Griffon, lui a dit qu'il était "fragmenté", que c'était troublant, mais non pas une tare, qu'il fallait apprendre à maîtriser la chose. Pour ma part, je comparerais ça aux... aux transes des guerriers berserk, dirais-je. En tout cas, cela ne se déclenche que lorsque nous sommes en grand danger.

[Galathée]

Elkarr hocha la tête avec intérêt.
" Fragmenté... Jolie expression. Je ne l'ai pas examiné en détail. Je ne me serais jamais permis une chose pareille sans votre accord... et le sien. Mais je dois dire que son empreinte... son aura, si vous voulez, est très particulière. Elle s'apparente un peu aux bourgeons d'un Tenser, je ne sais pas si vous êtes familier avec ce sort, qui permet à un mage de devenir guerrier pendant un laps de temps très court. C'est une transformation classique mais fondamentale : la personne qui l'utilise change complètement de structure et de fond, laisse les instincts les plus bestiaux tapis dans sa carcasse prendre le pas sur tout le raffinement et la mesure exigés d'un magicien. Les mages qui la pratiquent gardent une empreinte qui trahit leur mutation, même s'ils n'y recourent qu'une ou deux fois l'an. Or ce garçon, Victor, est beaucoup trop jeune pour être un mage de haut niveau, et son empreinte est beaucoup plus mouvante... comme si le second être affleurait en permanence. Je ne l'ai observé que quelques minutes, hier, mais aucun de ses gestes, aucune de ses mimiques, de ses paroles, n'a trahi la présence de cette entité en lui. C'est très curieux. Evidemment passionnant pour quelqu'un comme moi. Mais je ne veux pas vous forcer la main. J'aimerais beaucoup pouvoir l'étudier quelques heures. Ce sera sans danger, sans douleur, et je pense que je n'amènerai même pas ce qui couve en lui à se manifester. Je ne peux en être sûr, cependant. Donc, voilà... Je ne sais pas ce que vous en dites."

[Taliesin]

Taliesin ouvrit de grands yeux incrédules. Étudier Victor ? D'un point de vue purement théorique, Il pouvait comprendre l'intérêt du mage face à un si étrange phénomène, mais la seule idée que le garçon lui serve de cobaye le révulsait. Ce n'était pas un cœur que voulait acheter le dénommé Elkarr. Mais bien procéder à des expériences, tout de même. Qui pourraient amener l'enfant a entrer dans cet état de transe... Et comment le restreindrait-il, alors ?
Il demeura silencieux un moment, refoulant autant que possible son indignation pour réfléchir à une réponse qui ne froisserait pas son interlocuteur. Au moins, celui-ci avait eu le mérite d'être honnête, n'avait pas prétendu qu'il le guérirait..
-Je crains de ne pouvoir répondre favorablement à votre demande... fit-il enfin. J'imagine fort bien votre curiosité, et je vous crois sincère lorsque vous avancez qu'il n'y aura ni danger ni souffrance pour mon garçon. Cependant, il a déjà subi nombre d'épreuves, et c'est un miracle qu'il ait survécu, qu'il ne soit pas devenu complètement fou. Des épreuves, il en affrontera encore, puisque nous allons bientôt reprendre la route et que je ne connais pas l'issue de notre voyage. Je me refuse à lui infliger quoi que ce soit qui puisse l'éprouver, même légèrement, durant notre séjour ici. C'est... Un havre, en quelque sorte. Le calme avant la tempête. Or, aussi bienveillant soyez-vous, des expériences sont des expériences, et elles peuvent être mal vécues par le... patient. Ne serait-ce que par la position, le rôle qu'il occupe dans l'opération.

[Galathée]

Le mage eut l'air déçu, mais se fendit néanmoins d'un léger sourire.
" Je comprends. Pardonnez-moi si ma requête vous a semblé déplacée."
Il se leva.
" Très bien. Mystérieux il restera."
Il haussa les épaules, fit mine de s'éloigner, puis se tourna à nouveau vers le barde.
" Si vous changez d'avis... Demain... Ou dans dix ans... Ou s'il désire que la chose soit creusée... ou comprise... Ne m'oubliez pas."
Il sourit.
" Je vous souhaite un bon séjour en Loth Imharil. Ils ne devraient plus tarder."
Et sur ce, il s'esquiva.

[Taliesin]

Le barde lui avait rendu son sourire. Il ne désirait pas se faire d'ennemis et était rassuré que le mage ait pris la chose ainsi, déçu mais compréhensif. Il lui savait gré, d'ailleurs, de ne pas avoir insisté.
Il ne pensait pas qu'il changerait d'avis, cependant. Il n'était pas expert en la matière, bien sûr, mais le phénomène qui touchait Victor ne lui semblait en rien avoir une origine magique : le petit garçon était passé par des choses qui auraient terrassé bien des gens. C'était normal qu'il en soit ressorti meurtri, marqué. Fragmenté, puisque tel était le terme employé par Meli. Et ce n'était pas un praticien des arcanes qu'il lui fallait pour comprendre, se familiariser, voir dépasser cela. Du moins, pas un praticien féru d'expériences...
Et puis, la décision ne lui revenait pas. Il n'avait pas d'autorité légale sur Victor. Qu'aurait dit Galathée, si elle avait appris qu'il avait accepté une telle chose ? Comment l'aurait ressenti Victor ? Il préférait ne pas y penser. Se voir traité en cobaye n'aurait certainement pas apaisé ses angoisses, loin s'en fallait...
Et si un jour, d'aventure, il voulait creuser le phénomène... Ce serait sa décision à lui. Personne ne lui l'imposerait.

[Galathée]

Victor revint peu après avec le mage plus âgé et sans les livres.
« Ma foi, des ouvrages bien intéressants. Votre jeune ami m’a expliqué comment ils étaient entrés en votre possession… Je dois dire que j’ignorais qu’il existât une telle menace de l’autre côté des monts. Nous ne traversons jamais, pour ainsi dire, et lorsque nous le faisons, nous passons par Belred Luyn. C’est une chance que vous ayez pu vous défaire de cette femme. Je n’ose imaginer le nombre de nos frères qui ont dû tomber dans ses pattes. »
Il opina du chef, la bouche pincée.
« Enfin. Je lis assez bien le langage de ces horribles gnomes des profondeurs, j’imagine que leur magie pourra nourrir notre pratique et nos connaissances. »
Victor ouvrit les mains pour montrer à Taliesin quelques pierres précieuses. Il y avait là deux gros diamants, dont un jaune, un saphir des plus purs et un rubis de bonne taille.
« Nous n’avons pas d’argent, mais j’espère que vous trouverez ces gemmes un prix suffisant pour les livres. Vous trouverez aisément un endroit où les changer en ville. »

[Taliesin]

Taliesin observa un instant les pierres, un peu étonné. Il y avait là une petite fortune, de quoi, probablement, acheter tout l'équipement dont ils pourraient avoir besoin pour leur voyage. Et peut-être plus encore.
-Je vous remercie, messire... fit-il en souriant. A vrai dire, c'est davantage que je n'espérais en transportant ces livres, et je ne regrette pas les efforts consentis pour les préserver. Je suis de plus heureux s'sils peuvent vous êtres utiles : moi, ils ne m'ont apporté que migraine et perplexité...
Bon, au moins, ils ne seraient pas venus pour rien et pouvaient envisager un peu plus sereinement les préparatifs de leur expédition.

[Galathée]

Le vieux mage raccompagna ensuite les deux visiteurs au rez de chaussée et leur souhaita bonne journée, les invitant à repasser s'ils découvraient un nouvel opus oublié dans leurs bagages. Victor et Taliesin repartirent donc sous une neige fondante légère, qui les frôlait à peine, filtrée par le couvert des grands arbres.
" Qu'est-ce qu'il voulait, alors, le jeune mage ?" demanda, immanquablement, Victor.

[Taliesin]

Taliesin songea un instant à se fendre d'une réponse élusive. Mais à quoi bon ? Il ne voyait aucune raison de cacher la vérité à Victor. Il était on ne peut plus concerné, après tout.
-Il voulait... t'examiner, dit-il. Il a remarqué... tu sais, ce qui fait de toi un candidat hors pair pour la carrière de barbare lanceurs de boules de feu, et qui t'as déjà permis de terrasser un lion et un loup. Il disait que ça se sentait à ton aura, que celle-ci était mouvante... Or, comme il travaille dans le domaine de la transmutation, de la métamorphoes, si tu préfères, ça l'intéressait, il aurait voulu étudier le phénomène. Il paraissait bien intentionné, mais j'ai refusé. Je n'aimais pas l'idée de te voir soumis à des expériences.

[Galathée]

" Oh." fit Victor, puis il sombra dans un mutisme songeur.
Il releva les yeux sur Taliesin, rétrécis, ouvrit une première fois la bouche, puis secoua la tête et continua à marcher. Il s'immobilisa cependant quelques pas plus loin.
" Tu ne penses pas que... Je ne sais pas si... On devrait essayer d'en savoir plus ? Si jamais... Si jamais j'étais dangereux pour toi, ou quoi ? Je ne sais pas... Je n'en sais rien."

[Taliesin]

Le barde s'immobilisa à son tour. Il ne s'était pas attendu à cette réaction de la part du gamin, et il était quelque peu dérouté, à présent.
-Je ne crois pas que tu sois dangereux pour moi, dit-il enfin. Tu n'as jamais été menaçant à mon égard, tu t'es toujours concentré sur l'ennemi... Si tu étais dangereux, tu n'aurais pas fait la différence...
Il se mordit la lèvre inférieur, mal à l'aise.
-Mais dans l'absolu, oui, je pense que ce serait important d'en savoir plus... Pourtant, je n'ai pas l'impression que ce soit le bon moment : le voyage qui nous attend va être rude, mieux vaut peut-être te reposer...
Il soupira.
-Et puis, de toute façon, je ne sais même pas si j'ai le droit de prendre une telle décision, Victor. Je n'ai aucune autorité légale sur toi... Galathée, elle, serait mieux à même de juger... Or, je n'ai pas la moindre idée de ce qu'elle en dirait, de ce qu'elle penserait si elle savait que je t'ai laissé examiner par un mage.

[Galathée]

Victor hocha la tête et sourit.
" Elle te dirait que c'est intolérable !" s'exclama-t-il en levant les bras au ciel.
Puis il rit.
" Je n'en crois rien. Elle te fait confiance. Elle te dirait que quoi que tu aies décidé, c'était la bonne chose à faire."
Il repartit.
" Mais tu as raison. On a encore plein de dangers à affronter pour la retrouver. C'est mieux si je sais briser des crânes et casser des os."
Captant le regard de Taliesin, son sourire s'élargit.
" Mais seulement avec ton accord."

[Taliesin]

Taliesin lui rendit son sourire, bien que la perspective de voir le petit garçon tomber sur l'ennemi à bras raccourcis ne le réjouissait guère. En revanche, celle d'éviter ces examens le soulageait quelque peu.
-On y réfléchira quand on sera tous les trois réunis... dit-il en lui emboîtant le pas. De toute façon, il n'est pas impossible que nous soyons amenés à revenir ici... Enfin, nous verrons bien...
Tandis qu'ils avançaient, il songea à l'auberge. Aux répétitions qui l'attendaient immanquablement. Il n'était pas exactement motivé...
-Dis-moi... fit-il alors, saisi d'une soudaine inspiration. Te sens-tu la force de faire quelques emplettes, histoire de dépenser notre trésor ? Ou préfères-tu rentrer directement ? C'est vrai que tu as déjà pas mal cavalé, aujourd'hui...

[Galathée]

" Non, non, j'suis pas si fatigué." fit-il avec le sourire. " On peut faire nos courses. Je sais pas trop de quoi on a besoin, mais j'imagine qu'un voyageur comme toi doit avoir tout en tête."
Disant cela, il avait pris la direction du marché en plein air, mais ils durent déchanter à l'approche de la clairière : les échoppes avaient disparu. Une elfe en maraude leur apprit cependant qu'ils pourraient trouver un rassemblement de marchands assez disparates et capables de combler leurs moindres désirs, à la fourche des trois érables, qu'elle leur désigna à grands renforts de geste. Mauvaise nouvelle : il fallait grimper. Les deux compères s'engagèrent donc dans les interminables escaliers qui menaient sous la canopée, au rythme d'une chanson improvisée par Victor, visant à leur donner du courage. Ensuite, ils parcoururent les passerelles protégées des hauteurs, croisant une foule beaucoup plus dense qu'au sol, jusqu'à parvenir au lieu-dit. L'elfe n'avait pas menti : plus d'une vingtaine de boutiques, de toutes les tailles et toutes les sortes, s'échelonnaient entre les branches. Il ne leur restait plus qu'à acheter le nécessaire.

HRP : tu as carte blanche, sens-toi libre d'improviser.

[Taliesin]

La première étape fut de trouver un joaillier acceptant de leur racheter une partie de leurs pierres précieuses. Dénicher une échoppe appropriée ne prit guère de temps ; et, après s'être mis d'accord sur les joyaux qu'ils vendraient et ceux qu'ils conserveraient - une gemme était moins lourde qu'un paquet de pièces d'or, et plus facile à cacher -, le barde laissant le libre choix en la matière à son jeune comparse, ils conclurent la transaction.
Ils passèrent ensuite aux choses sérieuses, à savoir reconstituer leur garde-robe, laquelle avait échappé au néant total grâce aux frusques prêtées par Borgporkniel, mais qui n'était toujours pas très fournie. Ils firent l'acquisition d'épais et confortables manteaux, de gants, de bottes neuves, mais aussi de chemises, tuniques et autres chausses, le tout d'excellente facture et propre à combattre les frimas de l'hiver. Évidemment, ils auraient pu moins dépenser, garder ce que leur avait fourni l'aubergiste demi-orque. Pourtant, Taliesin avait l'impression de reprendre un peu la main sur les événements, en achetant - et en portant - ses propres vêtements. Pas très pragmatique, mais leurs finances étaient bonnes, désormais. Alors, pourquoi s'en priver ?
Une fois à peu près certains que, même en cas de pépin, ils ne devraient pas finir leur voyage vêtus de simples feuilles, ils reconstituèrent leurs réserves de couvertures. Bien sûr, ils feraient une bonne partie du trajet avec le coche, mais mieux valait se montrer prévoyant : il se pouvait fort qu'ils soient à nouveau contraints de camper en pleine nature.
S'ils disposaient de tout le nécessaire en matière d'ustensiles de cuisine. Taliesin se procura cependant deux gourdes, lesquelles leur avaient fait défaut jusqu'ici. Puis ce furent deux sacs de voyage plus appropriés que ceux qu'ils avaient récupérés chez Ava, ainsi qu'un rouleau de cordes - au cas où. Ils conclurent leurs emplettes par un petit stock d'herbes médicinales : le barde n'était pas expert en la matière, mais l'apothicaire qu'ils rencontrèrent les conseilla bien volontiers.
-Est-ce que tu vois autre chose ? dit finalement l'elfe alors qu'ils quittaient la boutique.
Pour les armes - et les éventuelles armures - il pensait se rendre le lendemain ou le surlendemain à la forge de Miranda. L'arc et l'épée courts pris chez la sorcière étaient de bonne facture, mais Taliesin était davantage habitué aux armes longues... Et puis, les leur avaient appartenu à de malheureuses victimes tombées dans les filets de l'infâme gnome des profondeurs. Un équipement neuf lui éviterait d'éprouver un désagréable sentiment de pillard, de charognard, s'il était amené à s'en servir.

[Galathée]

Lorsqu'ils terminèrent leurs emplettes, la nuit était déjà tombée. Mille torches, brillant d'une clarté étrange, verte ou bleue, sans flammes, illuminaient les passages aériens de la cité. Victor n'avait plus d'idées et bâillait régulièrement, déambulant lentement sur les passerelles et les paliers de bois. Il était cependant impressionné par la beauté de la lumière autour d'eux, ses dessins fantastiques dans les branches nues, comme si les étoiles étaient tombées sur la forêt. Son estomac couina avec bruit et il décocha un sourire ensommeillé à Taliesin.
" Je crois que maintenant, je suis fatigué."

[Taliesin]

Le barde acquiesça.
-Alors rentrons de ce pas... dit-il, de bonne humeur. On a bien avancé... Plus que quelques détails, et on sera parés pour le départ.
Ils s'empressèrent donc de regagner le plancher des vaches, puis de se diriger vers leur auberge. Le barde aussi commençait à avoir grand faim. Et la fatigue se faisait sentir... Il ne répéterait probablement pas ce soir là, mais aurait largement assez du lendemain pour être prêt a affronter le prince et sa cour.
Ensuite... Ils pourraient se concentrer sur le périple à venir.

[Galathée]

Comme Taliesin ne se produisait pas ce soir-là, le Rendez-Vous des Moins-Que-Rien avait retrouvé une affluence normale pour la saison : la moitié des tables étaient occupées, exclusivement par des voyageurs non-elfes. Après que les deux compagnons aient déposés leurs emplettes dans leur chambre, Borgporkniel vint prendre commande de ce qu'ils désiraient manger. Comme de coutume, ils furent servis copieusement. Victor tombait littéralement de sommeil et il ne s'attarda pas dans la grande salle, laissant le loisir à Taliesin de le suivre ou de profiter d'un peu de tranquillité, voire de bavarder avec d'autres convives.

[Taliesin]

L'elfe le suivit sans tarder. Il était fatigué, savait que la journée du lendemain serait rude et comptait bien sur le renfort d'une bonne nuit de sommeil pour affronter répétitions et soirée mondaine. Il s'endormit presqu'aussitôt couché, et ne fit pas de rêves, du moins aucun qui lui laissa un quelconque souvenir.
A se coucher tôt, cependant, on court le risque de s'exposer à un réveil matinal. Taliesin n'y coupa. Il paressa quelques temps au lit, mais le travail à venir l'empêcha de se rendormir, et il descendit donc prendre son petit déjeuner sans tarder.
Les heures suivantes furent des plus monotones : il prépara son récital du soir, avec application, même si la motivation lui faisait défaut. Au moins, il eut la satisfaction d'étrenner la harpe que lui avait offert Victor, et de constater que le son était aussi mélodieux qu'il l'avait imaginé d'emblée. Il se concentra sans relâche sur des morceaux d'origine elfique, ne prenant qu'une petite heure de pause, aux alentours de mini, pour manger en compagnie de Victor.
Peu à peu, les ombres s'allongèrent, la lumière décrut, la nuit s'annonça. Bientôt, il lui faudrait prendre la route du palais.
Le côté positif, c'était que l'attente allait prendre fin et que, bientôt, cette formalité serait derrière lui...

[Galathée]

Le soir venu, Victor et Borgporkniel souhaitèrent bon amusement à Taliesin. L’un et l’autre semblaient persuadés que le barde s’en tirerait sans la moindre difficulté, suite à ses prouesses de l’avant-veille. Un peu plus tôt dans la journée, ils avaient appris l’arrivée du coche, et l’aubergiste s’attendait à ce que l’homme vienne se détendre chez lui dans la soirée. Victor avait promis de prendre les choses en main et de leur organiser le voyage. Il ne restait plus à Taliesin qu’à aller affronter le Prince et ses invités.

[Taliesin]

Avec un manque d'enthousiasme manifeste, bien qu'il fit effort pour se donner bonne figure, Taliesin quitta l'auberge et dirigea ses pas vers les portes de Loth Imarhil. Il avait hâte d'en avoir terminé : les achats du jour l'avaient replongé tout entier dans l'expédition qui s'annonçait, dans le sauvetage de Galathée dont l'absence, la situation inconnue rendaient plus difficile encore ces amusements mondains auquel il ne pouvait se soustraire mais qui ne lui apportaient pas une once de plaisir. Enfin, ce serait bientôt de l'histoire ancienne.
Une fois dans la cité elfique, il prit la direction du cercle magique et de son printemps perpétuel. Il ne savait pas exactement où se trouvait le palais mais se doutait qu'il devait être dans ces parages... Et qu'il ne serait pas très difficile de le dénicher. Ce n'était pas exactement le genre d'édifice qui passait inaperçu, même dans une cité majoritairement construite dans les arbres.

[Galathée]

En réalité, il était attendu dans l'herbe rase, par les deux elfes qui l'avaient convoqué la veille. Ils le saluèrent très courtoisement puis l'accompagnèrent vers l'arbre le plus impressionnant. Mais loin d'y monter, ils le contournèrent et parvinrent au coeur de la clairière dissimulée que formaient les arbres protégés. C'était un cercle d'herbe tranquille, de taille moyenne, au centre duquel brûlait un grand feu. En réalité, comme les autres lueurs de la ville, il n'y avait pas à proprement parler de flammes, mais plutôt une brume orangée et jaune qui dansait dans l'obscurité. Autour de ce foyer se trouvaient une petite dizaine de personnes qui devisaient dans la pénombre. Lorsque Taliesin entra, un jeune homme se leva et vint à sa rencontre. C'était un elfe de la lune encore très jeune, adolescent mais certainement pas adulte, il avait les cheveux noirs, les yeux gris perle, et un sourire sincère. Sa vêture était extrêmement bien coupée, dans un tissu bleu qu'on aurait dit piqueté d'étoiles et qui scintillait légèrement dans la nuit. Pourtant, il semblait dépouillé, presque modeste. L'elfe prit le barde par les mains et le salua sans cérémonie.
" Vous êtes là ! Merveilleux ! Avec une harpe ! Jirine joue de la flûte et Branwell a pris sa viole, j'espère que vous ne prendrez pas ombrage de nous improviser quelques morceaux en leur compagnie... Ils ne sont pas aussi bons que vous, mais..."
" Toron ! Je t'ai entendu !" s'exclama une jeune femme aux longs cheveux bleus en se levant.
" Je ne disais que du bien de toi, Jirine, mon amie."
" Bien sûr !"
Le prince entraîna Taliesin vers le "feu". D'entre tous, Toron était certainement le plus jeune, mais aucun des invités n'était d'âge mûr. Ils saluèrent leur invité de manière peu protocolaire. Toron lui avait déjà mis un verre entre les mains et il lui désigna une table dressée derrière eux.
" Vous pouvez aller vous servir. S'il vous faut une chaise, je peux en faire amener une. Nous mangeons par terre. C'est peut-être un peu barbare, mais c'est plus amusant."
De l'autre côté du feu, deux personnes s'étaient levées. La première tenait un luth, la seconde un tambourin, et ils entonnèrent une chanson plutôt joyeuse, qui leur attira applaudissements et sifflets, sans pour autant que les conversations ne s'interrompent vraiment.