[Lieu] Edhoras

[Galathée]

L'eau était glacée et le courant fort, mais le fond du ruisseau se révéla plus ferme que ce que Taliesin n'avait craint. Il se mouilla jusqu'à mi-cuisse, puis parvint à remonter sur la berge opposée, s'enfonça dans la boue, pataugea quelque peu, trouva une prise sur des roseaux et retrouva la prairie. Il ne restait qu'une centaine de mètres à franchir pour gagner le couvert des rochers, ce qu'il fit rapidement.
Comme il l'avait espéré, il trouva un espace relativement abrité entre quatre rochers adossés et empilés comme pour former une petite grotte. Il demeurait une sorte de table ou d'autel usé dans le fond, et il put enfin échapper à la pluie et au vent.

[Taliesin]

Oui, il devait bel et bien s'agir d'un ancien temple. En l'honneur de quelle divinité avait-il été construit ? Aucun moyen de le dire. Peut-être à un esprit de la nature... Qu'importe, au fond ? Ils avaient un abri, désormais, et c'était bien la seule chose qui comptait.
Quoi qu'il valait mieux ne rien négliger : les lieux consacrés gardaient longtemps la trace de celui qu'on y avait vénéré.
-Je viens humblement demander votre protection, pour moi et l'enfant qui m'accompagne, lança-t-il à tout hasard, d'une voix enrouée.
Ridicule... songea-t-il vaguement.
On ne sait jamais. Cela ne t'a rien coûté.
Il soupira, puis déposa doucement Victor sur la table de pierre. Il fallait l'examiner, à présent. Voir l'étendue des dégâts. Mais auparavant...
Incanter, une dernière fois.

Taliesin --> Soins légers --> Victor

Ce n'était pas grand chose. Un début, tout de même...

[Galathée]

Victor poussa un léger soupir lorsque la lueur argentée du sortilège l'engloba une seconde. Ses yeux papillonnèrent, mais demeurèrent clos. Sa respiration était ténue, son teint cramoisi, là où ses chairs n'étaient pas à vif. Malgré les soins, l'étendue de la blessure était terrifiante et c'était une chance pour l'enfant qu'il soit toujours inconscient. Les brûlures comptaient parmi les plaies les plus douloureuses qu'il soit, et il avait la joue et l'oreille droite, le bord de l'oeil, l'épaule, le bras et le haut de la poitrine purulents, rouge écarlate et sombre, noir et jaune visqueux. S'il y avait eu une amélioration magique, elle était imperceptible à l'oeil nu.
Le ciel, au dehors, s'était grisé sous la pluie. L'aube approchait, maigre réconfort.

[Taliesin]

Le cœur au bord des lèvres, pris d'un violent vertige, le barde se détourna, s'appuya sur l'une des parois de l'abri.
Il avait vu des choses horribles, au cours de son existence. Affreuses. Mais il lui semblait que rien, jamais, ne l'avait autant terrifié, autant empli de désespoir.
Si l'on exceptait les mercenaires qui ne leur voulaient certainement pas du bien, ils étaient seuls au milieu des immenses steppes de la Trouée des Chevaux. Seuls et sans le moindre équipement : sans armes ni provisions, sans couvertures ni vêtements secs, sans herbes médicinales... Rien, ils n'avaient rien.
Dans une cité, il aurait suffit d'amener Victor dans un temple pour qu'il soit immédiatement guéri, sauvé. Sans la moindre séquelle.
Ici... Ils avaient bien un temple. Mais pas de clerc. Lui-même était désormais incapable de lancer le moindre sort. Il aurait fallu qu'il dorme. Alors qu'ils étaient probablement pourchassés. Et dormirait-il ! Que pourraient des soins légers contre un tel massacre ?
Un tel massacre... Victor y réchapperait-il ? Les chances semblaient bien maigres.
Tout était de sa faute, encore.
Toujours.
La mort des Desmoulins. L'enlèvement de Galathée. Les mercenaires. Sa faute.
S'il n'avait jamais quitté Féérune... S'il était mort dans les geôles de Nwalk... Ou dans cette impasse où l'attendaient la rôdeuse et ses compagnes...
Il fut parcouru d'un violent tremblement, comme le découragement et la culpabilité le submergeaient, dévastateurs, impitoyables.
Non.
Il serra les poings.
Non.
Il n'avait rien voulu de tout cela. Il avait peut-être été maladroit, s'était laissé dépasser par les événements. Avait succombé, un temps, à la plus noire des folies. Mais jamais il n'avait désiré ce qui était advenu. Le sort s'était acharné, ne laissant aucune chance ni à lui, ni à ceux qu'il aimait.
Le sort. Le destin. Qu'importe le nom. Mais pas lui.
Il releva la tête, jeta un regard rageur aux prémisses de l'aube, tandis que des pensées tumultueuses lui emplissaient l'esprit, que des accusations, des imprécations grondaient, encore silencieuses mais désireuses de jaillir à la face du monde.
Ne maudis pas les Dieux. Pas dans un temple. Ni nulle part. Ne leur donne pas de nouveaux prétextes.
Il se frappa la cuisse du poing. Maigre exutoire.
Poussa un soupir tremblant.
Victor était encore vivant. Et lui-même, tout désarmé qu'il soit, n'avait pas encore dit son dernier mot.
Il allait leur montrer, à tous. Montrer à l'enfant qu'il ne l'abandonnait pas. Montre à Galathée qu'il était digne d'elle, qu'elle avait eu raison de le tirer hors des ombres. Montrer à qui voudrait le voir que, non, il ne faillirait pas. Plus.
Du moins, tant qu'il y aurait un espoir.
Et il y en avait un.
A pas lents, il regagna le fond de l'abri. Entreprit, doucement, de dépouiller le petit garçon de sa chemise, prenant bien soin de ne pas arracher les pans de tissu qui collaient encore à ses plaies. Puis il le recouvrit de son manteau, se pencha, déposa un baiser fugace sur son front brûlant.
Murmura quelques mots dont il prit à peine conscience.
Enfin, il s'assit contre l'autel, le regard rivé sur le ciel qui s'illuminait peu à peu.
Il devait dormir. Aussi risqué que cela fût. Compter sur sa vigilance pour s'éveiller en cas d'approche ennemie. Espérer qu'il n'y en aurait pas, qu'après quelques heures de repos, il serait à nouveau capable d'incanter. Alors, il soignerait encore le petit garçon, avec ses maigres moyens. Convoquerait une monture pour aller trouver de l'aide. Ou revenir au bivouac, qui sait.
Il aviserait en temps utiles...
Je m'en remets à vous, songea-t-il, presque à son corps défendant, ne sachant pas à qui s'adressait au juste cette prière muette.

[Galathée]

Les dieux qui habitaient encore le sanctuaire, ou le hasard, peut-être, prirent pitié de l'elfe et de l'enfant. Taliesin put dormir quelques heures. Une fois, il fut réveillé par un craquement, et aperçut un animal à l'entrée de sa grotte, une sorte de loup malingre au corps sec, regard noir, qui s'effraya de le voir ouvrir les yeux et détala dans l'herbe humide. Il s'éveilla à nouveau, plus tard. La pluie tombait toujours.
Derrière lui, Victor n'avait pas bougé d'un pouce.

[Taliesin]

Le barde ne se sentait guère reposé. Il avait des courbatures, la gorge sèche et irritée, les narines encore emplies d'une odeur de fumée et de chair brûlée. Mais il avait pu dormir, au moins, sans que les mercenaires ne viennent les débusquer. Et peut-être était-il à nouveau capable de lancer des sorts. Il n'allait pas tarder à le vérifier...
Il se leva, s'étira. Puis se tourna vers Victor, non sans appréhension. Il tendit d'abord la main pour soulever son manteau, examiner à nouveau le sinistre spectacle de ses brûlures. Préféra renoncer. Il regarderait après avoir tenté d'incanter. S'il s'était assez reposé, il pourrait le soigner à trois reprises. Peut-être que l'accumulation des sorts compenserait leur efficacité réduite...

[Galathée]

La fatigue était plus insidieuse que prévu. Taliesin avait le ventre vide, les émotions à fleur de peau, et il avait pris froid. Ses vêtements étaient humides, son corps transi, les quelques heures grappillées à dormir n'étaient que des onguents imparfaits contre les ravages de son épuisement.
Il lança son premier sort avec succès, mais buta sur le second, trop accablé. Alors qu'il s'apprêtait à réaliser une ultime tentative, il entendit un hennissement proche.

[Taliesin]

Il tressaillit.
N'avait-il s'agit que d'un bref répit ? Que d'une respiration avant l'acte final de cette pièce sordide dans laquelle il était engagé ?
Il frémit. Tenta de se reprendre. Ce pouvait être un simple voyageur, et non pas les mercenaires... La naïveté de la pensée le fit sourire malgré lui, mais il s'y raccrocha tout de même et, à pas de loups, courbé en deux, gagna l'entrée de l'abri. Il devait en avoir le cœur net. De toute façon, fuir était impossible : ils seraient immédiatement repérés, rattrapés...

[Galathée]

Deux cavaliers cheminaient sur la berge opposée, au petit trot. Les hommes qui les montaient semblaient scruter les environs, drapés dans d'amples capes sombres, mais ils ne s'arrêtèrent pas en repérant le sanctuaire de pierre. A la distance à laquelle se trouvait Taliesin, il lui était difficile de distinguer plus de détails. La pluie brouillait les couleurs, les visages, les intentions. Pourtant, il lui semblait que leurs chevaux étaient plus racés que ceux qui tiraient le coche des mercenaires. Mais c'était difficile à dire. Il les avait vus quelques minutes, dans l'obscurité, et n'était pas vraiment un expert. Aucune certitude.

[Taliesin]

Il hésita un instant puis se déplaça le plus discrètement possible, le regard fouillant l'obscurité.
S'il ne s'agissait pas des mercenaires...
Et bien quoi ? Irait-il demander de l'aide à des inconnus ? Après ce qui s'était produit ? Il se sentait incapable de faire confiance à qui que ce soit, désormais.
Pourtant, était-il vraiment en mesure de s'en sortir seul ? Avec un Victor si grièvement blessé, avec l'épuisement, la faim qui le tenaillait ?
Il avait été incapable de jeter deux modestes sorts d'affilée...
Savoir, d'abord. Essayer, du moins. Ensuite, aviser.

[Galathée]

Mais le temps que Taliesin trouve un nouveau poste d'observation, les cavaliers avaient déjà dépassé le vieux temple. Il vit leur silhouette s'éloigner sur la steppe, dans la direction opposée à celle dont il était arrivé avec l'enfant, la veille. Peut-être repasseraient-ils dans l'autre sens, peut-être pas. Le ciel était uniformément gris, le ruisseau était brun, charriant sa boue à gros bouillons. La pluie menaçait d'à nouveau le transir.

[Taliesin]

Le barde grimaça, indécis. Puis secoua la tête : il n'allait pas les interpeller. Trop d'incertitudes. Il pouvait s'agir de mercenaires qu'il n'avait pas encore vu. Il pouvait aussi s'être trompé sur la nature de leur monture : dans l'obscurité, sous la pluie, cela n'aurait rien eu d'étonnant. Et même s'il s'avérait que les cavaliers n'étaient pas de ses ennemis : compte tenu de la direction par laquelle ils étaient venus, il était probable qu'ils aient découvert le bivouac. Si les brigands s'y trouvaient encore, il avaient pu leur raconter des histoires, parler d'un fou qui les avait attaqués puis enlevé l'enfant qui voyageait avec eux...
Peut-être auraient-ils pu t'aider...
La pensée le tenailla comme il regagnait leur abri de fortune. Mais il fit effort pour la chasser. Cela ne servait à rien d'y penser : il était trop tard pour leur faire signe, de toute façon. Il allait tenter d'incanter, à nouveau, pour soigner Victor. Puis essayer de trouver le sommeil. Le lendemain, il convoquerait une monture, gagnerait le bivouac. S'il était vide, il fouillerait les décombres. S'il était occupé... Il détalerait au triple galop. Le coursier fantôme était infatigable, le terrain boueux, traître, ne l'handicaperait pas. Il distancerait ses poursuivants, gagnerait alors Edhoras, La ville était vaste : on devait bien y trouver un clerc.

[Galathée]

Le barde parvint à lancer son nouveau sort sans se tromper mais à nouveau, son effet demeura à peine perceptible. Sans doute parvenait-il tout juste à contenir l'infection qui s'était développée pendant la nuit, s'immisçant directement dans l'organisme de Victor via toute cette chair exposée, mille canaux d'entrée sans défense aucune. L'état de l'enfant pouvait rester stationnaire grâce à sa magie, mais il jouait contre le temps, le temps de se reposer, de retrouver assez d'énergie pour lancer ses sortilèges, de se rapprocher un peu plus des frontières sinistres de la mort.

[Taliesin]

Taliesin frémit, chancela presque devant la gravité de la situation. Devant l'ampleur de son impuissance, aussi. Il ne pouvait pas se protéger lui-même : ni contre le froid - son briquet lui était inutile, en l'absence de bois sec - ni contre la faim. Comment, alors, aurait-il été capable de protéger le petit garçon contre ce qui le rongeait ?
Il serra les dents. Serra les poings. Tant qu'ils étaient tous les deux vivants, rien n'était perdu.
Tant que... Mais combien de temps cela durerait-il ?
Il s'assit à nouveau contre l'autel. Se recroquevilla, genoux contre la poitrine, pour tenter de réprimer les tremblements que lui causaient les frimas et l'humidité. Essaya de nier son ventre qui criait famine.
Dormir encore un peu. Il ne pouvait rien faire, dans l'immédiat. Trop faible... Après avoir pris une ou deux heures de repos, il convoquerait un coursier, se mettrait en route pour regagner, à bride abattue, la civilisation.
Et s'il attrapait la fièvre ? S'il perdait sa voix ? S'il était incapable de lancer le moindre sortilège ?
Alors, il marcherait...
La belle blague.

[Galathée]

Sans doute la pensée du coursier providentiel était-elle obsédante car des chevaux peuplèrent ses rêves, galopant dans la steppe, sur les pavés d'une ville inconnue, sur la mer, dans le ciel, même, un ciel sombre et chargé.
Puis le son des sabots se fit plus réel, plus proche, étouffé par la boue. Taliesin s'éveilla en sursaut et aperçut le poitrail d'une bête, dans l'espace ouvert de son abri rocheux.
" Il y en a un à l'intérieur." fit une voix masculine qu'il ne connaissait pas, assourdie.
" Sors de là, mon gars, et tout se passera bien !" fit un second homme.
Aucun des deux ne lui était familier.

[Taliesin]

Il aurait pu rêver sommeil plus réparateur... et réveil moins brutal.
Il se leva tant bien que mal, les membres aussi engourdis que son esprit, lequel peinait à aligner deux pensées cohérentes d'affilée.
Tout était fini : il était pris.
Mais pris par qui ? Cela pouvait faire toute la différence. Il ne reconnaissait pas leur voix : ç'aurait pu être un signe encourageant. Mais il venait d'apprendre, d'une douloureuse manière, à se défier des apparences...
Une seule chose était sûre : amis ou ennemis, il ne se livrerait pas. S'il sortait, il serait à leur merci. Dans l'abri aussi, bien sûr. Toutefois, il aurait peut-être le temps d'incanter avant qu'ils ne le capturent ou ne l'abattent.
-Les dernières personnes auxquelles je me suis remis ont massacré mes compagnons de route et enlevé mon enfant... croassa-t-il d'une voix terriblement enrouée. Vous comprendrez donc, je gage, les réticences que j'éprouve à me livrer à nouveau. Surtout à des inconnus.

[Galathée]

Les deux cavaliers se consultèrent à voix basse, Taliesin les entendit murmurer sans pouvoir distinguer ce qu'ils disaient.
" Si vous êtes innocent, sortez donc. Vous n'aurez rien à craindre de nous. Si vous ne l'êtes pas... L'un dans l'autre, vous n'avez pas le choix. Ne nous obligez pas à venir vous chercher." fit le premier.
" La violence n'est en rien nécessaire."

[Taliesin]

Le barde ne put réprimer un sourire cynique.
-Oui, la violence n'est pas nécessaire. C'est ce que je leur ai dit, quand ils nous ont pris. Leur réponse ? Un carreau d'arbalète dans la gorge du marchand manostien...
Il soupira. Tenta de mettre de l'ordre dans ses idées. Innocent, coupable ? S'agissait-il de représentants d'une autorité quelconque ? Ce pouvait aussi être un piège : on voulait qu'il sorte pour l'attraper, l'immobiliser, le priver de tout moyen de défense...
Et cela, c'était hors de question. Il était à bout, sans armes, mais ne se laisserait pas prendre sans lutte.
Pourtant, s'il s'agissait de soldats, de patrouilleurs ou que savait-il encore, son attitude rebelle ne pourrait qu'attiser leur méfiance à son égard...
Il soupira de nouveau, ferma les yeux. Puis fit un pas en avant.
Tant pis. A bas le faux orgueil : il serait incapable de protéger Victor, même en restant à l'intérieur. Autant se réfugier dans cette confiance stupide en autrui, cette confiance qui l'avait amené là où il était. C'était sans doute une erreur. Mais, au moins, ce serait la dernière.
-Je sors, dit-il, fataliste.
Et advienne que pourra.

[Galathée]

Les deux hommes étaient toujours en selle, à quelques mètres de l'entrée du temple. Ils étaient vêtus à l'identique, armure de cuir sombre sous un grand manteau vert à capuche, retenu à l'épaule droite par un écusson représentant un cheval cabré. L'un des deux tenait un arc bandé qui visa Taliesin dès son apparition. Leurs visages étaient curieux, peut-être un peu tendus, mais pas franchement agressifs.
" Voilà qui est plus raisonnable." fit celui qui n'était pas visiblement armé. " Vous êtes seul là-dedans ?"
Il sauta de cheval et s'approcha d'un pas, tentant de jeter un oeil par dessus l'épaule du barde.

[Taliesin]

Il faillit faire un pas de côté pour masquer l'intérieur du temple. Se retint de justesse et demeura immobile, les mains bien en évidence.
-Non. Il y a mon garçon. Il est grièvement blessé.
Il s'agissait de soldats. C'était déjà ça...
A bien y réfléchir, pourtant, y avait-il la une réelle raison d'espérer ? La prime probable offerte par Kanter pour sa capture pouvait avoir été annoncée publiquement, de manière tout ce qu'il y avait de plus légale. Les autorités étaient peut-être à sa recherche tout autant que les mercenaires.
Auquel cas... Il doutait qu'on l'envoie à Luménis pour être traduit en justice. Ithilion était une destination bien plus probable...

[Galathée]

Les deux hommes échangèrent rapidement un regard.
" Restez ici et ne bougez pas." fit le premier soldat. " Si vous faites l'imbécile, Galen devra tirer."
Il regarda Taliesin pour être certain qu'ils s'étaient bien compris, puis entra dans le temple. Il poussa ensuite un juron phénoménal et ressortit, blême.
" On va pas pouvoir le transporter dans cet état." lâcha-t-il après s'être rafraîchi le visage à l'eau de pluie. " Il faudrait que tu retournes au camp chercher au moins Hugo et un cheval de plus."
" Tu vas rester tout seul avec lui ?" fit l'autre, incrédule.
Le soldat plissa le nez, puis dévisagea Taliesin. C'était un jeune homme d'environ trente ans, bien bâti, le cheveu noir et les yeux clairs.
" Je vais vous attacher." dit-il alors à Taliesin. " C'est une mesure de sécurité. Dès que les choses seront tirées au clair, je vous libérerai."

[Taliesin]

Le barde hésita un instant, puis acquiesça.
-Tout ce que vous voudrez, dit-il, sincère. Et si cela peut vous rassurer davantage, bâillonnez-moi. Si vous pouvez vraiment l'aider... le reste n'a aucune importance.
Il se sentit sur le point de flancher. Il oscillait entre l'envie de s'en remettre à eux, entièrement, de se raccrocher aux apparences, à leurs bonnes intentions quant à Victor. et une méfiance viscérale contre ces inconnus, contre des dehors trop souvent trompeurs.
Il oscillait, mais ne choisit pas. Se laissa faire, simplement. Il n'avait de toute façon pas le choix. Et il n'avait pas menti : s'il y avait ne serait-ce qu'une chance pour qu'ils désirent véritablement soigner le petit garçon... Il était prêt à tout endurer.

[Galathée]

" Je ne crois pas que ce soit nécessaire de vous bâillonner, si ?" fit le soldat en sortant des liens en cuir de sa poche.
Il invita Taliesin à se retourner puis lui attacha rapidement les poignets dans le dos. Il lui fit ensuite signe de rentrer sous les rochers du temple, car le ciel grondait.
" File, maintenant." dit-il à son collègue, avant de rejoindre le barde à l'abri.
L'autre cavalier rangea son arc, puis détala dans l'herbe humide. Le jeune homme rejoignit alors Taliesin.
" Vous faites mieux de vous asseoir, il en a probablement pour une bonne heure."
Il fit le tour du temple, attentif.
" Vous n'avez rien du tout, ici... Comment espériez-vous vous en tirer ?"

[Taliesin]

Taliesin luttait contre l'angoisse que faisait naître en lui les entraves qui liaient ses poignets, le ramenant à sa complète impuissance et à des souvenirs qu'il aurait préféré oublier, surtout en ces instants ou l'épuisement pesait de tout son poids sur ses épaules.
Il fit effort pour se concentrer sur les paroles du soldat, lesquelles lui arrachèrent un sourire triste.
-Ceux qui s'en sont pris à nous ne m'ont pas vraiment laissé l'opportunité de récupérer armes et bagages... fit-il. Nous en sommes sortis vivants, ce qui est déjà miraclueux... Mais je ne comptais pas demeurer ici : j'espérais pouvoir gagner Edhoras, ou n'importe quelle bourgade plus proche, pour trouver du secours...

[Galathée]

Le soldat acquiesça, songeur. Il se rapprocha de Victor, puis recula avec une petite grimace.
" Nous allons vous ramener à Rohan." dit-il finalement. " Mais nous devrons confronter votre histoire avec celles des autres témoins."
Il frissonna une seconde.
" Honnêtement, je ne sais pas ce que va dire Hugo, mais... Je ne suis pas certain que ce gosse va tenir le coup... Il est salement amoché..."
Il se mordit la lèvre inférieure.
" Il va peut-être préférer qu'on attende qu'il s'éteigne avant de bouger."

[Taliesin]

Confronter son histoire avec celles des autres témoins... L'idée aurait dû le rassurer. Pourtant, il n'en était rien. Que vaudrait la parole d'un bourreau, d'un forçat évadé, d'un monstre en fuite ?
La dernière remarque du soldat chassa cependant toutes ces considérations. Le glaça d'effroi.
-J'espère, alors, que je parviendrai à le convaincre de bouger tout de même, fit-il. Si Victor devait s'éteindre...
S'éteindre. Pour un brûlé.
Il faillit éclater de rire. Parvint à se contenir, horrifié. Il ne fallait pas qu'il bascule. Pas maintenant. L'enfant était en vie. Il ne pouvait pas mourir. Il refusait d'envisager la chose ne serait-ce qu'un instant.
-S'il cela devait arriver, reprit-il, dans un souffle, je ne suis pas certain d'être encore en état de répondre à vos questions.

[Galathée]

Le soldat opina du chef, les lèvres pincées, puis haussa les épaules, manifestement embarrassé.
" Enfin, j'y connais rien, c'est pas ça." dit-il, comme pour se défendre.
Il retourna vers l'entrée du temple, scruter les environs, silencieux, puis revint vers l'elfe et l'enfant. Il s'arrêta devant Taliesin, s'agenouilla et sortit une flasque de sa ceinture.
" Buvez un coup, ça vous fera du bien." fit-il en approchant le récipient de ses lèvres.

[Taliesin]

Le barde n'était pas sûr que l'alcool lui ferait du bien. Dans son état, épuisé et à jeun, il serait ivre en un rien de temps. Et l'ivresse n'était ni bonne conseillère, ni propice aux pensées cohérentes, surtout en pareille situation.
Mais il était gelé et la perspective d'un semblant de chaleur finit par vaincre ses réticences. Il s'exécuta donc. Avec parcimonie, cependant.

[Galathée]

Le breuvage, un tord boyaux sans saveur, lui réchauffa efficacement les entrailles et il réalisa qu'il frissonnait, sans s'en rendre compte, depuis des heures sans doute. Ensuite l'attente reprit. Le soldat faisait les cent pas, répugnant à s'approcher de Victor. Ce dernier demeurait inerte, sa poitrine se soulevant à peine.
Après une éternité, le galop des chevaux retentit à nouveau, résonnant d'éclaboussures. Deux silhouettes s'encadrèrent bientôt dans l'entrée de la pseudo-caverne : le soldat que Taliesin avait déjà rencontré et un homme un peu plus âgé, à la mine encore plus sauvage, qui n'était que cuirs et fourrures. Il portait une épée courte au côté, un carquois à l'épaule droite, et un faucon au regard acéré était perché sur la gauche.
Il jeta un regard froid à Taliesin, un autre à peine plus amical au soldat qui le gardait, puis marcha droit sur Victor. Sans paraître dégoûté le moins du monde, il posa deux doigts sur sa gorge, lui leva le bras valide et le laissa retomber mollement.
" Il est foutu." fit-il en se relevant. " Deux heures au plus."

[Taliesin]

Le cœur de Taliesin marqua un temps d'arrêt, et sa vue s'obscurcit comme un violent vertige le saisissait, le faisant s'affaler contre la paroi de pierre, sans que le monde cesse pour autant de tourner.
Foutu.
Deux heures.
C'était impossible. L'autre devait se tromper. Avait pris les choses à la légère, ne se sentant pas concerné...
Lutter, encore, contre le désespoir qui lui nouait les entrailles et lui enserrait la gorge, l'empêchant presque de respirer.
Lutter, encore. Se raccrocher à un espoir.
Quel espoir ?
-Vous ne pouvez pas l'enterrer si vite ! protesta-t-il avec véhémence. Il doit bien y avoir un clerc dans les parages, auquel on pourrait l'amener ! Et des moyens de le faire tenir pendant le trajet. Si vous en êtes incapable, détachez-moi : je peux lui faire des soins légers, ce sera déjà mieux que rien...