[Lieu] Edhoras

[Galathée]

Emeraude avait perçu son trouble et elle lui conseilla à nouveau de dormir. Elle lui proposa de mâcher quelques feuilles de valériane pour se détendre, les lui fourra dans la main d'autorité, puis lui proposa de vérifier la plaie de Victor elle-même. Elle pourrait le réveiller au besoin. Bien sûr, elle ne disposait pas de sa vision d'elfe, mais si elle avait un doute, elle pourrait toujours lui poser la question.

[Taliesin]

L'elfe regarda les feuilles, hésitant. Il avait peur de perdre une partie de ses moyens, s'il les mâchait. Mais... ne les perdrait-il pas progressivement, à se ronger ainsi les sangs ? Et... Ce n'était pas une très grosse quantité...
Il décida donc de les prendre mais, avant, insista pour montrer à nouveau la plaie à l'agent, insista sur ce qu'il avait pu noter comme changement, comme différence dans la teinte la fois précédente. Sans doute en fit-il un peu trop, mais il n'était pas vraiment en état de s'en rendre compte.
Puis, après lui avoir fait promettre de le réveiller en cas de doute, même infime, il se rencogna sur la banquette, le goût de la valériane emplissant sa bouche. Dormir n'était peut-être pas la chose la plus prudente à faire, mais c'était le seul moyen, peut-être, de récupérer assez pour ne jamais être incapable de lancer des sorts.

[Galathée]

Il dut lancer encore une fois un sort avant la fin de la nuit, puis le jour se leva, maussade et brumeux, mais pour une fois sec. L'air était cependant humide, le vent soufflait, et il faisait glacial. Dans le coche, les respirations se teintaient de buée blanche. Même celle de Victor, infime trace immaculée qui grimpait vers le plafond. Emeraude leur servit à tous du bouillon froid, qui dégoulina sur les joues du petit garçon plus qu'il ne le nourrit. Mais Taliesin l'entendit déglutir, il n'était pas au plus profond. Ils avaient atteint la route principale depuis déjà un certain temps, elle était plane et bien entretenue, ils avaient pris de la vitesse. Mais le coche conservait une allure modérée, sans doute pour préserver les chevaux qui ne connaîtraient pas de repos avant leur arrivée à destination, le lendemain. Il fallait prendre son mal en patience, s'occuper l'esprit ou dormir.

[Taliesin]

Taliesin opta pour dormir. Tant qu'il le put. Avec obstination. Toujours dans le même but : ne jamais être à cours de sortilèges.
Heureusement, il était épuisé, et ce n'était pas les quelques heures de sommeil auxquelles il avait eu droit, dans le temple, la tente ou le coche qui l'avaient requinqué. L'exercice s'avérerait de plus en plus difficile, cependant, au fur et à mesure que le temps passerait, que l'angoisse irait grandissante. Il était même prêt à recourir à la valériane, au besoin : le tout était de rester capable d'incanter, de reconnaître les changements de couleur de la brûlure...
Voir le souffle de l'enfant, l'entendre déglutir l'avait rassuré, bien sûr. Un peu. C'était les signes tangibles d'une vie encore bien présente, malgré le corps dévasté qui l'abritait. Il s'y raccrochait donc avec force, dans ses moments d'éveil... Avec la peur presque panique de les voir s'atténuer.
Ou disparaître.

[Galathée]

Et les heures s'égrenèrent, veille, sommeil, veille, sommeil, Taliesin ne parvenait pas réellement à se reposer, tout juste à rassembler suffisamment d'énergie pour un sort de plus, au compte-gouttes. L'état de Victor était stable tant que l'elfe parvenait à le récupérer chaque fois que sa blessure se détériorait. En milieu de journée, cependant, il fut pris de tremblements et devint fiévreux. Face à ce subit changement, Emeraude fit arrêter le coche et Hugo vint leur rendre visite dans la pénombre du véhicule. Il ne desserra pas les lèvres en examinant l'enfant, se contenta de lancer un regard noir à Taliesin, mais son attitude rigide révélait qu'il n'était pas très heureux de ce qu'il était en train de découvrir.
" Lancez en deux maintenant." dit-il au barde. " Puis priez. N'importe qui. Ce sera mieux que rien. Nous nous arrêterons dans quelques heures et je devrais pouvoir trouver de quoi travailler. Faites-le tenir jusque là."
Puis il sortit.

[Taliesin]

Sitôt Hugo parti, le barde se mit à trembler..
Deux fois...
Il ne pourrait pas... Trop dur... Plus en état...
Il serra les dents. Serra les poings si fort que ses ongles s'enfoncèrent dans sa chair, jusqu'au sang.
Ne pas craquer, pas maintenant.
Il prit une profonde inspiration. Une seconde. Leva les mains et tente d'incanter, presque rageur. Il réussit à le faire une fois. Mais la deuxième...
Il sentait les courants de la magie le fuir, se dérober, et l'effort de concentration qu'il devait fournir pour les retenir était tel qu'il fut pris de violentes migraines, de dangereux tournis, comme le sang battait à ses tempes, assourdissant.
Le moindre de ses muscles tendu à craquer, il articula les paroles, inlassable, désespéré, détachant chaque syllabe avec peine.
Il réussit, cependant. Un bref instant, le petit garçon fut entouré d'une aura lumineuse.
La seconde suivante, Taliesin s'affalait sur sa banquette, tremblant comme une feuille, au bord des larmes.
Sans vraiment y réfléchir, obéissant mécaniquement au rôdeur, il adressa une prière à Corellon, ainsi qu'on lui avait appris à le faire, autrefois. Mais lorsqu'il releva la tête, fixa le ciel gris, au dehors, ce fut vers une autre entité qu'il tendit son esprit, suppliant.
Vous m'aviez dit que vous m'oublieriez... songea-t-il. Mais... Si vous pouviez vous souvenir de moi, un instant, un seul... Sauvez Victor. Sauvez mon fils. Je suis indigne d'une telle demande, je ne le sais que trop bien... Mais ne le faites pas pour moi : faites-le pour lui. Je n'ai jamais voulu qu'il endure tant de souffrances. Il ne l'a jamais mérité. Jamais. Par aucun de ses actes. Il... Il ne faut pas qu'il soit puni pour ce que j'ai commis, moi... Il...
Le ridicule de son attitude lui apparut un instant, fugace : un elfe s'adressant à Lathandre... Et c'était même pire que cela : il n'avait jamais été pieux, n'avait jamais rien attendu des dieux. Il les avait honorés, comme tout un chacun, pas plus ni moins que ce que l'on pouvait attendre d'un profane. Et voilà qu'il priait, avec ferveur, sinon avec conviction... C'était risible.
Risible et indigne. Comment pouvait-on écouter quelqu'un comme lui ? Comment osait-il demander de l'aide, lui, le bourreau, le Monstre ? Comment pourrait-on accorder une vie à celui qui en avait tant pris, de si horrible manière ?
Mais il chassa cette pensée. A qui se raccrocher, à présent, sinon aux dieux ? A un dieu qui, quelques mois auparavant, avait croisé sa route. S'était montré bienveillant... Le dieu des nouveaux départs. Des deuxièmes chances.
Qui l'avait absout.
Et il pria. Sans savoir combien de temps. Les poings serrés, les yeux aveugles au paysage qui défilait, trop lentement, inconscient des larmes qui traçaient des sillons clairs sur son visage crasseux.
Il pria... Puis il s'effondra, brutalement vaincu, soufflé par la tension, l'angoisse, l'épuisement.
Trop. Trop pour un seul être, en trop peu de temps.
Il n'avait pas les épaules pour supporter tout ça. Ne les avait jamais eues...

[Galathée]

Emeraude tenta de canaliser sa détresse, mais Taliesin s'était enfoncé dans un gouffre d'où il était difficilement accessible. Elle se contenta donc de lui jeter une couverture sur les épaules, posa une main sur son épaule secouée de spasmes, et se mit à chanter d'une voix grave, apaisante.
Pour le barde, les heures suivantes apparurent comme brouillées, mélange d'éveil et de sommeil, marqués par l'angoisse qui lui comprimait le coeur et l'esprit. Ses larmes se teintèrent de rage, d'effroi, puis d'épuisement, ses pensées n'avaient plus de réelle cohérence. Par moments, il avait l'impression que le coche empestait la chair brûlée, à d'autres que son propre corps était en proie à un feu intérieur, insoutenable. Toutes ces ténèbres. Aucune voie de sortie. Juste l'inexorable. Car rien ne tournerait comme prévu.
Puis il retomba, le souffle court, désorienté.
Etait-ce le jour, la nuit ? Le coche cheminait toujours. Victor était allongé non loin, un linge humide sur le front, la bouche entrouverte, le visage couvert de pansements. Emeraude chantait toujours.
Il y avait un petit son, répétitif, infime. Quelque chose qui roulait sur le sol, heurtait une paroi du coche, repartait dans l'autre sens, et ainsi de suite, éternellement. De droite à gauche et de gauche à droite. Quand on l'avait perçu, il devenait obsédant, impossible à repousser. Agaçant, peut-être. Un instant, Taliesin se sentit arraché à ses tourments tandis que son esprit roulait sur le plancher du coche, avec l'objet baladeur.

[Taliesin]

Il fallait que cela cesse. Et vite. Ce bruit incessant menaçait de le rendre fou, s'il ne l'était pas déjà, accaparant le peu d'idées cohérentes qu'il parvenait péniblement à aligner, l'empêchant de penser à quoi que ce soit d'autre
Inspirant, expirant à plusieurs reprises, pour se concentrer un tant soit peu, l'elfe finit par se pencher, le regard trouble, la main déjà tendue, cherchant entre les banquettes l'objet à l'origine de cet affreux son...

[Galathée]

Taliesin referma sans peine les doigts autour de l'objet et le reconnut avant même de le lever devant ses yeux. En bois clair, long d'un demi-pied à peine, c'était un petit pipeau d'apparence quelconque, indigne d'un barde de son talent. Ou peut-être pas.

[Taliesin]

Il fit tourner le petit instrument entre ses doigts, le fixant d'un regard vaguement incrédule. Que faisait-il là ? IL aurait dû se trouver dans le sac de Victor ou dans l'une des poches de son manteau, celui dont l'avaient dépouillé les mercenaires. Bien sûr, il n'était pas impossible que le pipeau soit tombé lorsque le gamin avait quitté le coche, qu'il se soit coincé sous une banquette, qu'un cahot du véhicule l'ait libéré...
Peut-être en avait-il été ainsi. Ou peut-être pas. Dans tous les cas, il l'avait à présent entre les mains, Et malgré ses pensées confuses, chancelantes, tourbillonnantes, il lui trouva un usage immédiat.
-Veuillez me pardonnez ce qui va suivre... murmura-t-il à l'intention d'Emeraude. Cela va vous paraître étrange, déplacé, mais je vous assure que... que je n'agis pas sans raison.
Puis, sans plus tarder, essayant de maîtriser les tremblements de ses doigts, de son souffle mal assuré, il entreprit de jouer "Les damoiselles d'Eauprofonde". Oui, la chose pouvait sembler des plus incongrues... L'avantage de son état, cependant, c'est qu'il faisait les choses davantage par instinct que par réflexion, sans réellement se poser de questions. Il avait le pipeau. Connaissait un air utile... Il ne pensait pas plus loin, l'interprétait de son mieux, espérant l'apparition d'il ne savait quoi.
Mais espérant son apparition tout de même.

[Galathée]

Emeraude ne dit rien, ne l'interrompit pas, mais son visage se para une seconde d'une expression incrédule. Puis il y eut une brusque explosion de lumière à l'intérieur du coche, un instant, comme Taliesin arrivait en bout de mélodie.
Un sac de toile était désormais posé sur le siège entre eux, jaune d'or, étrangement propre dans l'univers sombre et boueux qui était le leur depuis plusieurs jours. La vieille femme ne dit rien, se contentant de lever un regard curieux sur l'elfe. Le sac contenait trois choses : une potion bleu sombre dans une fiole scellée de cire, un onguent crémeux dans un pot de terre cuite, et ce qui était, sans nul doute possible, une bouteille d'un grand cru elfique que Taliesin reconnut sans mal : c'était l'un des meilleurs qu'il ait jamais goûté, autrefois, à la Cour où il avait résidé.

[Taliesin]

Le barde garda les yeux rivés sur le contenu du sac, à la fois soulagé et pantois. Le pipeau, fidèle à son habitude lorsqu'on jouait le bon morceau, lui avait donné de quoi faire tenir l'enfant, indéniablement : la fiole, l'onguent... C'était inespéré. Tellement, au vu des derniers événements, qu'il avait du mal à le croire. Et la bouteille ne faisait qu'augmenter son trouble. Certes, on ne pouvait que raffoler de ce cru, une fois qu'on y avait goûté;.. Mais il n'y avait certainement pas songé en jouant... Etait-ce pour le requinquer, lui ? Etait-ce destiné à Victor, au moins en partie ?
Il haussa les épaules. Ce n'était pas le plus important, et rien ne les empêchait d'en boire tous les deux.
Il reporta alors son attention sur le ciel, au dehors, afin d'avoir une idée du temps qui s'était écoulé depuis qu'il avait lâché prise. Puis il se pencha sur le petit garçon, souleva le carré d'étoffe masquant la brûlure qui lui servait d'indicateur. Il devait savoir, impérativement, s'il convenait de s'arrêter dans l'instant, pour lui dispenser des soins, où s'ils pouvaient continuer leur route encore un moment...

[Galathée]

Il faisait presque nuit.
Victor était toujours brûlant de fièvre et sa respiration s'était accélérée. Il frissonnait par moment, la partie apparente de son visage se contractait en une grimace de temps en temps, lui arrachant un gémissement ténu. Lorsque Taliesin souleva le carré de tissu, il découvrit une plaie purulente, couverte de liquide jaune verdâtre, qui sentait la décomposition et paraissait dégager une sorte de vapeur. Emeraude, penchée sur son épaule, ne put retenir un léger sursaut.

[Taliesin]

Le barde, lui, ne put réprimer un hoquet d'horreur.
Mais il se contint. Se pencha sans tarder au dehors.
-Arrêtes-vous ! lança-t-il. Hugo, nous avons besoin de vous, vite !
Il aurait pu faire boire la potion à Victor dans l'instant. Mais il préférait ne pas tenter l'opération tant que le coche était en marche. Et sans doute le rôdeur parviendrait-il à lui faire ingurgiter davantage de liquide qu'eux... S'il tardait, cependant, il s'en occuperait lui-même.
Quant au baume... Il s'en sentait incapable. Pourtant, s'il le fallait, il ne se déroberait pas.
Mais il n'y avait aucune raison que Hugo ne vienne pas, aussi fataliste soit-il quant au dénouement de leur petite équipée...

[Galathée]

Le coche s'immobilisa rapidement et la porte s'ouvrit sur Hugo, de méchante humeur.
" Nous n'avons pas le temps !" s'insurgea-t-il en préambule.
Puis il aperçut ce que Taliesin avait dans les mains.
" Bougre de bouse de poulain !"
Il lui prit l'onguent, le renifla et le lui rendit.
" Qu'est-ce que vous attendiez ?! Qu'il soit gangréné jusqu'à la racine des cheveux ?! Parbleu ! Je ne sais pas ce qui me retient de vous botter le cul jusqu'au sang !"
Il retourna à la porte du coche.
" On s'arrête une heure." cria-t-il. " Apportez moi cette lanterne."
Une lueur s'approcha, il s'en saisit, puis referma la porte.
" Foutez-le à poil. Au galop."

[Taliesin]

Le barde lorgna l'enfant, lorgna la fiole... puis posa celle-ci bien en évidence devant le rôdeur.
-Jetez un œil à ça pendant qu'on le déshabille. J'ai dans l'idée que lui faire boire en premier lieu pourrait être une bonne chose.
Sans perdre plus de temps, mais avec précaution, il débarrassa le petit garçon de la couverture qui le couvrait, puis des vêtements qu'il portait encore. Ne restèrent bientôt plus que ses bandages... Il hésita un instant, mais s'attela à la tâche, anxieux, attentif à mesurer ses gestes, à ne pas arracher les pansements mais à les retirer le plus délicatement possible...

[Galathée]

Hugo avait enduit le corps de Victor d'une mixture de sa composition et Taliesin réalisa qu'aucun tissu n'adhérait aux plaies. Il put donc les retirer avec une relative aisance. Le rôdeur, par contre, s'était immobilisé et lorsque l'elfe en eut fini, il se retrouva nez à nez avec l'homme qui le fixait, furieux, la fiole entre les doigts. Mais cette fois, Hugo n'explosa pas. Il demeura silencieux, scrutateur.
" On va dire que c'est le choc." grommela-t-il finalement. " La prochaine fois, tâchez de vous faire un aide-mémoire."
Il alla vers le visage de Victor, glissa une main sous sa nuque, puis la potion entre ses lèvres. Taliesin entendit quelques bruits de déglutition rapides, le corps de l'enfant tressaillit, puis l'effet fut instantané et spectaculaire. En quelques secondes, les plaies changèrent de couleur, rosirent, la surface brûlée rapetissa sensiblement, libérant une peau cicatricielle boursouflée mais manifestement en voie de guérison. Il restait une large zone à vif, mais le rôdeur la badigeonna d'onguent sans attendre.
" Mettez deux couches de couverture aux fenêtres, on va le laisser exposé un moment mais il ne faut pas qu'il prenne froid. Je vais nous chercher de quoi manger. Nous avons droit à une pause."
Puis il sortit. Emeraude poussa un profond soupir.

[Taliesin]

Le barde demeura immobile un instant, contemplant, plus dérouté que jamais, l'incroyable résultat obtenu en quelques instants seulement, grâce aux dons du pipeau. Incroyable, c'était bien le mot, et il se frotta plusieurs fois les yeux du revers de la main, pour s'assurer qu'il ne rêvait pas. Il délirait peut-être encore, assis sur sa banquette...
Mais tout cela avait l'air bien réel. Jusqu'au verre froid de la bouteille, dans sa main. Un grand cru elfique parfaitement incongru, ici, au milieu de nulle part...
-Vous direz à Hugo que je n'avais pas tout ça dès le début, hein ? murmura-t-il d'une voix un peu rêveuse, un peu lointaine. Si je lui dis moi, il va croire que je mens...
Il se fendit d'un sourire un peu flou...
Puis s'évanouit.

[Galathée]

Taliesin s'éveilla beaucoup plus tard. Le soleil s'était à nouveau levé, le coche avançait doucement sur la route, au rythme du pas chaloupé des chevaux. Victor et lui étaient seuls dans le véhicule, chacun allongé sur une banquette. L'enfant était emmitouflé dans des couvertures, il respirait doucement, les yeux toujours clos. Le mouvement de sa poitrine, cependant, était ample et régulier. Il était à nouveau bandé mais son teint avait repris une couleur naturelle et il n'était plus fiévreux. On avait aussi laissé du pain et du fromage dans un panier sur le sol, ainsi que la bouteille de vin, toujours intacte. Quelqu'un y avait cependant attaché un morceau de parchemin sur lequel était inscrit, péremptoire : " J'en veux !"

[Taliesin]

L'elfe demeura longuement allongé, à observer Victor, les victuailles, le paysage au-dehors. Tout ce qui s'était passé les jours précédents aurait pu n'être qu'un cauchemar. Un cauchemar long, terriblement réaliste et douloureux... Mais un cauchemar tout de même. Ils auraient très bien pu continuer leur voyage sans que rien n'advienne, Emeraude et Hans les avoir quittés pour une raison quelconque...
Mais il y avait les bandages de Victor. La bouteille...
Le barde soupira. Il n'arrivait toujours pas à croire qu'ils s'en soient tirés. Que le petit garçon soit encore vivant...
Il finit par s'assoir. S'étirer. Se pencher au-dessus de Victor pour, d'une main légère, chasser une mèche claire tombée sur son front.
Bel et bien vivant. Tiré d'affaire...
Il leva à nouveau les yeux vers le ciel. Vers le soleil. Songea au pipeau.
Il pouvait très bien l'avoir retrouvé par hasard...
Ou pas.
-Merci... murmura-t-il, sincère.
Que Lathandre lui ai ou non donné un petit coup de pouce, la veille... C'était bien de lui qu'il avait reçu la flûte. L'elfe lui devait donc beaucoup. Énormément. Et en était conscient.

[Galathée]

Mais bien évidemment, personne ne lui répondit. Il pleuvait toujours au dehors, Taliesin l'entendait au claquement des gouttes sur le toit du véhicule. Victor soupira dans son sommeil. Le coche avançait moins vite et l'elfe réalisa bientôt qu'il y avait du bruit au dehors. En soulevant un coin de la couverture, il réalisa qu'ils n'étaient plus seuls sur la route : la piste s'était chargée de voyageurs, comme souvent aux abords d'une cité. Rohan ne devait plus être très loin, désormais. Ils y seraient avant la nuit. Le galop d'un cheval soulevant des éclaboussures boueuses força cependant l'elfe à battre en retraite à l'intérieur.

[Taliesin]

Maintenant qu'ils n'étaient plus pressés, qu'ils n'étaient plus lancés dans une course effrénée contre l'infection, la fièvre, la mort, le barde n'aurait pas été contre le fait que le voyage dure un peu plus longtemps, que leur destination soit un peu plus lointaine. L'arrivée à Rohan signifiait une foule de questions, de possibles complications, d'éventuelles mauvaises rencontres... Et si tout se passait bien, de difficiles réflexions sur l'avenir immédiat, la suite de leur périple.
Mais il n'était pas tout à fait improbable qu'on leur laisse un peu de répit. Pour se reposer, se remettre... Si c'était le cas, il avait bien l'intention d'en profiter au mieux. Bien l'intention, aussi de commencer dans l'instant.
Alors, comme son estomac se faisait bruyamment entendre, Taliesin s'attaqua avec appétit aux vivres qu'on lui avait laissés. Il ne toucha pas à la bouteille, en revanche : il se pouvait qu'elle constitue son seul moyen de remercier Emeraude, Hugo... Or, il était décidé à leur témoigner sa gratitude. Il leur devait beaucoup, à eux aussi...

[Galathée]

Les chevaux ralentirent encore, des éclats de voix résonnèrent, bruits de cavalcade, hennissements, rires aussi, le sol sous les roues du chariot était devenu plus dur et pierreux, véritable route en bout de piste. Ils s'arrêtèrent un instant, puis la porte s'ouvrit.
" Ah, je suis contente de vous voir réveillé." dit Emeraude en le rejoignant à l'intérieur. " Hugo disait que c'était votre petite nature, mais j'avais peur que votre coeur n'ait lâché, ou quelque chose du genre."
Elle sourit.
" Nous entrons dans Rohan."

[Galathée]

Quête : Equité

Quittant les contreforts de la montagne, Astrée pénétra donc dans Edhoras. Comme elle l'avait bien remarqué, la ville était construite pour les cavaliers et il n'y avait, pour ainsi dire, pratiquement personne à pied. Si quelques regards se posèrent sur son petit étalon, elle eut la sensation que c'était davantage de la voir monter sans harnachement que parce que son animal avait la couleur sacrée. Ou alors c'était un peu des deux... L'équinoxe était de toute façon derrière eux, désormais, et ce serait bientôt une autre couleur de robe que s'arracheraient les gens de la Trouée.
Elle ne trouva pas de marché sur sa route, mais il y avait de nombreux étals et boutiques, proposant des produits locaux pour des prix modiques. Si elle n'avait pas d'envies extravagantes, elle pourrait sans doute trouver de quoi renflouer sa musette...

[Voyageuse]

Elle prit le temps d'acheter tout ce qu'elle ne trouvait pas dans la nature : de l'huile, de la farine, du sel, un peu de vinaigre, quelques légumes qu'on ne trouvait pas à l'état sauvage, du fromage, du pain, des légumes secs. Elle acheta aussi un peu de grain pour Prince, dont elle lui donna aussitôt une poignée. Même s'il était parfaitement capable de se nourrir exclusivement de ce qu'il trouvait dans la nature, à l'instar des chevaux sauvages, il aimait ce genre de petite friandise.
Puis elle jeta un coup d'oeil au ciel, cherchant à évaluer l'heure : elle n'avait rien contre une nuit à l'auberge si le soir approchait.

[Galathée]

C'était le milieu de l'après-midi. Elle avait la possibilité de gagner la plaine et de camper à la belle étoile si elle le désirait, ou de s'arrêter dans l'un des nombreux établissements modestes de la petite cité. Elle ne trouverait plus d'arbres avant un certain temps, cependant : la Trouée s'ouvrait sous ses yeux, grands espaces de steppes et de prairies verdoyantes, où régnait le vent.

[Voyageuse]

Astrée se dit que les abords d'Edhoras risquaient d'être trop peuplés pour qu'elle se trouve un lieu de bivouac dans lequel elle se sentirait en sécurité. Il lui fallait camper à l'écart des villes, a fortiori lorsque le terrain était aussi dégagé, quasiment sans végétation derrière laquelle se dissimuler. Bien sûr, elle pouvait demander asile dans une ferme ou l'autre, voire dans un haras. Mais finalement l'anonymat d'une auberge était presque préférable.
Ne connaissant ni la ville, ni ses auberges, elle chercha du regard une bâtisse de taille modeste, discrète, mais à la devanture propre et accueillante. Le genre d'endroit où on devait pouvoir dormir pour pas trop cher dans une chambre accueillante, sans pour autant avoir à affronter toute une foule d'inconnus.

[Galathée]

Toutes les maisons étaient modestes, brunes et grises, fonctionnelles avant tout. Aucune n'avait réellement de devanture propre : la boue et la poussière maculaient fenêtres et seuils, projetées par le galop des chevaux. En empruntant une artère plus étroite, elle parvint à trouver un petit établissement moins exposé aux cavaliers et qui portait le nom du Poulain Prodigue. La salle était bien tenue mais dégageait une vague odeur de foin et de transpiration. Elle était déserte pour l'heure mais le tenancier vint à sa rencontre. Il lui restait des chambres modestes à l'étage et, bien évidemment, de la place dans son écurie.

[Voyageuse]

Cette auberge ou une autre, cela n'avait aucune espèce d'importance pourvu qu'il y ait un lit. Ce ne devait pas être très cher... Quant à la place dans l'écurie, elle ne se faisait aucun souci pour cela : dans cette région où les chevaux étaient peut-être plus nombreux que les hommes, il y avait certainement autant de place à l'écurie que dans l'auberge.
" C'est juste pour une nuit, expliqua Astrée. Et pour le repas du soir, bien sûr. Mais je peux amener moi-même mon cheval à l'écurie, si vous m'expliquez où c'est..."

[Galathée]

L'écurie était juste à côté et constituée d'un vaste enclos où se trouvaient la plupart des chevaux. Comme Prince était un étalon, cependant, il aurait droit à une stalle privée. On ne voulait pas de grabuge avec les autres animaux, et Astrée réalisa que les hommes, autour d'elle, connaissent bien mieux les chevaux que les palefreniers citadins de Luménis. Ils avaient une manière bourrue mais respectueuse de traiter les bêtes sous leur responsabilité. Celui qui prit Prince en charge s'adressa d'ailleurs davantage à lui qu'à sa propriétaire.