[Lieu] Rohan

[Taliesin]

-Je mangerai bien quelque chose, oui... Pour la chambre, ce sera parfait... Et je suis désolé pour le dérangement que je vous cause...
Il se tourna un instant vers l'alcôve où reposait le petit garçon.
-Je suppose que quelqu'un surveille les malades ? Auquel cas... Serait-il possible de demander qu'on vienne me trouver quand Victor s'éveillera ? Il est déjà très... confus, et, enfin, je pense que ma présence le rassurera.

[Galathée]

" C'est plus la norme que l'exception, vous savez. Avec les bandits qui écument la région, nous avons l'habitude de recueillir des rescapés de toute sorte... En général, on ne les héberge pas, mais dans votre cas... Ça semble plus prudent."
Elle l'entraîna dans les escaliers, jusqu'au rez de chaussée, puis ils remontèrent un couloir sombre éclairé par des torches éparses et pénétrèrent dans un réfectoire où brûlait une agréable flambée. Hugo était assis à une table mais n'attira pas leur attention, ce qui n'empêcha pas Emeraude d'aller jusqu'à lui.
" Installez-vous, je vous apporte de quoi manger." fit-il avec le sourire, avant de s'éclipser.

[Taliesin]

Taliesin s'affala sur son banc. Il se sentait déjà épuisé. Pourtant, il n'avait fait que dormir ou presque, au cours des dernières heures... Le contrecoup de l'émotion, sans doute.
Il demeura silencieux quelques instants, puis, essayant de se secouer, il se tourna vers Hugo.
-Ne vous faites pas de souci pour la bouteille... dit-il. Je ne sais pas où je l'ai fourrée, mais dès que j'aurais remis la main dessus, vous aurez votre part. Et plutôt deux fois qu'une : je vous dois bien ça...

[Galathée]

L'autre esquissa un léger sourire, peut-être son premier.
" Vous ne devriez pas vous balader avec ce genre de choses sur les routes de la Trouée. Je connais des hommes qui tueraient pour une gorgée de ce type de breuvage." fit le rôdeur de sa voix bourrue.
Emeraude revint et disposa trois assiettes d'un brouet épais à l'odeur alléchante sur la table, avant de s'asseoir à son tour.
" Je crois que c'est de la chèvre." annonça-t-elle avec une grimace. " Mais il paraît que ce n'est pas si mauvais."
" Tout est calculé pour qu'on ne s'attarde pas, comme toujours."

[Taliesin]

Le barde s'attaqua à sa pitance sans rechigner : il ne se sentait pas d'humeur gastronome, et tant que la nourriture s'avérait roborative, il ne demandait rien de plus. Il ne se sentait pas non plus vraiment capable d'entretenir une conversation : pour l'heure, les bouchées qu'il enfournait lui offraient une bonne excuse pour demeurer muet, mais il devrait tout de même faire un effort, le moment venu. Il devait beaucoup au rôdeur et à la fausse voyante, plus que ne pourrait rembourser une bouteille de vin, même d'un si bon cru, et le moins qu'il pourrait faire était de ne pas se montrer trop taciturne ou renfermé...

[Galathée]

Mais Hugo et Emeraude étaient fatigués eux aussi et leur petit groupe mangea en silence, sans que cela semble particulièrement étrange. Lorsqu'il eut terminé son assiette, le rôdeur s'excusa en deux mots et les abandonna, entraînant sa silhouette râblée vers la sortie et probablement la nuit. L'espionne traîna un peu plus longtemps, puis emmena Taliesin jusqu'à la petite chambre où ils avaient monté ses affaires et celles de Victor. C'était une pièce spartiate, qui dégageait une vague odeur de cheval (comme partout ailleurs) et dont l'armoire unique était occupée par les frusques nettement ordonnées de son propriétaire. Le lit était fait, un peu dur mais sans excès, et on avait disposé de quoi faire sa toilette sur une table près de l'étroite fenêtre.
Emeraude s'esquiva en lui souhaitant bonne nuit.

[Taliesin]

Il se débarbouilla sommairement, piocha quelques affaires dans son sac puis, s'étant changé, se glissa dans le lit. Il avait espéré que le sommeil le faucherait promptement : ce ne fut pas le cas, malheureusement, et il se tourna et se retourna pendant ce qui lui parut être une éternité avant d'enfin s'endormir.
Sa nuit fut peuplée de cauchemars, de visions d'incendie, d'odeurs de fumée, de chair calcinée, du visage parcheminé de Victor, de ses brûlures encore suppurantes. Il émergea plus d'une fois, à demi éveillé, à demi endormi, revivant sans cesse son assaut contre le camp des mercenaires, sans rien pouvoir changer à ses plans, malgré toute sa volonté, sans pouvoir non plus échapper à cette boucle infernal, à ces scènes constamment répétées...
La fumée, l'élémentaire, l'abri se consumant. Victor...
Lorsque l'aube grise se faufila entre les rideaux tirés, le soustrayant, magnanime, à ses songes tourmentés, le barde se leva sans tarder, conscient qu'il ne se rendormirait pas. Plus épuisé encore qu'avant de se coucher, il s'habilla promptement puis à pas de loup, quitta la petite chambre et se dirigea vers l'infirmerie.
Ses pensées étaient rien moins qu'apaisées, et il se posait constamment la même question : que faire, maintenant ?

[Galathée]

A l'infirmerie, Victor dormait toujours, d'un sommeil calme, sa poitrine se soulevant au rythme doux de sa respiration. Il semblait très apaisé et Taliesin nota qu'une infusion bue à demi trônait sur la petite table qui jouxtait son lit. Sans doute lui avait-on administré un anti-douleur ou un somnifère, difficile de deviner juste à la couleur du liquide.
L'enfant réagit cependant lorsque Taliesin lui prit la main, maugréa à mi-voix, se retourna sans lâcher prise, puis s'immobilisa à nouveau.
Il s'éveilla plus tard, alors que le soleil était déjà haut. La pluie avait cessé et le ciel avait une teinte bleue que l'elfe n'avait plus contemplée depuis des mois, lui semblait-il.
" J'ai faim." dit simplement Victor, avant de se fendre d'un bâillement spectaculaire.

[Taliesin]

-Moi aussi... fit, d'un ton léger, l'elfe qui venait de se rendre compte de la chose. Je vais essayer de nous dégotter un truc. Je reviens vite...
Il serra sa main, une seconde, puis se leva et quitta l'alcôve, se mettant en quête d'en éventuel surveillant - qu'il n'avait pas vu jusqu'ic. S'il ne trouvait personne, il descendrait au rez-de-chaussée.

[Galathée]

A l'extérieur de l'alcôve, Taliesin trouva un jeune homme en train de récurer des instruments d'allure inquiétante. Il lui indiqua une petite pièce attenante dans laquelle se trouvaient les repas des alités, préparés sur des plateaux. Il n'y en avait pas de prévu pour le barde, mais vu les quantités proposées, ils pourraient sans doute partager. Pain, lait, gruau d'avoine, il y avait de quoi nourrir un elfe et un enfant, pour autant qu'ils ne s'attendent pas à la cuisine du Rendez-Vous des Moins que Rien.

[Taliesin]

Chargé du plateau, Taliesin regagna l'alcôve de Victor puis, après avoir déposé le petit déjeuner près de lui, s'installa à son tour. Il laisserait l'enfant manger d'abord, prendrait ce qu'il laisserait. Il ne s'inquiétait pas vraiment pour cela.
-Bon appétit ! fit-il, tout en scrutant aussi discrètement que possible le visage du petit garçon. Il avait l'air reposé, c'était une bonne chose...

[Galathée]

Victor se redressa sur son oreiller et se mit à manger. De temps en temps, il jetait un oeil sur sa main brûlée, mais sans poser de questions. A un moment, il la leva devant lui et contracta les doigts plusieurs fois de suite, comme pour en éprouver la force et la souplesse. Puis il décocha un sourire à Taliesin, la bouche pleine de porridge.
" Je m'y habitue pas." dit-il finalement. " Je sais qu'au moins, je suis vivant, moi, tandis que papa et maman..."
Son sourire se tordit une seconde, mais les larmes restèrent contenues.
" J'ai eu de la chance."

[Taliesin]

Demeurer d'apparence sereine, détendue. Le gamin avait besoin de soutien : pas d'être confronté à ses propres affres.
L'elfe ne se départit donc pas de son sourire rassurant, lui serra, brièvement, son épaule valide. Resta silencieux quelques instants, cherchant ses mots. Il ne savait pas à quoi Victor faisait référence, à quoi se rapportait la chance qu'il évoquait...
-Ça va aller, tu verras..., murmura-t-il, faute de mieux.

[Galathée]

Victor opina du chef.
" Ça finit toujours par aller, je le sais bien." répondit-il. " Est-ce que Galathée vient bientôt me voir ? Normalement, elle devrait pouvoir prendre une pause, non ? Et si on est au fort, elle doit juste monter quelques escaliers."

[Taliesin]

Taliesin ne put réprimer un soupir. La veille, Victor semblait encore se souvenir qu'ils étaient sur les routes. A présent, c'était comme s'il se croyait des mois auparavant.
-Nous sommes dans un fort, oui... Mais celui de Rohan, pas celui de Luménis. Et je crains qu'il ne te faille te contenter de moi, pour l'instant...
Il s'arracha un nouveau sourire.
-Victor... Tu as eu un grave accident. Du coup, et bien... Tu vas être confus un moment, tes souvenirs vont se mélanger... Mais tout finira par rentrer dans l'ordre, la mémoire te reviendra complètement. Il faut juste que tu ne t'inquiètes pas et que tu sois patient. J'essaierai de t'aider, je t'expliquerai les choses les unes après les autres... Et tout rentrera dans l'ordre.
Du moins, c'était à espérer... Mais pourquoi en douter ? La prêtresse avait été affirmative...
Comme elle avait été affirmative en parlant de "quelques cicatrices".

[Galathée]

Victor acquiesça avec le sourire.
" Je sais bien. A cause de l'incendie dans le quartier de ma maison. Mais tu es arrivé à temps, alors les gardes sont partis, heureusement. J'ai juste un peu de brûlures, mais elles finiront par guérir."
Il repoussa le plateau.
" Tu crois que tu pourrais m'apporter le livre que Borgporkniel m'a donné ? Celui avec le magicien qui ne connaît pas de sorts et qui a tout le temps la poisse ? Parce que je m'ennuie un petit peu. Je sais bien que je dois me reposer, mais le temps est long."

[Taliesin]

Ils n'étaient pas sortis de l'auberge... Il allait falloir être patient, prudent et, surtout espérer que Victor ne serait pas trop chamboulé lorsqu'il découvrirait, à nouveau, quelle était leur triste situation. Mais, au moins, il se souvenait du plus douloureux, de la mort de ses parents... Il fallait s'en féliciter : Talieisn n'osait pas imaginer ce que cela aurait impliqué, dans le cas contraire.
-Je te l'apporte tout de suite, Essaie de manger un peu, en m'attendant...
Il se leva et entreprit de regagner sa chambre pour dénicher le livre en question. Un trésor, ce bouquin : on pouvait difficilement rêver mieux pour se mettre de bonne humeur. Et il y en avait besoin...

[Galathée]

Taliesin remit la main sur l'ouvrage sans difficulté : leurs sacs étaient intacts, les chasseurs de primes n'avaient vraisemblablement pas eu le temps ou l'idée de les piller. Lorsqu'il redescendit, cependant, Victor s'était rendormi, roulé en boule dans son lit, sur le flanc droit. Manifestement, malgré son aspect particulier, sa brûlure ne lui faisait plus mal.

[Taliesin]

L'elfe, qui s'était à demi attendu à retrouver l'enfant assoupi, ajusta ses couvertures puis s'installa pour déjeuner. Sitôt rassasié, il ouvrit le livre qu'il avait rapporté, bien décidé à s'absorber dans sa lecture. Il n'avait rien d'autre à faire, serait condamné à l'oisiveté tant que durerait la convalescence de Victor, et ne voyait d'autre moyen de s'occuper l'esprit.
Cependant, il referma l'ouvrage quelques minutes plus tard, résigné. Aussi passionnantes et hilarantes que soient les aventures de Lavebrise, elles ne parvenaient pas à chasser de sa tête les questions qui l'angoissaient. La question, plutôt.
Que faire, maintenant ?
Il n'en avait aucune idée... Ou, plus exactement, refusait d'accepter la seule qui lui paraissait valable. Se rendre aux autorités luméniennes, leur demander de veiller sur Victor. Espérer qu'elles le laisseraient repartir en quête de Galathée...
Emmener le petit garçon avec lui, même s'il ne s'agissait que d'explorer les alentours de la capitale, lui semblait hors de question. On ne trimbalait pas un petit garçon de huit ans pour semblable opération. De surcroît, il n'était pas assez puissant pour se protéger et le protéger en même temps. Il en avait fait la cruelle expérience...
Pourtant, ce plan était hasardeux. Que ferait-il si les conseillers voulaient le juger, l'emprisonner ?
Peut-être trouverait-il autre chose, d'ici leur départ de Rohan.
Peut-être.
Mais il en doutait.

[Galathée]

Victor s'éveilla à nouveau dans l'après-midi, mais ses propos ne furent pas beaucoup plus cohérents. Il oscillait entre le rappel d'événements précis, leur séjour à Loth Imharil, les derniers jours passés sur la route, et un étrange mélange de souvenirs anciens, souvent déformés, sur l'époque morféenne, leur voyage vers le nord, le temps qu'ils avaient passé dans la chaumière sylvestre avant leur retour vers Luménis. Les protagonistes s'y succédaient allègrement, morts et vivants, même s'il demeurait persuadé que Galathée était avec eux et n'ignorait pas que ses parents fussent morts. Il se fatiguait néanmoins vite et parfois s'interrompait en milieu de phrase, piquant brusquement du nez.
En fin de journée, Emeraude vint lui rendre visite. Il ne s'étonna pas de la voir, lui racontant quelques anecdotes saugrenues mais réelles, avant de s'endormir à nouveau.
" Venez." dit la vieille femme à Taliesin. " Allons manger. Vous avez besoin de faire une pause."

[Taliesin]

Taliesin se leva sans mot dire, et lui emboita le pas. Ce n'était pas tant la veille auprès de Victor, l'écoute de ses propos parfois confus qui étaient épuisants, mais les pensées, les questions qui lui trottaient toujours dans la tête, sans trêve, sans solution apparente... Un peu de compagnie, dès lors, ne pourrait pas lui faire de mal, même s'il doutait de pouvoir entretenir une conversation très nourrie. Il ferait un effort, cependant...

[Galathée]

Cette fois, Hugo ne se joignit pas à eux. Emeraude était sensible à son humeur noire, cependant, et elle le laissa ruminer pendant qu'ils s'installaient dans un coin du réfectoire.
" Si vous disiez ce qui ne va pas... Vous avez l'air d'avoir décidé de porter vos ennuis tout seul, misérable, alors que les gens sont prêts à vous aider." fit-elle finalement. " Est-ce à cause de l'état de Victor ? Solène m'a dit qu'il était confus, je comprends que ce soit déstabilisant, mais elle a l'air convaincue que ce n'est que temporaire... Vous devriez moins vous inquiéter, ça ne vous fait pas du bien, et il doit le sentir, même si son discours ne le reflète pas."

[Taliesin]

Taliesin poussa un soupire spectaculaire.
-Ce n'est pas seulement l'état de Victor qui m'inquiète. Je me fie à la prêtresse, je ne doute pas qu'il se remettra. Mais c'est le reste, la suite de notre périple... Et pour cela, je ne peux pas faire autrement que garder tout pour moi...
Il sourit, tristement. Décida de jouer franc jeu. Que risquait-il, de toute façon ? Surtout s'il s'en tenait à ses plans actuels... Ce serait un galop d'essai, en quelque sorte.
-D'abord, je dois bien l'avouer, je suis encore sous le coup de l'attaque des mercenaires. Je n'ai pas vu venir le piège, alors que j'aurais dû me montrer vigilant. Il m'a rappelé que, vu ma situation, je ne pouvais faire confiance à personne, que je ne pouvais pas baisser ma garde, jamais. Je ne dis pas cela pour vous : loin de moi l'idée de vouloir vous insulter. Je sais parfaitement ce que je vous dois.
Il leva sa cuiller, comme pour avaler un peu du ragoût qu'on leur avait servi. Puis la reposa sans y toucher.
-Je ne suis donc pas vraiment en état de compter sur qui que ce soit. Et quand bien même y aurait-il des gens prêts à m'aider... D'abord, je refuserais qu'ils s'impliquent dans cette affaire. Je suis un danger pour qui me porte secours, à cause de mon passé, et croyez-m'en, je n'exagère pas. Ensuite... Personne ne peut vraiment m'aider. Les autorités luméniennes ne le voudront sans doute pas, toujours à cause de mon passé. Je ne suis même pas sûr de l'accueil qu'elles me réserveront. Et si elles voulaient malgré tout intervenir, tout ça pourrait dégénérer en incident diplomatique... Je n'en ai pas la moindre envie. Je pourrais aussi agir avec l'aide d'hommes de main, mais... Je n'ai pas les moyens d'en recruter.
Il soupira, à nouveau.
-Et il y a le gosse, aussi. Je ne parle pas de son état actuel, mais de son avenir. Il n'est pas en sûreté avec moi, je ne peux pas l'embarquer pour ce que je dois faire. Il faut donc que je le mette à l'abri, j'imagine, et je ne sais pas auprès de qui. Nous avons des amis avec lesquels il serait heureux, mais... Mon ennemi nous a enlevés alors que nous partions justement de chez eux, Victor, sa mère et moi. Je refuse donc de les mettre en danger... Les autorités luméniennes le protégeraient, je n'en doute pas, mais... Comme je vous le disais, je ne sais pas l'accueil qu'elles me réserveront. Bref, vous le voyez, il y a de quoi broyer du noir, et guère de solutions encourageantes.

[Galathée]

Emeraude demeura silencieuse un instant, le dévisageant.
" Tout cela est lié à la dictature, n'est-ce pas ?" fit-elle finalement. " Ne me dites rien. Votre passé est à vous. Nombreux sont les Luméniens qui se sont fait des ennemis pendant cette période. Chacun a choisi son camp, parfois mal choisi. Je pense souvent que le gouvernement luménien devrait organiser une sorte d'amnistie, un geste de pardon, pour apaiser les âmes blessées... La vengeance... Sans doute faudra-t-il du temps... Ici, à Rohan, nous sommes préservés... en quelque sorte. De nombreux Luméniens ont quitté la capitale dès que ça a été possible. Des anciens morféens comme d'autres. Fuir Luménis et ce qu'elle représentait... Il faudra du temps."
Elle sourit doucement.
" Taliesin, nous pouvons essayer d'imaginer des solutions. Victor pourrait mourir, officiellement... Je pourrais l'accompagner chez vos amis... Je ne sais pas... Si vous pensez que les autorités luméniennes le protégeront, pourquoi ne pas prétendre que vous êtes mort ?"
Elle croisa les bras.
" Tôt ou tard, vous devrez affronter la personne qui vous veut du mal."

[Taliesin]

-Je le sais... répondit-il. Et j'y suis bien décidé. Mais il faudra aussi, tôt ou tard, que je règle la situation avec les autorités luméniennes.
Il se massa les tempes, machinal.
-J'avais pensé à cette possibilité de nous faire passer pour morts, Victor ou moi... Ou nous deux. Cela ne règlera pas le problème, cependant : même si je triomphe de cet ennemi, même si je retrouve ma compagne, il faudra que je rende des comptes à Luménis. Je refuse d'imposer aux miens une vie de dissimulation, et je me vois mal leur imposer une existence ailleurs que dans la capitale. Le petit est luménien, aime vivre là-bas... Je pourrais trouver un havre à Loth Imarhil, mais... Les humains n'y sont pas très appréciés, je ne supporterais pas qu'on les considère comme inférieurs.
Il soupira, à nouveau.
-Alors, sincèrement, je me dis... Pourquoi ne pas régler cette affaire dès à présent ? Je ne peux pas savoir ce que l'homme qui m'en veut a révélé, ce qui est parvenu aux oreilles des autorités. Et qu'importe, au fond ? Pourquoi ne pas courir le risque dès à présent, plutôt qu'au moment où nous serons réunis, tous les trois, moment où j'aurais tout à perdre ? Où je n'aurais plus le courage de risquer de tout perdre ? Si je vais voir les conseillers, ils protégeront Victor. Ils feront peut-être même quelque chose pour sa mère. Je les ai assez côtoyés pour savoir qu'ils sont justes. Moi... Et bien...
Il sourit. Il se sentait prêt à tout révéler, là, maintenant... Sans vraiment pouvoir expliquer pourquoi. Il le tenta, pourtant.
-Je crois que j'ai envie de me libérer de cette histoire. De ne plus en être prisonnier. De ne plus craindre les retombées... Mais de les affronter. Et, surtout, je veux que ma compagne et son fils ne souffrent plus à cause de cela. Si on les a enlevés, c'est pour les punir de m'avoir aimé. On me l'a dit, clairement. En face. Alors, en refusant d'œuvrer contre cet homme, comme lui l'a fait, dans l'ombre, par des moyens plus que condamnables... Je me dis que les choses pourraient bien tourner. Pour eux, au moins. Pour moi, dans une certaine mesure. Dans la mesure où... J'aurais agi de manière juste. Pour une fois.

[Galathée]

Emeraude demeura pensive, peut-être décontenancée par ce brusque afflux de confidences.
" Si vous pensez que les autorités luméniennes ne vous failliront pas... C'est sans doute la meilleure chose à faire, vous avez raison." murmura-t-elle. " Les conseillers actuels ont plutôt bonne réputation en la matière."
Elle posa une main amicale sur celle du barde.
" Vous devriez prendre une décision et vous y tenir, mais cesser de retourner les choses dans tous les sens. Vous avez les éléments en main."

[Taliesin]

L'elfe sourit tristement.
-J'aimerais les avoir tous... Mais comme je vous le disais, je ne peux être certain des conséquences de mon choix. Le conseiller Megrall est un homme bienveillant : il l'a été à mon égard, et il connaît un peu Victor. Je lui fais entière confiance. A Longuehune aussi, même si nous nous sommes peu croisés. Dame Lathiriel, en revanche... Nos relations ont été plutôt orageuses.
Il soupira.
-Je regrette que vous ne soyez pas réellement devineresse. En la circonstance, quelques prédictions auraient été les bienvenues.

[Galathée]

" Je dois vous faire une révélation, à défaut d'une prédiction. Le conseiller Megrall a démissionné depuis plusieurs mois, déjà, au coeur de l'hiver. Vous ne pourrez pas compter sur son soutien. Il me semble avoir entendu qu'il avait même quitté la ville et son poste d'aubemestre à la tête du culte lathandrite. Je ne suis pas très au fait des détails, mais les clercs de l'île entière en parlent."
Elle sourit.
" C'est le général Maelwedd qui l'a remplacé. Mais ce n'est pas forcément une mauvaise chose pour vous. On le dit très pragmatique."

[Taliesin]

Le barde demeura un instant bouche-bée.
Le conseiller Mégrall... Parti...
Il se sentait brusquement perdu, découragé. L'aubemestre s'était toujours montré bienveillant à son égard. Compréhensif, aussi. Ne l'avait pas fait jeter aux fers, malgré ses soupçons... Lui avait laissé une seconde chance, en somme, et avait constitué jusqu'ici son principal espoir de salut. S'il n'était plus là pour mesurer les ardeurs de Lathiriel, il y avait fort à parier que le conseil ne l'accueillerait pas à bras ouverts. Il n'avait pas exactement fait bonne impression au capitaine du port et à la directrice de l'université, et si le premier n'avait pas semblé lui en tenir rigueur, la seconde, en revanche... Sa participation au sauvetage de Megrall, rien moins que volontaire, n'aurait sans doute pas changé l'opinion qu'elle avait de lui.
Et ce général pragmatique... Non, il n'y gagnerait sans doute pas au change. Un homme terre à terre ne s'encombrerait pas de sentiments, ne risquerait pas la sécurité de sa cité pour voler au secours d'une rôdeuse disparue. Il l'incorporerait peut-être à l'armée pour qu'il continue à payer sa dette, ou dans quelque légion vouée à des missions périlleuses... A moins qu'il ne le fasse exécuter, tout simplement. Après tout, il n'était pas d'une très grande utilité, avait été un criminel dont la mort pourrait montrer aux foules l'inflexibilité de la justice luménienne...
Il secoua la tête. Eut une brève pensée pour l'ancien aubemestre. La dernière fois qu'il l'avait vu, il était terriblement éprouvé par ce qu'il venait de vivre.... Lui-même aurait imaginé qu'il s'en remettrait, cependant, aussi atroces aient été les épreuves subies... Albérich lui avait paru serein, inébranlable... Et puis, c'était un lathandrite.
Et Belenn... n'aurait-il rien pu tenter, lui ? Il s'était contenté de joindre à ses cadeaux un manteau qui lui était destiné.
Qui était perdu, désormais.
-Merci pour cette information... murmura-t-il d'une voix blanche. Voilà qui change la donne...

[Galathée]

Emeraude grimaça.
" Je ne peux pas juger... Je ne sais pas de quoi vous vous êtes rendu coupable... Mais Maelwedd a la réputation de ne plus vouloir entendre parler de la dictature. Il a incorporé beaucoup d'anciens morféens repentis dans les rangs de l'armée..."
Elle s'interrompit.
" Oh je vois... Vous avez raison. Je pense... Vous devriez vous assurer de pouvoir venir en aide à votre compagne, avant de vous jeter dans des bras qui ne voudront peut-être pas vous laisser repartir..."