[Ville] Antelucas (RP : l'inattendu)

[Lothringen]

En provenance de

Après avoir atterri, Lothringen dissipa son sortilège avec soulagement, car maintenir un sort actif exigeait un effort constant de la part de celui qui l'avait lancé, ce que trop de profanes ignoraient. Le semi-drow avait en outre accumulé un certain retard de sommeil depuis leur rencontre avec les elfes et le crépuscule ne l'aidait pas à garder sa motivation intacte.

Il se tourna vers Mornagest-le-guerrier qui venait de reprendre une forme beaucoup plus à son goût que la précédente. Il sourit. Plaisir des yeux.

"Un beau voyage. Veux-tu que nous nous mettions en quête d'un temple de Tyr... ou d'une auberge ? Il commence à se faire tard pour solliciter des audiences... et je ne te cacherai pas que j'aimerais pouvoir me reposer un peu avant d'entreprendre ces démarches."

[Mornagest]

Le mélandien reprenait ses habitudes d'humain en se frottant les bras et le torse afin de s'assurer que tout était redevenu normal chez lui. Satisfait, il releva la tête, et répondit :

"En matière de magie, tu sais que c'est toi qui décides ce qu'il y a lieu de faire ou pas", avec un sourire. "Allons à l'auberge maintenant. Avec un peu de chance, nous trouverons le temple de Tyr sur le chemin..."

La cité n'était effectivement pas très grande, ils le voyaient depuis la route - un large sentier de terre battue, en fait. Cela les arrangeait, au final. Ils ne devraient pas chercher pendant des heures après ce temple... Mornagest était du genre à détester demander son chemin à quelqu'un. C'était un aveu du fait qu'il s'était perdu...

Ils arrivèrent devant les premières maisons d'Antelucas. Tout paraissait calme. Les gens rentraient le linge ou s'attablaient pour manger, parfois dehors afin de profiter de la douceur de l'air avant que la nuit ne tombe. Enfin un endroit où de sordides complots ne se tramaient pas ? Mornagest sourit intérieurement. De tels lieux n'existaient probablement pas.

Les faubourgs étaient assez restreints, mais ils trouvèrent ce qu'il leur fallait : une auberge à l'aspect sympathique, dans une rue pavée qui ne paraissait pas sujette à la circulation de bruyantes charrettes. Ils entrèrent, et les gens de l'assemblée de la salle principale se tournèrent comme un seul homme vers Lothringen, certains méfiants, d'autres simplement surpris... un elfe noir ! Mais personne n'osa venir déranger la créature. La population ne semblait pas composée d'autre chose que de paysans et d'artisans...

"Deux pièces d'argent la chambre", renseigna l'aubergiste, quelque peu occupé à servir les premières bières de la soirée. Interrogeant son compagnon du regard, Mornagest se demandait s'il préférait dormir seul et pleinement profiter de sa nuit.

[Lothringen]

Mis quelque peu mal à l'aise par l'attention dont il faisait l'objet, Lothringen avait commencé de balayer la salle d'un regard insistant qui signifiait à peu près aux curieux qu'ils pouvaient disposer. Quand la majorité des dos eurent repris quelque peu précipitamment leur place ordinaire, il remarqua que Mornagest s'était abstenu de répondre à la question implicite de l'aubergiste, et qu'il guettait sa réaction. Le guerrier-mage n'hésita guère longtemps. Il n'en était pas encore à considérer la compagnie du guerrier comme une fatigue qu'il ne pouvait s'offrir, aussi entrouvrit-il les lacets de sa bourse pour jeter négligemment deux pièces d'argent sur le comptoir.

"Hé bien, une chambre pour deux, alors."

L'assistance aurait sans doute juré que pas un de ses traits n'avait bougé, mais c'était parce qu'une barrière culturelle de la taille d'un enclos l'empêchait d'admettre l'idée que le semi-drow venait d'esquisser un sourire en coin.

"Et pour dîner ?"

[Mornagest]

"Poulet rôti et carottes bouillies", répondit l'homme. "Cinq pièces de cuivre l'assiette", précisa-t-il quelques instants plus tard en revenant à leurs affaires. "Excusez-moi, j'étais un peu occupé.
- Deux assiettes, alors", décida Mornagest en cédant à son tour deux pièces d'argent à l'aubergiste. "Et deux choppes de ta meilleure bière.
- Tout de suite, messires. Prenez place, je vous prie."

La salle n'était pas très grande, mais il restait encore quelques tables libres. Il faisait assez calme... les hommes n'avaient pas encore eu le temps d'être ivres. À moins que la bourgade soit réellement sans histoires, ce qui eût été étonnant cependant.

Après qu'ils aient reçu leur commande, ils entamèrent leur repas, plus consistant que le guerrier ne le craignait : ils avaient chacun une moitié de poulet accompagnée d'une généreuse portions de carottes au thym et aux oignons. Un régal, en vérité.

"Tu as une idée de la façon dont nous allons présenter les choses au représentant de Tyr ?", demanda Mornagest, la cuisse du poulet en main, grignotant consciencieusement le moindre morceau de chair qu'il pouvait trouver. "Je ne suis pas certain que la seule perspective de rendre justice suffise à motiver son déplacement si loin de sa ville."

[Lothringen]

"Mmhh.."

Les dents fichées dans un lambeau de blanc, Lothringen n'était pas en état de faire la conversation. Ses moyens ne lui revinrent que quelques instants plus tard, quand il eut avalé goulument sa bouchée et essuyé ses lèvres d'un revers de serviette.

"Même si La Crique-aux-fous n'a plus de dirigeants, que le nom de Tyr, justement, a été sali par de faux paladins, et que l'équilibre de toute une région terrorisée depuis des mois semble dépendre du bon dénouement de cette affaire ? Même si un ex-ambassadeur mélandien bien en cour le lui demande ? Même si on lui offre un voyage aller instantané et gratuit en cadeau de bienvenue ? Il est dur en affaire, ton Tyrite..."

Il souriait tout en brandissant sa fourchette d'un air comique.

"S'il résiste à tout ça, il verra un féroce semi-drow le morigéner en lui récitant inlassablement les commandements de son dieu. Ça devrait l'achever..."

Il se recula sur sa chaise.

"A moins que tu n'aies de meilleures suggestions ?"

[Mornagest]

Mornagest se représenta un instant la scène, puis grimaça et répliqua :

"Non... je pense qu'en matière de cruauté, tu ne trouveras pas d'égal chez moi. Beuh... les préceptes de Tyr, quel supplice... tu as raison, il acceptera probablement de nous accompagner sans se faire prier. Nous verrons bien. Demain matin... je suis fourbu, et cette envolée ne m'aide pas à y voir plus clair. Quand tu auras terminé, je monterai me coucher."

Ses traits étaient fatigués, mais le guerrier semblait heureux. Il voyageait avec son compagnon, il profitait d'un peu de temps avant d'entrer dans les affaires politiques inhérentes à Melandis, et il venait de faire un bon repas. Que demander de plus ? Que cela dure éternellement, peut-être...

[Lothringen]

La dernière remarque de Mornagest incita Lothringen à lorgner sur l'assiette de son compagnon, qu'il découvrit si parfaitement vide qu'on aurait juré qu'elle sortait de la plonge. Désœuvré, son compagnon faisait pour l'heure main basse sur la corbeille à pain. Mais on pouvait deviner que cette dernière, à son tour, n'aurait qu'un temps.

"Oh... merci de m'attendre..."

Le semi-drow se hâta un peu de finir son plat. Non qu'il ait vraiment hâte de se coucher, plus maintenant ; il y avait tout de même une différence dans son esprit entre sommeil et repos. Mais il ne voulait pas faire attendre son compagnon. Même s'il devinait, aux dernières paroles de ce dernier, que Mornagest allait comme d'habitude s'endormir comme une masse sur un vague "bonsoir", réduisant à pas grand chose leurs moments d'intimité. Cela arrivait trop souvent pour que Lothringen ne le soupçonne pas de trouver cette échappatoire bien commode.

Ils quittèrent bientôt la table pour prendre les clefs de leur chambre avant de la rejoindre à l'étage. Elle était à l'image de cette auberge : propre, soignée, sans prétention. A peine eut-il posé son sac sur le lit que Lothringen alla se laver les mains et le visage dans la bassine prévue à cet effet, sur la commode.

"Voilà qui sera beaucoup plus agréable qu'un campement elfique", commenta-t-il.

[Mornagest]

La remarque était à double sens, et Mornagest le lui fit remarquer.

"Pour l'intimité que la chambre procure, ou le fait d'être loin des elfes ?" Il doutait que Lothringen ait tant d'inimitiés que cela avec les elfes, même si de leur côté, c'était bien moins évident... les stéréotypes avaient de beaux jours devant eux, comme l'attestaient les regards qu'on lui avait jetés lorsqu'il était entré dans l'auberge, comme à chaque fois que Mornagest devait parler seul, Lothringen en retrait...

Certain qu'il se méprenait, le mélandien enchaîna directement.

"Que penses-tu de cette histoire ? J'ai l'impression qu'où qu'on aille, on découvre de sordides affaires... que les males intentions se retrouvent disséminées partout."

Il avait une pointe d'amertume dans la voix. Lui, le mélandien sans scrupules, sans pitié, découvrait qu'en réalité, le monde entier prenait peu ou prou la même direction que lui...

[Lothringen]

Se retournant pour s'adosser à la table, Lothringen balaya la pièce du regard.

"Oh, en fait, je pensais surtout au confort, et au fait de ne pas avoir des dizaines d'yeux et de pointes de flèches en permanence braqués sur nous."

Il s'essuya le visage à l'aide de la serviette laissée à leur disposition.

"Et puis, pour cette affaire... J'avoue qu'en choisissant ce coin d'Helonna pour destination, je ne m'attendais pas à mettre le pied dans un complot pareil... ça me rappelle un peu ce que nous avons découvert à propos des elfes de cuivre, près d'Ysté, tu te souviens ? Comment ils asséchaient la région pour mieux pousser les colons au départ... En un sens, tu as raison, le mal est partout. Mais je ne désespère pas de l'humanité pour autant."

Le semi-drow souriait. Il venait de s'asseoir sur le lit, et commençait de tirer ses bottes – à bonne distance de Mornagest, car il prévoyait que cela ne devait pas sentir très bon.

"Il ne faut pas oublier que ces hommes n'ont pu parvenir à leurs fins qu'auprès d'une population crédule n'ayant que très peu de contacts avec l'extérieur. Une véritable enquête sur les crimes ou un simple courrier à Lumenis auraient suffi à révéler le pot aux roses. La grande majorité des habitants n'était pas dans le coup, et sera sans doute choquée d'apprendre de quoi il retournait vraiment.

[Mornagest]

Il n'y croyait pas trop... mais peut-être que Lothringen avait raison. Après tout, l'honnête paysan qui labourait son champ pour nourrir sa famille, qui vivait sa vie, ça existait aussi... le bourgmestre de la Crique-aux-Fous semblait droit dans ses bottes. Les elfes pourchassés n'avaient peut-être que de bonnes intentions. Qui pouvait juger ?

"Difficile de savoir qui a tort et qui a raison, à l'origine. Ces exactions commises avaient-elles une justification ? Les humains avaient-ils raison de traquer les elfes ? Un d'entre eux parlait de vengeance..."

Machinalement, il se dévêtit lui aussi, puis s'assit sur le pied du lit.

"Je n'ose pas imaginer quel poids les tyrites doivent avoir sur les épaules, quand ils proclament la justice..."

[Lothringen]

Lothringen demeura interloqué. En effet, ils ne savaient rien des origines de l'aversion de ces hommes pour les elfes. Mais...

"Ces elfes, tu les as vus : ils venaient de sous-races qui ne se côtoient guère d'ordinaire, et c'est l'hostilité seule des humains qui les a rapprochés. Quoi que les elfes d'Helonna aient pu faire aux populations humaines par le passé, j'ai la conviction que ceux-là payaient pour les autres..."

Il finissait de déposer sur une chaise son équipement, par-dessus ses vêtements pliés.

"Je n'aimerais pas être à la place des tyrites. Enfin, tu as bien vu, quand il s'agissait de décider pour Dargor... Il y a tant de choses à prendre en compte, dont certaines n'ont que peu à voir avec la justice, mais beaucoup avec la considération des conséquences... Du reste, prendre sur moi de décider à froid de la perte de liberté ou de la mort d'un homme, hé bien... ça me rend malade à chaque fois."

Sa position l'y contraignait pourtant plus souvent qu'à son tour, sans compter la vie d'aventurier. On n'avait pas toujours un tribunal ou un temple de Tyr à portée...

[Mornagest]

Il hocha la tête, l'air sinistre. Cette conception de la justice ne lui plaisait que très peu. Payer pour les autres... il était prompt à tuer, certes, mais lorsque celui qui subissait ce sort le méritait. Payer pour les autres... que devrait-il payer, lui, humain, pour tous les méfaits commis par ceux de sa race, sur Dorrandin, sur Toril entière ? C'était... injuste, tout simplement. Il grimaça. Tout était si compliqué.

"J'ai pour l'instant rarement eu l'occasion de me trouver devant un véritable dilemme... souvent, celui que je tuais le méritait, parce qu'il m'avait attaqué, ou menaçait de le faire. Ici, c'est différent.. c'est, eh bien, c'est l'affaire de la justice. Mais quelles preuves avons-nous ? Des aveux arrachés sous la menace ?"

[Lothringen]

Lothringen hocha la tête.

"C'est un peu ce que je redoute. Nous avons les trois commanditaires et nous avons deux des exécutants, à savoir les faux paladins. Mais tout cela repose sur des aveux dont je ne serais qu'à moitié surpris de les voir se rétracter. Pire, ils peuvent tenter de retourner l'accusation contre nous.

Cependant, les prêtres du Dieu Manchot sont habitués à débrouiller ce genre de situations... Il y a des sortilèges pour délier les langues, et d'autres pour identifier les façons de penser et démasquer les mensonges. Je pense à la Zone de vérité, par exemple. C'est un sort qui empêche de mentir tous ceux qui se trouvent dans sa zone d'effet. Les prêtres en disposent à petit niveau."

Le semi-drow se tut soudain, comme un souvenir pénible venait de lui traverser l'esprit. Il pensait à la Détection du Mal lancée devant les elfes, au moment de leur capture, et qui avait montré Mornagest rougeoyant comme un brasier...

[Mornagest]

Mornagest ne remarqua cependant rien, et songeait à ces sortilèges de prêtres. Puissants, dans un certain sens. Être empêché de mentir pouvait se révéler bien gênant dans ce genre de situations...

"Gageons que le prêtre sera suffisamment doué pour utiliser ce sortilège, et nous assurer d'avoir rendu justice à ces elfes."

Il redécouvrait le sens de ce terme, en fait. Du moins, le principe de justice reprenait son attrait initial avec une zone de vérité. Il avait encore beaucoup de choses à apprendre, décidément.

"Si tu as sommeil, on peut dormir... c'est toi qui décides." Il ne voulait pas pousser Lothringen à veiller plus que de raison, avec cette journée éprouvante qu'il avait dû endurer.

[Lothringen]

Lothringen fronça les sourcils. Comment cela, c'était lui qui décidait ? Mais c'est que Mornagest lui disait cela d'un air à trouver cette réflexion tout à fait naturelle, en plus ! Pourtant, naturel, ça ne l'était pas. Il n'avait pas à décider pour deux.

"Je me souviens que tu as parlé de ta fatigue, tout à l'heure..." répondit-il d'une voix mal assurée."Je suis un peu fatigué moi aussi, je l'avoue, mais en fait.."- il sourit.-".. Je n'ai aucune envie de dormir. Ça me fait plaisir d'être un peu tranquille avec toi. Enfin, je ne veux pas te priver de ton repos non plus, bien sûr... Je ne voudrais pas que tu te forces à veiller juste pour me faire plaisir... Si tu veux dormir, ce n'est pas grave."

Qu'il était pataud ! Il se serait giflé.

[Mornagest]

C'était une des rares fois où Mornagest voyait son compagnon embarrassé. Pour toute réponse, il afficha une expression interloquée. Lothringen n'avait pas pour habitude de bafouiller, de n'être pas sûr de lui...

"Tu es certain que tout va bien ?", s'enquit-il. "Ne t'en fais pas, je suis capable de tenir le coup, tout de même. Je voulais simplement savoir si tu avais besoin de réviser tes sortilèges dès à présent."

Il n'arrivait toujours pas à estimer le temps nécessaire pour Lothringen afin qu'il se repose suffisamment et qu'il puisse mémoriser ses sortilèges pour la journée à venir. Cela dépendait probablement de la fatigue accumulée, des sortilèges utilisés... tant de choses qu'il ne pourrait jamais appréhender correctement.

"Tu veux me parler de quelque chose... de délicat ?" Peut-être était-ce là le trouble qui venait perturber son compagnon. À moins qu'il n'eût simplement envie de passer un peu de temps en intimité... il allait bientôt le savoir.

[Lothringen]

Quelque chose de délicat ? Lothringen songea au souvenir qui venait de le traverser, concernant la Détection du Mal. Délicat, le sujet l'était sans nul doute, mais en même temps, il n'avait guère envie d'en parler. A quoi bon ? Il n'aurait su qu'en dire. Et puis il avait déjà posé à Mornagest les questions qui le taraudaient, lors de leur arrivée sur Helonna : les réponses ayant eu le mérite de la clarté, il n'avait pas l'intention de les reprendre...

"Non, je n'ai rien de particulier à te demander. Excuse-moi. Par moments, j'ai l'impression que tu évites presque de te retrouver en tête à tête avec moi, alors je ne veux pas t'ennuyer. Je sais, je ne devrais pas penser cela."

Il détourna le regard. Il avait perdu beaucoup de son assurance, par rapport aux premiers temps de leur rencontre. Plus il s'attachait, plus il redoutait de commettre un impair, ou bien de heurter son compagnon par des sollicitations trop nombreuses. Une chose était certaine en son esprit : il voulait davantage. Alors que dans le monde réel, tout était au contraire si lent, tout se liguait déjà contre eux...

"Pour mes sortilèges, je peux à la rigueur les préparer demain matin, si je m'y prends assez tôt. Si je m'y mets maintenant, effectivement, je ne ferai que ça. Je n'en ai pas envie."

Il fit l'effort de regarder à nouveau Mornagest en face.

"Je veux passer la soirée avec toi. Avec ou sans paroles. Ces moments sont si rares... "

[Mornagest]

L'ennuyer ? Mornagest haussa les sourcils. Il devait être plus fatigué que ce qu'il ne voulait l'admettre... ou avec le moral bien bas. Pourquoi refuserait-il de rester avec lui, comme il le demandait ?

"Je suis désolé de donner cette impression, mais... non, je ne cherche pas à t'éviter. Au contraire. J'aimerais aussi passer du temps avec toi. Parler de tout... et de rien."

Et cesser de s'interroger sur leur situation, malgré lui. Il repensait à la matinée qu'ils avaient passé à se caresser, à parler de cela... et en arriver à la rude conclusion qu'il n'était pas prêt. Mais au fond, qu'est-ce que cela signifiait ? Il ignorait s'il pourrait savoir quand ce serait le cas. Ce soir ? Dans un mois ? Un an ? C'était dur, cruel... et, il avait envie d'essayer.

Il s'allongea sur son côté du lit et contempla son compagnon sans mot dire. La fatigue se lisait sur les traits du semi-drow. Fatigue de la journée, mais des ans, aussi. Sa vie d'aventurier lui donnait plusieurs années en plus, à cause des soucis, des dangers... mais il conservait la douceur, la beauté du visage de ses origines. Et aussi, un brin de malice qui ne le quittait que rarement, même en ce moment.

"Détends-toi. Tu as l'air exténué."

[Lothringen]

Le semi-drow hocha la tête avant de l'imiter en s'allongeant près de lui.

"Tu as sans doute raison, c'est la fatigue... Ou bien ta compagnie qui me fait perdre toute sagesse."

Il ferma quelques instants les yeux, avant de les rouvrir pour contempler Mornagest étendu près de lui. Sa main se posa au creux du flanc son compagnon.

"Alors... je caresse la hanche du chancelier de Mélandis. Malgré tout ce que nous venons de vivre, je crois que je ne parviens toujours pas à m'y faire. Cela ressemble à un mauvais canular. Le premier crieur qui voudra révéler cela se fera huer pour sa mauvaise blague. Mais ça n'empêchera pas Ravestha de me faire exécuter s'il en a la preuve..."

Il eut un pâle sourire.

"Ou plutôt non, il me tuerait lui-même et à mains nues. Il serait tellement déçu... et je ne l'aurai pourtant pas trahi."

Naguère, le Grand Emissaire était certes passé sans sévir sur son changement d'allégeance, mais il fallait avouer que ce secret-là était un cran au-dessus. Lothringen haussa les épaules et soupira. Les helmites couraient après un rêve de monde bicolore, simple et totalement irréaliste. En dépit des apparences, il ne faisait rien de mal.

"Le secret nous protège, mais souvent il m'étouffe. Et m'étouffera... Continuer de mentir, de surveiller nos paroles, nos gestes et jusqu'à nos regards, jusqu'à douter soi-même de l'existence d'une relation si bien cachée. Comme si nous devions avoir honte... Je suis si loin de le penser."

Comme pour le confirmer, sa main renforça sa prise sur la hanche de son compagnon.

[Mornagest]

Les mots blessaient le guerrier, même si Lothringen avait de bonnes raisons de penser cela. Se cacher... c'était plus la brutale réalité de ses paroles qui le heurtait, plutôt que le fait qu'il l'avouât. Comme si lui-même en prenait seulement conscience : ils ne se verraient que très peu, probablement. L'éloignement serait rude, et l'heure de leur séparation approchait petit à petit...

Sans mot dire, il saisit la main du semi-drow qui le caressait doucement, et la maintint. La meilleure réponse qu'il pouvait donner, alors que son cœur se serrait à l'idée de parler. Mais il finit par y arriver.

"Tu... tu vois une autre solution ?", se risqua-t-il à demander. C'était idiot, il le savait, il voulait se frapper tellement sa question était... mais c'était trop tard. D'autres solutions ? Tout abandonner, ne plus jamais se voir, tenter d'oublier... et il savait, pour sa part, qu'il ne pourrait le faire.

[Lothringen]

Le semi-drow fut surpris de la vivacité de cette réaction, qui ne tarda guère à lui faire regretter d'avoir laissé si franchement s'exprimer sa mélancolie : c'était sa faute. Ouvrant les bras, il attira Mornagest dans son étreinte.

"Viens par là..."

La poitrine du guerrier pressée contre la sienne, Lothringen attendit quelques temps de sentir se ralentir un peu le rythme cardiaque de son compagnon.

"Il y a quelques jours, reprit-il enfin, je t'ai demandé si tu ne préférais pas en rester là. Je l'ai fait parce que je pensais que, peut-être, ce serait ainsi que nous ferions le moins de dégâts. Je ne m'attendais pas à ce que tu réagisses ainsi, et c'est quand je te vois à présent que je comprends à quel point j'avais tort. Tu n'as pas lieu de t'inquiéter. Si tu ne veux pas rompre, alors moi non plus. Il ajouta à voix plus basse, mais fermement. Je serai là aussi longtemps que tu voudras de moi. Même s'il nous faut concentrer toute une vie en quelques rares rencontres, je pense que ça en vaut la peine."

Lothringen s'accorda un silence de réflexion avant de poursuivre.

"J'ai quelquefois du mal à te comprendre, Mornagest. Pourquoi cette relation est-elle si importante pour toi ? Nous sommes si différents. Je suis tout ce que tes semblables méprisent... Je veux dire, ceux qui partagent ta façon de penser."

Et voilà. Sans l'avoir réellement voulu, il se mettait à parler de lui-même de ce dont il n'avait pas souhaité parler plus tôt. Il n'y avait néanmoins aucune aigreur dans sa voix : il cherchait à comprendre.

[Mornagest]

Arrêter ? Pour rien au monde il aurait voulu que leur relation, pour compliquée qu'elle était, cesse. Elle était si importante, justement... pourquoi ? Autant lui demander de se passer de manger, de boire. Il essaya d'expliquer cela à Lothringen.

"C'est une des rares choses qui me donnent envie de vivre. Rester avec toi, parler, ou pas, d'ailleurs. Tu dis que les autres te méprisent ? Je pense subir le même sort que toi, même si ça peut paraître étrange de la part d'êtres ayant les mêmes origines. Pourtant, c'est le cas. Sauf avec toi. Tu es le seul à... passer outre à ma façon de vivre, à mon lourd passé. C'est beaucoup. Énorme."

Le semi-drow avait connu la solitude, lui aussi. Inutile donc de lui rappeler combien cela faisait mal, de rester pendant des années sans autres compagnons que ceux qu'on lui imposait, sans confident, sans affection, sans considération...

Il renforça son étreinte sur Lothringen, savourant ce moment de tendresse si difficile à obtenir, de par leur situation complexe...

[Lothringen]

Lothringen referma les yeux quelques temps, s'abandonnant à la douceur de cet instant, à la torpeur de leurs chaleurs mêlées... L'esprit comme ralenti, il se repassait les paroles de son compagnon qui cherchait maladroitement à lui dire son besoin de se sentir aimé. Les yeux toujours clos, le semi-drow sourit pour lui-même, comme s'il venait de remporter une importante victoire. Mornagest rougeoyait peut-être lors d'une détection du Mal, mais son manque affectif ouvrait en lui une brèche si large et si profonde que n'importe qui d'assez avisé pour la voir ne manquerait pas de l'exploiter. Lothringen lui-même ne dérogerait pas à la règle si le besoin s'en faisait sentir, du reste... Et il songeait que le guerrier avait beaucoup, beaucoup de chance de ne pas être tombé sur plus mal intentionné que lui.

"Je sais, au fond, très peu de choses de ton passé, et je n'ai sans doute pas une idée très juste de ta façon de vivre. Peut-être sont-ils beaucoup plus sombres que je ne l'imagine ? et peut-être aussi te noircis-tu tout seul. Une chose est sûre, le Mornagest que je vois vivre au jour le jour à mes côtés n'a pas moins de réalité qu'eux. "

[Mornagest]

Le mélandien fit grise mine. S'il savait...

"Mon passé est sombre. Je noircis peut-être le tableau, mais en ce qui concerne mon avenir, alors. Ce que j'ai pu faire ne me laisse pas penser que je puisse... être quelqu'un de bon. Ni que je mérite de considération de la part de quelqu'un d'autre." Encore à se dévaloriser... typique de sa part. Il noircissait le tableau, mais pas uniquement quant à ses intentions, également sur ses capacités propres. Il manquait de confiance en lui, c'était flagrant. Comment un jeune homme comme lui avait-il pu finir de la sorte ? Le mystère était entier.

"C'est difficile de... vivre avec un poids sur la conscience, en sachant qu'il ne sera jamais ôté... et difficile également de penser qu'on puisse valoir mieux que ce qu'on ait jamais fait...

[Lothringen]

Lothringen hocha la tête, incrédule. Mornagest semblait attendre de lui qu'il le réconforte et le contredise en lui affirmant qu'il avait foi en lui, en sa bonté et en sa valeur. Et dans le même temps, il laissait entendre qu'il avait une longue liste de crimes sordides collée à ses semelles, et qu'il continuerait d'agir comme il l'avait toujours fait...

"Je suis d'accord avec toi qu'on ne juge pas un homme sur autre chose que sur ses actes, mais tu me prends pour ce que je ne suis pas, Mornagest. Pas plus que je ne puis te juger, je ne suis qualifié pour t'absoudre... Les sentiments m'aveuglent trop pour ne pas me rendre partial. En revanche, ils font aussi de moi un voyant. Il sourit. Je vois les pistes que tu as laissées sans les suivre. Les éventualités rejetées. Les possibles. Les chemins de traverse. J'espère que tu pourras évoluer, cesser de subir ta vie. Te délivrer d'un certain nombre de fantômes... Et, au risque de me répéter : le Mornagest que je vois vivre au jour le jour à mes côtés n'a pas moins de réalité que ce fameux passé."

Il laissa filer un silence. Les réticences du guerrier à se confier le blessaient un peu. Avait-il donc si peu de confiance en lui ?

"Tu pourrais commencer par me dire ce que tu as fait au juste pour que cela te tourmente à ce point. Ça ne me fera pas partir, tu sais..."

[Mornagest]

Pourtant... des crimes, il en avait accumulé le long de sa courte existence. Tellement, qu'il ne les comptait plus depuis un moment. Évidemment, il y avait la légitime défense, mais elle n'était finalement qu'un prétexte pour tuer. Il provoquait le combat, souvent - sinon toujours. N'était-il mû que par cela ? Il resta longtemps silencieux, évitant de croiser le regard de son compagnon, cherchant ses mots, hésitant à se lancer. Le plus difficile était le commencement, en fait. Tout le reste en découlait.

"Je n'ai pas vécu une enfance très paisible. J'ai passé de longues journées à lutter contre le froid de ma contrée natale, dans une cabane à moitié délabrée, avec un vieil homme pour seule famille... il m'a élevé comme il le pouvait, m'a appris quelques rudiments au combat à l'épée. Puis... j'ai nourri cette soif de vengeance lorsqu'il m'apprit le sort que mes parents ont connu. Je suis parti, j'ai tenté de travailler, avoir de l'équipement, connaître la région, traquer ces meurtriers... une folie. J'étais à peine adolescent..."

Il parlait les yeux mi-clos, se remémorant péniblement des souvenirs qu'il avait vainement tenté d'enfouir au plus profond de son esprit. Tout était net, précis, comme s'il l'avait vécu la veille. Comme si son passé ne souhaitait pas être oublié.

"Je suis revenu quelques années plus tard, avouer... mon échec. Je n'avais pas retrouvé ces monstres, j'étais perdu... et... je l'ai tué. Mon tuteur. Sans raison véritable. Peut-être... peut-être voulais-je effacer les traces de mon passé ? Recommencer ? Pourtant, ce qui s'en est suivi fut bien plus sinistre encore... des vols pour survivre, des meurtres pour quelques piécettes... une traque sans finalité autre qu'une vengeance qui ne m'a laissé finalement qu'un goût âcre en bouche, et un caractère trempé dans le froid de l'acier et de la glace de ce pays gelé. Et... l'impression que tuer était aussi naturel que respirer, dormir, manger..."

À mesure qu'il parlait, sa voix prenait une intonation différente. Sa gorge se nouait, et les larmes vinrent lui troubler la vision. Naguère, jamais cela ne lui serait arrivé. Il aurait repensé à cela comme un autre incident de sa vie entachée de sang. Tandis que maintenant, il percevait une partie de la portée de ses actes anciens. Des meurtres.

[Lothringen]

Lothringen avait écouté ce récit en se gardant bien de l'interrompre ; c'était à peine s'il avait encouragé Mornagest, de temps à autres, par de légères caresses. Il comprenait que ces souvenirs minaient son compagnon, et qu'en même temps, ils expliquaient une bonne partie de son comportement actuel. La rapidité avec laquelle le guerrier s'emportait, quand il avait un homme à sa merci... Sa crainte de voir Lothringen le découvrir autre qu'il ne le pensait... Ou sa totale inexpérience des rapports humains.

Et puis il y avait le fait brut - ces crimes passés, leur nombre. Lothringen éprouvait un curieux mélange de sentiments contradictoires ; il avait horreur de ces meurtres gratuits mais ne parvenait pas à haïr leur auteur. Il avait même beaucoup de peine à se représenter Mornagest dans ce rôle, comme si son imagination résistait, contre toute raison, au témoignage de ses oreilles. L'homme qui pleurait près de lui n'était pas, ou plus capable de cela et, sans l'excuser tout à fait, le semi-drow éprouvait de la compassion pour lui, partageant sa tristesse et son désarroi. Le guerrier s'était effectivement aventuré bien loin pour quelqu'un d'aussi jeune... Faute de trouver une réponse plus appropriée, Lothringen l'embrassa.

[Mornagest]

Mornagest ne s'attendait pas vraiment à une réaction de ce genre. Il s'était préparé à des reproches, muets ou non, de l'incompréhension, de la peur... mais pas un baiser, si tendre, si délicat... le contraste avec la dureté de son récit était saisissant, et il frissonna en ressentant le contact des lèvres de Lothringen, posées sur les siennes, puis il lui rendit le baiser, timidement d'abord - il était incrédule - puis plus franchement ensuite. Le fit durer, serrant doucement son compagnon contre lui. Pour se rassurer ? Il eut cette pensée l'instant d'un éclair, puis la rejeta, l'oublia. Il avait simplement envie de le garder contre lui.

Lorsque leurs lèvres se séparèrent, au bout d'un long moment, toujours trop court, cependant, il murmura :

"Tu ne partiras pas, même en sachant cela ?"

[Lothringen]

La tête posée sur l'épaule de son compagnon, Lothringen murmura sombrement :

"D'une certaine manière, je l'ai toujours su. Tu es venu à moi en tant qu'ambassadeur de Melandis, ne l'oublie pas - autant dire, comme un homme qui avait réussi à faire carrière dans cette cité maudite... Et c'est bien en partie pour cela que je me suis défié de toi, dans les premiers temps : je devinais le sang sur tes mains. Et puis je t'ai connu et j'en suis venu à n'y plus songer, parce qu'en dépit de deux ou trois incidents je ne t'ai jamais vu agir comme tu viens de le raconter. Si j'étais témoin de tels actes, ou si j'apprenais que tu continues de le faire en mon absence... ce serait différent, sans doute. Mais le passé... avant nous... ne compte pas pour moi."

Il ferma quelques instants les yeux, un bras posé sur la taille de son compagnon. Il avait presque envie de le recouvrir davantage de son corps, rien que pour le protéger des agressions du monde. Vouloir protéger un assassin sanguinaire bâti comme un colosse, n'était-ce pas risible ? Peut-être pas. Jamais Mornagest ne lui était apparu plus vulnérable qu'en ce moment où il se débattait beaucoup moins avec sa haine qu'avec la honte, la peur, la solitude.

"Tu me fais penser à Dorson, quelquefois, reprit-il rêveusement. Ou à Seina. Vous êtes extrêmement différents, bien sûr, mais, tous, vous me forcez à remettre en question ce que je crois savoir du bien, du mal et de la frontière qui les sépare. D'un mal peut naître un bien, et d'un être a priori maléfique des élans de bonté dont il n'est pas toujours conscient, signes ou nostalgies d'un autre possible... Tu es si jeune. Tu décrètes définitifs des choix mal assumés que tu maquilles en destin. Je veux croire en tous les possibles."

Si seulement tu pouvais y croire aussi.

[Mornagest]

Ils en arrivaient toujours à ce même constat. Lothringen avait bien plus confiance en Mornagest que lui-même... d'une certaine façon, heureusement, sans quoi, leur relation n'aurait pu perdurer. Le mélandien seul aurait laissé filer, estimant que l'espoir était vain, que cela ne pouvait être. Et pourtant, malgré la folie, malgré les risques... leur amour était véritable tout autant qu'improbable. Et cela constituait une victoire, en quelque sorte. Prenant conscience de cela, Mornagest eut un regain d'assurance. Il était capable de mener correctement des choses, même si le chemin était parsemé d'embûches. Et la motivation était là.

"J'ai sans doute tendance à être fataliste. C'est que... je n'ai pas eu souvent l'occasion de connaître des succès, jusqu'à présent. Ma seule présence ici, avec toi, relève du miracle... j'ai échappé plusieurs fois à la mort d'un cheveu, et j'ai l'impression, parfois, que mes jours sont comptés. Bien sûr... j'espère me tromper, mais..."

Le visage sombre, il songeait à ce qui l'attendait à son retour à Melandis. Du bonheur, très certainement... des complots à déjouer, un conseil à maîtriser, une population à tenir sans la pressurer... ajouté au fait que les chanceliers, en général, n'avaient pas une espérance de vie très longue une fois nommés.