[One Shot] RP Disque Monde:

[Eliaëdel]

Sur un drôle de monde, rond et plat à la fois. Qui fend le cosmos paresseusement supporté par quatre éléphants géants et reposent eux même sur une tortue aux dimentions passablement imposantes. Bref, dans un sorte de monde fait un peu de bric et de broc par un créateur passablement imaginatif ou facécieux, se trouve une ville. Baptisée Ankh Morpork. La première impression qui vient, lorsqu'on la contemple au loin, c'est sa taille.

La seconde, tout aussi marquante que la seconde, n'apparait que plus tardivement. Son odeur. Dire qu'elle pue est du domaine du mensonge. C'est dangereusement sous estimer la vérité. Les natifs de la région toutefois, ni prêtent plus guère attention. De même que les nombreux voyageurs qui y restent assez longtemps sans finir en flottant** le long de l'Ankh, le majestueux fleuve* qui traverse la ville.

Dans cette ville, populeuse, grouillante, beaucoup de choses sont possibles pour un nouveau venu. Bien souvent, cela implique de se faire plumer jusqu'à la dernière pièce devant les méthodes commerciales communément en vigueur et acceptées par tous. Après, il est toujours possible de trouver un travail parmi les nombreuses guildes et organisations de la ville. Sous conditions de remplir les conditions d'accès et d'en respecter les règles. Le dirigeant actuel de la cité, le Patricien Vétérini, à force de patience et de manipulation, a rendu officiel les rôles de toutes les guildes. Et en contrepartie, elles maintiennent une paix sociale et un service d'ordre particulièrement efficace. Qui rend le travail en indépendant très risqué. En effet, au lieu de finir au cachot ou avec une amende ou quelques coups de fouet, la perspective de finir dans le fleuve beaucoup moins vivant qu'auparavant est d'une force de dissuasion bien supérieure pour la plupart des gens.

Certaines personnes choisissent d'intégrer les guildes. Généralement, avec un espoir de promotion, de reconnaissance, ou pour tout simplement vivre une vie à peu près normale. D'autres choisissent le Guet Minicipal. Généralement, soit parce qu'ils ont des prédispositions pour cela; alcoolisme et paresse figurent souvent en bonne position. D'autres, suite à la reprise en main du Guet, avec la bénédiction intéressée et pragmatique du Patricien, par le divisionnaire Samuel Vimaire, parce qu'ils appartiennent à des minorités visibles (nains, trolls, gargouilles, loups garoux, femmes) ce qui a le don de mettre en rogne pas mal de monde. Et ce qui n'est pas pour déplaire à Vimaire, par ailleurs.

Mais des fois, l'appel du Guet attire des personnes outrageusement normales. Généralement, elles ne le restent pas longtemps.


*égout à ciel ouvert
** la notion de flotter sur l'Ankh prend ici toute sa signification, au vu de la densité de la vase*** qui fait office de liquide. Couler dans l'Ankh, reviendrait par bien des aspects du domaine de l'impossible. Ce qui ne veut pas dire pour autant que quiconque entre au contact de l'eau*** ait de bonnes chances de survie.
*** restons pudiques.

[Althéa]

Ben, l'appel du guet oui. Biroute l'avait entendu de très loin, même avec le casque trop grand pour lui qu'il avait dégotté. Oh, ça ressemblait plutôt à une soupière dorée et retournée, et ça en était peut-être une tout contre fait. Mais quand on y regardait pas trop, ça faisait l'affaire. Bien sûr, il avait un peu de mal à voir où il allait mais ce n'était qu'une question question de réglage. Pour le moment, il se contenait de demander pardon à tout ce dans quoi il cognait : hommes, femmes, enfants, végétaux, murs, rochers (*)

Il arriva sans se perdre à la rue des Orfèvres. Il n'y avait pas grand monde à cette heure avancée de la matinée. Son arrivée fit lever plusieurs têtes. C'était la première fois qu'une soupière sur pattes - des pattes malingres semblant avoir du mal à coordonner leurs mouvements - venait leur rendre visite.

Biroute s'avança prudemment vers ce qui lui sembla être un bureau et commença à réciter courageusement le texte qu'il avait mis toute la journée de la veille à élaborer.

"Bonjour m'sieur ... Heu ... Je suis travail m'sieur. Enfin. Je, je cherche du travail"

(*) Car il est écrit. Les pierres, les pierres, toujours se méfier des pierres. Surtout des rochers. Car ils avaient une fâcheuse tendance à se prendre pour des trolls. Et vice-versa.

[Eliaëdel]

Hum. Dans la pièce des Orfèvres, il y eut comme un léger instant de flottement. Aux limites de l'éclat de rire nerveux général. Une soupière sur des jambes maigrelettes, c'était pas si courant que ça. Enfin, même pour un mage. Mais si en plus, ça parlait, c'était inédit. L'homme s'est raclé la gorge.

« Qu'est ce qui te f'rait cr... Hrum. » Deuxième raclement de gorge. Ca, c'était pas trop à lui de s'en occuper. Pas de la recrue de premier choix ou impressionnante. Mais en même temps, quand on regardait ceux qui étaient autour d'eux. Troisième raclement de gorge.
Au milieu des trolls, des gargouilles, des golems, des nains, et même des femmes. Et même parmi les humains, y avait bien Chiquard qui laissait sous entendre une grande... ouais, marge de tolérance dans le recrutement. Ouais. Un gosse avec une soupière sur la tête. 'fin un casque. Mais qui ressemblait furieusement à un ustensile de cuisine quand même

« Va falloir que l'divisionnaire s'en occupe de ça, ç'pas à moi d''juger ça, p'tit, vu qu'le capitaine est occué ailleurs.. Faut voir s'il aura l'temps d's'occuper tout d'suite de toi. » D'un petit signe de la main, un des agents s'est approché de la porte du bureau, avant d'y frapper.
Le grincement d'une chaise a répondu. La porte s'est ouverte d'un coup. Laissant apparaitre un homme entre deux âges, avec un léger emboimpoint.

« Un volontaire pour le guet, m'sieur Vimaire. »

L'homme a regardé le gringalet. Regard apte à juger et tranquille. Sans laisser paraitre de lassitude. Au pire, ça ferait une jeune recrue de plus à mettre sous l'aile d'un des anciens. Sauf celle du caporal Chique bien entendu. Sauf s'il voulait apprendre à se la couler douce, boire des canons, et piquer tout ce que n'était pas solidement arrimé au sol.

« Tu t'appelles comment, petit? »

[Althéa]

Un petit silence. La soupière, ou ce qu'il y avait là- dessous eut l'air de paniquer un peu. Oui, ça s'agitait un peu sous le casque. Une petite main se tendit brièvement, avant de regagner la poche d'un pantalon informe. Il fallait qu'il se contrôle, il fallait. La situation n'était pas à son avantage, il le sentait bien. Ce n'était peut-être pas le moment de se laisser aller à ses penchants ... Peut-être devrait-il d'abord enlever le casque pour qu'on puisse le voir. Il se défit donc de sa soupière.

L'ustensile de cuisine amélioré dévoila un visage fin et pâle rehaussés de cheveux raides et roux qu'on avait tenté de rassembler en un catogan approximatif. Pour couronner le tout, l'individu avait des grands yeux bruns tellement écarquillés qu'ils lui donnaient l'air d'être étonné. Et qui pour le moment fixaient ses chaussures. Ou le petit trou du parquet par lequel il aurait voulu fuir. Non, aller au guet n'était peut-être pas une bonne idée, après tout.

"Je m'appelle Sam, m'sieur, Sam Biroute m'sieur."

[Eliaëdel]

Pouffement de rire généralisé et étouffé à grand peine dans la salle. Et Vimaire de garder un masque impénétrable.
Ainsi que ses pensées pour lui et la commissure de ses lèvres définitivement sérieuse.


« Si c'est vraiment ce que tu veux, patrouiller de nuit sous la flotte, petit, et si tu t'en crois capable. Dis le tout de suite. Mais ça ne sera pas facile. Sinon tu peux encore tourner les talons. Mais fais vite. »

Et l'homme de se retourner tranquillement en direction de son bureau.

[Althéa]

Ah non, il n'allait pas partir comme ça. Il voulait s'inscrire, vraiment. Ce n'était pas de la blague. Son papa, on l'avait pris au sérieux, lui. On avait rapatrié son uniforme à la maison, le casque mis à part.

Biroute sentit ses oreilles devenir toutes rouges. Il sentait venir la catastrophe et avait de plus en plus de mal à l'éviter. ça allait venir, il le savait. Il essaya de serrer les dents, de respirer. Mais au milieu des rires, face au dos du commandant du guet qui s'éloignait ... Il prit une profonde inspiration et se mit à hurler. Du moins, cela tenait plus du miaulement du chat furieux à qui on venait de marcher sur la queue.

"Je veux marcher sous la pluie. Je veux marcher sur les traces de mon papa, m'sieur. Heu ... enfin m'sieur."

Il se rendit compte des regards posés sur lui. A vrai dire, seul le dos du commissaire avait eu la politesse de ne pas tressaillir. Biroute remit tout doucement son casque sur sa tête.

"Pardon m'sieur. Désolé m'sieur."

[Eliaëdel]

Sifflement discret entre les dents du commissaire. « Si on avait eu quelqu'un qui s'était appellé Biroute ici, ça se serait su. Tout le monde s'en serait souvenu, du moins. »

Réponse sans se démonter. Sans se fâcher. « Il vaudrait mieux que tu tiennes tes nerfs, petit. Il en faudra pour les patrouilles. » Et pour lui-même dans ses pensées. Et que tu te caches un peu mieux.

« Sergent Détritus! » L'homme a braillé. La voix a résonné dans la pièce. La réponse ne s'est pas faite attendre. Tout le monde attendait. Comme si c'était un spectacle dont personne ne se lassait.

« Oui, commissaire? » Dire que le sergent Détritus est grand est un euphémisme. C'est un troll. Caillouteux comme il faut. Pas forcément une lumière pour autant. Comme tous ses congénères au cerveau de silicium, le climat trop tempéré d'Ankh Morpork avait tendance à altérer ses capacités cognitives.*

« Fais prononcer le serment du Guet. On a un nouveau bleu parmi nous. » Oui, le faire prononcer à Détritus n'était pas très charitable. Le gamin l'avait pas entièrement volé. Le divisionnaire et rentré dans son bureau, puis a fermé la porte, avant de replonger dans ses papiers. Etouffant un gloussement nerveux. Tout en essayant de chasser l'identité de la nouvelle recrue de sa tête. D'autres soucis pour le moment.
La porte était fermée certes. Mais c'était nettement insuffisant pour masquer la prose si particulière du sergent. Et son entêtement à lui faire répéter mot pour mot ce qu'il disait.

« Moi virgule crochet nom de la recrue crochet virgule, jure solennellement par crochet dieu choisi par la recrue crochet de faire respecter les lois et arrêtés de la cité d'Ankh-Morpork de servir le bien public, et de défendre les sujets de son barre sa parenthèse biffer la mauvaise réponse et nom du monarque en poste parenthèse, sans peur, préjugés, ni soucis de sécurité personnels point-virgule de pourchasser les malfaiteurs et de protéger l'innocent virgule en sacrifiant ma vie si nécessaire pour remplir mon devoir virgule
je le jure devant parenthèse dieu sus mentionné parenthèse point vive le roi barre la reine parenthèse biffer la mauvaise réponse. »

Ca et quelques corvées, peut être que cela lui mettrait un peu de plomb dans le crâne. Il faudrait lui trouver quelqu'un pour l'encadrer. Avant qu'il ne commette trop de gaffes. Puis l'homme replongea dans ses rapports.


*mais on oublie vite ce genre de détails quand un grand gaillard de 2,50m vous énonce vos droits en tenant une baliste comme une vulgaire arbalète à main.

[Althéa]

Biroute avait levé le tête vers le grand, très grand troll. Très très caillouteux aussi. Bien sûr, il l'avait vu pendant qu'il observait les allées et venues autour du poste de guet. Mais pas sous cet angle. Il regarda le poing immense du sergent. Une simple claque et il l'enverrait voler dans les airs. Voire pire. Toujours penser au pire. Ses yeux clignèrent, et il sentit de nouveau la force irrépressible tendre ses mains en avant. Il les arrêta à quelques centimètres du troll qui heureusement, n'avait rien remarqué.

Il répété tant qu'il put les mots que lui assenait le sergent. C'était long, très long. Il en comprenait le sens, mais tout lui paraissait soudain immense. Il aurait peut-être dû réfléchir un peu plus. Après tout, la guilde des assassins n'était pas trop regardante sur votre origine, non ? Bon, enfin, puisqu'il était là, autant se jeter dans les ennuis jusqu'au cou.

"Je le jure", conclut-il. Il y était. Et il y sautait à pieds joints.

[Eliaëdel]

« Ouais, bon, p'tit. On ferait mieux de t'filer des nouvelles affaires. Avant qu'ta patrouille ne commence. » Il s'était passé une main sur le visage un peu rougeaud, l'air de dire une sorte de "Ouilleouilleouille". « Suis moi. » Le spectacle avait eu le don toutefois de réveiller tout le monde. Détritus et son serment étaient toujours une valeur sûre.

Le p'tit nouveau était des leurs. Du mal à le cerner pour le moment, mais ça viendrait vite. Tout le monde finissait par se connaitre ici, avec ses tics, manies et petits travers. Le Guet était de bric et de broc. Mais globalement, ils étaient solidaires entre eux. Le nom risquait en revanche de causer quelques crises de fou rire. Faudrait juste pas le faire croiser le chemin du caporal Petitcul*.
Qui était souvent de toute façon fort occupée à à se faire griller les cheveux avec des expériences quoique divertissantes, qui avaient le don de rendre nerveux les voisins.
Cette nouvelle arrivée réveillait quelque chose. Entre le rire. Et quelque chose qui ressemblait à un flottement. Sans réussir à mettre le doigt exactement sur quoi. Pas à la catastrophe pour autant. Le jeune Biroute n'était pas moins pire que la plupart des gamins de la rue qui cherchait un boulot officiel. Peut être un peu plus gaffeur, en revanche. Et un peu curieux avec ses mains. Mais ils n'étaient pas du genre à se formaliser d'une lubie.

Les deux sont entrés dans la vieille remise. Il a tendu au gamin une plaque. « Tiens, ta plaque d'agent du guet. » Ainsi qu'une cotte de maille usée, rapiécée de toutes parts, des vieilles bottes. Un casque qui ne ressemblait pas à une soupière. Un regard rapide. Un chouia critique. Et une vieille épée courte. Qui tenait plus de l'arme de dissuasion que de l'apparat. Et peut être que si on frappait assez fort avec le tranchant, on pouvait espérer contusionner quelqu'un. Au moins le gosse éviterait il de se blesser tout seul avec en attendant qu'il prenne de l'expérience.


* qui était une naine. Sisi. Avec des bottes à talons en fer.

[Althéa]

Biroute avait ployé sous le poids de la cotte de maille et de l'épée. Le casque avait failli l'assommer. Mais il s'en accommodait plus ou moins. Un coup d'oeil dans une flaque d'eau lui apprit qu'il avait l'air d'un parfait imbécile mais faute de mieux ... à un épouvantail. Il tenta tant bien que mal de se redresser, histoire de paraître plus impressionnant. Puis il tenta de faire quelques passes d'armes avec son épée. Et bascula en avant. Un peu déçu, il releva la tête vers le sergent en espérant que celui-ci n'avait rien vu.

Puis, pour montrer qu'il était un vrai homme, il lâcha un vent, ce qui ressembla à un cancanement de canard. Il resta quelques secondes interdit, résista autant qu'il pouvait et éclata de rire.

[Eliaëdel]

Quelque chose comme une profonde affliction passa sur le visage de l'homme. Mêlée à une consternation et un désespoir sur sa condition... de ceux qui vous encouragent à finir la journée à la taverne la plus proche et la plus minable du coin. Avant que l'odeur ne fasse naitre quelque chose proche de l'effroi. Il est sorti de la remise en toussotant. Même l'odorat morporkien si caractéristique pouvait montrer des limites temporairement.


« Bon, p'tit. Trèves de bêtises. S'mettre au boulot, ça va t'occuper, pas vrai, hein? » Il a attendu un instant. Avant de le tirer gentiment mais fermement hors de la remise. Après avoir attendu qu'il reprenne un peu son calme.


« Va falloir qu'un vieux la vieille t'montre comment fonctionnent les rondes. Hé Chiquard*! Du boulot pour toi. L'gars Sam a b'soin d'toi pour découvrir les ficelles du métier. » Plusieurs agents ricanèrent en se replongeant dans leur partie de cartes.

Quasiment sûr que le gamin ne risquerait rien. Et lui pendant ce temps, il l'aurait pas dans les pattes. Le caporal Chique était de ce genre de personnes tellement attachées à la vie pour continuer à pouvoir se la couler douce qu'il ne prendrait aucun risque inutiles. Et même si... il était moralement conforme à la mentalité de la ville, et fortement réfractaire à toute forme de promotion qui lui ferait changer ses habitudes, le bousculer un peu ne lui ferait pas de mal. Restait plus qu'à espérer que le commissaire ne lui soufflerait pas dans les bronches pour ça.


* Chiquard Chique, de son doux surnom, ne présente d'apparence qu'une vague non ressemblance avec le genre humain. C'est pour ça qu'il est souvent obligé d'exhiber pour les personnes de passage un papier attestant bien de ses origines humaines et non naines, en dépit de son mètre vingt de hauteur. Pour les Morporkiens de souche, il fait bien partie du décor de la ville. Un décor** particulier et imposé, pour autant qu'on en puisse dire. Un peu comme les cadeaux de Noel de la famille éloignée qu'on ne voit qu'une fois l'an.

** mais rares sont les décors kleptomanes qui font des tours avec leurs furoncles.

[Althéa]

Biroute cessa de rire. Il émit un petit couinement horrifié et ce fut tout. Un non, je sais pas, j'dois pas se bousculèrent en désordre dans sa tête. Il fit un pas en arrière aussi vite qu'il put et tomba en arrière. L'odeur de Chiquard finit par l'envahir. Car l'odeur du caporal était vivante, pénétrante, presque humaine. Elle s'insinuait partout, jusque dans les moindres recoins. Une fois qu'on l'avait sentie, on ne pouvait plus s'en défaire.

Biroute se remit difficilement debout tout en empêchant les hauts le coeur de vider son estomac. Puis, il retint sa respiration, du moins, autant qu'il le pouvait. En espérant que l'odeur s'en aille. Non, encore là. Il essaya encore, et encore. Et enc ... et s'évanouit.

[Eliaëdel]

L'esprit des créatures vivantes, et de la plupart des humains, à un degré remarquable, a une capacité d'abstraction qui leur permet d'ignorer les évènements sonores ou visuels trop incongrus, ou trop en opposition avec leurs convictions les plus solidement ancrées*. L'inconvénient majeur de l'inconscience, c'est que l'esprit, qui veille ordinairement farouchement au grain et veille à faire en sorte qu'aucun évènement autrement dérangeant ne vienne perturber le ronronnement poussiéreux et bien confortable de la vie quotidienne, prend dans ces situations là des petites vacances forcées plus ou moins méritées. Avec des réflexions émerveillées du genre: « Tiens, je savais même pas que cette partie du cerveau existait. Ca sert à quoi? C'est vide tout ça.*** »

L'inconvénient, donc, c'est que pendant que l'esprit est ailleurs et philosophe, les oreilles, peuvent décider indépendamment de continuer à fonctionner. Et dans le cas de l'agent Biroute, ça donnait quelque chose comme ça: « ... t'crois qu'il faudrait lui faire du bouche à bouche? » « Chais pas. » Une petite pause, avant que la même voix lointaine et déformée ne reprenne, un peu paniquée et avec précipitation.. « Y pense même pas, Chicard, tu nous le tuerais. » Un grommellement, et le bruit de quelqu'un qui se relève avec force craquements de genoux.

« Quelqu'un pourrait essayer d'lui lever les jambes pendant qu'un autre lui colle des baffes? .... PastoiDétrituspastoiDétrituspastoiDétritus. » Voix précipitée et nerveuse. Raclement de gorge. Ton hésitant. Et passablement ennuyé aussi. La ronflée allait être pour lui.
« Va p't'être falloir prév'nir l'commissaire... ou p'être prendre d'la gnôle. »



* ce qui permet à La Mort, qui, ne l'oublions pas, est un mâle nécessaire, de se déplacer et de passer totalement inaperçue au milieu des vivants**.

** à l'exception notable des mages, sorcières et autres chats.

*** généralement, c'est quand il découvre des zones réservées à la cognition

[Althéa]

Biroute, dans son sommeil ouvrait la bouche et la refermait comme un poisson hors de l'eau. Il entendait parfaitement ce qui se passait autour de lui. Maintenant, il avait compris. Il était dans un cauchemar et il n'allait pas tarder à se réveiller. D'ailleurs, il allait ouvrir les yeux.

Un d'abord. Allez, s'il vous plaît, faites que je sois revenu dans ma chambre. Ce qu'il vit fut la face bienveillante et toute en dents du sergent Détritus, penché au dessus de lui. Oh non, pitié. Peut-être que si j'ouvre l'autre … Non, toujours pas. Toujours au même endroit. Maintenant, une seule chose pouvait le sauver, il le savait. Murmurant autant qu'il lui était possible, il réussit à former ces mots :

"Je voudrais du chocolat"

[Eliaëdel]

Les paroles firent flotter un parfum de flottement consterné. Hum. Le visage de Détritus fut plongé dans une intense réflexion. Pas pour la même raison que les autres. Trouver du chocolat ici. Mis à part de l'alcool, des vieux mégots, des pigeons rôtis et des pains saucisse de Planteur, niveau raffinement, c'était le maximum à en espérer. La panique ne s'arrêta pas là. Le bleu avait des goûts de luxe. Ou à défaut, des goûts hors de portée de la majeure partie du guet. Autant par choix que par habitude.


« Euh... Chiquard? » « Ouais sergent? » Une pause. Pour trouver une manière de formuler les mots.
« T'crois pas qu'tu pourrais aller. Comment dire. Réquisitionner du chocolat. Dis qu'c'est une affaire d'vie ou mort. C'est pas voler. »
« Bien sûr. Pour qui tu m'prends. » Le visage grêlé de Chique s'était illuminé d'une lueur de compréhension. Sacrément roublarde, même. Mis il avait pas besoin de se faire prier pour ça.
« Au fait. Prends Détritus avec toi. » Au moins, il y aurait l'argument intimidant. Pour rendre la négociation plus facile. Vu que le nabot était connu comme le loup blanc pour sa tendance à piquer à peu près tout, surtout la caisse pour la tombola du guet. Pour la convertir en bières au Tambour.

Une fois que les deux furent partis, l'homme s'est tourné vers le jeune Sam qui était à terre. En attendant l'arrivée de chocolat, une rasade d'eau de vie de poire dans son gosier ne pouvait pas lui faire de mal. Du moins, eux, ça ne les tuait pas. C'était, ouais, un médicament. Un remontant. Et il a joint le geste à la pensée.

[Althéa]

Maintenant, il était en feu. Sans qu'il sache pourquoi, les flammes avaient d'abord envahi son gosier pour descendre le long de son œsophage. Et puis curieusement, il s'était senti beaucoup mieux. Comme si il était devenu tout d'un coup. Hé bien, c'était difficile à dire ... Invincible ! Ses yeux s'étaient ouverts en grand et il avait murmuré.

"Wah"

Et tout d'un coup, il avait bondi sur ses pieds. Sa perception avait changé. Il voyait le sol soudain très loin au dessous de lui, même ses pieds étaient posés dessus. Donc, il avait grandi. Il fit jouer un à un ses muscles et se tourna vers Fred Colon. Tiens, il ne savait pas qu'il avait un frère jumeau celui-là. Enfin, il était encore là. Sa bouche pâteuse s'ouvrit imperceptiblement et il parvint à articuler.

"Encore"

[Eliaëdel]

« Euh. Va on p't'être éviter. S'rait mieux qu't'ailles te reposer un peu, p'tit. » Ça serait même préférable. Le sergent était passablement ennuyé. Le nouveau n'était pas une recrue facile. Mais comment dire. Jouer à la mère poule... beeen. On pouvait pas dire que ça lui plaisait beaucoup. Et lui faire vider comme ça sa bouteille lui aurait tordu le ventre. Sans compter le fait qu'avec une gorgée en plus, ils étaient bons pour l'avoir à ronfler jusque demain. Et que Vimaire ne serait sans doute pas trop d'accord. Il aimait dans les choses tournaient malgré le fait qu'elles le faisaient toujours en cahotant.

« La pièce de r'pos est à l'étage. Faudra mieux qu't'y ailles. » Ou plutôt qu'on l'aide à y aller si on voulait pas qu'il ne se blesse dans les escaliers. Mais c'était toujours mieux que de l'envoyer en patrouille maintenant. Comme qui dirait, c'était un coup à ce qu'une catastrophe* lui tombe dessus.
L'homme était légèrement corpulent, mais largement capable de soutenir l'agent défaillant, au vu de la carrure du jeune Sam. La montée de l'escalier fut un peu bringeubalante. Mais menée tout de même à pas le plus constant et régulier possible. Enfin, surtout le plus rapide possible.

« V'là, on y est. Fais pas gaffe aux puces. » En le déposant à côté d'une paillasse un peu miteuse.


*ou une tuile, au vu des normes architecturales de la ville.

[Althéa]

Biroute s'était laissé tomber, roulé en boule. S'ils savaient sur quoi il dormait d'habitude. Du moins, dormir était un bien grand mot. Rester allongé, les sens en éveil sans quoi, le réveil était difficile. Soit on vous volait le peu d'affaires que vous aviez, soit ... Cela faisait une éternité qu'il n'avait pas dormi à proprement parler. Et là, dans ce réduit poussiéreux et sale, sommeil était venu lui réclamer des comptes. Il oublia pour un temps son estomac vide, Chicard et tous les autres. Qu'ils aillent se … voir ailleurs s'il s'y trouvait, et il serait tranquille.

Il dormit longtemps d'un traite assez longtemps pour perdre la notion des heures. Il faisait étrangement noir et les étoiles … Quoi, les étoiles ? Mais il avait dormi toute la journée ! Pris de panique, il décida de sortir sans se faire voir. Avec un peu de chance, on l'avait oublié, ce qui avait le mérite d'arriver souvent. Partir par la fenêtre serait le mieux. Ensuite, il ne lui restait plus que la guilde des assassins. Là, il aurait peut-être un peu plus de chance. La démarche vacillante, il enjamba le parapet et glissa. C'était toujours pareil à Ankh-Morpork, les toits étaient couverts d'un je ne sais quoi de glissant. Et invariablement … Il se rattrapa de justesse à la gouttière. Suspendu par la force de ses petits bras, il s'aperçut avec effarement qu'il pendouillait juste au dessus de l'entrée du poste de guet. Impossible de remonter. Il ferma les yeux et se dit à voix basse.

"Si je ne bouche pas, peut-être que personne ne va me remarquer"

[Zyl]

Chaux passa la porte du guet en se courbant pour éviter de se cogner le crâne. Ce qu'il fit tout de même, avec vaguement dans l'idée que c'était ce qu'on attendait de lui. Une couronne de fleurs* désséchée et oublié trônait, de travers, sur sa tête, et en profita pour s'encastrer dans le mur. Le grand troll effectua quelques pas à l'intérieur du bâtiment, considéra ses habitants d'un air placide et vaguement étonné. Visiblement, il ne s'était pas attendu à se retrouver exactement là où il avait voulu se rendre. Il était grand, même pour un troll, et très blanc, avec le dos courbé et des bras qui n'en finissaient pas. En revanche, "imposant" ne venait pas vraiment à l'esprit en le voyant : il était somme toute assez maigre pour quelqu'un de sa stature, et avait l'air un peu perdu. Il articula d'une voix poussiéreuse, à l'adresse de personne en particulier :
"Guet ?"

*En tout cas, d'oograh. Chaux, comme tous les trolls, n'était pas très doué pour distinguer un végétal d'un autre. La différence entre marguerites et algues dégoulinantes issues de l'Ank n'était pas très claire dans son esprit, malgré tous ses efforts.

[Althéa]

Biroute avait aperçu le nouvel arrivant passer au dessous de lui. Il semblait très grand, et très fort. Bon, il semblait ne pas avoir un très grand sens de l'esthétisme mais s'il venait au guet, c'est que c'était à priori quelqu'un de recommandable. Et surtout, il ne pouvait pas rester là ad vitam aeternam. Tôt ou tard, quelqu'un s'apercevrait de sa présence et se poserait des questions.

Alors, aussi discrètement qu'il le pouvait, il bougea un peu pour attirer son attention avant de lui chuchoter.

"Psst, psst. Vous pouvez pas m'aider à descendre, s'il vous plaît ?"

[Zyl]

Chaux releva la tête avec une lenteur de troll*. Il y avait de la poussière de brique sur son front crayeux. Son bras mit énormément de temps à atteindre ledit front, mais il fallait dire que c'était un très, très, très long bras. Le troll prit le temps de débarrasser son visage des morceaux de bâtiment. Il se sentait presque triste pour les murs. Il n'aimait pas faire de mal aux murs : quelques part, il se sentait proche d'eux. Il ne l'avait pas franchement abîmé, mais même.
Quelque chose le titillait. Ah oui, se rappela t-il soudainement, le petit homme suspendu à la gouttière. Fort heureusement, la nuit était suffisamment fraîche pour que Chaux n'en soit pas réduit à le contempler placidement pendant des heures en attendant qu'il tombe. Il allongea le bras, déplia le dos, et attrapa le pied de l'inconnu. Puis il se mit à réfléchir.
"Pourquoi vous êtes là-haut ? Guet ?"

*Étonnant, non?

[Althéa]

Biroute avait senti la panique l'envahir. Après tout, ce n'était peut-être pas une bonne idée. Il tenta désespérément de s'accrocher, de remonter sur ce foutu toit mais ses bras refusèrent tout mouvement. Et avec la chance qu'il avait, Vimaire n'allait pas tarder à rappliquer. Mieux valait écourter la plaisanterie pendant qu'elle était encore drôle.

Penchant un peu la tête pour apercevoir le troll, il parvint articuler.

"Oui, je suis le guet, enfin, du guet. Heu, si vous voulez bien arrêter de tirer sur mon pied s'il vous plait."

[Eliaëdel]

Le souci, quand un grand gaillard pas spécialement discret débarque dans un bâtiment qui n'est pas vide, généralement, ça se remarque. Quand on débarque de nuit dans un endroit où est censé se trouver l'ordre, ou quelque chose s'en approchant selon des standards de cette ville, malgré la négligence et la fainéantise des agents du guet, cela se remarque encore plus. Même si on a plus de chances de se faire accueillir par un baillement fatigué. Avant d'essayer de se faire persuader de revenir le lendemain matin si possible. Et quand ladite intrusion retaille la porte...
Bon, oubliez.

Toujours est il que le guet s'anima d'un seul coup. Quelque part entre les « Hein? », les grognements contrariés. Et pour ceux qui étaient de garde dans la pièce principale, c'était plutôt un « Ouhputainouhputainouhputain. » Un troll, même sans être parmi les plus costauds de sa race, reste... un troll. Le point positif, c'est qu'avec la nuit, moite certes, mais un peu plus fraiche, les trolls ont tendance à se montrer un peu moins stupides qu'en plein soleil.
Le point négatif, c'est que les agents du guet ont tendance à se montrer plus prudents encore et peut être plus acariâtres. Ou moins compréhensifs.
Divers bruits de tables renversées plus tard, le bruit d'arbalètes qui se préparent juste au cas où, dans l'éventualité où le visiteur ne vient pas seulement faire une déposition selon les traditions trolles. Avant que l'officier de garde ne daigne s'approcher franchement nerveux. La journée avait déjà été longue et la nuit s'annonçait pas plus calme.

« Vous v'nez pour une déposition, m'sieur?* J'vous écccccc... »

Le regard avait progressivement dévié vers le haut en voyant le bras levé du troll. Nerveux. Par habitude et réflexe de survie. Généralement pour éviter les coups de massues improvisées. Sifflement rauque d'une respiration étouffée. Avant de reprendre d'une voix angoissée et colérique à la fois. Et de virer au tout rouge. Pas forcément le meilleur ton à tenir devant un troll. Mais vu le débit de parole à la seconde, il y a avait quasiment aucune chance que la créature ne saississe un mot sur dix.**

« Agent Biroute! Qu'es'ke'vousfichezvousl'faitesexprès'paspossibleautre'mentetvousl'tasgravierj'vousinterdisd'menacernos r'cruessinonz'allez'voiraffaireàmoi. »

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* On appelle toujours monsieur les gens qui font quatre bonnes têtes de plus que soi. A moins d'être inconscient et suicidaire. Ou les deux à la fois.

** n'est pas Détritus dans une chambre froide qui veut.

[Rhonin]

Zerthan se baladait avec une demoiselle dans les rues ce soir là. Ce jeune homme malingre se vantait d'avoir déjà tué trois trolls alors qu'il errait dans les plaines de Sto. Bien sûr , il avait travaillé sa manière de s'exprimer, et la jeune fille buvait ses paroles.

Mais il s'arréta immédiatement quand il vit une ombre bouger sur un toit. En s'approchant, il remarqua une drôle de chose sur la muraille: ca avait des espèces de grands bras. Et quand il vit l'ombre gigoter à l'approche du "bras", il ne pouvait s'empecher de rire!

Une fois arrivé au centre de déposition , il trouva la recrue dénomée Biroute sur le troll. Il y avait un homme plus fort et plus grand qui hurlait un jargon incompréhensible. Il se remit à rire et tous les regards furieux se posèrent sur lui. C'était peut être une mauvaise idée en fin de compte.

Essayant de sortir de ce pétrin, il articula en bégayant:
"Y'a des loups devant les portes de la ville! Fau'k vous interveniez tout d'suite sinon on va tous crever!"
La jeune fille essaya de protester mais une main déplacé la fit se tenir droit et garder le silence. Elle attendrait un moment plus opportun pour reparler de ceci avec le jeune homme. Il connaissait bien cette histoire ....

Il essaya de remettre ses cheveux en place puis gratta sa barbichette, unique signe de pilosité chez cet homme. Mauvaise excuse, car les gardes n'avaient pas entendu d'hurlements de loups depuis bien longtemps. Il se mit à sortir sa lyre, et commençait à jouer. Les gardes éclatèrent de rire et se mirent à le provoquer:

"-Eh! p'tet bien qu'il veut faire son tour, lui aussi!
-Ouais ! Chef, il pourrait surveiller Biroute!"

Le sergent Détritus réfléchi un moment, puis accepta l'idée de ses congénères. Quelques minutes plus tard, on retrouvait Zerthan en train de se faire gifler et insulter par la jeune fille, et Biroute qui essayait de rester à l'écart.

[Zyl]

Chaux, sur l'injonction de l'humain, le lâcha. Il était perplexe.
"Vous voulez pas descendre ?"
Le troll était patient, très patient, mais il ne comprenait pas vraiment. Il aimait bien les humains, mais ils agissaient bizarrement. Et cela, même la fraîcheur de la nuit ne pouvait l'expliquer à son esprit confus.
"Je vais pas faire du mal à l'agent je-suis-le-guet. Je veux pas faire du mal au Guet."
Puis il tourna, avec toujours autant de lenteur, la tête en direction de l'officier.
"Je heu... "
Il se gratta le crâne, ou du moins tenta bravement de le faire, en se cognant le coude contre la maçonnerie au passage.
"Guet ? Je suis Amé-heunanpasça, Chaux."
Il marqua une pause.
"Chaux, c'est mon nom."
Indiqua t-il avec candeur, au cas-ou.
"Je viens pour déposer l'agent je-suis-le-guet. Enfin je crois, mais l'est pas d'accord. Y'a des gens qui me disent "Tu ferfes un travail ? Fa donc te faire foir au guet, efpèffe d'empaffé." Et donc je me fais voir."
Il eut un timide sourire. Il manquait quelques-uns des pauvres diamants qui lui servaient de dents. C'était le lot des trolls bagarreurs ou particulièrement fauchés. Chaux était les deux malgré toutes ses idées plus ou moins pacifistes et sa bonne volonté.
"L'avantage, c'est qu'un troll, ça se voit bien, hein ? Je veux aider l'agent je-suis-le-guet. Je viens pour une déposition. Travailler."
Il sourit de nouveau. Il n'était pas mécontent de son discours d'entrée. Il avait fait pire. Pour faire bonne mesure, il se frappa la poitrine du poing, et tituba en arrière en manquant de tomber sur le jeune homme qui venait de se pointer. Il cligna des yeux. Cette affaire devenait confuse.

[Althéa]

Biroute ne savait plus trop comment, mais il s'était retrouvé par terre, sur ses pieds et en un seul morceau. Un exploit en somme. Il se tourna vers le dénommé Chaux et fit un pas en arrière. Des trolls. Bien sûr, il en avait entendu parler. Mais là d'où il venait, ils étaient interdits. Celui-là lui semblait tout à fait sensationnel.

Il se tourna vers les gardes et les considéra avec un peu d'appréhension. Le fait qu'il ait pioncé toute la journée n'allait pas lui faciliter la tâche. Et il était presque sûr que la rumeur s'était répandue.

[Eliaëdel]

Une main est passée sur son visage. Lentement. Des têtes sont sorties avec prudence de leur cachette. Pour mieux visualiser la scène.


« V'lez dire qu'z'avez passé la porte en pleine nuit pour... Nan dites rien. » Nouveau soupir. Pendant que la veine du front s'était mise à battre dangereusement. « Revenez d'main matin. C'vaut pour toi aussi, r'crue Biroute. Mais pas c'te nuit. Même si t'as intérêt à l'être là d'main. Les seuls places qu'on a c'soir, c'est dans la cellule de dégrisement. »

Sa main a cherché à rabattre la non porte. Elle a battu dans le vide un instant encore, avant qu'un nouveau soupir à fendre l'âme accompagné d'une bordée de jurons libératrice marmonnée dans sa barbe. L'homme a tourné les talons, avant de s'asseoir lourdement sur une chaise laissée vacante. Et pendant que la pièce reprenait tout doucement une activité normale dans des toussotements gênés. Difficile de faire plus clair pour une invitation polie à revenir quand le sergent serait dans de meilleurs dispositions.

Et de laisser le troll et l'humain dans la rue faiblement éclairée seuls à eux mêmes.*


* métaphoriquement, tout du moins. Techniquement, même sur les pavés, ils n'étaient pas si loin d'être dans le Guet.

[Althéa]

Le petit Biroute s'était donc retrouvé dehors, en compagnie d'un troll. C'était à vrai dire une drôle d'association, mais une association plutôt bienvenue pour le gamin qui avait du mal à trouver un coin dehors. La nuit d'avant, il avait été abordé par un drôle de bonhomme prêt à tout pour lui vendre un pâté d'aspect assez étrange. Il disait que c'était du cochon. S'en était peut-être à vrai dire, mais il n'osait pas s'imaginer les pièces. Et comme l'autre menaçait de se trancher la gorge et que surtout, ce n'était pas très cher, il en avait acheté un. Il avait avalé très vite, en évitant un maximum de mâcher. Bizarre, ça croquait tout en étant visqueux en même temps. Mais en attendant, curieusement, il s'était senti repu. Il avait presque eu envie de manger quoi que ce soit d'autre. Même des semelles de chaussure.

Il s'était tourné vers le troll providentiel. Celui-ci avait l'air inoffensif, du moins pour le moment. Il avait rassemblé son courage et lui avait demandé.

"Heu, tu connais un endroit pour passer la nuit, toi ?"

[Zyl]

"C'est que... Le jour... Bon."
Il avait affiché un air un peu misérable. Il était moins présentable le jour. Mais la porte s'était déjà refermée.
Le troll se retourna vers son compagnon. C'est vrai qu'il était tout petit. Il cligna des yeux plusieurs fois, réfléchit.
"Non."
Il avait vaguement espéré pouvoir dormir au Guet, mais en tant que troll, il était plus nocturne que diurne. Ce qui lui allait pas mal compte tenu de ses habitudes lorsque la chaleur montaient, qui lui attiraient des lots et des lots d'ennuis enroulés dans du papier cadeau (à fleurs).
"J'ai pas de heu, maison."
Le grand troll restait là, les bras ballants, à regarder fixement Biroute. Il n'avait pas prévu cela. Il avait un air un peu désemparé, ce qui chez un troll était assez dur à afficher. Il ne savait que faire. Habituellement, à cette heure ci, il était en train de secouer les ivrognes endormis en les tenant par les chevilles pour en faire tomber leur argent. Il n'était pas méchant, ni un voleur, mais après tout, il fallait bien que ça serve à quelqu'un, hein ? Ca serait sûrement une habitude à perdre. De toute façon, en général, ils lui criaient dessus si fort qu'il devait battre en retraite sous le coup de l'haleine.
"On peut aller..."
Il se gratta le crâne.
"Au Tambour ?"
Il ne se souvenait plus très bien du lieu que ce nom évoquait, à vrai dire. Ca n'était pas un bar troll, en tout cas, mais Chaux évitait de fréquenter ceux-là. Il n'aimait pas tant que ça être frappé sur la tête avec de gros cailloux, en fait (chez les trolls, c'était sûrement l'équivalent le plus proche d'un billard. Ou d'un poker. Les fléchettes, quand à elles, étaient jouées à distance.). Le Tambour n'était pas un endroit pour passer la nuit, sûrement pas. Mais l'esprit de Chaux était un petit peu embrumé.

[Althéa]

Le tambour. Rien que l'évocation du lieu lui fit ouvrir de grands yeux. Le tambour. Il en entendait parler même entre les quatre murs de ce qui constituait sa maison, sa prison. C'était un lieu louche par excellence. Mais tout comme jeune qui se respecte, la mythologie de l'endroit le faisait rêver. D'ailleurs, tout le faisait rêver. L'en dehors. Cette fois, il faisait partie de la ville.

Il regarda le troll qui l'avait inclus dans son plan de soirée. Là-bas, il aurait au moins un protecteur. Un vrai. Il fouilla dans sa bourse pendue à sa ceinture. Certes, il avait pillé dans la trésorerie mais "elles" lui devait bien ça. Il fit jouer doucement les pièces dans ses mains.

"Ce soir, c'est moi qui paye"