[Bâtiment] Les entrepôts

[Galathée]

" Je dois dire que je ne m'attendais à rien..." murmura Valaellyn. " Je n'ai pas ton expérience de la vie... et jusqu'ici, les choses finissent toujours par bien tourner."
Elle le dévisagea avec une grimace.
" Ça va te sembler ridicule, bien sûr, mais... J'ai immanquablement foi en la beauté du monde, que Chauntéa a porté et voulu ainsi. J'ai foi en sa bonté, en son désir que la vie prenne toujours le dessus sur la mort. Et je pense aussi que nous récoltons ce que nous semons..."
Elle sourit.
" En même temps, j'ai la trouille. Même si nous avons trouvé des amis."

[Taliesin]

-Je l'ai aussi... fit-il, sincère. Mais ça me rassure que nous soyons au sein d'une structure organisée : j'ai trop souvent été seul, sans appuis... L'entraide, cela change tout.
Il s'empara de ses couverts.
-Quant à ta foi... Cela ne me paraît pas ridicule, bien au contraire. Et ça nous sera utile : j'ai une trop grande tendance au doute, au pessimisme... Sans la foi de Victor, je ne serai pas ici, tu peux m'en croire. Alors, vraiment, c'est une chance que tu sois du voyage. N'hésite donc pas à mre remonter les bretelles si tu me vois broyer trop de nori !

[Galathée]

" Je te prêterai ma foi et tu me prêteras ton courage et ta détermination sans failles." murmura-t-elle comme on leur servait la pitance du jour.
L'hiver était toujours sur les tables, mais le printemps pointait son nez : parmi les navets, carottes, oignons et autres pommes de terre qui agrémentaient le pot-au-feu, on trouvait la verdure des premières bettes et même quelques asperges. Cependant, en écho aux paroles de Valaellyn, et malgré l'entrain des habitués de l'entrepôt, une certaine tension était palpable, émanant de ceux qui allaient embarquer dès le lendemain pour une destination redoutée, dont la légende sanglante planait au-dessus leur repas. Taliesin avait pu contempler et mesurer l'horreur melandienne. Les autres ne pouvaient que l'imaginer. Et leurs images étaient-elles à la hauteur de la réalité ?

[Taliesin]

Il mangea avec appétit, sans se laisser atteindre par l'inquiétude ambiante.
Évidemment, il avait peur, comme il l'avait avoué à Valaellyn. On ne pouvait qu'avoir peur de Mélandis, même quand on la connaissait. Surtout quand on la connaissait. Pourtant, il avait survécu à son premier voyage, malgré la guerre civile qu'il avait involontairement contribué à déclencher. Or, il n'y aurait rien de tel cette fois : il avait une mission précise, une personne bien identifiée à rechercher. Plusieurs, d'accord, sitôt que les autres voyageurs auraient évoqué leurs disparus. Mais c'était sans commune mesure avec la quête des hypothétiques survivants d'un peuple depuis longtemps dispersé.
Il s'en tiendrait strictement à leur mission, resterait cantonné dans les limites fixées par la Réunion, dans les structures qu'elle avait mis en place, lesquelles le protégeraient... Il aurait même une bonne couverture, ce qui le mettrait à l'abri d'être reconnu...
Et puis, il était guéri de son enthousiasme débordant d'autrefois, de sa croyance invétéré dans la possibilité de changer le monde...
Non, il ne commettrait plus d'erreur. L'enjeu était trop grand.

[Galathée]

Une fois le repas terminé et débarrassé, les gens s'éloignèrent par petits groupes.
" Je voudrais me rendre au Sanctuaire de Lathandre." dit alors Valaellyn. " Seskan m'a dit qu'il s'y trouvait une autre prêtresse de Chauntéa, et je voudrais me ressourcer avant de prendre la mer. Comme l'a dit le capitaine, quitter la terre ferme n'est pas évident pour moi. En tant qu'elfe et en tant que chauntéenne. Mais tu ne dois pas m'accompagner. Je ferai un rapide aller-retour."

[Taliesin]

Taliesin sourit.
-Il n'y a aucun problème, tu sais. Bon, je ne me serais jamais risqué au Sanctuaire dans tous les cas, je pourrais y être reconnu. Mais de toute façon, j'ai largement de quoi m'occuper ici, alors, n'hésite vraiment pas, et prends tout ton temps. Il faut effectivement récupérer des forces et de la sérénité avant notre périple, par tous les moyens possibles. Nous en aurons besoin...

[Galathée]

Valaellyn lui sourit puis monta à l'étage pour se changer. Elle redescendit quelques minutes plus tard, emmitouflée dans son manteau, alors que la salle à manger était presque vide. Constance s'était installée près du feu pour fumer la pipe. Seskan compulsait des documents en bout de table. La prêtresse salua son compagnon, lui enjoignant de ne pas broyer du noir avec un clin d'oeil puis fila au dehors.

[Taliesin]

Sitôt Valaellyn partie, Taliesin imita Constance et s'installa près de l'âtre pour fumer la pipe. Tout en expirant des panache de fumée, il songeait à cette prêtresse de Chauntéa mentionnée par sa compagne d'aventure. Pouvait-il s'agir de Garance, la jeune femme que Kasumi avait amenée à l'Impasse du Dauphin, alors qu'ils enquêtaient sur la disparition d'Albérich Megrall ? Si c'était le cas, il fallait espérer que l'elfe ne lui demanderait pas de venir ici, sans quoi, il serait aussitôt reconnu...
Mais pourquoi Valaellyn ferait-elle une chose pareille ?
Ah, sa vieille tendance à la crainte, toujours prête à revenir au galop...
Mais il ne se laisserait pas miner le moral. Sitôt fini de fumer, il irait donner un coup de main, dans l'entrepôt. Cela lui changerait les idées en plus d'être bien utile...

[Galathée]

Mais pour l'heure, personne ne semblait pressé de se remettre en mouvement.
" Ah ! Ce que j'aimerais appareiller, moi aussi !" s'exclama soudain Seskan.
" Tu ne peux pas." répondit Constance entre deux bouffées.
" Merci je sais. N'empêche. J'aimerais bien."
Le capitaine haussa les sourcils.
" Que ça t'apprenne à réfléchir." finit-elle par dire.
" Tu es optimiste, ma parole."
" Pas vraiment. Mais je sais que tu aimes quand les gens se bercent d'illusions."
Elle se tourna vers Taliesin.
" Nous allons charger la Liberté cet après-midi. Si vous n'avez rien de mieux à faire, votre aide est la bienvenue."

[Taliesin]

-Je vous aiderai volontiers, même si je n'ai pas la carrure d'un docker... répondit-il, joyeux. Mais j'aime autant ne pas rester les bras croisés, cela ne me réussit guère, généralement. Et comme en dehors d'écrire une courte missive à nos familles, je n'ai rien pour m'occuper... Bref, je vous prêterai main fort avec plaisir.

[Galathée]

Constance ne sembla pas se soucier de son gabarit et l'embarqua vers la Liberté dès qu'ils eurent fini de fumer. Au dehors, le ciel était gris et un vent sauvage soufflait dans les mâts des voiliers amarrés, les faisant teinter. La Liberté était un deux-mâts effilé, à la coque grise, et on s'activait sur le pont. Taliesin profita donc de l'occasion pour faire plus ample connaissance avec les hommes d'équipage : il y avait Gauthier, le second, qu'il avait rencontré la veille, Guéric, le halfelin qui avait mangé à ses côtés la veille, ainsi que deux femmes, Greta et Griselda, humaines jeunes et vigoureuses, les cheveux coupés courts, la première rousse, la seconde brune, qui accueillirent Taliesin à bord avec un petit rire complice et fripon.
Si le capitaine n'avait pas relevé la question de la force physique de l'invité à bord, elle l'affecta cependant à des tâches légères : il dut contrôler leurs fournitures, l'état des lits, la vaisselle, histoire que chaque voyageur dispose du minimum de confort. L'activité n'était pas passionnante mais utile, et l'après-midi passa sans crier gare. L'elfe put constater de ses yeux ce que lui avait rapporté Valaellyn : la Liberté était un petit navire en bon état et son équipage semblait compétent.

[Taliesin]

Pas une fois Taliesin ne songea à se plaindre des tâches auxquelles on l'avait affecté. Elles n'étaient pas exactement du genre enthousiasmant, certes, mais elles lui convenaient tout à fait, l'empêchaient de trop réfléchir à ce qui l'attendait, à ce qu'il laissait derrière lui, de trop s'inquiéter des risques, des échecs possibles... Bref : c'était exactement ce dont il avait besoin, ce qu'il aurait fait en temps ordinaire : penser logistique, concret, utile... Il mit donc un soin tout particulier à ses travaux d'inventaire et de vérification, et ne fit en rien attention aux heures qui s'écoulaient.

[Galathée]

En fin de journée, la Liberté était fin prête à partir arpenter les océans, l'équipage retourna donc à terre pour profiter d'une dernière nuit sur un sol stable. Pour fêter le grand départ, les préposés à la cuisine avaient mis les petits plats dans les grands et servirent un repas de fête, contenant le meilleur de ce début de printemps, premières salades vert tendre, de la viande fraîche et un pain encore chaud qui faisait chanter les estomacs. L'atmosphère un peu tendue se dissipa pendant la durée du dîner, apparemment les voyageurs avaient réussi à profiter des dernières heures pour trouver un peu d'apaisement. Nul doute qu'évoquer leurs disparus ramènerait une certaine fièvre en leur coeur. La nécessaire détermination.
Valaellyn elle-même était de bonne humeur, même si elle n'avait pas trouvé la Chauntéenne du sanctuaire. Celle-ci était partie des veilles plus tôt et l'elfe n'avait pas cherché à en savoir davantage.

[Taliesin]

Taliesin, déçu pour la prêtresse, fit néanmoins honneur à sa bonne humeur... et au repas. A chaque instant, il prenait davantage conscience de la chance qu'il avait de se trouver au sein d'un groupe, et non seul, ou à deux, pour affronter ce qui les attendait. Dans un groupe, il fallait faire front ensemble, profiter des occasions de détente et tenir bon dans les moments de doute, face à l'adversité. En cela, son métier de barde trouverait peut-être son utilité. Il commençait à avoir une bonne idée de la personnalité des membres de l'organisation, les sentait déterminés, rompus à ce genre d'expédition. Mais il ne connaissait pas encore celle des autres passagers, des autres personnes à qui l'on avait arraché un proche. Peut-être pourrait-il tenter de leur remonter le moral, quand celui-ci viendrait à flancher... Il devrait en tout cas se montrer fort, ne pas se laisser aller à ses affres coutumiers... C'était vraiment une bénédiction.

[Galathée]

Après le repas, Seskan invita les voyageurs à se retrouver dans une petite pièce attenante pour procéder aux présentations. Chacun reçut une chaise et une tasse d'infusion épicée, puis le rouquin prit la parole.
" Comme nous vous l'avons expliqué, une fois à bord et plus encore à Mélandis, vous devrez vous comporter comme une équipe. Vous avez quatre disparus à retrouver, tous ensemble. La Liberté ne reprendra pas la route de Luménis tant que le destin de chacun d'entre eux n'a pas été élucidé. Comme vous le savez aussi, il est cependant possible que certains soient hors de votre portée. Il faudra vous y résigner et pourtant vous battre pour libérer les autres... Une fois en mer, vous n'aurez plus l'opportunité d'échanger tranquillement car le bateau exigera sans cesse que vous l'aidiez à naviguer. De surcroît, la Liberté n'abrite pas de réelle salle où vous pourriez vous retrouver tous ensemble. Bref, le moment est opportun."
Il se tourna vers le couple de Luméniens plus âgés, qui avaient pris place à sa droite.
" Nous pouvons commencer par vous, peut-être ?"
L'homme avait le cheveu gris fer et une moustache fournie, la femme était plus petite, très fine, et sa chevelure blanche tombait en boucles sur ses épaules. Elle lui jeta un petit regard, il opina du chef, puis elle sourit à l'assemblée.
" Je me nomme Noéline, et voici Loukian. Nous sommes mariés depuis trente ans et avons toujours vécu à Luménis... Nous avons connu les beaux et les moins beaux jours. Et puis la dictature..."
Elle secoua la tête.
" Notre fils, Deverell, était instructeur à la commanderie des paladins. Il enseignait le combat à cheval. Il a disparu dès les premiers jours. Il y a plus d'un an désormais..."
Sa voix se brisa et elle demeura un instant bouche bée, frissonnante. Son mari posa une main sur son épaule.
" C'était..." reprit-elle. " C'était la lumière de notre vie. Il était... nous avions... Je ne sais même pas comment je peux encore respirer... désormais... "
Puis elle fondit en sanglots convulsifs, tandis que Loukian l'attirait contre lui.
" Nous savons qu'il a été embarqué pour la cité du chaos grâce au témoignage d'un écuyer qui a échappé à la déportation. Apparemment plus d'une trentaine de paladins ont été envoyés à Mélandis." reprit-il tout en flattant le dos de son épouse. " Nous savons... que les chances de le retrouver vivant sont très maigres. Mais nous devons savoir."

[Taliesin]

Taliesin écouta sans piper mot, un peu embarrassé mais ô combien respectueux face à la douleur de ce couple. Les chances qu'ils retrouvent leur fils étaient faibles, surtout s'il faisait partie des premiers à avoir été dépoté : un an de dictature, une autre année encore, ou un peu moins, de reconstruction... De si longs mois, de si longues veilles, dans un véritable enfer. Les chances étaient faibles, mais pas totalement inexistantes : si on ne l'avait aps tué d'emblée, c'est qu'on voulait se servir de lui, profiter de ses talents de combattants pour en faire un gladiateur, de sa force pour d'autres corvées... On n'achetait pas un esclave juste pour le sacrifier. Du moins, il osait l'espérer, bien qu'il ait eu la preuve du contraire en certaines occasions. Mais ce ne pouvait pas être la majorité des cas... La cupidité était souvent plus forte que les pulsions meurtrières, même chez les Mélandiens.

[Galathée]

Vint le tour des deux frères. A bien les regarder, ils étaient beaucoup plus jeunes que ne l'avait cru Taliesin de prime abord. A peine adultes, peut-être pas encore. Roux tirant sur le blond, ils avaient le visage constellé de taches de rousseur. Ils avaient dû avoir le sourire facile. Autrefois. Le premier avait une jeune barbe lui mordant les joues, le cheveu un peu sauvage et une cicatrice en étoile sur le front. Le second avait une coupe plus sévère, très courte, les épaules un peu plus larges et une balafre qui lui courait de l'oeil droit au menton. Des rescapés.
" Lui c'est George." dit le premier.
" Et lui Fred." fit le second.
Malgré leur apparence volontairement dissemblable, Taliesin réalisa qu'ils étaient jumeaux.
" Notre mère était un des fers de lance du Luménis Report, elle couvrait la politique intérieure. Elle a été très critique de Morféa dès le début. Toute la famille en a profité." dit le premier avec un cynisme désabusé.
" Elle a été exécutée, nous avons été réduits en esclavage ici à Luménis, pour le profit d'un marchand dont nous avons décidé d'oublier le nom. Notre soeur a eu moins de chance. La libération de Luménis n'a pas profité à ceux et celles qui avaient pris la route de Mélandis."
" Nous allons la ramener."
Ils croisèrent les bras de concert, comme un seul homme, l'expression butée.

[Taliesin]

Taliesin observa les deux jeunes gens avec attention. Ils semblaient être déjà passés par de nombreuses épreuves, et paraissaient sûrs d'eux. Mélandis ne leur ferait certainement pas peur. Moins, en tout cas, qu'au couple précédent. Mais il faudrait peut-être veiller à museler leurs ardeurs, leur fougue, pour ne pas qu'ils se lancent tête baissée dans le danger, pour éviter qu'ils ne courent à leur perte... En dehors de ce risque non négligeable, leur ardeur pourrait être un atout, à n'en pas douter. Ils ne flancheraient pas...

[Galathée]

Le dernier duo était composé d'un homme d'environ cinquante ans, la mine fermée, le cheveu très sombre et d'une jeune femme beaucoup plus jeune, pâle et cernée, qui semblait au bord des larmes.
" Je me nomme Galeran. Mon fils devait épouser Bérénice, ici présente, l'été passé. C'était un jeune homme plein de promesses, il travaillait au Palais de Justice, comme avocat. Il a été arrêté lorsque les rumeurs de révolution ont commencé à circuler et a été déporté il y a plus ou moins un an. Quelques mois seulement avant que le tyran ne soit renversé. C'était un lettré, pas un guerrier, nous imaginons donc qu'il a pu être vendu en tant que secrétaire, nous l'espérons du moins."
Le père du disparu avait énoncé tout cela sans émotion apparente, maîtrisé, tandis que la fiancée frissonnait.
" Il se nomme Nathaniel." souffla-t-elle simplement.
Les regards se tournèrent ensuite vers Taliesin et Valaellyn.

[Taliesin]

Taliesin hésita, comme s'il craignait les émotions qui pourraient l'envahir quand il raconterait ce qui s'était produit. Mais il se ressaisit : il en avait parlé à maintes reprises...
-Ma compagne a été enlevée il y a trois mois environs, dit-il d'un ton calme. Le but était de la mettre hors de ma portée, mais j'ai réussi à apprendre qu'elle avait été vendue à des esclavagistes. Elle est rôdeuse et se nomme Galathée.
Quelques mots simples pour résumer ses affres...

[Galathée]

Pour une fois, leurs futurs compagnons de route ne restèrent pas complètement de marbre. Les deux frères jumeaux écarquillèrent même des yeux surpris.
" Galathée ? C'est la petite brune des quais !" s'exclama le premier.
" On la connaît, c'est elle qui nous a libérés. Avec l'autre rôdeur, comment s'appelait-il... "
" Kasumi."
" Kasumi, voilà."
" On la ramènera aussi !"

[Taliesin]

Le barde les dévisagea, pantois pour le coup. Il ne s'était certainement pas attendu à croiser des personnes ayant connu Galathée. Mais était-ce vraiment étonnant ? Elle avait œuvré dans la Résistance, tandis qu'il était en prison... Ou jouait les monstres.
-Merci, fit-il enfin, avec un sourire un peu flou.
Il n'avait rien trouvé d'autre à dire.
Encore une fois à court de mots... Cela allait devenir une habitude.

[Galathée]

" Vous ne vous êtes pas présentés." intervint alors le père du paladin disparu.
Valaellyn sourit.
" Je suis Valaellyn, prêtresse de Chauntéa. J'accompagne mon ami Taliesin dans cette quête périlleuse." dit-elle, avant de jeter un oeil vers le barde.
Personne ne réagit de manière particulière, ils se contentèrent d'hocher la tête pour les saluer. Soit ils avaient oublié le nom de celui qui avait ramené les Mélandiens à Luménis, soit ils ne l'avaient jamais connu. A moins qu'ils n'aient l'image d'un tout autre Taliesin en tête. Quoi qu'il en soit, l'elfe n'aurait pas à en répondre devant cet auditoire.

[Taliesin]

Ah oui, tiens, il avait oublié de dire qui ils étaient.
Comme quoi, faire le récit souvent narré des sinistres événements qui les avaient amenés ici l'avait plus ébranlé qu'il ne l'aurait imaginé.
A moins, tout simplement, qu'il ait pris l'habitude de mettre son identité de côté, de ne la révéler qu'en cas d'extrême obligation.
C'était sans doute un peu des deux.
Il adressa un sourire reconnaissant à Valaellyn, un autre un peu penaud à la petite assemblée, puis attendit la suite.

[Galathée]

" Vous savez à présent que vous recherchez deux jeunes femmes et deux jeunes hommes. Ce que nous savons d'eux est tout ce que nous pourrons utiliser pour les retrouver. Les esclavagistes transportent et vendent sans réellement s'attacher aux noms, aux individus. Il faudra chercher en fonction du destin probable de chacun d'entre eux..." fit Seskan.
Il les dévisagea.
" Je vous conseille d'aller profiter d'une dernière nuit de sommeil à terre. Dès demain, la traversée commencera et il n'est pas toujours évident de se reposer dans un univers en mouvement... "
Il leur sourit.
" Bonne chance et bon courage à chacun d'entre vous. Ne perdez pas espoir."

[Taliesin]

Le barde lui rendit son sourire, un sourire cette fois dépourvu de tout embarras, mais emprunt de gratitude.
Il se demandait quelle était la part de Seskan dans la constitution de l'organisation, et quelles étaient les raisons qui l'avaient poussé à s'impliquer dans cette lutte.
Évidemment, il y avait eu un mouvement de fond de la part de ceux à qui on avait arraché un frère ou une soeur, un conjoint, un enfant... Etait-il de ceux là ? Ou était-ce autre chose qui l'animait, qui l'avait poussé à mettre les gens en contact, à coordonner les efforts, à créer, pour tous, la Réunion ? Car s'il la dirigeait, il avait dû être son principal organisateur..
Il se posait la question, mais ne la poserait pas à l'intéressé. Il ne voulait pas se montrer indiscret, voyait la flamme qui brûlait en lui. Cela lui suffisait.
Et il lui en était reconnaissant. Ô combien.

[Galathée]

La petite salle commença à se vider. Les deux vieux Luméniens allèrent parler à Seskan, le père et sa belle-fille s'esquivèrent rapidement pour rejoindre le dortoir. Les deux jumeaux, par contre, vinrent vers Taliesin et Valaellyn. Ils avaient toujours leur mine butée, ce qui trahissait leur jeune âge, mais l'un et l'autre étaient mieux bâtis que les elfes qui leur faisaient face.
" Nous vous aiderons à retrouver Galathée." dit le premier.
" C'est quelqu'un de bien. Qui ne manquait pas de courage devant l'adversité." fit le second.
" Nous le lui devons. Sans elle, Lathandre seul sait ce qui serait advenu de nous lors des jours sanglants qui ont précédé la chute de Morféa."

[Taliesin]

Lathandre sait combien je suis dans le même cas... songea Taliesin.
Puis il sourit aux deux frères.
-Merci beaucoup, vraiment. Je ne m'attendais pas à croiser des personnes l'ayant connue, et vos paroles me touchent énormément. Mais croyez m'en, je ferai tout mon possible pour vous rendre la pareille, pour vous aider à retrouver votre sœur. Seskan l'a dit : nous chercherons tout le monde, et nous ne repartirons qu'une fois retrouvés les nôtres Ensemble, en joignant nos forces, nous y arriverons.

[Galathée]

" Vous avez raison." dit celui qui s'appelait Fred et son frère opina du chef.
" Bonne nuit à vous. Nous serons honorés de voyager en votre compagnie." dit Georges.
Puis ils s'esquivèrent vers l'étage. Derrière Taliesin, Valaellyn étouffa un bâillement.
" Bonne rencontre." dit-elle. " Je gage cependant que nous aurons tout le temps de faire connaissance une fois à bord. Je tombe de sommeil, pour ma part."

[Taliesin]

Taliesin prit un air déçu.
-Mais... J'escomptais que nous passerions ces heures de répit à élaborer notre stratégie, à mettre au point nos moyens d'actions...
Il sourit largement.
-Allez, j'arrête de raconter n'importe quoi. Va donc profiter de notre dernière nuit à terre avant longtemps ! J'écris la missive que nous enverrons demain, puis je monte aussi : je tombe de fatigue...
C'était vrai : il n'avait pas ménagé ses forces, tout au long de la journée, et espérait bien prendre quelques heures de repos avant d'embarquer.