[Habitation] La maison de Corwin Balder

[Mornagest]

Sans qu'il ait eu le temps de dire ouf, voilà qu'il était embarqué dans une histoire qu'il n'aurait même pas soupçonné quelques instants plus tôt. Inscrit dans les registres ? Lothringen voulait-il le faire devenir manostien ? Bah... finalement, pourquoi pas ? Même s'il n'était pas certain de pouvoir accepter la tutelle de Helm.

N'ayant pas eu le temps d'y réfléchir, Mornagest déclama le premier nom qui lui vint à l'esprit, et qui avait l'avantage de n'avoir rien en commun avec le sien.

"Hughes Montfort, capitaine", ayant noté, tout de même, le grade du commandant de la patrouille. Il évita de regarder Lothringen, mais il aurait voulu gueter afin de déceler une éventuelle réaction à l'annonce de son "nom".

[Lothringen]

Lothringen ne réagit en rien sur le moment, mais on pouvait soupçonner qu'il faisait de grands efforts pour contrôler ses expressions faciales. Le capitaine reprit :

"Autre chose à signaler ?"

Lothringen répondit pour lui qu'il était arrivé en ville sans armement et était originaire de la campagne manostienne. Après quelques politesses d'usage, le soldat prit congé et repartit avec sa patrouille, non sans avoir assuré que la question serait réglée d'ici le lendemain.

Le semi-drow les regarda quelques temps s'éloigner.

"Voilà, comme cela les choses devraient t'être un peu facilitées, en cas de perquisition ou de contrôle... Je ne sais pas exactement ce que le Grand Emissaire envisage de faire, mais, connaissant les méthodes des cyriciens, il veut traquer tout agent infiltré - et moi, le connaissant, je peux t'affirmer qu'il ne fait jamais les purges à moitié."

Il se tourna alors vers Mornagest et éclata de rire. Il souffla :

"Ah, désolé, mais c'est le nom que tu as donné... Tu envisages une carrière de paladin ?"

[Mornagest]

Il eut une expression horrifiée sur le visage avant de se rendre compte que Lothringen le raillait, et de répondre :

"Mais... euh, j'ai décliné le premier nom qui m'est passé par la tête. J'avoue que je n'avais pas songé au changement d'identité jusqu'à ce point... Hum, paladin, non, pitié, non. Qu'est-ce que tu me recommanderais, d'ailleurs, comme travail ? Je ne suis pas très au courant des besoins en ville. Marchand ? Tavernier ? Garde ? Artiste ?" finit-il en souriant. De ce dont il avait souvenir, il avait toujours été incapable de créer quoi que ce soit de ses dix doigts. Pas étonnant qu'il se fût orienté vers le combat, vu les atouts musculaires dont il bénéficiait alors. Mais maintenant...

"Au fait, mon apparence a changé, mais cela veut-il dire que... les muscles qui allaient avec aussi ?"

[Lothringen]

Lothringen inclina la tête, détaillant du regard la nouvelle morphologie du guerrier. Elle n'avait évidemment pas grand chose à voir avec sa légendaire carrure de colosse. Désormais, Mornagest- Hugues Montfort n'était pas plus grand que lui, et à peine plus large d'épaules. L'espace d'un instant, le semi-drow se demanda lequel d'eux deux pèserait le plus lourd... C'est que le corps que Mornagest s'était choisi était presque frêle en comparaison de l'ancien. Il expliqua à voix basse, n'aimant pas l'idée qu'ils se tenaient au milieu de la rue :

"Un simple changement d'apparence aurait certes été plus agréable pour toi, mais beaucoup plus imprudent à long terme, car l'on aurait pu, à tout instant, remarquer le léger décalage de hauteur entre ta silhouette et les objets émanant de toi. Enfin bref... La métamorphose est complète, ce qui implique malheureusement que tu n'as plus ton ancienne force, ni ton ancienne allonge. En revanche, tu devrais avoir conservé tes compétences martiales..."

Au final, Mornagest resterait un guerrier de raisonnable puissance, même s'il paraîtrait beaucoup moins impressionnant au premier abord. Lothringen alla refermer la porte de la maison, et commença à marcher en compagnie du guerrier au hasard des rues. Après des jours et des jours à veiller un malade inconscient, lui aussi appréciait de retrouver l'air libre en sa compagnie, même si le trop grand nombre de citoyens le saluant le mettait quelquefois mal à l'aise. Combien de fois avait-il rêvé de pouvoir circuler librement dans Manost, son compagnon à ses côtés ? Au prix de quelques mensonges, de quelques illusions... ils y étaient presque. Quand ils eurent quitté cette rue trop fréquentée pour une autre plus paisible, il reprit :

"Pour l'emploi que tu pourrais prendre, ma foi... Tu devrais, plutôt raisonner d'après tes envies et tes compétences qu'en fonction des besoins d'une cité de cette taille. La plupart de nos guerriers sont dans la garde ou dans l'armée, quelques uns gardes du corps, vigiles, mercenaires. Mais... es-tu certain qu'il n'est pas trop tôt ?"

Une question légitime, s'il l'on songeait que Mornagest n'avait repris tout à fait conscience que le matin de ce même jour, et qu'il semblait encore un peu fragile...

[Mornagest]

Il se voulut rassurant.

"Si, si, je ne comptais pas me lancer dans l'aventure comme ça... j'aimerais déjà retrouver mes souvenirs, ou du moins, l'essentiel. Et de mes forces. J'ai beau avoir mangé et m'être reposé, je ne pense pas pouvoir tenir très longtemps aujourd'hui. Simplement... j'ai l'impression que je risque de ne pas pouvoir tenir très longtemps en place. Mais... tu as raison, chaque chose en son temps", conclut-il en souriant.

Ils marchaient côte à côte, en ville, sans danger apparent. Ce sortilège avait malgré tout du bon... il pouvait sortir, goûter l'air libre, se dégourdir les jambes, voir des gens. Vivre, tout simplement. Cela n'avait pas de prix.

"Pour mes capacités en combat... on verra. Je n'ai pas essayé pendant ton absence, j'étais trop fatigué, et je me suis rabattu sur la lecture. Hum... encore un peu et je me convertis en philosophe."

[Lothringen]

Lothringen hocha la tête.

"Hé bien, ton expérience n'est pas banale, et il y aurait sûrement quelque enseignement à en tirer... Les livres que je t'ai ramenés devraient te permettre de t'élever un peu au-dessus des recettes de pommade anti-moustique."

Il sourit pour lui-même.

"Enfin, ne t'élève pas trop haut quand même, je risquerais de ne pas pouvoir suivre..."

Loin de lui de vouloir empêcher Mornagest de se reconstituer une existence la plus normale possible. A moyen terme, il n'aurait pas beaucoup de temps à lui consacrer, et cela le rassurerait de savoir que le guerrier pouvait se passer de lui. A plus long terme... il ignorait de quoi l'avenir serait fait. Les allusions du grand-prêtre de Tymora lui tournaient dans la tête... Il sentait que le premier acte s'était joué tout à l'heure, lors de son entrevue avec Ravestha.

[Mornagest]

Il sourit à cette dernière remarque.

"Ne t'en fais pas. Les responsabilités, c'est fini pour moi. Apparemment, ça ne me réussit guère", dit-il avec une grimace ironique. "Je serai au calme, pendant que tu t'échineras à régler les problèmes liés à Manost... j'espère que je pourrai t'aider à l'occasion !"

La mine quelque peu rêveuse de Lothringen l'interpella alors.

"Tu as l'air préoccupé. La situation est-elle si complexe ?"

[Lothringen]

"Eh bien, comme je te l'ai dit tout à l'heure, Mélandis se remet à peine de son coup d'état, et nous lui déclarons la guerre... Nous connaissons mal ce nouvel ennemi. Il est d'autant plus dangereux qu'il n'est pas vraiment prévisible. La politique du Grand Emissaire est audacieuse mais... risquée.

Dans le même temps, notre crise du clergé reste ouverte tant que le Grand Prêtre n'aura pas été investi. Les plus hauts dignitaires du culte continuent de se tirer dans les pattes, et une partie d'entre eux est soumise à une enquête sévère pour ses dérives. "

Il hocha la tête.

"Je ne sais pas de quoi l'avenir sera fait, mais je ne pense pas que nous allions vers le meilleur. Si Tymora annonce des événements permettant la progression de son culte... Je ne vois pas comment cela pourrait passer par autre chose qu'un affaiblissement des helmites. Et me voici au milieu de tout cela, incapable de choisir mon camp..."

[Mornagest]

Le guerrier resta pensif. Un ennemi inconnu, en provenance de Melandis, voilà qui avait de quoi provoquer des craintes même chez les plus hardis. Couplé à une crise religieuse qui remettait en cause la suprématie de Helm, et Manost apparaissait comme une proie facile. Pas si étonnant que le Grand Emissaire ait opté pour une guerre : prendre l'avantage dans ce genre de situation, en agissant à l'opposé de ce que l'adversaire escomptait, était une idée audacieuse, mais probablement payante.

"Je comprends, en effet, c'est problématique. La guerre va donc éclater sous peu, et... l'ensemble du continent risque d'être affecté, si je me représente bien la chose. Nul doute que Melandis ne laisse aucune chance à Manost, si elle peut saisir une possibilité de l'annihiler." Il fit une pause. Quelles étaient les options dont disposaient le conseil ? Raffermir la position de Helm, bien entendu, mais ensuite ? Lever une armée prendrait du temps, à supposer que Manost disposait de suffisamment de recrues potentielles. Il fallait autre chose, quelque chose de plus déterminant...

"Et l'aide de Tymora elle-même n'est pas envisageable pour vous donner un avantage ? Devez-vous uniquement compter sur Helm, qui apparaît comme affaibli ?"

[Lothringen]

Lothringen baissa la tête.

"Parles-tu des dieux eux-mêmes, ou de leurs ministres ? N'oublie pas que Manost est une théocratie. Le Grand Emissaire a toujours veillé à empêcher des cultes concurrents de prendre trop d'ampleur en ville, ne serait-ce qu'en interdisant la construction d'autres temples dans la cité. Le culte de Tymora a son siège à Cojum, et une communauté assez influente dans les provinces, car son culte a toujours été très populaire, mais ce n'est rien par rapport à son influence sur Helonna. Il y aurait aussi les cultes de Tyr ou Torm qui sont eux-mêmes bien organisés, et qui sont proches par l'esprit de celui de Helm... Mais il ne faut pas se faire d'illusion, leur aide ne serait pas gratuite, et impliquerait le renversement du régime helmite.

Pour l'heure, il semble que nous ayons encore la faveur de Helm. Son apparition au temple l'a prouvé... Il ne faudrait pas qu'il change d'avis. "

Il se mordit les lèvres : il venait de dire "nous", s'assimilant sans y songer au destin de la théocratie helmite. Ce n'était pas à Helm qu'il était attaché, bien sûr, mais aux personnes qui lui avaient donné sa chance jadis, qui lui avaient accordé leur confiance, et dont il était l'un des chefs à présent...

[Mornagest]

Le guerrier hocha la tête. Tout n'était pas forcément perdu, mais la situation était préoccupante. Helm pourrait-il sauver Manost de l'impasse dans laquelle elle se fourrait ? Il émit quelques doutes.

"Si cela part en guerre de cultes, celui de Cyric est puissant, je le crains. Sur le continent, il doit avoir de nombreux adeptes qui n'attendaient qu'une occasion pour se révéler au grand jour, et c'est arrivé... je n'ose imaginer ce qui se passerait s'ils prenaient l'avantage sur les Helmites... Dans l'immédiat, que prévoyez-vous ? Une préparation à la guerre ? Ou une solution à ce problème de religion ?"

Se concentrer sur les deux simultanément prendrait sans doute trop d'attention aux conseillers, qui ne pourraient que bâcler leurs décisions.

[Lothringen]

"Le problème de religion devrait trouver une solution rapide, si tout se passe bien. Lorsqu'Eroeh aura été investi grand-prêtre, ses concurrents n'auront plus qu'à s'écraser et se regrouper derrière lui, et l'Eglise devrait retrouver son unité. Pour l'heure, nous laissons le Haut Prélat du Cœur Radieux et la justice gérer la question... Nous préférons concentrer notre attention sur la guerre. D'où la traque des mélandiens, et évidemment des éventuels cyriciens, sur notre territoire. Le Grand Emissaire envisage..." Lothringen vérifia qu'il n'y avait pas d'oreille étrangère à portée, et murmura tout près de celle de Mornagest.

"... Il envisage d'attaquer les premiers, d'occuper Orlado pour tester les réactions de l'adversaire, et de profiter d'un enlisement de la situation pour aviver les tensions internes à Mélandis et fragiliser le nouveau pouvoir. Que penses-tu de cette stratégie ?"

[Mornagest]

L'ex-mélandien resta un moment sans mot dire. Oui, le Grand Émissaire était audacieux, mais cela serait-il suffisant pour prendre l'avantage sur une cité guerrière comme Melandis ? Il préféra garder à part lui cette question, ne voulant pas rajouter aux soucis de Lothringen.

"Ma foi, c'est une tactique osée mais qui peut s'avérer efficace s'il parvient à maintenir l'avance après la prise de la cité. Nul doute que la réplique sera dure..."

Quant aux tensions au sein du pouvoir mélandien, il en ignorait tout. Les seules informations qu'il possédait provenaient directement de la bouche du semi-drow, et concernait le temps où lui-même était chancelier... et il savait seulement que le fils de l'Impératrice était revenu en force.

"Si seulement j'avais recouvert tous mes souvenirs... j'aurais pu vous donner plus d'informations sur l'organisation de la cité, et ses failles..."

Il ne réalisa pas qu'il parlait comme un ennemi de Melandis. C'était venu tout naturellement.

[Lothringen]

Lothringen esquissa un sourire un peu tendu.

"Nul doute que ces informations nous seraient très précieuses, venant d'un ancien chancelier... mais je ne t'en demande pas tant."

En un sens, il n'était pas fâché que le guerrier ne soit pas en mesure de se rappeler tout cela. Il n'aurait pas aimé que Mornagest en vienne à le soupçonner de ne l'avoir ressuscité qu'afin de se servir de lui. Amnésique comme il était, et contraint de ne se confier qu'au seul Lothringen, l'idée devrait bien le traverser à un moment ou à un autre...

"Ne te mets pas de pression, pour tes souvenirs. Ils reviendront quand ils voudront... Du reste, cette promenade dans Manost ne te rappelle-t-elle rien ? Je t'avais fait visiter la ville, lors des négociations."

... Et ils avaient plusieurs fois emprunté la rue qu'ils suivaient maintenant, et qui menait en pente douce au quartier des Arcades. Entre deux façades, on y découvrait de larges aperçus de la Citadelle et du Temple.

[Mornagest]

"Hum...", répondit-il, laconique. C'est que l'endroit ne lui disait pas vraiment grand-chose. Qu'est-ce qui différenciait une rue d'une autre, quand on ne connaissait pas l'endroit ? Cependant, le temple de Helm lui donna une impression de déjà vu. Celui-ci ? Ou celui d'une autre divinité, à Melandis ? Il doutait cependant que la cité du Chaos s'ornât de temples en pierres blanches. Pas le genre de la maison.

"J'ai l'impression de le reconnaître", fit-il en désignant le lieu de culte. "C'est vraiment étrange, cette impression de n'avoir vu ces objets, ces lieux, qu'en rêve, et de les découvrir ensuite devant soi... bref."

Ils arrivèrent alors devant une petite fontaine qui attira l'œil du guerrier. "Elle, je la reconnais. Je me souviens bien, j'avais remarqué la forme particulière de la statue. Un hybride de poisson et d'humain... Je suis presque certain de n'en avoir jamais vue de pareilles ailleurs."

Ce qui n'était guère étonnant. Melandis n'était pas côtière, et dans ses contrées natales, l'on préférait les représentations de gibier sauvage, pas de créatures marines.

"Je suis peut-être sur la bonne voie", finit-il par conclure, un sourire encouragé sur les lèvres. Dehors, à la lumière du jour, il pouvait observer plus à loisir le semi-drow, qui avait les traits plus fins et moins sinistres que ce qu'il avait pu en voir dans la maison calfeutrée de Corwin Balder. Le teint si sombre tranchait avec la blancheur de ses cheveux. Mais ses yeux étaient sans doute l'élément le plus particulier de Lothringen. Presque noirs, ils révélaient une multitude de sentiments ; en ce moment, Mornagest crut y voir de la satisfaction mêlée d'une vague tristesse. Celle de le voir dans cet état ?

[Lothringen]

Le semi-drow trouvait plutôt encourageants ces éclairs de réminiscences qui traversaient quelquefois Mornagest. Ils laissaient espérer que l'essentiel lui reviendrait, avec un peu de temps et de patience... A moins qu'il ne continue de se rappeler les statues des fontaines, et ne perde à jamais le souvenir de leur complicité passée ? Lothringen ne voulait pas céder au pessimisme. Après tout, le guerrier semblait plutôt bien disposé, et il ne faisait que sortir de sa convalescence. Il ne fallait pas se montrer trop impatient...

"J'aurais aimé que les choses soient plus simples, que tu sois un peu moins perdu ici. Dans les jours qui viennent, je serai souvent au Palais des Murmures à travailler sur cette situation explosive... En cas de besoin, tu pourras t'y adresser. Il se trouve dans la Citadelle que tu aperçois, là-bas."Et le semi-drow désigna du doigt le rempart intérieur qui enserrait la citadelle de la Lame d'Argent. On voyait en dépasser les hauts murs du Fort qui abritait la garnison de la ville.

"J'espère que tu pourras trouver tes marques. Notre cité est relativement paisible... La seule chose que je te déconseille, c'est d'aller au Loyal en laissant savoir que tu me connais, l'aubergiste ne te lâcherait avant de t'avoir tiré les vers du nez. "

Il sourit. "Pour le reste, Hugues Montfort est le bienvenu ici..."

[Mornagest]

Il lui rendit son sourire, avant de demander :

"Justement... que m'est-il permis de dire, à notre sujet ? C'est que je ne voudrais pas commettre d'impair, après toutes ces précautions prises pour m'assurer l'anonymat..."

Ils n'avaient pas encore réfléchi à ce point, mais il lui faudrait s'imaginer un passé... Il fit part de cette remarque à Lothringen, ajoutant :

"Il faut que nous nous mettions d'accord. Puisque Hughes et toi êtes amis, il serait logique que tu en saches un certain bout à son propos."

[Lothringen]

Lothringen plissa à demi les paupières, en s'efforçant de réfléchir au plus vite.

"J'ai quitté Manost lors de l'annonce de l'assassinat de Mornagest, sans prendre la peine de prévenir de ma destination. Tu pourrais être un de nos agents à Melandis comme un simple réfugié croisé sur la frontière. Je pense qu'il convient de ne pas être trop précis sur tout cela, sous peine de finir par rencontrer des personnes qui ne te reconnaîtront pas.

On peut dire que tu es un fils de marchand manostien et que tu as dû repasser la frontière en catastrophe au moment de la rupture des accords commerciaux. Tu as été grièvement blessé par un groupe d'orques et j'ai décidé de te ramener avec moi à Manost pour que tu puisses te rétablir. J'étais surtout venu pour jauger la situation. Disons que je connais ton père. Je ne te connais donc pas tant que cela, même si nous avons pu fraterniser.

Évidemment, cela éveillera peut-être des soupçons chez certains. Mais il peut y avoir tant de raisons pour lesquelles je pourrais vouloir protéger une personne aux origines mystérieuses... Je suis à la tête des services de renseignement, après tout. Qu'en penses-tu ?"

[Mornagest]

Il s'imaginait dans la peau d'un fils de marchand manostien. Pourquoi pas, après tout ? Il n'était de toute manière pas obligé de poursuivre sur la voie de son père, et préférer les arts du combat plutôt que ceux du commerce. Et l'abrogation des accords commerciaux était un bon prétexte pour le pousser à rejoindre la cité helmite afin d'y avoir le gîte...

"Ça me paraît bien. J'ai eu l'occasion de discuter avec toi lorsque tu rendais visite à mon père, et c'est en te connaissant un peu que l'envie de m'exercer au combat m'est venue... je m'ennuyais dans les livres de comptes, et je préfère tenir une épée en main. Et voilà une occasion en or pour démontrer que pendant ces années à m'entraîner... je ne me suis pas tourné les pouces !"

Il réfléchit une seconde, puis ajouta :

"Hem... je pense qu'il me faudra quand même quelque temps avant de prétendre me battre aussi bien qu'avant. Je doute que mon sinistre séjour m'ait laissé conserver mes talents. Et... ce sera de toute façon plus crédible, plutôt que de se rendre compte que j'excelle au combat - ce qui n'est sans doute plus le cas."

[Lothringen]

Lothringen haussa les épaules en signe d'impuissance. Mornagest était en parfaite santé, désormais, et, une fois qu'il aurait assimilé sa nouvelle morphologie, le semi-drow ne voyait pas vraiment de raison pour que ses facultés aient énormément régressé.

"Qu'en sais-tu ? Enfin on pourra toujours tester cela demain, si tu veux. Il suffirait de te trouver une épée, et de t'emmener au camp d'entraînement..."

Il étouffa un bâillement.

"Mais pitié, pas ce soir. Je suis épuisé... et je vais devoir retourner au Palais cette nuit. Des lettres à envoyer, des contacts à recevoir... Et le clergé de Tymora qui s'est déjà rappelé à mon bon souvenir, et que je ne sais comment gérer... Dis-moi, veux-tu que je te montre certains endroits, afin que tu puisses te repérer en ville par la suite ? Que je te donne quelques adresses ?"

[Mornagest]

Le guerrier se défendit : "Non, non, pas ce soir. J'ai le temps, tout de même. Ce n'est qu'une impression, mais je ne suis pas sûr d'être totalement apte à me battre à nouveau. Nous verrons plus tard."

Il sourit à Lothringen. "Tu devrais plutôt te reposer. Je suis nouveau, ici... demander mon chemin, ce n'est pas gage d'appartenance à Melandis, j'imagine ? Je me débrouillerai pour trouver ce dont j'ai besoin. À moins que tu n'aies des tuyaux précieux ? Peut-être pour m'entraîner..."

[Lothringen]

Lothringen tenta de faire l'inventaire de ce qu'il savait et que Mornagest ne pourrait apprendre par ailleurs. Pas tant de chose que ça, en somme.

"Hum. Tu parlais de carrière, tout à l'heure : s'il te vient une âme de mercenaire, je connais l'adresse de la plus grosse guilde locale, la Vierge d'Argent. Elle se cache derrière une herboristerie du quartier du port. Tu peux demander Elissa Keens et dire que tu viens de ma part.

Sinon, pour l'entraînement... La garde a une vaste salle d'armes et un camp complet de quintaines. Si tu demandes poliment, ils trouveront sans doute intéressant d'affronter une nouvelle lame..."

Il hocha la tête.

"Tu devrais trouver le reste assez facilement, je pense. Oh, et rappelle-moi de te faire passer au Loyal, un jour, je voudrais te présenter quelqu'un. Mais ça n'a rien d'urgent."

[Mornagest]

Le guerrier prit mentalement note des éléments que Lothringen lui donnait. Des mercenaires... pourquoi pas ? De quoi avoir rapidement un peu d'argent et lui permettre de vivre de son propre côté. Il n'avait pas vraiment envie de mendier auprès du semi-drow pour qu'il puisse s'acheter à manger.

"C'est promis, je te le rappellerai. Peut-être après que le plus gros soit passé, à Manost ? D'un autre côté, cela va me laisser du temps pour trouver quelque chose qui me convienne..."

Ils étaient dans une large rue, non loin du temple, et il s'arrêta de marcher un instant.

"Tu comptes repartir maintenant pour le palais des murmures ? Ou te reposer un peu ?"

Pour sa propre part, il était décalé par rapport au rythme nycthéméral, mais il pouvait s'accommoder de tout. Après tout, il avait du temps devant lui.

[Lothringen]

Lothringen hocha la tête, l'air presque accablé. La situation politique le travaillait, et il avait une liste interminable de démarches à effectuer, dont la moitié seraient sans doute inutiles, mais qui toutes lui donnaient mauvaise conscience. En disparaissant plus de dix jours à la recherche de Mornagest, il avait pris beaucoup de retard.

"Je suis trop préoccupé pour pouvoir trouver le moindre repos dans l'oisiveté. Ou même pour t'être d'une compagnie très agréable, j'en suis conscient... Si tu n'as plus besoin de rien, je crois que je vais rentrer au Palais. J'essaierai de te revoir demain soir, si tout va bien... Et toi, que vas-tu faire ?"

Ils venaient de passer peut-être deux heures ensemble, et la soirée commençait à peine. Lothringen sourit.

"Oh, mais suis-je bête... manger ?"

[Mornagest]

Maintenant qu'il en parlait, pourquoi pas, en effet ? Ensuite, il aviserait. Mais il ne voulait pas ralentir Lothringen dans sa tâche, qui s'annonçait plus que ardue.

"C'est une idée. Tu devrais peut-être en faire de même, si tu espères vaincre la fatigue de cette nuit. Mais je t'en prie, ne te préoccupe pas de moi, je saurai me débrouiller. Si tu es pressé, n'hésite pas à y aller..."

Lui signifier qu'il ne voulait pas être un fardeau donnait peut-être l'impression que Mornagest souhaitait rester seul, ce qui n'était évidemment pas le cas. Le semi-drow comprendrait.

[Lothringen]

Lothringen acquiesça, soulagé de cette réaction. Bien sûr, il avait rapporté de la nourriture chez Corwin, mais le temps de la préparer, de manger, et bien du temps serait passé... Et lui le passerait à songer au temps perdu. Il préférait encore s'absenter que d'imposer à Mornagest la vision d'un esprit distrait.

"Entendu, je pourrai me faire porter un plateau au palais et manger tout en potassant quelque palpitante littérature diplomatique... Je suis désolé de repartir déjà, mais vraiment, la situation demande un traitement urgent. Si aujourd'hui ou demain tu as besoin de quoi que ce soit, n'hésite pas à passer me voir... ça me forcera à faire une pause. A bientôt, quoi qu'il en soit."

Sur un sourire un peu nerveux, il se détourna et prit la direction du Palais.

[Mornagest]

Il regarda le semi-drow se diriger vers le palais, la tête emplie de songes à son sujet. Étrange personnage ; attirant, par bien des aspects, et si mystérieux, par d'autres... il comprenait peu ou prou comment il s'était laissé séduire par Lothringen. Franc-parler, esprit décideur, volonté de mener à bien sa tâche... et plutôt beau garçon. La seule chose qui étonnait Mornagest, c'est qu'il n'avait pas souvenir de préférer les hommes. Naturellement, il aurait eu tendance à regarder les membres de la gente féminine. Cela ne se décidait évidemment pas, mais...

En poussant plus loin la réflexion, il se rendit compte qu'il n'avait guère prêté attention aux femmes qu'ils avaient pu croiser tout en devisant. Éloquent ? Peut-être était-il simplement absorbé par ce que Lothringen lui disait, tout en faisant attention à ce qui l'environnait pour tenter de reprendre quelques marques.

Il secoua la tête, curieusement frustré de ne pouvoir répondre à cette question qu'il savait importante. Après tout, le semi-drow lui avait rendu la vie... à un prix élevé. Comment ne pas lui être redevable, après cela ?

Il finit par se remettre en marche, vagabondant quelque peu avant de retrouver son chemin. Il en profita pour explorer les alentours de la place du temple de Helm, et tomba sur une petite rue aux abords bien calmes.