[Lieu] Mersant

[Taliesin]

Taliesin grimaça. Acquiesça néanmoins.
-Pardonnez-moi. Sans doute ais-je été maladroit... Je vous considère comme un égal, et j'agis donc comme j'agirais avec tout le monde dans ces cas-là, en cédant le lit. Je me disais aussi que compte tenu de votre récente maladie, vous deviez avoir du sommeil en retard et que vous vous reposeriez mieux sur un matelas confortable. Mais... oui, je vous comprends. Et je n'ai certainement pas envie que vous ne fermiez pas l'œil parce que j'ai voulu aller trop vite en besogne.
Embarrassé, il s'efforça de sourire.
-J'aimerais néanmoins que vous acceptiez... cet oreiller.
Il laissa son manteau là où il était : libre à Dix-Sept de s'en servir ou non. Lui-même, sans plus perdre de temps, alla se glisser sous les couvertures, prenant soin, néanmoins, de garder armes et armures proches de lui.
Il y avait de forte chances que le réveil serait... brutal.

[Galathée]

L'elfe déroula le manteau et s'emmitoufla dedans avant de se coucher en boule sur le sol. Sa respiration se stabilisa avant que Taliesin ne puisse lui-même retrouver le calme nécessaire au sommeil. Le Mélandien ne revint pas. L'auberge demeura silencieuse. Et l'elfe, malgré l'urgence à venir, parvint à trouver le repos qu'il cherchait.
On frappa à la porte beaucoup plus tard, sans violence.
" Debout, c'est le crépuscule." fit la voix de Gauthier au travers de la porte. " Vous êtes attendus à la plage."
Dix-sept était déjà debout, en train de replier précautionneusement le manteau dans lequel il avait dormi.

[Taliesin]

-On arrive ! dit l'elfe d'une voix encore ensommeillée.
Puis, avisant Dix-Sept.
-Ne vous embêtez pas : je vais l'enfiler dans cinq minutes. La nuit promet d'être glaciale...
Il se leva, s'étira, enfila sa besantine, regrettant déjà la solide cotte de maille abandonnée si loin, dans une maison scellée de Luménis. Il regrettait aussi son épée, son arc, tous deux laissés au même endroit, armes magiques qui, dans les heures sombres qui se profilaient, auraient été bien utiles. Mais il devait faire avec ce qu'il avait.
Il ceignit la lame achetée à Loth Imarhil, mit son manteau, passa sur ses épaules arc et carquois.
Il était paré. Du moins, autant qu'il pouvait l'être.
-En route ! lança-t-il, avec une légèreté trompeuse, en ouvrant la porte de la chambre.

[Galathée]

Dix-sept se glissa sur ses traces et ils rejoignirent les autres dans la salle d'auberge. L'atmosphère était beaucoup plus tendue que quelques heures plus tôt. Tous semblaient attendre Taliesin et lorsqu'ils furent tous réunis, ils se mirent en route vers l'extérieur. Gauthier intercepta cependant le barde avant qu'il ne sorte.
" Sullyan veut vous voir quand vous arriverez à la plage. Elle se trouve dans une petite tente de fortune qu'on a montée près de l'entrée du chemin." dit-il simplement.
Il eut un sourire encourageant.
" Bonne chance à vous."

[Taliesin]

-A vous aussi, répondit-il, chaleureux.
Il songea ajouter quelque chose, mais ne le fit pas. Mieux valait être sobre. Trop en dire, trop en faire, ce serait souligner d'une façon mal à propos le risque bien réel qu'ils ne se revoient plus.
Il tourna donc les talons, rejoignant le reste du groupe à l'extérieur. Ils se mirent en route d'un bon pas, tant pour combattre le froid que pour ne pas se faire attendre.
Le trajet fut bref. Ils n'eurent même pas à ralentir pour franchir les clôtures, lesquelles n'étaient plus qu'on lointain souvenir. Du moins, dans leur forme ancienne. Bientôt, ils atteignaient les abords du défilé, et Taliesin repéra la tente que lui avait indiquée Gauthier. Après avoir demandé aux autres de patienter, il s'y faufila.

[Galathée]

Sullyan s'y trouvait, éclairée par la lueur tremblotante d'une lampe à huile, en train de discuter avec Martin. Lorsque Taliesin entra, elle congédia le courtisan, qui n'en avait plus vraiment l'apparence, puis fit signe au barde de s'asseoir.
" Je vais être brève, j'ai besoin de vous aux postes de guet."
Elle pinça les lèvres.
" J'ai eu vent de la petite altercation qui a eu lieu dans les couloirs de l'auberge. Je ne me prononcerai pas sur son contenu, seulement sur les répercussions. Vous avez perdu le respect des Mélandiens. J'ai changé les attributions. Constance me secondera sur ce front. Gauthier est resté à sa place en poste de l'autre côté. Guéric servira de guetteur pour cette nuit, au port. Vous êtes désormais responsable de l'équipe de nuit. Les humains vont dormir dans les abris de fortune que nous avons érigés sur la lande. Vous guetterez le moindre mouvement de nos adversaires. Au besoin, les gens seront prêts à intervenir avant que les chaloupes ne touchent terre."
Elle soupira.
" Maintenant, pour revenir une seconde à cette histoire. Vous devez dire à l'esclave, et à votre amie prêtresse, de prendre leur mal en patience. Il leur appartient depuis quoi... une centaine d'années ? Que vont changer cinq ou six jours de plus ? En vous opposant à ses maîtres, vous mettez le groupe en danger, vous le savez bien, mais vous desservez la cause de celui que vous essayez de protéger. S'il devient l'objet d'un conflit entre vous, ses maîtres pourraient préférer le tuer plutôt que le laisser partir, par principe, pour réaffirmer leur droit, leur propriété. Vous devez le leur expliquer."

[Taliesin]

Taliesin ne put s'empêcher d'avoir un geste agacé.
-Pour être franc, je commence a en avoir par dessus la tête de cette histoire, dit-il. Et pas forcément pour les raisons que vous imaginez. Si je suis intervenu contre le Mélandien, c'est d'une part pour que Dix-Sept puisse se reposer et garde confiance en moi, et par conséquent nous serve loyalement et efficacement pour le guet nocturne, d'autre part pour que Valaellyn, déjà ébranlée, ne sombre pas, ou ne m'en veuille pas. C'est notre seule clerc. J'ai estimé que nous avions besoin de ces deux-là au maximum de leur efficacité. C'est tout ce qui a motivé ma décision. Et certainement pas de la... sensiblerie. Pour le reste...
Il soupira.
-J'ai la responsabilité de trois enfants. Alors vous pouvez m'en croire, j'ai tout intérêt à ce que la concorde et la cohésion continuent à régner dans nos rangs. J'ai même expliqué à Valaellyn et Dix-Sept que si vous en donniez l'ordre, ce dernier devrait obéir à ses maîtres. Et s'ils avaient rechigné, j'aurais fait appliquer vos consignes, quoi qu'ils m'en disent, quoi qu'il m'en ait coûté. Mon amie est peut-être encore inexpérimentée, mais moi, je n'en suis pas à ma première campagne, loin sans faut. Alors je sais faire la part des choses entre quelques heures de servitude supplémentaire et la vie de trente personnes. Dont celle des gosses.

[Galathée]

Sullyan le dévisagea sans ciller.
" Si j'avais eu le moindre doute quant à vos compétences, votre sérieux ou votre lucidité, je vous aurais retiré tout commandement, Belenn." fit-elle. " Je sais que vous savez. Et vous aviez sûrement de bonnes raisons. Mais comme je le disais, les répercutions sont là : les Mélandiens refusent de se plier à vos ordres. Et j'ai besoin d'eux. Ce sont nos guerriers les mieux entraînés. Je n'ai pas d'autre choix que de les affecter sous le commandement de quelqu'un dont ils acceptent l'autorité. J'ai aussi besoin de Valaellyn et de cet elfe. Et j'ai confiance en vous pour les faire rentrer dans le rang."
Elle secoua la tête.
" Allez placer vos hommes. La nuit tombe."

[Taliesin]

Taliesin faillit s'en retourner dans l'instant, mais quelque chose le retint.
-Un dernier mot, s'il vous plait... dit-il doucement, posément. Je ne voudrais pas qu'il demeure de malentendu entre nous : ma colère n'a rien à voir avec ma réaffectation. Je n'ai pas d'orgueil mal placé et j'obéirais à vos ordres quand bien même me demanderiez vous de jouer les estafettes ou d'alimenter les feux de camp. Ce qui m'importe, c'est notre survie. Rien d'autre. Je suis juste dépité d'avoir emmené avec moi des personnes certes de bonne volonté, mais dont l'inexpérience est propre à provoquer ce genre d'incident. Mais en cela comme dans tout le reste, il nous faudra faire avec. Et oui, si nécessaire, je les ferai rentrer dans le rang.
Il était sincère : il n'avait cure qu'on le cantonne à des fonctions subalternes. Il se serait rendu utile n'importe où. L'important était qu'il puisse servir, aider. Il en voulait néanmoins à Valaellyn de se laisser guider par ses sentiments, il s'en voulait, aussi, de ne pas avoir su lui expliquer...
Il était trop tard pour les remords, néanmoins.
Il salua Sullyan - poliment, car s'en tenir scrupuleusement aux bonnes manières l'aidait à museler ses propres émotions - puis quitta la tente, rejoignant en quelques enjambées sa troupe de guetteurs.
-Ruyven, Bellyra, si vous voulez bien me suivre... Les autres, attendez-moi ici.
Il s'abstint de jeter tout regard à la prêtresse : elle aurait pu y lire des choses propres à l'inquiéter.
Il conduisit les deux courtisans au nord du défilé, leur indiqua les positions qu'ils devraient occuper. Ses consignes étaient claires : rester dissimulé autant que possible ; en cas d'avancée ennemie, attendre d'être sûr qu'il ne s'agissait pas d'une simple reconnaissance ; s'il s'avérait que les pirates se lançaient dans une véritable ascension, venir le trouver, lui, près de la petite gorge. Et s'il n'y était pas, gagner le camp et mander de l'aide, en précisant bien le nombre et la nature des assaillants. Dans tous les cas, l'autre guetteur devait rester là où il était, pour surveiller l'évolution de la situation. Le repli n'était envisageable que si survenait une attaque massive, incontrôlable.
Ces consignes, il les répéta, inchangées, au reste de la petite escouade dont il posta les membres aux points stratégiques des rochers sud. Les deux fermiers étaient les plus éloignés ; Valaellyn et Dix-Sept, les plus proches de la passe. Il avait pris le parti de laisser à proximité les uns des autres des gens ayant des liens : il pensait que cela favoriserait la transmission des messages.
Lui même resterait juste au nord du défilé. Une partie du temps. Le reste, il l'occuperait à faire des rondes, à aller parler à chaque guetteur pour vérifier qu'il n'avait rien vu... et qu'il ne s'était pas endormi.
De longues heures de marche en perspective.
Bah. Au moins, ça le tiendrait éveillé.

[Galathée]

Petit à petit, la nuit s'installa sur l'île. A l'ouest, sur la mer, le ciel était déjà bleu sombre et les étoiles le piquetaient, indifférentes à la tension qui régnait sur Mersant. Les formes tranquilles des bateaux qui mouillaient au large dansaient sur les vagues. L'un des navires était une caraque ventrue, les quatre autres des voiliers plus légers. Ils formaient un petit essaim qui brisait la ligne d'horizon, leurs drapeaux claquant dans la brise de plus en plus sauvage. La plupart des humains allèrent se coucher. On avait allumé des feux en retrait du rivage, invisibles depuis les flots, et quelques uns demeurèrent pressés autour de ces brasiers, pour tromper l'angoisse, les ténèbres et le froid piquant. Katja et l'une des prostituées, la dénommée Maureen, firent le tour des guetteurs pour leur distribuer à chacun un balluchon contenant de quoi tenir la nuit : une outre de vin épicé, quelques tranches de pain garnies, quelques fruits, des biscuits au miel.
Puis le silence retomba sur la côte. Les bateaux étaient immobiles mais encore lumineux, on n'y dormait pas. Mais y préparait-on quelque chose ? Impossible de dire. Le vent soufflait du large, frappant sans pitié le sommet des rochers. Tous les guetteurs avaient une vue en éventail sur la plage, sur les bateaux, Taliesin pouvait se déplacer sans crainte entre ses hommes.

[Taliesin]

Il ne s'en priva pas.
Et surtout, au-delà de l'utilité de ces rondes, il le fit parce qu'après une grosse demi heure à demeurer immobile sur sa position, il en avait déjà plus qu'assez. Depuis l'annonce sinistre de l'arrivée des pirates, il ne s'était pas arrêté un seul instant, sinon pour dormir. Or, le concernant, l'oisiveté était la pire des choses envisageables.
Ne rien faire, c'était penser. Penser à ce qui les attendait, à la disproportion des forces, à leurs maigres chances de victoire, à ceux qui risquaient de mourir. De quoi vous nouer les tripes, vous retirer tout votre allant. Sans parler de cette histoire de réaffectation qui finissait par lui rester en travers de la gorge. Il avait l'impression que n'importe qui aurait pu s'acquitter de sa mission, que Sullyan ne lui l'avait attribuée que pour épargner un tant soit peu son égo, alors qu'au fond, c'était un rôle d'opérette. Il commençait à se dire qu'il aurait été bien plus utile ailleurs, à discuter stratégie, à élaborer des plans, sinon à dormir, plutôt que de demeurer sur les rochers en scrutant la plage, les bateaux ennemis.
-Tu en es encore là ? grommela-t-il pour lui-même. Tu n'apprendras décidément jamais rien...
Car aurait-il été vraiment plus utile, dans d'autres fonctions ? Ils ne connaissaient pas les forces de leurs adversaires : alors, à quoi bon élaborer des plans ? Et quels plans pouvait-t-il se targuer d'envisager, d'ailleurs, lui qui, somme toute, et après les victoires sans lendemains, n'avait connu que des défaites ?
Ce n'était là que de l'orgueil mal placé, renforcé par la pénibilité de l'immobilité nocturne, solitaire, glaciale.
Alors, il le ravala. Ravala toute pensée qui n'était pas pragmatique. Et il fit ses rondes, passant près de tous les guetteurs, échangeant quelques mots encourageants avec eux, buvant parfois une gorgée de vin en leur compagnie.
Fumant la pipe, surtout.

[Galathée]

A défaut d'autre chose, ce temps d'errance lui permit de faire connaissance avec les derniers membres de son équipe de nuit. Hormis Saõ et Rémiel, qu'il avait rencontrés lors de l'épisode des veaux et des légumes, les deux derniers faisaient partie des courtisans de l'auberge. Ruyven n'était pas visiblement demi-elfe : il tenait manifestement davantage de son père humain, bien bâti et carré. Il avait cependant une attitude féline, une certaine fluidité dans le mouvement qui rappelait son ascendance elfique. En réalité, comme il l'expliqua sans fard à son interlocuteur, sa mère elle-même n'était que demi-sang. Mais il avait hérité de son acuité nocturne et d'une certaine souplesse qui était bien utile dans son métier, ce qu'il revendiqua, une lueur malicieuse dans l'oeil. Bellyra se montra nettement moins disserte quant à ses origines. Sa non-humanité était ostensible mais il n'était pas parfaitement certain que ce géniteur étranger ait été un elfe. Pas du tout. Elle n'en dit cependant rien.

Le temps se couvrit, engloutissant les étoiles et le fin croissant de lune qui avait fini par pointer son croissant. Les lumières sur les navires ancrés s'éteignirent une à une. Il fit bientôt sombre, trop sombre, car la grisaille dégagée par les foyers dissimulés de leur camp devenait la seule source de lumière, et elle était dans le dos des guetteurs. Le vent soufflait toujours, sifflant entres les rochers empilés autour d'eux, se faufilant dans les petites grottes, les replis, les fissures, pour charger les ténèbres de sons hantés. Les derniers humains allèrent se coucher, d'autres se levèrent, de temps en temps, pour aller se soulager ou humer un instant l'air frais ou enfumé de la nuit.

Taliesin était debout à côté de Ruyven lorsqu'il y eut un mouvement. Le jeune homme se raidit.
" Deux chaloupes à la mer..." souffla-t-il. " Et il y a quelque chose dans l'ombre de la caraque... Je dirais deux autres."

[Taliesin]

-Bon, au moins, ils ne nous aurons pas fait attendre ! fit-il.
Mais pourquoi les pirates auraient-ils tardé ? Tout leur était favorable, jusqu'à ces nuages opportunément arrivés, masquant la lueur de la lune et des étoiles, rendant du même coup les trois quarts de ses compagnons aveugles, ou peut s'en fallait.
Décidément, ils étaient vernis.
-Ne reste plus qu'à voir ce qu'ils préparent... ajouta-t-il. Restez à votre poste : de mon côté, je vais prévenir Sullyan.
Et de filer aussitôt vers le camp.

[Galathée]

Sullyan se leva rapidement et rejoignit Taliesin sur le rivage. Au passage, elle réveilla Constance, qui les suivit.
" Nous sommes aveugles." constata la Manostienne une fois debout devant le néant.
Taliesin, par contre, pouvait percevoir plus de détails. Les chaloupes étaient bien quatre et elles ramaient désormais dans leur direction, à un rythme régulier, aidées par la marée montante. La plage était encore vaste et elles échouèrent sur le sable sans un bruit, hors de portée des flèches des quelques archers postés sur les rochers. Des hommes commencèrent à en descendre.

[Taliesin]

Même la marée était contre eux... Au moins, si elle avait été descendante, les rameurs se seraient un peu fatigués.
Tant pis.
Le barde joua donc les "interprètes", décrivant aussi précisément que faire se peut les individus débarqués, leur nombre, leurs mouvements. En fonction de ces indices, Sullyan et Constance décideraient de la réponse à apporter.

[Galathée]

Valaellyn, qui montait la garde juste à l'entrée du défilé, sur le versant sud, finit par se rapprocher d'eux. Les pirates descendaient à présent de leurs chaloupes, se plaçant en rangs désordonnés sur le sable. Ils étaient une dizaine par embarcation, soit un peu moins de quarante à débarquer. Leurs silhouettes sombres se détachaient difficilement sur les flots noirs de la mer, mais Taliesin en devina de toutes tailles : certains devaient être elfes, demi-elfes, d'autres halfelins ou gnomes, et les derniers, assurément, demi-orques ou pire. Mais les trois gabarits étaient présents en nombres relativement similaires : ils n'auraient pas affaire à une déferlante de poids lourds.
Sullyan envoya Constance réveiller les hommes, puis demanda à Taliesin de choisir un de ses guetteurs pour aller relever Guéric de l'autre côté du port. Les compétences martiales du halfelin leur seraient utiles, désormais.
" Vous serez nos yeux jusqu'à ce que ces foutus nuages décident de s'écarter." grommela Sullyan sans réelle nervosité.
Elle semblait s'être résignée à ce qui les attendait depuis longtemps.

[Taliesin]

-En cas de besoin, je ferai un peu de lumière, dit-il, encourageant.
Puis il réfléchit à la personne la plus adéquate pour relever Guéric. Les deux fermiers savaient apparemment tirer à l'arc : il ne pouvait donc les éloigner. Quant à Dix-Sept, il rechignait à le laisser seul. Valaellyn étant pour sa part trop imprévisible - mais disposant surtout de sorts potentiellement utiles -, elle devait également demeurer ici. Ne restaient plus que les deux courtisans : il choisit Ruyven, le plus proche, ce qui lui éviterait des déplacements inutiles.
Lui transmettant l'ordre, il l'encouragea à se montrer diligent...

[Galathée]

Ruyven fila sans demander son reste, courant droit dans la lande endormie. Autour d'eux, des hommes s'approchaient, sortant de leur torpeur, mais leur nervosité était palpable. Constance les dirigeait à voix basse. Sullyan s'écarta pour disséminer les quelques archers sur le pourtour de la plage, recommandant à chacun d'être silencieux. Les pirates se dirigeraient probablement vers le défilé, mais nul ne savait comment ils réagiraient lorsqu'ils découvriraient la fosse.
" Je peux faire la lumière sur un rayon d'une cinquantaine de mètres..." murmura alors Valaellyn. " Pendant une heure environ... Je ne sais pas s'il est préférable de les repousser immédiatement en les éclairant... ou d'attendre qu'ils soient tous proches pour les piéger..."

[Taliesin]

Une cinquantaine de mètres... De quoi illuminer une bonne partie de la plage.
Taliesin n'hésita pas longtemps.
-A mon avis, il faut les piéger, afin d'en abattre le plus grand nombre possible. Sans doute le Squale a-t-il gardé quelques non-humains en réserve, mais le priver de tous ceux-là... serait une bonne chose.
Il se tourna vers Sullyan, attendant son verdict.

[Galathée]

La Manostienne acquiesça.
" Trois objectifs doivent vous guider." souffla-t-elle. " Les empêcher de passer. Limiter nos pertes au maximum. En causer un maximum chez eux. En usant de vos sortilèges les plus puissants avant même l'assaut, vous leur révélez des informations cruciales. Bien sûr, ils pourraient battre en retraite... Mais ils conserveraient leur force de frappe intacte et reviendraient équipés pour nous défaire. Pour l'instant, ils nous prennent pour une poignée de paysans inutiles... Nous allons les surprendre."
Elle jeta un regard circulaire autour d'elle, même si en réalité, elle n'y voyait goutte.
" Préservez-vous, tous les deux. Ne tentez rien de suicidaire. Vous êtes parmi les atouts principaux de l'île. Si vous flanchez, repliez-vous le temps de souffler. Si la barricade tombe... Reculez jusqu'au feu le plus au nord. Maureen et Katja vous emmèneront dans les grottes."

[Taliesin]

Taliesin fronça un sourcil. Il lui semblait qu'en cas de retraite, tout le monde se replierait vers l'auberge. Mais peut-être les grottes étaient-elles envisagées comme un abri temporaire, où pourraient se reposer les personnes blessées ou fatiguées avant de repartir au front.
Elle avait dit "si la barricade tombe". Si elle tombait, plus de front... Juste la retraite, théoriquement...
Il aurait voulu poser la question, n'en fit rien. Sullyan savait ce qu'elle faisait, l'interroger pourrait être interprété comme un doute. Par elle ou par les autres.
-Très bien, dit-il. Comptez sur nous pour ne pas nous exposer inutilement.

[Galathée]

" Je me rends au défilé. Bonne chance à vous." dit Sullyan, abandonnant Taliesin.
Valaellyn lui pressa le bras puis s'éloigna également, pour rejoindre son poste de guet.
Les pirates étaient désormais à mi-parcours. Ils s'étaient regroupés en une sorte de troupeau désorganisé, mais ils étaient lourdement armés. Quelques uns avaient quitté le gros de la meute pour rallier les extrémités de la plage. A leur attitude, Taliesin devina qu'ils anticipaient une sorte d'intervention mais sans savoir la forme qu'elle prendrait. Ils ne paraissaient pas particulièrement tendus, juste déterminés. Le barde finit par mieux distinguer leurs traits. Les demi-orques, caparaçonnés de cuir, formaient l'avant-garde. Ils étaient armés de sabres, parfois d'un bouclier ou d'une dague en sus. Derrière eux venaient les silhouettes plus élancées de drows et de quelques elfes et demi-elfes à la peau claire. Un groupe d'archers s'immobilisa. Devant eux, quelques halfelins armés d'arbalètes continuèrent à avancer sur les pas des elfes noirs.

[Taliesin]

Taliesin fit rapidement le point.
Au sud, Saõ et Rémiel pourraient tirer sur les pirates aventureux ; Valaellyn, en cas d'attaque massive sur les rochers ou le défilé, pourrait offrir de la lumière à leurs hommes. Au nord, Bellyra aurait largement le temps de les prévenir si certains forbans tentaient la périlleuse ascension.
Ne restait plus qu'à espérer que Guéric arriverait bientôt : il serait les yeux des hommes postés de part et d'autre de la gorge. En attendant, c'est là que lui-même se dirigea.
Archers et arbalétriers adverses pouvaient poser problème : néanmoins, eux-mêmes bénéficiaient de leur position en surplomb, ainsi que de la protection des rochers et des "boucliers" bricolés au cours de la journée. Peut-être cela suffirait-il...

[Galathée]

Au fur et à mesure qu'ils avançaient, les hommes du Squale se regroupèrent, comme ils découvraient qu'il n'y avait qu'une seule issue à la plage sur laquelle ils avaient débarqué. Quelques uns gardaient les yeux fixés sur le sommet des rochers, conscients que quelque chose devait immanquablement en surgir. Puis ils arrivèrent au bord de la fosse. Ils étaient désormais à portée de tir. Les demi-orques pilèrent et l'un d'entre eux leva un bras en criant quelque chose, qui fut avalé par le vent. Il y eut un peu de bousculade, la paroi externe de la fosse, friable, s'affaissa quelque peu sous le poids des nombreux pirates massés là. Aucun ne tomba.
Puis une flèche, une seule, fila dans la nuit noire, depuis le sommet des rochers et alla se planter, acérée, dans la joue découverte d'un des demi-orques. Son cri de surprise résonna par dessus le mugissement du vent et il s'effondra. Loin de tomber vers l'avant, dans la fosse, il s'écroula de côté, bousculant l'un de ses congénères qui perdit pied alors qu'une grosse motte de sable humide se désagrégeait sous lui, l'envoyant droit sur les pieux dressés par les insulaires. Il hurla, blessé à mort. Les pirates poussèrent des cris de colère. L'un d'entre eux jeta le second cadavre dans la fosse, prêt à s'en faire une passerelle jusqu'au défilé. Une nuée de flèches s'éleva des rangs ennemis, frappant la direction approximative d'où était venue la première flèche.

[Taliesin]

Taliesin qui, voyant les assaillant se regrouper à l'entrée du défilé, s'en était lui même rapproché, souffla un juron à voix basse. Certes, le tireur - l'un des fermiers ? - avait réussi son coup et même provoqué deux morts. Mais l'attaque lui paraissait prématurée : il fallait que les pirates s'engagent dans la passe sans trop de crainte, qu'ils se jettent tête baissée dans le piège, afin qu'on puisse leur couper la retraite et les exterminer jusqu'au dernier...
L'elfe espérait qu'ils n'allaient pas se replier ou, flairant le traquenard, se disperser à nouveau. Espérait - sans trop y croire - qu'aveuglés par la colère, ils n'en avanceraient qu'avec plus de détermination. Il n'était pas impossible que cela ait été le but du tireur...
Quoi qu'il en soit, et s'il se tint prêt, arc bandé, il attendit avant de décocher sa première flèche.

[Galathée]

Mais la découverte de la fosse et son caractère hostile et meurtrier avaient freiné les velléités de la troupe d'invasion. Sur quelques ordres beuglés par l'un des demi-orques, ils reculèrent, sans doute pour se mettre hors de portée des flèches ennemies. Seuls demeurèrent en arrière les arbalétriers, abrités par les boucliers d'une rangée d'hommes bien campés sur leurs jambes. Le groupe se reforma au centre de la plage. Puis une série d'entre eux repartirent vers la mer.
Taliesin vit clairement qu'un petit groupe d'elfes noirs se dirigeait vers le sud et un second vers le nord, peut-être à la recherche d'un autre chemin vers le sommet.

[Taliesin]

Un nouveau juron - il avait l'impression qu'il allait s'exprimer comme un charretier, cette nuit-là -, et Taliesin se déplaça légèrement vers le nord. Ils ne pouvaient rien faire pour empêcher certains ennemis de rejoindre les navires : autant pour l'annihilation totale et absolue de cette première force de débarquement. Ne leur restait plus qu'à s'occuper de ceux qui restaient sans trop se dévoiler dans l'immédiat : le Squale serait informé que les habitants avaient dressé des défenses. Soit. Mais il ne saurait pas que parmi ceux-ci se trouvaient des personnes maîtrisant la magie.
Ce serait donc un moindre mal.

[Galathée]

Mais les hommes de main du Squale ne retournèrent pas à leurs navires. Ils se contentèrent de soulever deux des chaloupes et de les ramener vers l'intérieur de l'île. Chacune était portée par quatre hommes, à l'envers. Lorsqu'ils rejoignirent la troupe de pirates, celle-ci se remit en marche vers la fosse, formant un écran autour des porteurs. Ils avançaient, déterminés, scrutant le haut des rochers. Ils arrivèrent à portée des flèches des défenseurs. A cet instant, leurs archers tirèrent à nouveau une nuée serrée de projectiles, cette fois le long d'un éventail plus large, forçant les embusqués à se protéger. Taliesin entendit le son vibrant de plus d'un trait rencontrant le bois d'un bouclier.

[Taliesin]

-Et bien, si nous triomphons de cette première bataille, nous n'aurons plus de soucis à nous faire quant à nos réserves de flèches, songea-t-il. Ni d'armes et d'armures, d'ailleurs, pour peu que nous pillions les cadavres...
Voir que les pirates n'avaient pas regagné la mer l'avait réjouit, même s'il s'était reproché de ne pas avoir pensé, d'emblée, qu'ils utiliseraient les barques comme passerelle. Mais n'était-ce pas une bonne chose, au final, puisqu'ils allaient s'engager dans le défilé ?
Il avait arrêté de se déplacer. D'où il était, il pouvait observer la partie nord des rochers, et les abords de la petite gorge. Si les ennemis détachés du groupe principal n'étaient pas tentés par l'escalade... Et bien, ma foi, il se joindrait au gros de la bataille.

[Galathée]

Le groupe de pirates s'écarta pour laisser passer les porteurs de barque. Ils jetèrent la première, d'un mouvement ample, dans la fosse. Le fracas du bois contre le bois craqua dans la nuit et quelques flèches timides et maladroites tentèrent de riposter à cette agression. Aucune ne fit mouche de manière efficace, sans doute avaient-elles été tirées par des humains qui se guidaient au bruit. Un demi-orque hurla, provoquant et frappa son bouclier de son sabre. Une salve de flèches vint à nouveau frapper le sommet des rochers, comme pour tenir les Mersantais en respect. Cette fois, Taliesin eut l'impression d'entendre un cri, mais le vent hululait en se glissant dans tous les interstices de la fausse falaise et ses oreilles étaient traîtres. Cette bise glacée, chargée d'embruns, faisait filer les flèches des assaillants vers les positions dissimulées des défenseurs. Par contre, chaque trait tiré depuis le sommet des rochers devait se battre contre le vent.
Le groupe de pirates qui étaient partis vers le nord était en train de rejoindre la troupe principale. Le groupe qui avait choisi le sud, par contre, semblait s'être perdu dans le chaos rocheux.