[Lieu] Mersant

[Taliesin]

Va pour l'adresse... songea-t-il, même si, pour dire vrai, il aurait aimé en finir vite, de la manière la plus expéditive et brutale qui soit.
Il s'efforça donc de mettre à profit sa souplesse et sa rapidité pour éviter les coups qui, s'ils portaient, l'auraient plus que probablement coupé en deux. Et dès qu'une ouverture se présentait, il attaquait son adversaire, visant les parties non couvertes par son armure, privilégiant les assauts brefs, incisifs, qui lui permettaient d'enchaîner sur de nouvelles esquives.
En théorie, il aurait dû triompher sans trop de mal du colosse aux manières de barbare mal dégrossi. Mais il ne s'était plus battu à l'épée depuis longtemps - depuis l'attaque de loups dans les Rocheuses du Dragon, probablement -, il manquait de sommeil et, il devait l'admettre, de lucidité.
Il faudrait faire avec, malheureusement. Pour cela comme pour tout le reste.
Ce constat était en passe de devenir une habitude...

[Galathée]

La technique acérée du barde eut le don d'agacer son adversaire qui se découvrit de plus en plus, au fur et à mesure qu'il essayait de pourfendre l'elfe dansant qui lui faisait face. Les grands coups de sabre qu'il balançait à tord et à travers étaient épuisants et le nuage de brume piquante continuait à empuantir l'air. C'est sur une charge maladroite que Taliesin trouva l'angle dont il avait besoin. Son épée rencontra la chair dénudée du cou du forban, et s'y enfonça avec une facilité déconcertante. Le sang gicla immédiatement en grandes gerbes saccadées, tandis que le pirate s'écroulait en râlant. Autour de lui, le barde vit que les autres archers continuaient à viser et tirer. Puis un nouveau pirate surgit, cette fois face à Goran qui, loin de dégainer une quelconque lame, agrippa l'homme à pleines mains et le repoussa dans la pente, tandis que Noéline le frappait de la hampe de son arc. La chemise du Mersantais se déchira, mais ce fut leur seule perte. Ils se remirent à tirer. Taliesin put encore aligner un ou deux pirates. Mais un fracas épouvantable retentit du côté du défilé, et une seconde plus tard, Guéric déboula vers eux.
" Repli !" s'exclama-t-il.

[Taliesin]

Ainsi, c'était fini ? Déjà ?
Combien de temps s'était-il écoulé ? Une heure ? Deux ? Il n'aurait su dire. Avait l'impression que c'était beaucoup moins.
Combien de pirates avaient-ils abattus ? Une vingtaine ? Trente, peut-être ? Une poignée. Une goutte d'eau dans l'océan.
Dérisoire.
Et tout était fini. Déjà. Ils avaient perdu la plage. Devaient aller se terrer dans leurs grottes tandis que Constance et les autres iraient s'enfermer dans le comptoir où ils trouveraient une mort certaine.
Il se sentit envahi par une brusque vague de découragement, tandis qu'un goût amer montait à sa gorge asséchée. Finis, les beaux discours. Finies, les illusions nécessaires qui n'avaient trompé personne, jamais.
Il eut envie de rester où il était. De refuser l'inéluctable. De se jeter dans la mêlée, téméraire, de détruire les barrages patiemment dressés en lui, de ranimer le brasier péniblement éteint et qui, peut-être, couvait encore sous la cendre.
Il eut envie de redevenir un être sanguinaire, assoiffé de vengeance, de montrer au Squale qu'il n'aurait jamais dû mettre le pied sur Mersant.
Mais il n'en fit rien. Il songea aux enfants, à Valeallyn, à ceux qui se replieraient comme lui, et qu'il se devrait de protéger, d'aider. Il songea à Galathée, perdu à Mélandis...
Il ferma les yeux, une seconde. Secoua la tête. Puis il obéit, abandonnant sa position pour filer vers l'entrée de la grotte. Si d'autres ennemis surgissaient, Noéline et les archers voués au sacrifice devraient pouvoir s'en charger.
Un temps, du moins. Avant de se replier à leur tour.
Mais pas vers un hypothétique espoir de survie.

[Galathée]

Alors qu'il se dirigeait vers l'entrée de la grotte, il fut attrapé par le halfelin qui le tira à nouveau vers la côte.
" Ceux-la ne doivent pas passer." souffla-t-il. " Nous devons couvrir la retraite de nos compagnons."
Deux pirates venaient en effet de surgir à l'endroit où Goran s'était tenu juste avant de se replier. Noéline avait reculé pour tenter de les ajuster de ses flèches, mais elle était seule, ils étaient énormes et vraiment proches.
Sans attendre la réponse du barde, le halfelin se mit à courir vers la Luménienne, dégainant les deux épées courtes qu'il portait sur le dos.

[Taliesin]

Lâchant une bordée d'injures dont la joyeuse inventivité n'avait d'égal que l'ignominieuse vulgarité, Taliesin lui emboîta le pas. Compte tenu de la mêlée à venir, de la stature de leurs ennemis, tirer à l'arc ne servirait à rien : c'était au corps à corps que devrait se régler cette affaire.
Cependant, pris d'une subite inspiration, il stoppa brutalement sa course.
-Rira bien qui rira le dernier... grogna-t-il.
Et d'incanter aussitôt

Taliesin --> Fou rire --> Pirate

Puis il tira son épée, repartit à l'assaut.
Le pirate qu'il avait choisi pour cible était déjà secoué d'une hilarité incontrôlable qui ne manqua sans doute pas de surprendre son comparse. Lequel, cependant, devrait bientôt affronter Guéric...
Le barde ne se préoccupa pas de cet affrontement précis : il avait son propre duel à mener. Et, sitôt qu'il fut face à son adversaire, il l'assaillit d'une pluie de coups, visant les jointures de son armure, la moindre parcelle de corps découverte. Il frappa, frappa encore, laissant pour la première fois depuis qu'avaient commencé les combats libre cours à sa colère, à la rage désespérée qui l'habitait.
Il n'eut aucun mal à parer les ripostes maladroites du forban rieur, à esquiver les plus dangereuse. Et, sans cesse, il attaquait, avec une virulence qui semblait de pas avoir de bornes.
-Vas-tu enfin crever, ordure ? gronda-t-il, alors que les multiples plaies du pirates ne l'empêchaient toujours pas de tenir debout.
Et de frapper, encore et encore...
L'homme finit par vaciller, par lâcher son arme et tomber à genoux.
Un ample mouvement de sa lame. Un demi cercle précis, rapide.
La résistance infime de la chair. Celle, plus coriace, de l'os.
Une tête qui roule. Une gerbe de sang qui le trempe tout entier.
Un corps qui s'affaisse.
Haletant, couvert d'un fluide vital encore chaud, poisseux, Taliesin décocha au cadavre un coup de pied qui l'envoya baller dans les rochers.

[Galathée]

Guéric et Noéline, qui en avaient terminé avec leur adversaire, dévisagèrent un instant Taliesin avec incrédulité. Mais ils se reprirent rapidement. Le halfelin reprit l'elfe par la manche et l'entraîna dans les terres, sans jeter de regard en arrière. Ils coururent à perdre haleine dans la lande, repérèrent Martin qui les attendait toujours, et se dirigèrent vers le roc auquel le courtisan était adossé. Dès qu'ils furent à sa hauteur, il leur désigna un talus, derrière lequel, sous une brassée de branchages et d'herbes folles, se trouvait l'entrée de la grotte. C'était à peine plus que le trou d'un terrier, en un peu plus grand. Guéric s'y jeta sans arrière pensée et sa petite taille l'aida à se faufiler sous terre. Taliesin devrait prendre plus de de précautions, mais Martin ne lui en laissa pas le temps.
" Grouillez-vous, j'en vois un qui arrive par ici..." souffla-t-il en poussant le barde aux épaules.
Taliesin était mince et il passa le premier conduit sans trop de difficultés, se réceptionnant sur ses jambes dans une petite caverne où il pouvait à peine se tenir debout. Elle était obscure et déserte, à l'exception de Guéric qui essuyait la lame d'une de ses épées sur son pantalon. Martin surgit peu après, catastrophé.
" Je pense qu'il m'a vu, je pense qu'il nous suit." lâcha-t-il.

[Taliesin]

-Bon, il n'y a pas à hésiter, alors... murmura-t-il en laissant tomber son arc. Sauf si tu veux intervenir, Guéric, je vais me rendre invisible, sortir... Et s'il nous cherche vraiment, lui régler son compte avant de revenir ici.
Déjà, il se défaisait de son épée : avec pour seule arme sa dague, il devrait pouvoir se faufiler plus aisément dans le conduit.

[Galathée]

" Il faut lui régler son compte à tout prix." fit le halfelin à voix basse. " S'il nous a vus disparaître, il peut alerter ses compagnons et nous serons fichus."
Il fit signe à Taliesin de passer devant lui.
" Je me cacherai dans l'ombre. Il n'y en a pas beaucoup par ce temps radieux, mais je m'en tirerai... Je ne suis pas bien haut."
Les deux compères n'eurent pas trop de difficultés à retourner sur les hauteurs de la lande. Des cris résonnaient plus loin, mais il y avait désormais un énorme banc de brume, peu naturel, qui planait sur la sortie du défilé. Difficile de savoir s'il était le fait de Valaellyn ou d'un lanceur de sorts ennemi, en tout cas, il dissimulait efficacement ce qui s'y produisait. Le pirate qu'avait repéré Martin était à quelques pas, hésitant manifestement sur la marche à suivre. Il regardait pile dans leur direction, mais ne vit évidemment ni le barde, ni le halfelin.
" A toi l'honneur." murmura Guéric à son acolyte.
Taliesin l'entendit ensuite se déplacer, à pas de loups, quelque part vers la droite.

[Taliesin]

A pas de loup, s'efforçant de respirer le plus silencieusement possible et de surveiller l'endroit où il mettait les pieds (écraser une branche morte était vite arrivé), le barde entreprit de contourner le pirate. Il avait dans l'idée de l'approcher par derrière et de lui trancher proprement la gorge. Il perdrait son invisibilité, bien sûr, mais il n'y avait pas d'autres ennemis à proximité immédiate.
Si celui-ci tombait, il se jetterai au sol et ramperait vers l'entrée de la grotte. Ou, au besoin, aiderait Guéric à trainer le cadavre un peu plus loin.

[Galathée]

Taliesin parvint à exécuter son plan sans accrocs. Il entendit juste le déclic de l'arbalète de Guéric, plus loin sur sa droite, alors qu'il s'apprêtait à trancher la gorge du pirate. Celui-ci tourna la tête mais n'en offrit que plus largement sa vie à son assassin. Le halfelin redevint visible comme il envoyait un pirate aventureux par dessus les rochers. Une seconde plus tard, Taliesin passait à l'action. Son ennemi rua au moment où il mourrait, l'atteignant dans le tibia avec une violence peu commune. Le barde glissa au sol et se mit à ramper, rattrapé bientôt par le halfelin et ils purent se glisser à nouveau dans les ténèbres de la grotte. Cette fois, lorsque l'elfe se reçut en sécurité, il grimaça : sa jambe était douloureuse. Pas cassée, certes, mais il aurait certainement un beau bleu.

[Taliesin]

-Au moins, on sera pas ressortis pour rien... souffla-t-il en récupérant ses armes.
Puis il se redressa, prit appui contre le mur. Il pourrait marcher sans trop de mal, en serrant les dents, mais son allure serait forcément réduite. Autant ne pas traîner dans les parages, dès lors.
-Si vous êtes d'accord, je propose que nous y allions... reprit-il, toujours à voix basse.
Il aurait été dommage qu'un écho malheureux les trahisse.

[Galathée]

" Etions-nous les derniers ?" demanda Guéric.
" Oui." fit Martin.
" Ok. Bougeons-nous."
" Je n'y vois pas des masses..." fit le courtisan, verbalisant l'évidence. " Mais normalement, au fond, à droite, il doit y avoir une fissure..."
" Oui, je la vois. Enfin, il y en a... genre trois. "
" Celle de droite. Il faut s'y glisser."
Guéric jeta un oeil à Taliesin.
" Il avait des semelles cloutées, ça doit faire bien mal." murmura-t-il. " Je vais passer devant. Si tu ne t'en tires pas, tu préviens..."
Il attrapa ensuite Martin par la manche et lui prit la main, qu'il posa sur son épaule.
" Tu me guides, je te guide. Allons-y."
Puis il se dirigea vers la fissure et leur périple dans les entrailles de Mersant débuta. Le conduit était très étroit, si l'un d'entre eux avait été ventripotent, il n'aurait probablement pas pu aller plus loin. La crevasse faisait ensuite un angle, puis s'élargissait, et ils purent cesser de se faufiler pour marcher quelques mètres. Vint alors une sorte d'escalier d'éboulis, Martin les prévint de se méfier du plafond bas, qu'il ne pouvait pas voir, personnellement. Il y eut une lueur loin dans les hauteurs, un rai de lumière minuscule qui dessinait un cercle de lumière jaune sur un mur. Le petit couloir s'accidenta, puis se réduisit à un boyau dans lequel il leur fallut ramper. Ils purent se relever un peu plus loin, et louvoyer entre des stalactites et stalagmites aux allures meurtrières. Le silence s'abattit sur eux, ponctué par le son hanté de gouttes d'eau qui claquaient sur la pierre. Il faisait humide et froid. Comme on l'avait annoncé, Mersant était un véritable fromage : des galeries partaient d'un peu partout, pour s'enfoncer les dieux savaient où. Mais Guéric posait des questions et Martin répondait. Soudain, ils débouchèrent dans une petite salle et y trouvèrent le jeune Mélandien, un peu penaud. Il tenait un moignon de bougie et sursauta lorsqu'ils apparurent, brandissant son épée devant lui. Il semblait épuisé.
" Oh, Tymora en soit remerciée, je n'y croyais plus." souffla-t-il. " Je me suis perdu."

[Taliesin]

-Sans Martin, nous aurions fait de même, répondit Taliesin. Cet endroit est un véritable dédale...
Malgré ce qu'on lui en avait révélé, il n'aurait pas imaginé que les cavernes seraient à ce point labyrinthiques et tortueuses. La progression y était difficile, le serait même sans jambe douloureuse, sans fatigue physique et nerveuse.
Déjà - parce qu'il fallait bien se raccrocher à quelque chose -, il songeait au parti qu'ils pourraient tirer des lieux. En les connaissant par cœur, en choississant les endroits appropriés, il serait possible de tenir en échec bon nombre d'ennemis. Et pour un bon moment.
Mais il souhaitait qu'ils n'aient pas à en arriver là.

[Galathée]

" Vous y étiez presque." fit Martin avec le sourire." Puis mes indications valent ce qu'elles valent."
Le Mélandien acquiesça, rengaina son épée et poussa un profond soupir. Il avait toujours l'air un peu secoué.
" Troisième arche après la concrétion en forme de sablier..." dit le courtisan en désignant la direction à suivre. " Puis le conduit au ras du sol."
Il leur fallut à nouveau ramper, cette fois sur une plus longue distance et dans un tunnel qui allait en rapetissant, si bien qu'il faisait davantage l'impression d'un entonnoir que d'un réel passage. Les armes et les armures s'avérèrent plus handicapantes qu'autre chose, mais au moment où il semblait qu'ils ne pourraient plus avancer, le boyau s'élargit à nouveau et ils débouchèrent dans une grotte plus vaste, dans laquelle s'amassaient provisions et équipement. Leur arrivée fut accueillie par des cris de joie qu'un puissant "chuuuuuut" fit taire.
Victor et Jehan coururent à leur rencontre, Elerinna sur les talons. Ils avaient allumés une demi-douzaine de lampes, dont la lumière était tamisée, discrète. Le bruit de la mer semblait extrêmement proche, et pour cause, quelques trous dans le sol semblaient y mener directement. Les deux jumeaux étaient assis contre une paroi, deux personnes étaient couchées un peu plus loin. Il faisait très froid.

[Taliesin]

Taliesin adressa un sourire las aux garçons et à la courtisane, clopina vers une paroi voisine et, après s'être départi de ses armes, s'y assit, le dos calé contre la roche.
Il était épuisé. L'élancement dans sa jambe pulsait douloureusement, et il ne se serait pas vu marcher encore longtemps. Il y avait le contrecoup de la bataille, également. De la retraite, surtout. La pensée de ceux demeurés en arrière...
Il s'efforça de la chasser. De chasser toute idée n'ayant pas trait au présent immédiat, aux personnes qui l'entouraient.
Ils semblaient tous là. C'était déjà une bonne nouvelle...

[Galathée]

Elerinna s'approcha de lui et posa une flasque sur le sol, puis lui jeta une couverture sur les genoux.
" Je vous apporte de la soupe dans un instant." fit-elle avec un doux sourire. " Si vous voulez brûler des étapes, il y a de l'eau de vie là-dedans. Elle est distillée à la ferme, à partir des lichens de la lande. Ils ont des propriétés médicinales. Surtout contre la fatigue et les problèmes de toux. Bon, ce n'est pas le plus fin des hydromels, mais ce n'est pas mauvais quand on aime ce petit goût amer de champignon ranci."
" Mauvaise langue, il est délicieux, cet alcool." grommela Martin en s'étirant dans la pénombre.
Victor et Jehan vinrent s'installer de part et d'autre de l'elfe.
" Alors, t'en as tué combien ?"

[Taliesin]

-Heu...
Spontanément, l'elfe se mit à compter sur ses doigts. Mais il s'interrompit : il n'avait pas vraiment envie de repenser à la bataille.
-Pas assez... fit-il; Mais un peu quand même... Six ou huit. Dix, peut-être...
Il déboucha la flasque, avala une gorgée d'eau-de-vie - il dut attendre que sa gorge incendiée cesse de le brûler avant d'en percevoir le goût, étrange quoique pas désagréable - puis la reboucha. Il fallait ménager leurs réserves.

[Galathée]

" Ouah, mais si t'en as tué dix, et que tout le monde en a tué dix, alors ils sont déjà tous morts !" s'exclama Jehan, les yeux écarquillés de stupeur.
" Je suis loin d'en avoir tué dix, moi." intervint Fred sans décoller de son mur.
" Alors là, moi aussi, bien loin." ajouta George.
" J'en ai tué zéro, pour ma part." fit Martin.
" Taliesin, c'est le plus fort !" renchérit Victor, à la fois crâneur et protecteur.
" Vous êtes morbides, les gars." lâcha Guéric.
Il n'ajouta cependant rien.
" Je croyais que vous vous appeliez Belenn." dit alors Elerinna, en fronçant les sourcils.

[Taliesin]

Il se fendit d'une grimace qu'il essaya aussitôt de transformer en sourire tranquille. S'il n'y avait eu le Mélandien parmi eux, il aurait assumé son identité. Mais il préférait ne pas prendre de risques, bien que les chances soient minces pour qu'un marchand non originaire de la capitale de l'Empire ait entendu parler d'autre chose que du Prophète Gris ou, plus probablement encore, du Grand Mensonger.
-Oh, Taliesin, c'est un mot elfique, un surnom affectueux... expliqua-t-il avec ce qu'il espérait être de l'aplomb. J'essaie d'inculquer à ce garnement quelques notions de ma langue...

[Galathée]

L'explication de Taliesin fit pouffer Jehan. Fred, George et Guéric conservèrent une mine impassible. Martin fronça les sourcils, comme s'il essayait de se souvenir de quelque chose. Elerinna haussa les épaules.
" C'est joli, je n'avais jamais entendu." fit-elle en déposant un bol de soupe devant le barde. " Qu'est-ce que ça veut dire ?"
" Mon petit lapin en sucre." lâcha Jehan.
Victor et son comparse explosèrent de rire, et les deux jumeaux eurent du mal à contenir leur hilarité.

[Taliesin]

-Et bien, mes gaillards, vous êtes bons pour des cours intensifs d'elfique... dit-il, joyeux, en s'emparant du bol. Parce que votre traduction est pour le moins fantaisiste... Mais ça tombe bien, on aura beaucoup d'heures à tuer.
Ce serait sans doute le pire, l'attente, l'oisiveté forcée. Il faudrait qu'ils se trouvent des choses à faire, pour occuper leurs esprits.
Pour sa part, il aurait payé cher pour pouvoir se débarrasser du sang à demi coagulé qui le maculait, le démangeait. Malheureusement, il doutait que l'île, malgré son caractère volcanique, recèle des sources d'eau chaude. Quant à gagner la mer par les trous ouverts dans le sol... C'était sans doute suicidaire. Ne serait-ce que parce qu'il n'y aurait rien pour se réchauffer, après coup.

[Galathée]

La répartie de Taliesin ne parut pas troubler les enfants, mais au moins, ils avaient détendu l'atmosphère. La soupe fumait, onctueuse et agrémentée de lardons et de croûtons. Martin revendiqua un bol, lui aussi. A voir les victuailles qu'ils avaient entassé dans la grotte, ils avaient de quoi tenir un certain temps. Le barde remarqua d'un des trous dans le sol semblait servir de feu, pourtant il n'en sortait aucune fumée.
Guéric était nerveux, arpentant la grotte en tous sens. Personne n'osa lui dire que son manège était agaçant. Aucun son ne provenait du dehors, aucune lumière. Rien que le néant. Ils étaient coupé de tout.
" Quel est le programme ?" lâcha alors Ruyven, émergeant de la pénombre du fond de la grotte.
Il avait drapé une couverture autour de lui et semblait épuisé. Il étouffa d'ailleurs un bâillement derrière sa paume. Comme tous les Mersantais doués d'infravision, il n'avait plus dormi depuis plus d'une journée.

[Taliesin]

-Je crois que le plus urgent est de se reposer... dit Taliesin, gardant les mains rivées sur son bol, seule source de chaleur aux environs. Nous en avons besoin. Nous devrons poster un ou deux guetteurs, évidemment... Il doit exister des endroits particulièrement appropriés. Et pour la suite... Il faudra que nous nous approprions tous notre domaine, que nous connaissions par cœur les grottes avoisinantes, les éventuels passages vers la surface, ou vers la mer...
Comme toujours, élaborer des plans, ne tourner ses pensées que vers le concret, le tangible, était un rempart contre les idées noires. Bien maigre rempart, cependant, bien temporaire : ils auraient tôt fait d'expédier ces menues tâches. Après...
Bah, ils trouveraient.

[Galathée]

" Il y a d'autres voies d'entrée dans cette grotte. Je ne les connais pas toutes, mais il y en a d'autres. Certaines pas plus grandes qu'un trou de souris mais d'autres certainement assez larges pour qu'on les emprunte." dit Martin, songeur.
La soupe le fit soupirer d'aise.
" On devrait essayer de tracer une sorte de plan, peut-être." dit Goran en s'approchant.
Il passa une main sur sa joue, qui était d'un rouge cuisant. Il dégageait une odeur étrange, que Taliesin finit par identifier : c'était celle du poil roussi.
" Il faudra qu'on remonte. Voir où les choses en sont." lâcha Guéric.

[Taliesin]

-Bien sûr, c'est incontournable. Mais je pense que nous devrons attendre un certain temps : le Squale et ses hommes vont écumer l'île, chercher des fuyards. Il ne faut pas qu'ils nous voient. Et, pour ma part, je ne peux plus lancer de sort d'invisibilité. Il faudra que je dorme avant d'en être à nouveau capable.
Il se tourna vers Goran.
-Et le plan me semble une excellente idée. Peut-être trouverons-nous des sorties menant à des points d'observation intéressants, ou à des lieux d'où nous pourrons mener nos opérations futures en toute discrétion, avant de nous replier rapidement...

[Galathée]

" Nous ferions mieux de commencer par nous reposer, je crois." dit Ruyven. " Personnellement, je tombe de fatigue. Et je vais finir par tomber tout court."
Il esquissa un léger sourire, balaya la salle du regard. Le jeune Mélandien était debout, toujours un peu perdu, à quelques mètres.
" Il a pris un coup sur la tête ?" demanda alors Elerinna.
" On n'était pas avec lui." dit Fred en haussant les épaules.
" Il avait l'air normal quand il est entré dans la grotte." ajouta Martin.

[Taliesin]

Le barde chercha à croiser le regard de ses compagnons. Il fallait que quelqu'un s'occupe de lui : ils ne pouvaient pas se permettre de le laisser à l'écart, de le laisser craquer. Le Mélandien était ébranlé, par la bataille peut-être, mais sans doute aussi, et surtout, par la perte de son oncle... et de Dix-Sept, pour lequel il avait un attachement réel, même si celui-ci s'était manifesté par des crises de colère liées à sa propriété, à son droit d'en faire ce qu'il voulait.
Il fallait que quelqu'un s'occupe de lui. Elerinna aurait été indiquée... Taliesin, pour sa part, ne pensait pas être le mieux placé, vu ses conflits passés avec l'homme. Et puis, il était épuisé.

[Galathée]

Martin croisa le regard de l'elfe et opina du chef.
" Je vais m'en charger." souffla-t-il en esquissant un sourire contrit.
Il se glissa jusqu'au jeune homme, le prit par le bras et lui adressa quelques mots à voix basse. Le Mélandien ne se dégagea pas et se laissa guider jusqu'à un renfoncement dans la pierre où il pourrait s'asseoir.
" Sale ordure, on devrait le démonter maintenant qu'il est tout seul." grommela Fred entre ses dents.
" Il pourra servir de chair à canon au besoin, laisse." ricana George.
Elerinna soupira.
" Si tu étais né et avais grandi à Mélandis, tu ne serais pas différent de lui." lâcha la prostituée. " Profite plutôt du temps que tu passes avec lui pour approfondir ta compréhension du monde. Je vais lui chercher à manger."
Elle s'éloigna vers son trou à soupe.

[Taliesin]

Se doutant que les propos d'Elerinna ne plairaient pas à l'adolescent, Taliesin se hâta d'intervenir.
-Je te comprends, Fred, dit-il doucement. Mais il faut que nous restions unis. Nous sommes si peu... Chacun d'entre nous pourrait avoir un rôle à jouer. Je sais que cela peut paraître artificiel, dit comme ça, et surtout difficile à appliquer. Mais nous n'avons pas le choix. D'autant qu'en se retrouvant à plusieurs dans un espace confiné, il y aura des tensions, tôt ou tard. C'est encore plus vrai au regard de notre... situation. Il ne faudra pas que nous les laissions nous désunir. La discorde est l'un des pires dangers qui nous guettent, elle pourrait entraver nos possibilités de coordination, d'action... Je crois que nous devons oublier d'où nous venons respectivement, pour l'heure. Que nous nous considérions tous comme des habitants de Mersant, des gens en lutte contre l'envahisseur. Contre l'ennemi commun.

[Galathée]

Le jeune homme se renfrogna.
" Si jamais il apprend pourquoi on est là, il va nous dénoncer." grommela-t-il.
" On pourrait le liquider juste avant..."
" Vous parlez presque comme des Mélandiens, vous savez, ça ?" dit alors Guéric, en secouant la tête. " Enfin, vous serez mûrs pour y errer, c'est certain."
Il soupira.
" Je vais me coucher un moment. Tu devrais en faire de même, Taliesin."
" Petit lapin." dit Victor.
Jehan pouffa.