[Lieu] Mersant

[Taliesin]

-Oh, pour les explications toutes simples, je suis bien d'accord. D'ailleurs, j'ai réussi à en dresser une liste asses impressionnante : il y a tellement de possibilités autres que le drame absolu... Mais après une nuit d'attente, aucune ne paraît vraiment crédible, malheureusement.
Il soupira.
-Pour le reste, je dois vous accompagner : j'ai repéré le trajet jusqu'à la grotte, hier, j'ai pris beaucoup de points de repères, je me suis référé à la carte... Bref, je pourrai vous conduire assez sûrement. Quant à mon odeur... Ne t'inquiète pas, je ne me suis pas enivré. Un elfe qui s'enivre, ça ne tient pas longtemps debout.

[Galathée]

Guéric le dévisagea une seconde, puis secoua la tête, renonçant à parlementer.
" Très bien. Mais nous emmènerons quand même Bellyra... Nous ne serons pas trop de trois... Quoi qui nous attende là-bas."
Il joignit le geste à la parole en allant secouer la courtisane. Celle-ci écouta le halfelin puis écarquilla des yeux surpris.
" Ne devrions-nous pas plutôt... Je ne sais pas... Non, c'est prématuré, d'accord. Il faut quand même... avertir Fred. S'il s'éveille et que nous avons disparu..."
" Partir à l'aveugle est une mauvaise idée..." souffla soudain le halfelin. " Partez devant, Belenn et toi. Je vous rattraperai... quand j'aurai organisé quelque chose ici."

[Taliesin]

-Il faut aussi trouver un moyen de prévenir George et Ruyven, fit-il tout à coup. Tant que nous ne savons pas ce qui s'est produit, nous regrouper est peut-être la meilleure des choses à faire... De toute façon, le trajet pour les rejoindre est longtemps le même que celui vers la caverne...
Il fronça les sourcils, essayé de se concentrer malgré les vertiges qui le prenaient parfois et l'angoisse viscérale qui le tétanisait.
-Bon, et je pourrai tester à nouveau le pipeau... On ne sait jamais : c'est déjà arrivé qu'il ne fonctionne pas. Et depuis, il a remarché. Alors, qui sait ? Il a peut-être des pannes passagères. Ou, si ça se trouve, il refuse de travailler la nuit...
Il se figea... puis sourit. Il avait prononcé ces mots en manière de plaisanterie, mais... c'était peut-être bien ça, la raison : l'instrument étant un don de Lathandre, il ne pouvait fonctionner qu'une fois le soleil levé.
Cela paraitrait presque logique....
Mais ce n'était certainement pas ça : ç'aurait été trop simple, trop évident. Et il aurait déjà constaté ce phénomène par le passé, non ? Le pipeau avait déjà dû fonctionner de nuit...
Dans tous les cas, il ne perdait rien à essayer. Il risquait juste une nouvelle déception.

[Galathée]

" Je propose que vous partiez devant... Si vous ne notez rien de particulier d'ici à l'endroit où les deux trajectoires se divisent, vous allez prévenir George et Ruyven. Nous nous retrouverons ensuite sur le chemin et nous allons voir dans cette grotte... Il le faut." fit Guéric. " Ils ont peut-être besoin d'aide. Nous ne pouvons pas rester dans l'expectative. Nous risquons... de perdre un temps précieux."
La décision la plus logique aurait sans doute été de déguerpir et de sceller les conduits suspects, mais personne ne semblait prêt à la prendre.

[Taliesin]

Sans perdre davantage de temps, le barde s'en fut récupérer ses affaires. IL rassembla de la corde, des vêtements de rechange, un peu de nourriture... et une flasque d'eau de vie. Puis il ceignit son épée. Il aurait aimé prendre son armure mais, dans les tunnels, elle aurait été plus handicapante qu'autre chose.
Avant de partir, il laissa une carte à Guéric, en prit une pour lui même, et expliqua au halfelin l'endroit où ils l'attendraient. Puis, se demandant s'il aurait même la force d'aller au bout, il quitta leur refuge.
-Par acquis de conscience... dit-il à l'intention de Bellyra avant de jouer les "Demoiselles".
Cela ne marcherait évidemment pas. Mais, au moins, il saurait qu'il courrait vers le danger sans presque aucun atout : épuisé, à moitié ivre, avec peu de sorts en réserves...

[Galathée]

Mais cette fois, contre toute attente, il y eut un éclair de lumière et lorsqu'ils recouvrèrent la vue, un petit balluchon était posé sur le sol. Il contenait une poignée d'amulettes montées sur des ficelles sans attrait, un caillou terne et une potion non identifiée. Bellyra dévisagea Taliesin avec surprise, n'osant pas faire un geste vers l'étrange butin.
" Qu'est-ce que c'est que ce bazar ?" fit Bellyra.

[Taliesin]

Le barde demeura la bouche entrouverte, pantois, les yeux rivés sur les objets fraichement apparus. Il était persuadé que rien ne se produirait. Intimement persuadé. Mais...
-Bon, ben, il semble que le pipeau ne fonctionne vraiment que le jour... murmura-t-il comme s'il se parlait à lui-même.
Puis, se tournant vers Bellyra :
-Je n'en ai pas la moindre idée... Guéric ? Tu veux bien nous rejoindre, s'il te plait ? Le pipeau... nous a fait des dons que nous aimerions bien identifier. Peut-être en sauras-tu plus que nous...
Ils se trouvaient dans la grotte qu'ils avaient occupé au tout début. Il n'était donc pas impossible que, outre sa voix et la mélodie, le halfelin ait perçu l'éclair.

[Galathée]

Le halfelin fit son apparition quelques secondes plus tard et jeta un oeil surpris sur leur fortune.
" Je ne crois pas qu'il s'agisse de jour, de nuit... Lorsque tu as sauvé Griselda, c'était déjà la nuit." murmura Bellyra.
Guéric déboucha la potion et la renifla.
" Je dirais que c'est une potion de soins. Sans doute puissante..." fit-il en la tendant à Taliesin. " Je n'en ai jamais eu de semblable en mains... Mais elle a la même odeur que les potions de soins de faible pouvoir... en plus fort, non ?"
C'était effectivement le cas.
" Quant à ces breloques..."
Il en regarda une, puis avec un haussement d'épaules, la passa autour de son cou.
" J'imagine que nous ne perdons rien à les porter, si on nous les a confiées."

[Taliesin]

Dépité de ne pas avoir trouvé la raison de ces dysfonctionnements, Taliesin, malgré tout bien décidé à profiter des dons octroyés, passa l'une des amulettes à son cou, empocha la potion - laquelle indiquait, s'il en doutait encore, que l'un des leurs devait être très grièvement blessé - puis recueillit dans sa paume le terne caillou.
-Et ça ? murmura-t-il. Tu vois à quoi ça peut servir ? Ce pourrait éventuellement être une indication sur le lieu du problème... Mais seul Martin aurait été capable de dire où l'on trouve tel type de roche, où tel autre...

[Galathée]

Bellyra se munit d'une amulette et empocha les autres. Il n'y en avait pas assez pour tout le monde et ceux qui ne quitteraient pas le campement n'en auraient probablement pas besoin dans l'immédiat.
" Emportons-le..." dit la jeune femme. " Nous en comprendrons certainement l'usage en route..."
Elle le lui tendit.
" La bonne nouvelle, c'est qu'il n'y a pas de sceptre de résurrection." fit Guéric, sur un ton qu'il tentait de rendre plus léger. " Ne tardez pas. Cette potion est quand même de mauvaise augure."

[Taliesin]

-Pas forcément ! répondit-il sur le même ton. Le pipeau peut très bien estimer que je cours de gros risques de me faire mal pendant le trajet... Il n'est pas impossible que ce soit un instrument simplement prévenant.
Il gratifia le halfelin d'un dernier sourire puis, d'un pas qu'il tenta de rendre moins incertain pour ne pas l'inquiéter, il s'éloigna. Avec la carte, les points de repères gravés dans sa mémoire, la connaissance que Bellyra pouvait avoir du terrain - après tout, elle avait fait l'aller-retour jusqu'au poste de guet -, ils avaient peu de chances de s'égarer.
Ou, du moins, ils avaient des chances de ne pas s'égarer.

[Galathée]

Ils reprirent ainsi leur progression dans le ventre de la terre. Il faisait glacial et sombre, mais dotés l'un et l'autre d'une vision nocturne acceptable, ils purent se passer de la lumière qui les aurait immanquablement trahis. Ils progressaient avec prudence, aux aguets. Bellyra s'était armée d'une dague et Taliesin avait la sensation que la jeune femme savait s'en servir. Ils se relayèrent en tête. De temps à autres, forcés de ramper, ils devaient faire confiance à leur ouïe pour détecter d'éventuelles bizarreries, mais les conduits souterrains semblaient déserts et pendant longtemps, ils ne rencontrèrent personne. Ils demeurèrent cependant silencieux, concentrés. Les ténèbres devenaient de plus en plus oppressantes et ils perdirent toute notion du temps. Il semblait qu'ils marchaient depuis des heures, hors du monde. Bellyra passait par des phases d'ennui, où elle ralentissait, puis de nervosité intense, cycliquement. Ils gravirent encore une pente, s'engagèrent dans un couloir obscur où ils pouvaient marcher debout. Taliesin avait repris la tête. Ils scrutaient le néant. Mais ils approchaient du conduit abrupt d'où dégringolait le ruisseau glacial, l'endroit où les deux pistes se séparaient.
Puis soudain, au détour d'un couloir, l'elfe aperçut une forme claire au sol. Quelque chose qui n'était pas de la roche, mais qui ne bougeait pas pour autant.

[Taliesin]

L'avantage, si la catastrophe absolue qu'il redoutait s'était produite, c'est qu'ils ne tarderaient plus à le savoir, à présent.
Alors, après s'être assuré, au mieux de ses possibilités, qu'il n'y avait aucun bruit suspect dans les environs, après avoir tiré son épée, au cas où, il s'approcha de la forme, les dents serrés, les doigts désormais crispés sur la garde de son arme.
Il s'attendait au pire.
Bizarrement, il pensait que, cette fois, il avait raison de le faire.

[Galathée]

Le corps, complètement nu, était celui de Martin. On aurait pu le prendre pour le Mélandien, car il était face contre terre et l'un et l'autre avaient les cheveux très noirs, mais le courtisan était beaucoup plus mince. Il arborait des marques sombres sur les fesses, qui se transformaient en traînées le long de ses jambes. Son visage invisible reposait dans une flaque de sang.

[Taliesin]

Oui, il avait eu raison d'envisager le pire... songea-t-il brièvement. Ô combien raison...
Puis il dut se tendre tout entier pour éviter de vomir, pour réprimer ce haut-le-cœur qui le secouait.
Il posa une main contre la paroi voisine, s'y appuya, tenta de reprendre son souffle et ses esprits.
Pour l'instant, il ne devait pas penser à ce qui s'était produit. Pas penser à ce qu'il était advenu des autres. Surtout pas. D'abord, il devait vérifier si Martin était aussi mort qu'il en avait l'air, si la potion de soins ne lui étaient pas destinés.
Ensuite... Ensuite, il aviserait.
Alors, déglutissant avec peine, il se pencha sur le corps, s'apprêta à l'examiner. IL aurait voulu procéder vite, très vite, mais... Il allait procéder avec douceur et prudence. Il ne pouvait pas faire autrement.

[Galathée]

Bellyra était arrivée juste derrière lui et il l'entendit museler un hoquet.
" Il est... il est mort ?" demanda-t-elle dans un gémissement.
Sa peau était glacée mais encore souple. Lorsque Taliesin le retourna, lentement, il découvrit son visage tuméfié, réduit à une plaie sanguinolente, comme si on lui avait répétitivement frappé la tête contre un rocher. Ce qu'on avait probablement fait. Mais contre toute attente, le courtisan était toujours vivant. Il geignit doucement et son oeil gauche s'entrouvrit, une seconde, aveugle, avant qu'une bulle écarlate n'éclate au coin de ses lèvres fendues.

[Taliesin]

Il avait le cœur au bord des lèvres, et sa gorge était envahie par un atroce goût de bile.
Il avait pourtant vu beaucoup d'horribles spectacles, au cours de son existence. Mais lorsqu'un proche, un ami ou un compagnon de route était concerné... Ce n'était jamais la même chose. On ne pouvait jamais se protéger contre ça.
A moins de sombrer dans la folie.
Il manqua défaillir. Mais découvrir le courtisan en vie, malgré ce qu'il avait subi, lui permit de tenir le coup encore quelques instants.
Peut-être la potion lui était-elle vraiment destinée...
Auquel cas, il fallait qu'elle soit puissante. Très puissante.
Tellement puissante que cela tiendrait du miracle, à bien y réfléchir. Peut-être un autre, moins grièvement atteint, attendait-il non loin...
Mais non, il ne pouvait pas le laisser mourir sans rien faire.
Alors, maîtrisant au mieux les tremblements de ses mains, il déboucha la petite bouteille, glissa le goulot entre ce qu'il restait des lèvres du malheureux Martin, bien décidé à n'en laisser échapper aucune goutte.

[Galathée]

Comme l'avait supposé Guéric, la potion était effectivement très puissante, et elle accomplit le miracle attendu. Sous les yeux de ses deux compagnons, ses traits se brouillèrent, il poussa un cri étouffé, son visage reprit une apparence plus humaine. Mais si le breuvage magique le ramena des lisières de la mort, il n'eut aucun effet sur la température de son corps et il se mit à frissonner entre les bras de Taliesin.
" Bouse..." fit Bellyra d'une voix larmoyante en retirant son manteau. " J'aurais dû prendre une couverture..."
Martin n'était pas complètement guéri. D'agonisant, il était désormais simplement blessé. Il se raccrocha à l'épaule du barde, les doigts crispés, et sa bouche s'ouvrit sur un cri silencieux. Puis il soupira et se remit à trembler.

[Taliesin]

Encore un peu incrédule, quoi qu'à force, il doutait de moins en moins de la puissance incroyable de ce petit instrument, Taliesin rassembla rapidement ses esprits.
-J'ai des vêtements de rechange dans mon sac, murmura-t-il. Et sans doute une couverture. Une flasque d'eau-de-vie, même, pour le requinquer. Je te propose que nous l'habillions au plus vite.
Déjà, et sans relâcher Martin, il fit glisser son paquetage au sol.

[Galathée]

Ils procédèrent avec rapidité et méthode, comme si l'urgence permettait d'écarter leur esprit de ce qui s'était apparemment produit. Mais Bellyra arrêta Taliesin.
" Attends, je vais le réchauffer." fit-elle. " Mets la couverture sur nous."
Elle se déshabilla sans plus attendre et colla son corps nu contre celui du courtisan, puis aida d'une main Taliesin a les empaqueter. Elle amena ensuite son collègue transi à boire un peu d'eau de vie, mais le seul résultat fut qu'il se mit à tousser avec bruit.
" Si tu veux continuer..." murmura-t-elle enfin, alors que Martin reposait, manifestement endormi, contre son épaule.

[Taliesin]

Le barde se redressa, lorgna les alentours.
-Je ne sais pas si c'est très prudent... dit-il. On n'a aucune idée de ce qui s'est produit ici, de... qui a fait ça à Martin. Je rechigne a vous laisser seuls, à ne pas attendre Guéric. En même temps, si les autres sont en danger...
Il songea aux garçons. Frissonna de la tête aux pieds.
-Ruyven et George sont-ils loin d'ici ? demanda-t-il. Y a-t-il beaucoup d'embranchements pour aller les rejoindre ?

[Galathée]

" C'est à environ une demi-heure de marche..." murmura Bellyra. " Tu dois continuer par là, puis..."
Sa voix se brisa.
" Reste avec nous, je t'en conjure." reprit-elle, chuchotant. " Je t'en conjure... Je ne pourrai rien faire si... quelqu'un... quelque chose... et lui, il est tellement... vulnérable, maintenant... "
Elle se mit à trembler puis dissimula son visage dans le creux de sa main.

[Taliesin]

Il ferma les yeux, se prit la tête entre les mains, comme pour l'empêcher d'exploser. Ses pensées, acérées par l'angoisse, rendues plus tumultueuses encore par l'épuisement, allaient en tous sens, se bousculaient, se mêlaient, et il avait bien du mal à les concentrer, bien du mal à repousser la terreur qui s'emparait de lui sitôt qu'il songeait à Victor et menaçait de le priver de toute force.
-Mais les autres... souffla-t-il.
Il rouvrit les yeux, observa un instant les deux courtisans. Oui, s'ils étaient surpris...
-Je vais rester, reprit-il d'une voix blanche, avec la désagréable impression de prononcer, pour d'autres, un arrêt de mort. Je vais attendre Guéric : avoir trouvé Martin, j'imagine que ça fait partie des incidents qui... imposent qu'on l'attende avant d'aller plus loin.
Se raccrocher aux ordres. Déjà, il tentait de se justifier pour la catastrophe à venir.
Il s'adossa à la paroi rocheuse. Il aurait voulu s'assoir, se recroqueviller sur lui-même et se laisser aller. Mais il ne pouvait se le permettre, n'en avait pas le droit.
Au lieu de cela, il resta aux aguets, l'oreille tendue, la main sur la garde de son épée...
Pourvu que Guéric ne tarde pas trop.
C'était la seule pensée qu'il s'autorisait.

[Galathée]

L'attente apparut à nouveau insupportable. Elle ne fut troublée que par un épisode imprévu, et difficilement interprétable. Taliesin réalisa que le caillou qu'il avait laissé dans sa poche luisait doucement, d'une lueur orangée, laquelle perlait au travers des fibres de son manteau. Il était toujours inerte et froid, mais il diffusait sa lumière tranquille, cependant insuffisante pour se guider ou lire quoi que ce soit.
Puis Guéric surgit de l'ombre, franchissant les derniers mètres qui le séparaient du petit groupe au pas de course.
" Bon sang, comment va-t-il ?" s'exclama le halfelin. " Que s'est-il passé ?"

[Taliesin]

-Je crois que la potion avait été prévue pour lui... commença l'elfe.
Puis il fit à Guéric le récit de leur découverte, sans rien cacher des sinistres détails qui s'étaient imposés à eux.
-J'ai préféré t'attendre plutôt que de poursuivre en les laissant seuls... conclut-il. Martin n'ayant pas repris connaissance, nous n'avons aucun moyen de savoir ce qui s'est passé. En tout cas, nous sommes arrivés juste à temps : si le pipeau fait des miracle, c'en était un autre de trouver Martin encore en vie.
Il brandit le caillou.
-J'ai constaté ça, aussi : il luit. Cela signifie probablement quelque chose : présence d'ennemis dans les environs ? Présence d'amis, au contraire ? Aucun moyen de le savoir : une fois encore, pas de mode d'emploi.

[Galathée]

Guéric fronça les sourcils, un torrent d'émotions déferla sur son visage, mais quand il reprit la parole, il demeura concentré.
" Est-ce qu'il s'est réchauffé ?" demanda-t-il à Bellyra.
" C'est mieux que lorsque nous sommes arrivés mais... je commence à avoir froid, moi aussi..."
" Rhabille-toi et habillons-le." dit le halfelin. " La grotte marine est toute proche, désormais. Nous devrions... Nous devons l'éveiller et l'interroger. Le ramener va nous prendre des heures..."

[Taliesin]

Il hocha la tête : que faire d'autre ?
-Il faudra y aller doucement, pour ne pas trop le brusquer. Et même en prenant mille précautions, ce n'est pas dit qu'il se souvienne de quoi que ce soit... ou qu'il arrive à expliquer ce qui s'est passé. Mais on ne peut se dispenser d'essayer de le faire parler : sans quoi, on continuera à avancer à l'aveuglette. Et vu les circonstances, il ne vaudrait mieux pas.
Il sortit à nouveau la flasque d'eau-de-vie et se tint prêt à aider Bellyra en cas de besoin. Il préférait néanmoins lui laisser l'initiative.

[Galathée]

" Martin est un dur, s'il se souvient, il pourra nous raconter." dit Bellyra en hochant la tête.
" Très bien... Il va peut-être être désorienté..." murmura Guéric.
La courtisane le secoua doucement, l'appelant par son prénom et lui touchant le visage. Il soupira une première fois, détourna la tête, comme si le sommeil était trop précieux et qu'il ne voulait pas s'en abstraire. Puis il papillonna des yeux. Son regard rencontra le vide, passa entre Guéric et Taliesin, puis il se cambra brusquement et essaya d'échapper à l'étreinte qui le maintenait, le visage déformé par une terreur brute. Humain, il était aveugle dans les ténèbres souterraines, petit détail qui avait échappé un instant à ses sauveteurs.
" C'est nous, Martin, c'est nous !" s'exclama Bellyra en se raccrochant à lui.
Il se relâcha aussitôt et retomba entre ses bras.
" Tout va bien. Nous sommes là." murmura Guéric.
" Oh par les dieux..." souffla le courtisan, puis il leva une main et toucha son visage, surpris de le trouver quasiment intact.
" C'est le Mélandien..." murmura-t-il. " Il est devenu fou... Mais je n'ai pas vu les autres, aucun des trois... Il m'a attaqué quand je suis revenu à la grotte... Je n'étais pas sur mes gardes, il m'a frappé à la tête, je suis tombé, j'ai perdu connaissance... Quand je me suis réveillé, je... j'étais dans un état proche de... de... Mais j'ai croisé son regard, et... je me suis enfui... Je ne sais pas s'il m'a suivi, j'ai couru aussi vite que je le pouvais... je suis tombé plusieurs fois... je n'y vois rien, bon sang !"
Sa voix se brisa, sous l'emprise de la colère et de l'épuisement. A nouveau, il toucha ses traits.
" Je ne comprends pas." siffla-t-il. " Je ne comprends pas."

[Taliesin]

Taliesin tira de se poche le caillou : cela ferait un point lumineux auquel pourrait se raccrocher Martin. Puis il fouilla dans son sac à la recherche d'une lampe;
-Le pipeau t'a soigné... dit-il, ce faisant. Enfin, plus précisément, la potion qu'il nous a fourni t'a soigné. Pour finir de te requinquer, si tu veux, on a de quoi boire... Et de quoi manger.
Il faisait effort pour ne pas tourner et retourner dans sa tête les paroles du courtisan. Parce que les conclusions qui s'imposaient déjà à lui, qu'il refusait pourtant de prendre en compte, avait de quoi le glacer : les plaies défigurant Martin quelques instants plus tôt étaient le fait de ses chutes successives, d'accord. Mais le reste, il le devait à Philibert. Sa nudité, les traces sanglantes, l'état dont il...
Ne pas y penser. Surtout pas. Demeurer pragmatique, rester concentré sur les choses à faire.
Cette litanie devenait pire qu'une habitude... Mais elle avait toujuors un semblant d'efficacité.
-Bon, Guéric, il nous faut prendre une décision... dit-il en allumant la lampe enfin dénichée. Soit on va chercher au plus vite Ruyven et George, histoire qu'ils nous prêtent main forte, soit on file tout les deux, et tout de suite, à la caverne. Elle n'est pas très loin d'ici, et, personnellement, j'opterai pour cette solution : nous voyons dans le noir, pas le Mélandien. Nous sommes armées, pas George et Ruyven.

[Galathée]

" Je pense que tu as raison." dit Guéric.
Martin accepta avec reconnaissance l'eau de vie que lui proposa Bellyra. Il semblait avoir encore froid, mais toute angoisse avait disparu de son visage. Il rayonnait plutôt de colère retenue.
" Nous pouvons le maîtriser sans difficultés." ajouta le halfelin.
Il se tourna de nouveau vers le courtisan.
" N'as-tu rien vu ? Aucune trace d'Elerinna ? Des enfants ?"
" Rien." fit Martin. " Enfin..."
Il s'interrompit, se pinça les lèvres.
" J'ai eu l'impression qu'il y avait beaucoup de sang sur le sol... Il ne faisait pas très clair... J'étais passablement sonné, je n'y voyais pas très bien... et je sais qu'une partie du sang était le mien... Je me suis blessé en tombant mais il s'était déjà acharné sur moi... Cependant... Il m'a semblé qu'il y en avait vraiment beaucoup."
Son regard passa un instant sur Taliesin, mais ne s'y attarda pas.
" Je n'en suis pas certain. C'étaient peut-être des flaques d'eau de mer, il faisait sombre et... je n'ai pensé qu'à déguerpir... Je voulais pouvoir vous prévenir..."
Il se tut et contint un hoquet.
" Personne ne te reproche quoi que ce soit." murmura Bellyra.