[Lieu] Mersant

[Taliesin]

-Je vais te paraître terriblement égoïste, mais... je ne songeais pas à la ramener, murmura-t-il. Je voulais... Si son corps vient de remonter... D'autres pourraient ne pas tarder à en faire de même.
L'épée également tirée, il fouilla, les yeux plissés, la mer qui battait le quai naturel. Il cherchait de petites silhouettes, nues et blafardes, dont l'image s'imposait déjà à lui, bien qu'il tente de la repousser.
Evidemment sans grand succès.

[Galathée]

Mais rien d'autre n'émergea dans l'immédiat. Le corps d'Elerinna était balloté par les flots, et sans faire d'autre commentaire, Guéric bricola une sorte de harpon pour ramener le cadavre jusqu'à la rive. Il pressa doucement l'épaule de Taliesin, conscient, sans doute, que les mots ne servaient à rien dans la situation. Ensuite, il lança son grappin vers la prostituée. Il visait juste, sa ligne s'arrima dans le creux de son bras et il la tira doucement jusqu'à lui. Elle était cependant trop lourde pour qu'il parvienne à la remonter seul mais, respectant l'angoisse de l'elfe, il préféra aller chercher Martin. Ce dernier abandonna donc une Bellyra éplorée pour aller prêter main forte au halfelin. Ce qu'ils découvrirent une fois le corps ramené sur le quai de pierre n'était pas beau à voir, mais c'est l'assassin qui eut un haut le coeur, tandis que le courtisan demeurait immobile, le visage gris et l'expression atterrée. La jeune femme était méconnaissable, les poissons, ou autre chose, lui avaient dévoré le visage, les seins et les tripes, ainsi que la chair de ses jambes, bras et fesses en de nombreux endroits. Accusatrice, la marque immanquable d'un coup de hache lui séparait pratiquement l'épaule gauche du torse, de biais jusqu'au sternum. La "bonne" nouvelle était qu'elle était sans doute morte sur le coup.

[Taliesin]

Conscient que les flots ne lui apprendraient rien de plus dans l'immédiat, décidé à revenir les sonder, plus tard, Taliesin se détourna, se mit en devoir de fouiller la caverne de fond en comble. Si un pouvoir était à l'œuvre ici, il avait fait de Philibert son instrument : il était donc peu probable qu'ils soient victimes d'une attaque physique... Et puis, il pouvait compter sur les autres pour être vigilants. Du moins l'espérait-il.
Il examinerait chaque centimètre carré de la grotte ; regarderait dans, sous les lits ; soulèverait la moindre planche, examinerait le moindre vêtement. Si le Mélandien avait infligé aux enfants ce qu'il avait infligé aux autres, il y aurait des indices...
Il n'oublierait pas, non plus, de garder l'œil sur le caillou, pour guetter la moindre modification dans la lueur qui en irradiait.

[Galathée]

Mais il ne trouva rien. Ni indices, ni preuves non plus que les enfants avaient été dépouillés. Leurs vêtements avaient disparu. L'armure de Victor était introuvable. Le caillou ne variait pas en intensité. Après lui avoir laissé un temps de recherche solitaire, Guéric le rejoignit.
" Je pense... je pense que le sang que nous avons vu pourrait n'appartenir qu'à Elerinna. La blessure était profonde, elle s'est probablement vidée de tout son sang hors de l'eau et... on sous-estime toujours la quantité de sang que renferme un corps... De plus, la zone salie est relativement limitée... et les quelques autres taches peuvent correspondre à l'endroit où Martin a été agressé... Il est probable... possible... que les enfants se soient enfuis."

[Taliesin]

Il demeura immobile. Puis, lentement, très lentement, il acquiesça.
-Je n'ai pas trouvé trace de leurs vêtements. Ils seraient forcément là, s'il les avait...
Il secoua la tête, montra le caillou.
-Il luisait plus, tout à l'heure, quand nous avons rejoint Martin. Mais il ne 'l'a pas fait quand j'étais au bord de l'eau... Je vais donc retourner dans les tunnels, essayer... Essayer de suivre cette piste. S'ils se sont enfuis, ils ont pu se perdre. Doivent être recroquevillés quelque part, glacés, terrifiés. Il faut faire vite.
Il s'efforça malgré tout de rester fataliste. Les vêtements des garçons, comme leurs corps, pouvaient avoir été jetés à la mer.

[Galathée]

" T'en tireras-tu seul ?" demanda Guéric. " Je t'accompagnerais bien mais... Bellyra est dans un sale état, Martin tient à peine debout... Et ne parlons pas de Philibert... Si... Si quelque chose devait survenir... Je pense que je fais mieux de rester avec eux."
Il jeta un regard mauvais à la mer.
" Sans doute ferions-nous mieux de quitter cette grotte au plus vite, en réalité, mais... Nous ne sommes pas dans de bonnes conditions pour voyager juste maintenant."

[Taliesin]

A son tour, il jeta un regard en direction du large.
-Vous pourriez vous installer juste en haut de l'endroit où j'ai mis les cordes... Ainsi, vous pourriez à la fois surveiller ce qui vient de la mer, via le passage étroit, et ce qui vient des galeries en dessous. Il suffirait que vous y transfériez les couvertures... Je peux même essayer de voir si le pipeau veut bien vous fournir un feu, aussi.
Il referma la main sur l'instrument, s'assurant qu'il était bien là où il l'avait laissé.
-De mon côté, j'ai la carte : Martin a bien repéré les conduits alentours. Je veillerai à ne pas me perdre, je prendrai des points de repères. De votre côté... S'il se passe quelque chose, vous pourriez regagner notre camp, ou aller prévenir Ruyven et George qui ne sont qu'à une demi heure d'ici... Ah, et je prendrai les derniers pendentifs : il n'est pas impossible que les enfants, eux aussi... aient été envoûtés.

[Galathée]

" Je vais voir ce que les autres en pensent. Au pire, nous pouvons transférer le feu nous-mêmes..." fit Guéric en lorgnant le brasier. " Ce n'est pas si compliqué."
Il soupira.
" Ils ne voudront pas laisser le corps d'Elerinna et le Mélandien n'y voit rien. Peux-tu lever cet enchantement, au fait ?"
Le cadavre n'avait pas été déplacé mais on l'avait recouvert d'une couverture. Martin était debout au bord de l'eau, lorgnant un horizon qu'il était seul à voir. Bellyra s'était recroquevillée près du feu tandis que Philibert, taiseux, frissonnait en silence.

[Taliesin]

Il secoua la tête.
-Non, je n'ai rien pour dissiper la magie. Et l'effet est permanent : en général, ceux sur qui je lance ce sort ne sont pas voués à survivre. Je vais voir si le pipeau peut y remédier.
Il se dirigea vers le Mélandien, Guéric sur les talons.
-Pour le reste... Veux-tu que je vous file un coup de main ? Sinon, je partirai tout de suite après avoir joué mon petit morceau. Si... Si je trouve les garçons, je vous rejoindrai ici. Si vous n'y êtes pas, je retournerai au camp.

[Galathée]

" Va. Nous nous débrouillerons. Il y a ici de quoi manger, boire et nous réchauffer. Si nous quittons les lieux, je te laisserai un message bien en vue."
Il posa une main sur l'avant-bras de l'elfe.
" Bonne chance. Ils sont sûrement vivants. Ce sont des gosses pleins de ressources, pense à la manière dont ils se sont embarqués sur la Liberté sans que nous nous doutions de quoi que ce soit..."
Il eut un sourire pensif.
" Mais prends garde à toi. Si tu te romps le cou quelque part, tu ne seras plus utile à personne."
Puis, sans lui laisser le temps d'épiloguer, il le salua et se dirigea vers Martin.

[Taliesin]

Il brandit le pipeau, le glissa entre ses lèvres, fit jouer ses doigts sur le bois pour composer la mélodie déjà tant de fois jouée.
L'instrument ne pourrait palier à toutes leurs défaillances, combler tous leurs besoins, mais il se devait d'essayer.
Rien ne se produisit. Rien de rien.
Il n'en éprouva pas de réelle déception : même si Philibert n'était pas responsable de ses actes, il avait commis des choses sans nom. Lui-même était mal placé pour juger, évidemment, mais... La compassion, la compréhension viendrait plus tard, si elles devaient venir. Avec le soulagement, s'il devait y en avoir.
Il salua ses compagnons, récupéra son sac après y avoir fourré quelques couvertures, se glissa dans le tunnel, dégringola rapidement - mais somme toute prudemment - le boyau humide. Une fois en bas, à l'endroit où ils avaient découvert Martin, il leva la pierre. Il fit quelque pas dans la direction qu'il aurait empruntée s'il avait voulu retrouver George et Ruyven, puis quelques autres vers le chemin du retour, celui qui menait à au camp. Il cherchait à distinguer une modification, même infime, de la lueur qui brillait au creux de sa paume.

[Galathée]

Et le caillou changea effectivement de luminosité. La modification était à peine perceptible, mais l'elfe était doté d'une acuité particulièrement fine et il put s'engager sur la route qui menait à Ruyven et George. Cependant, la trajectoire bifurqua bientôt du chemin prévu pour emprunter un couloir étroit qui n'avait pas encore été complètement cartographié. Taliesin put en suivre les ramifications pendant un certain temps, puis il parvint dans une zone aveugle. Il faisait terriblement noir, même pour ses yeux d'elfe, mais le caillou brillait avec une intensité de plus en plus forte. Il faisait aussi particulièrement froid et, le barde en était persuadé, il descendait de plus en plus profondément.

[Taliesin]

Il sentait son cœur battre contre ses côtes, comme s'il voulait s'en échapper. Ses vêtements, mouillés par sa descente dans le boyau à demi inondé, lui collaient à la peau, accentuant l'engourdissement qui le gagnait peu à peu. Ses dents claquaient, ses doigts étaient gourds. Mais il ne s'arrêtait pas à ce genre de désagréments.
Ses yeux fouillaient les ténèbres, tentant d'y repérer le moindre détail susceptible de l'aider à retrouver son chemin par la suite. Son esprit était en ébullition, affairé à combattre un espoir ténu que renforçait la lumière de la pierre, mais contre lequel sa raison le mettait en garde : il pouvait trouver des cadavres. Des enfants morts de froid. Ou massacrés par quelque créature... Celle-là même, peut-être, qui avait dominé Philibert.
Il hésitait à allumer sa lampe. Craignait de se trahir en le faisant. Pourtant, il s'y résignerait, si les ténèbres se faisaient encore plus profondes...
Il gardait sa main libre sur le pommeau de son épée. Gardait l'oreille tendue, prête à déceler le moindre bruit trahissant la présence des garçons...
Ou d'un ennemi.

[Galathée]

La lumière était tellement forte, désormais, que Taliesin ne pouvait plus vraiment prétendre à la discrétion, à moins de remiser son caillou au fin fond d'une poche. C'est aussi à la faveur de la lueur orangée de la pierre qu'il nota le premier signe d'un passage récent : il y avait du sang sur le sol. Pas beaucoup. Mais quand même. Et il était frais. La froideur de la roche l'avait empêché de coaguler. Plus il avança et plus il remarqua les taches écarlates. Il était possible qu'il y en ait eu tout au long du chemin, mais le caillou n'avait alors pas suffisamment de force pour les lui montrer.
Soudain, alors qu'il cheminait dans un couloir particulièrement accidenté, la pierre se ternit et son éclat commença à décroître, imperceptiblement.

[Taliesin]

Son cœur marqua un temps d'arrêt.
Pourquoi les choses n'étaient-elles jamais simples ?
Puis d'autres interrogations le frappèrent : que s'était-il passé ?
Victor et Jehan avaient-ils succombé, juste au moment où il s'apprêtait à les rejoindre ?
Avait-il manqué un passage infime dans la roche par lequel ils se seraient faufilés ?
Serrant les dents - pour réprimer un gémissement et non pour les empêcher de s'entrechoquer - il lorgna le sol, y cherchant du sang. S'il y en avait encore - signe que les gamins étaient grièvement blessés, ce qui mettait un comble à l'horreur qu'il éprouvait -, il suivrait la piste. Il n'était pas impossible que le tunnel fasse un détour puis revienne sur ses pas... S'il n'en voyait rien, il rebrousserait chemin jusqu'à ce que la lueur, à nouveau atteigne son paroxysme.

[Galathée]

De sang, il n'en trouva plus goutte, et la lueur décroissait au fur et à mesure qu'il avançait, sans pour autant s'éteindre ou se réduire aux balbutiements de ses premiers rayons. Par contre, elle regagna en intensité lorsqu'il repartit en arrière. Elle atteignit son apex alors qu'il se tenait dans une partie particulièrement chaotique du parcours, un endroit où de nombreuses pierres semblaient branlantes, prêtes à dégringoler au premier choc. A force de tentatives, d'essais et d'erreurs, il parvint à localiser l'endroit où la lumière était la plus forte : c'était au ras du sol, devant un éboulis de roches de taille moyenne. Aucune n'était impossible à soulever, mais elles étaient nombreuses.

[Taliesin]

Il n'y avait pas de temps à perdre, et il n'en perdit pas : ses forces déclinaient à vu d'œil tandis que l'angoisse le rongeait, le minait de l'intérieur.
Il posa le caillou sur un rocher voisin, à un endroit où il ne risquerait pas de dégringoler. Puis il lança, d'un ton qu'il espérait maîtrisé et encourageant :
-Victor ? Jehan ? C'est moi, Taliesin. Je vais enlever les pierres. Encore un peu de courage, et vous serez tirés d'affaire.
Il était peut-être déjà trop tard. Peut-être ne pouvaient-ils plus l'entendre... Mais, au cas où, ieux valait qu'ils ne le prennent pas pour un ennemi lancé à leurs trousses, qu'ils ne l'attaquent pas sitôt qu'apparaîtrait une ouverture...
L'instant suivant, il s'affairait. Avec l'énergie du désespoir.
L'expression ne lui avait jamais parue aussi appropriée.

[Galathée]

Mais il n'y eut pas de dénouement immédiat à son angoisse : lorsqu'il eut fini de dégager les rochers, et cela lui prit un certain temps, il se trouva face à un nouveau trou noir, un nouveau conduit à la destination incertaine. Et celui-ci était particulièrement étroit. L'elfe devrait se faufiler comme une anguille s'il escomptait l'emprunter. Il n'en discernait cependant ni la longueur, ni la forme globale. Mais le caillou luisait avec force, indiquant, s'il avait décrypté son message avec justesse, que les enfants ne pouvaient plus être loin.

[Taliesin]

Sans faire ni une ni deux, le barde se délesta de son paquetage, y fourra son manteau, passa son épée dans ses sangles et, le poussant d'une main, tenant la pierre de l'autre, il s'engagea dans l'étroit conduit. Si celui-ci venait encore à s'étrécir, à menacer de le coincer, il aurait recours au pipeau qu'il avait, par précaution, glissé dans une poche accessible de son sac. En une occasion, l'instrument lui avait fourni une potion capable de le transformer en humain. Qui sait s'il ne lui en offrirait pas une autre susceptible de diminuer sa taille ?

[Galathée]

Il n'en eut pas besoin. Après des contorsions difficiles et la certitude d'avoir déchiré ses vêtements en au moins deux endroits, il se retrouva à nouveau dans une caverne plus vaste, voûtée, qui était parsemée de concrétions anciennes qui formaient comme des piliers. Il entendit alors un gémissement, répercuté, amplifié par la pierre tout autour de lui : impossible d'en déterminer la provenance. Le caillou était rayonnant, il devenait impossible de le fixer.

[Taliesin]

Après avoir remis son sac sur ses épaules, et son épée à sa ceinture - il garda la main posée sur sa garde, au cas où - Taliesin éleva la petite pierre au dessus de sa tête, autant pour ne plus être aveuglé par sa lumière que pour tenter d'en illuminer la caverne,
-Victor, Jehan ? appela-t-il, tentant de contrôler l'intonation de sa voix. C'est moi, Taliesin. Où êtes-vous ?
Et de tendre l'oreille. Il n'avait qu'une envie : se mettre à courir parmi les concrétions rocheuses. Mais c'était sans doute la pire chose à faire : il aurait risqué de perdre beaucoup de temps à errer en vain, risqué, aussi, de ne pas entendre la prochaine plainte...
Il se contint donc à grand peine. L'épuisement, l'angoisse le faisaient chanceler. Il ne pouvait s'écrouler maintenant, toutefois. Il n'en avait pas le droit.

[Galathée]

Il entendit des pas. Comme le gémissement plus tôt, ils se répercutèrent partout autour de lui, comme si une armée entière venait à sa rencontre. Mais la caverne demeurait désespérément vide. Jusqu'au moment où une petite silhouette apparut entre deux concrétions. C'était Victor. Il avait le regard hanté et était couvert de sang des pieds à la tête.
" Taliesin ! Oh Taliesin !" s'exclama-t-il, puis déboulant vers le barde, il se jeta dans ses bras.
Il le serra convulsivement mais, à première vue, le sang qui le maculait n'était pas le sien, et il semblait entier.

[Taliesin]

Taliesin eut toutes les peines du monde à ne pas succomber au soulagement. Il refoula ses larmes, ravala ses sanglots, résista à l'envie d'embrasser l'enfant, de le garder serré contre lui.
S'il le faisait, il s'effondrait.
Or, il ne pouvait pas encore se relâcher. Pas tout de suite.
-Bonhomme... murmura-t-il d'une voix qui avait perdu toute assurance. Ce sang... C'est celui de Jehan ? S'il est blessé... Il faut que tu m'amènes à lui...
Rester pragmatique devenait chose quasiment impossible. Il s'y efforça, néanmoins, garda les dents serrés, le regard rivé sur la grotte... Malgré son envie de s'abandonner tout entier à la joie des retrouvailles, il devait la réfréner encore un peu, accomplir sa dernière tâche.

[Galathée]

Victor se détacha de lui et secoua la tête, les lèvres pincées.
" Non, c'est pas le sang de Jehan... C'est celui de Rinna." fit-il d'une toute petite voix. " Le Mélandien... il est devenu fou... il l'a attaquée avec une hache, tu sais..."
Son visage était devenu livide et ses yeux s'étaient fait troubles, comme s'il contemplait quelque chose d'invisible. Mais il ferma les paupières et lorsqu'il les rouvrit, il avait repris pied dans le réel.
" Mais Jehan est blessé, il est par là..."
Victor attrapa Taliesin par la main et l'entraîna vers le fond de la grotte. A l'abri derrière un mur de rocher, une lanterne diffusait sa lumière mourante, alors qu'une fin de bougie s'y consumait. Les enfants avaient cependant réussi à la conserver jusque là, ce qui n'était pas un mince exploit. Jehan était couché sur le dos, inconscient ou endormi. Son manteau était jeté sur lui mais Taliesin nota immédiatement qu'il avait de la fièvre.

[Taliesin]

Le soulagement, à nouveau.
Mais il le repoussa. Il ne savait ce que cachait cette couverture. Il espérait que ce n'était pas trop grave, se disait que s'il avait été trop atteint, Jehan n'aurait pu marcher jusqu'ici. Mais... Victor l'avait peut-être porté. Il en était capable, si d'aventure l'une de ses crises...
Il secoua la tête. Au lieu de se perdre dans des théories, il n'avait qu'un geste à faire pour découvrir la vérité.
Alors, s'agenouillant près de l'enfant, il souleva doucement la couverture.

[Galathée]

Jehan avait une fracture ouverte à la jambe gauche. La plaie n'était pas apparente car on l'avait emballée dans une chemise qui s'était depuis gorgée de sang. Il ouvrit les yeux quand Taliesin le découvrit et lui lança un sourire bravache, mais il était manifeste qu'il souffrait beaucoup. Le chemin depuis la grotte marine n'était pas extrêmement long, ni particulièrement difficile, mais qu'ils aient réussi à se déplacer aussi loin était un petit miracle.
" Il est tombé dans ce fichu tunnel plein d'eau." dit Victor. " On a voulu aller trop vite."
Disant cela, il s'agenouilla près du barde et s'appuya contre son épaule, poussant au passage un soupir qui semblait venir du plus profond de lui-même.

[Taliesin]

Il le serra un instant contre lui.
-Vous avez agi comme des chefs, vraiment. Vous avez fait... Ce qu'il fallait faire. Et je ne songerai certainement pas à vous reprocher d'avoir voulu faire vite, non... Au contraire, je suis fier de vous. Immensément. Je... Je ne sais pas si j'aurais agi aussi bien.
De sa main libre, il tira le pipeau de son sac.
-On va voir s'il veut bien fonctionner... Mais il a l'air assez capricieux, ces temps-ci. Donne-moi juste un instant...
Relâchant l'enfant, il joua la mélodie familière. Les Demoiselles seraient-elles compatissantes ?

[Galathée]

Elles ne le furent malheureusement pas. Il n'y eut ni éclair, ni don du ciel, juste le refrain repris en écho par les parois de la grotte. Victor ne laissa pas percevoir sa déception et sourit à Jehan.
" On va retourner à la caverne, il y a plein de potions là-bas."
" Pas de soucis." dit le petit Merlu d'une voix étouffée.
L'un et l'autre semblaient soulagés d'avoir retrouvé un adulte pour prendre les choses en main.
" Vous avez... vous avez arrêté le Mélandien ?"

[Taliesin]

Retourner à la caverne ? Oui, c'était le mieux à faire. Mais, dans l'immédiat... Il ne s'en sentait pas capable. Après son expédition en surface, la veille, il avait passé une nuit blanche d'attente, d'angoisse, de terreur muselée. Et depuis que le jour s'était levé, il avait arpenté les cavernes, lutté contre des émotions tout aussi violentes, sinon bien pires encore, qui l'avaient vidé de toute son énergie. Parachevant le tout, le soulagement lui coupait définitivement les jambes.
Et la volonté commençait à lui faire défaut.
-On l'a capturé, oui... murmura-t-il.
Puis il tendit le pipeau à Victor.
-Tu veux bien essayer d'en jouer, toi ? On ne sait jamais...
Se détournant, rassemblant sa concentration, ses forces plus que déclinantes, il incanta son dernier sort de soin.

Taliesin --> Soins légers --> Jehan

[Galathée]

Victor prit l'instrument avec circonspection et souffla dedans comme pour le déboucher pendant que Taliesin incantait. La lueur bleue de son sortilège engloba Jehan et celui-ci soupira d'aise, mais la blessure ne serait certainement pas guérie si facilement. Le petit Desmoulins, de son côté, les gratifia d'une version originale mais reconnaissable des Demoiselles, pour faire chou blanc à son tour.
" Peut-être que ça ne marche pas trop souvent, simplement." proposa le petit garçon en le tendant à Taliesin. " Si tu l'as utilisé récemment, il faut attendre avant la prochaine fois."
Il sourit.
" On va y aller, alors ? Tu crois que c'est suffisant ?"