[Lieu] Combeloup

[Taliesin]

La baronne connaissait parfaitement la région, ce qui n'était pas une mince affaire, compte tenu du chaos d'éminences, de vallons, de gorges, de pans de forêt dense qui s'entremêlaient ici. Elle les conduisait le long de sentes presque invisibles mais sûres, lesquels se tortillaient sur le flanc des monts, au cœur des vaux, longeaient parfois des parois rocheuses bordées par un imposant à-pic. Il fallait être bon cavalier pour voyager sans mal en ces lieux. Mais Douce semblait aussi experte qu'Elisa et, jamais, son pas ne flancha.
Ils vinrent à passer près du sommet couronné de pierres dressées où, quelques temps auparavant, s'était joué la capture de Noir Dessein. Bastien ne manifesta aucune réaction, aucune émotion. Peut-être parce que, déjà, ils s'en détournaient pour emprunter un chemin longeant le cours rapide d'une rivière.
Dans le ciel, le soleil chaleureux approchait de son zénith.

[Galathée]

Albérich lui-même n'était pas mécontent qu'ils s'en écartent. Même si le Sharite était mort. Même si c'était un sanctuaire érigé à la gloire de la Dame. Il porta une main à son épaule libérée, ferma les yeux et huma les odeurs du printemps. Douce avait le pas sûr, il n'avait pas besoin de la guider sur la piste : elle calquait son parcours sur celui des chevaux qui la précédaient.
Il se demanda comment Bastien faisait face. Ce qui bouillonnait dans son esprit. Ce n'était plus à lui de percer ces mystères, il avait brisé quelque chose, et il fallait simplement l'assumer. Mais il y avait César. Et Elisa. Bastien trouverait une oreille attentive lorsqu'il en aurait besoin.

[Taliesin]

A force de virages, de boucles, de détours, le chemin déboucha sur un petit vallon invisible niché au creux des collines. La rivière tombait en cascade de la paroi rocheuse qui le fermait au nord, formait un petit lac dont les eaux transparentes brillaient comme un miroir sous les rayons du soleil, puis reprenait son cours, celui-là même qu'ils avaient remonté jusqu'ici. Les berges du lac étaient recouvertes d'un gazon piqueté de fleurs multicolores, et le parfum qui flottait ici n'était pas sans rappeler celui du Domaine de la Dame.
-Est-ce que ça vous va, pour le pique-nique ? demanda Elisa à Albérich. Elle était visiblement fière de l'endroit qu'elle avait déniché.

[Galathée]

" C'est superbe." fit le Luménien en mettant pied à terre, sincèrement émerveillé par ce petit havre entre les rocs. " Comment allons-nous faire pour jamais repartir..."
Un peu machinalement, il dessella Douce et la laissa aller dans l'herbe. Il avait lui-même envie de se coucher, d'observer les nuages paresseux, sans plus rien faire, sans penser à rien. Cependant, il songeait à l'attraction fantastique et malsaine du royaume de la Dame, aux risques qu'il y avait à se couper du monde pour trouver refuge dans ces endroits solitaires et paisibles.
Tu vois le mal partout.
C'est vrai.
Il décida de se détendre, juste un temps.

[Taliesin]

Ses compagnons, à leur tour, démontèrent et décélèrent leurs chevaux, les laissant aller à leur guise dans le vallon. Gabriel commença sans tarder à sortir les provisions et à les distribuer.
-Il y a un petit sanctuaire dédié à la Dame, derrière la cascade... expliqua Elisa. Le piémont compte nombre d'endroits comme celui-ci. Ils forment une sorte... de cordon. De barrière. Le Domaine et ses dépendance sépare Combeloup des montagnes et des horreurs qu'elles abritent. C'est l'unique raison pour laquelle un village peut exister si près des Monts Brumeux.

[Galathée]

Albérich acquiesça, contemplant les montagnes autour d'eux.
" J'ai le souvenir de l'un de ces temples." dit-il. " Et d'une grosse meute de loups affamés, accessoirement..."
Il croisa les bras.
" Je devrais me remettre à la masse, on ne sait jamais quand ça va être utile."

[Taliesin]

Spontanément, Elisa lui tapota l'épaule.
-Allons ! Cette histoire n'a pas été éclaircie, certes, mais il s'agit d'un simple incident. Les loups sont repartis, nous sommes en paix, et même en alliance avec la Dame, le soleil brille, l'hiver est loin... Point besoin de masse ! Détendez-vous donc... Je suis sûre qu'en faisant un petit effort, vous pouvez vous montrer joyeux, détendu... Laissez-vous porter par l'air du printemps !

[Galathée]

« Je vais faire de mon mieux. » annonça le Luménien en se laissant tomber dans l’herbe, où il se coucha quelques instants plus tard.
Sa capacité à se détendre dépendrait largement de l’attitude de Bastien, mais il devinait que le gamin se montrerait artificiellement affable ce qui, loin de le rasséréner, ne pourrait que le crisper. Il se demandait ce qui était le plus souhaitable : que la chose passe inaperçue, encore quelques heures, ou qu’au contraire, Elisa pose une question malvenue, précipitant la confrontation. Ou que Bastien lui même finisse par craquer. Il n’en ferait rien. C’était un survivant. Il demeurerait impassible un million d’années. Sans doute fallait-il simplement que l’eau coule sous les ponts. Ils se reverraient dans quelques mois et l’enfant aurait peut-être compris pourquoi il avait été nécessaire de parler à César. Ou peut-être en voudrait-il à jamais à son oncle, et ce serait mérité.
C’était pour ton bien. Pour notre bien à tous.
Restait qu’il avait trahi sa parole. A cela, il n’avait rien à opposer.

[Taliesin]

Bastien, sans en rajouter outre mesure dans l'enthousiasme feint, se montra cordial, comme l'avait supposé Albérich. Elisa ne remarqua rien de particulier, ne posa aucune question susceptible de déclencher l'affrontement, et le repas, ainsi que les heures qui suivirent, se déroulèrent sans incident.
Une fois leurs vivres consommés avec appétit, le quatuor s'abandonna, cédant sans doute à la quiétude des lieux, à un détente tranquille, paisible, sans effervescence particulière. Si la baronne avait espéré que les choses dégénéreraient joyeusement, elle en fut pour ses frais. Son page se révéla d'ailleurs un pilier du sérieux relatif qui les entourait, puisque la présence d'Albérich semblait le pousser à se montrer encore plus protocolaire que de coutume. Compte tenu du lieu et, de la situation, cela donnait un étrange effet de décalage.
Le temps fila cependant plus vite qu'ils ne l'auraient cru. L'après midi battait son plein lorsqu'ils se décidèrent enfin à partir. Sous la conduite d'Elisa, ils longèrent à nouveau des sentiers détournés, découvrant au passage maint points de vue impressionnants ou bucoliques, toujours magnifiques. Ils quittèrent les montagnes deux heures plus tard, débouchant sur des prairies fleuries où des myriades d'insectes bourdonnaient sous les rayons de plus en plus obliques du soleil déclinant.
Celui-ci planait bas au-dessus de l'horizon lorsqu'ils regagnèrent les abords de la caserne et se firent leurs adieux, Bastien toujours jovial, Gabriel toujours guindé, Elisa espérant que l'ancien aubemestre, malgré tout, aurait apprécié la promenade.

[Galathée]

Albérich la rassura sur ce point, la journée avait été magnifique et la promenade plus que plaisante, et lui promit de repasser la voir avant de partir pour Erhedun. Il entraîna ensuite Douce sous l'arcade, referma le portail, et libéra sa brave monture, qui avait donné sans compter. Il fit le tour du bâtiment pour lui dénicher un picotin dans la remise, nourrit Esbroufe au passage, vérifia qu'ils avaient de l'eau et un abri, puis se retira dans la garnison. Il ne faisait pas encore nuit, mais Albérich rechignait à s'imposer une fois de plus à la table de son père. Bastien et César avaient sans doute des choses à se dire, surtout si le vieil homme devait prendre la route avec lui dans les jours à venir. Il songea qu'il aurait pu prévenir Hodor ou Umberto de son retour et aller boire un verre en leur compagnie, mais il était trop tard : en cette saison, la plupart des Combelupins devaient déjà être à table. Il se rattraperait en fonction du programme du lendemain. Une partie de lui-même n'aspirait qu'à regagner Erhedun au plus vite. L'autre entendait s'imprégner du village, conscient de la distance qui les séparerait bientôt.
Il se prépara donc à passer une petite soirée tranquille au coin du feu et se dirigea vers la cuisine pour s'y préparer une fricassée de légumes d'hiver survivants.

[Taliesin]

Le feu s'avéra aussi crépitant et chaleureux qu'il aurait pu l'espérer, faisant danser les ombres sur les murs de la pièce et repoussant le fond de fraîcheur qu'apportait la nuit. Quant aux légumes, dûment conservés, dûment préparés, ils restituèrent une grande part de la saveur qu'ils recelaient au moment de leur cueillette. Au final, la soirée fut somme toute semblable à ce que l'ancien aubemestre avait imaginé, et, de surcroît, complètement dépourvue d'incident ou de surprises.
S'ouvrit alors devant lui une nuit complète - et tout aussi calme - pour se remettre de sa longue chevauchée du jour. Fatigué, grisé par le grand air du pimpant printemps, il sombra en un instant et se réveilla au petit matin, frais, dispos, reposé, sans aucun souvenir des rêves qui, peut-être, avaient peuplé son sommeil.

[Galathée]

Albérich décida de prendre la matinée pour remettre la garnison en ordre. Il l'avait déjà nettoyée et rangée avant son premier départ pour Erhedun, mais ses activités de jardinage et la capture de Noir Dessein y avaient remis un certain tumulte qu'il entendait bien faire disparaître. Il inspecta donc pièce après pièce pour tout remettre en état, tâchant de se souvenir des petits détails qui l'avaient touché lorsqu'il était arrivé dans le bâtiment pour la première fois. Il fit aussi un inventaire sommaire des provisions et autres réserves de bois, pour s'assurer qu'il ne manquait de rien. Mais la garnison semblait au coeur d'un système de génération spontanée des plus efficaces.
A la mi-journée, il prit la route du village et de la maison de son père, bien décidé à s'enquérir de ses projets.

[Taliesin]

César était en train de manger lorsqu'il arriva, et il lui proposa de partager son repas, pris sur le pouce : il semblait que le vieil homme ne s'embêtait pas à cuisiner lorsqu'il était seul. Bastien, de son côté, s'était envolé à l'aube.
-J'ai pu lui parler, hier matin, expliqua son grand-père entre deux bouchées. Il ne voit aucun inconvénient à loger au donjon durant mon absence. Pour m'occuper, j'ai donc bouclé mes bagages. Nous pourrons partir dès que tu le voudras.

[Galathée]

" J'ai promis à Elisa de passer la voir avant de partir... je peux essayer de monter au donjon dès que nous avons terminé... ce qui nous permettrait encore de partir aujourd'hui. Mais il n'est pas impossible qu'elle soit en vadrouille, auquel cas... Peut-être devrions-nous remettre notre départ à demain. Je ne sais pas ce que tu en penses. J'ai mes points de chute sur le parcours, désormais... Je vais finir par devenir un habitué de certaines fermes, mais ma foi... c'est la vie."

[Taliesin]

Le vieillard haussa les épaules.
-C'est à toi de me dire, Albérich. Je peux comprendre que tu désires te poser quelques jours supplémentaires plutôt que de repartir dans l'instant. Je n'y vois pas d'inconvénient, vraiment. Je suis impatient de voir Aubin, certes... mais inquiet, aussi. Par ailleurs, je sais qu'il est entre de bonnes mains... Bref, sincèrement, c'est à toi de décider.

[Galathée]

" Dès que j'ai fini de manger, je monte au donjon." répliqua-t-il.
Ce qu'il fit, sans pourtant se presser. Si Elisa était en escapade, elle ne serait de toute façon pas disponible. Si elle était au château... Sans doute pouvait-il lui laisser la latitude de terminer son repas tranquillement.
Il aida donc son père à débarrasser la table, puis remonta en selle, et gagna le petit château des seigneurs combelupins.

[Taliesin]

Elisa était présente. D'après le garde qui l'accueillit, elle avait compensé sa longue escapade de la veille par des heures de labeur acharné qui n'étaient pas prêtes de se terminer. De fait, Albérich la découvrit dans l'ancien bureau de son père, perdue au milieu d'un empilement de registres en compagnie d'un Barthélémy qui, après avoir salué le visiteur, s'éclipsa de bonne grâce.
Sur le seul coin libre de la table, les vestiges d'un repas avalé en quatrième vitesse achevaient de se figer.
-Vous aviez dit que vous reviendriez avant votre départ, et vous voici déjà... dit la jeune fille avec un sourire ironique J'en déduis donc que vous vous apprêtez déjà à nous quitter. J'espère que notre excursion n'est pas la cause de votre envie croissante de fuir loin et longtemps de Combeloup.

[Galathée]

Albérich s'assit en face d'elle et esquissa un sourire embarrassé.
" Cela n'a rien à voir avec notre escapade d'hier. C'est le plus beau souvenir que je pourrais emporter de Combeloup. Vous m'avez durablement ensorcelé, je ne pourrai que revenir. Si les Combelupins ouvrent leur porte à ceux qui les fuient..."
Il poussa un bref soupir.
" Et je voulais m'excuser pour mon insensibilité d'hier... Si je pouvais alléger... d'une manière ou d'une autre... la tâche qui est la vôtre... En même temps, je sais que vous êtes celle dont Combeloup a besoin. Que vous ferez un travail admirable. Et je suis certain que vous y prendrez goût. "

[Taliesin]

-Vous avez raison d'en être certain. Cela arrivera forcément. Parce que c'est ça ou l'abdication et la fuite. Or, comme je ne souhaite certainement pas imposer ça à Bastien... Et bien, dans quelques années, je me serai auto-convaincue que quantifier précisément les récoltes nécessaires pour regarnir les réserves propres au château est la chose la plus passionnante au monde.
Elle jeta un regard noir au gros registre qui la voisinait immédiatement.
-Mais vous n'avez pas à vous excuser, reprit-elle. Qu'auriez-vous pu dire d'autre ? "Je vous plains, Elisa, votre destin est affreux et tellement éloigné de vos aspirations", ou quelque chose du genre ? Ce n'aurait pas été très approprié... Bref, vous n'avez pas à vous excuser, ni à vous inquiéter. Vous m'avez déjà rendu de nombreux service et adouci grandement la transition de mon état d'adolescente rêveuse à celui de baronne resign... responsable. Vous pouvez donc partir tranquille, comme je vous le disais hier.

[Galathée]

Il acquiesça, semi-convaincu, mais il ne pouvait la blâmer. Après tout, il était libre et elle était prisonnière, telle était la réalité. Il aurait aimé lui dire qu'il n'aspirait qu'à ce genre de prison : un rôle, une mission, des responsabilités. Mais elle n'aurait pas compris. C'était un petit cheval sauvage, une adolescente. Il n'avait jamais été comme elle, insoumis et insatisfait. Mais il pouvait la comprendre. Il se promit de revenir s'il ne trouvait pas ce qu'il cherchait d'ici la fin de l'été, et de lui reproposer de la remplacer, sans faux-fuyants, cette fois.
" Avez-vous réfléchi, pour le clerc ? Je ne veux pas vous ennuyer davantage, mais vous m'aviez demandé de vous en reparler."

[Taliesin]

Elle blêmit.
-Oh, le clerc... Et bien... Disons que j'imaginais que vous resteriez un peu plus longtemps, et donc que j'aurais...
Elle se passa une main lasse sur le visage, jeta un regard encore plus las sur les monceaux de paperasse qui l'entouraient puis, brusquement, s'empara d'une plume et d'un feuille vierge.
-Bon... Comme Thaïs et les autres ne me lâcheront pas tant que je n'aurai pas accédé à leur foutue requête, autant que je rende les armes tout de suite, n'est-ce pas ? Cela m'évitera des tracasseries supplémentaires...
Elle suçota un moment la pointe de sa plume, puis se mit à écrire. Une sorte de liste, apparemment.
-Ils veulent un lathandrite ? Ils auront un Lathandrite. Il pourra résider au château : je lui assignerai les appartements d'Eloi. Et la chapelle deviendra évidemment la sienne. Il pourra y célébrer autant de cérémonies qu'il voudra, y discuter avec qui il voudra... Bref, il fera sa vie, quoi. Mais, car il y a un mais...
Elle jeta un regard aigu au Luménien.
-Je n'assisterai à AUCUNE...
Elle s'interrompit, grimaça.
-Non. Ils insisteraient. Il y aurait donc d'autres tracasseries... Alors reprenons. Je n'assisterai qu'à UNE seule cérémonie par veille. Pas plus. Jamais. En dehors de ladite cérémonie, s'il vient me parler religion, ne serait-ce qu'une fois, sans y être invité, je le bannis. Ce point est non négociable.
Elle inscrivit quelques mots sur la feuille.
-Ensuite, il devra accepter le Pacte et s'y soumettre complètement. Il sera libre de prier Lathandre et de célébrer son culte dans l'enceinte du château, comme je le disais, et pourront y acheter tous les habitants du donjon et tous les villageois qui le souhaiteront. En revanche, il ne devra pas faire œuvre de prosélytisme, ne devra pas tenter de réduire l'influence de la Dame... Respecter le Pacte, quoi.
Quelques mots griffonnés, encore. Puis elle tendit le papier à Albérich.
-Voilà. Le profil du clerc que j'accepte sur mes terres. Comme ça, vous n'oublierez aucun détail.
Elle soupira.
-On ne pourra pas dire que je ne me sacrifie pas au profit des Combelupins.

[Galathée]

Albérich prit la feuille, un peu machinalement, encore estomaqué par le déferlement de hargne auquel il venait d'assister. Il avait envie de lui rendre son document en lui expliquant que jamais aucun clerc n'aurait envie de se perdre dans un endroit aussi hostile, à peine toléré, surveillé dans ses moindres faits et gestes, mais ça n'aurait fait qu'envenimer la situation. Non, il irait bien sagement à Erhedun, présenterait les choses avec un poil plus de diplomatie, et sans doute n'y aurait-il personne pour aller s'enterrer à Combeloup. Mais il y aurait essayé. Peut-être un vieux prêtre dans le genre d'Eloi verrait-il d'un bon oeil l'opportunité d'aller terminer ses jours à la campagne, mais il en doutait : ces hommes-là avaient leurs habitudes et préféraient souvent la compagnie de leurs pairs. Il aurait pourtant aimé trouver une parade, envoyer à Elisa un clerc hors normes, une fille de son âge, aussi enflammée et révolutionnaire, mais adorant Lathandre sans complexes, ou un jeune clerc séduisant, suffisamment pour la désarmer, et pourquoi pas l'épouser ? Il se surprit à sourire. Si Elisa pensait avoir eu un bon aperçu du clergé de l'aube entre le vieil Eloi et sa propre personne grise comme un jour de pluie, elle se fourrait le doigt dans l'oeil. Mais il ne verbalisa aucun de ses instincts belliqueux.
" Je verrai ce que je peux faire." dit-il finalement.
Il n'avait pas tellement envie de prolonger leur entrevue. La jeune fille était tendue et ce n'était pas l'image d'elle qui désirait emporter au cours de son exil. Il se leva donc.

[Taliesin]

-Ah, l'apprentissage de ce sens du devoir, du dévouement, du sacrifice que vantait tant mon père... murmura la baronne pour elle-même. Il serait heureux de voir que je m'y résigne. Et peut-être un peu fier, aussi.
Elle eut un sourire amer puis se leva à son tour.
-Je vous souhaite bonne chance pour vos projets. J'espère que vous penserez à nous revenir avant longtemps. Pour l'heure, de mon côté, je vais laisser ces papelards là où ils sont et aller... chevaucher en pleine nature. Assez de dévouements aux autres pour aujourd'hui.

[Galathée]

" Je vous souhaite bonne chance également, Elisa." dit-il sobrement.
Ensuite, il la laissa passer devant lui et la suivit vers l'extérieur, sans rien ajouter. Il n'essaya pas de se calquer sur son train. Elle bouillonnait, il était plutôt un peu assommé, et il ne se sentait pas de taille à affronter davantage de mauvaise humeur. La nature, superbe, absorberait sa colère. Elle y trouverait la paix dont elle avait besoin. Et comme un voleur, il filerait au loin.

[Taliesin]

Lorsqu'il parvint dans la cour, la jeune fille était déjà loin. Elle se retourna néanmoins, le salua d'un geste de la main, le gratifia d'un sourire un peu plus chaleureux que le précédent, puis disparut à l'intérieur des écuries.
Le soleil, haut dans le ciel, baignait la terre de sa lueur vive, faisait resplendir les couleurs d'une végétation aux verts multiples et intenses. Et réchauffait l'atmosphère d'une manière qui annonçait l'été, aussi. Ce que ressentit Albérich tandis qu'il s'acheminait vers la maison de son père.
César était dans le jardin, derrière celle-ci. Il terminait quelques menus travaux de jardinage. Sans doute en prévision de sa future absence. Il accueillit le Luménien avec bonhomie, remarquant au passage que son expédition au donjon avait été des plus brèves.

[Galathée]

" Si tu es prêt, je suis prêt." annonça le Luménien en contournant la petite maison. " Tu peux sans doute monter le cheval d'Aubin, tu es certainement meilleur cavalier que moi. Il nous attend à la garnison. Je peux te prendre en croupe jusque là."
Il n'y avait plus aucune raison de s'attarder, désormais. Bastien était libre, Elisa mènerait sa barque, Adelaïde veillerait de son mieux sur la communauté... Il n'y avait rien à y faire de toute façon. Compter sur la vigilance de la Dame. Et Albérich avait, quelque part, totale confiance en elle.

[Taliesin]

Le vieil homme le scruta avec attention, les sourcils froncés, mais ne reparla pas du château.
-J'aurais aimé revoir Bastien avant de partir, dit-il. Mais, en un sens, c'est mieux d'éviter les adieux. D'autant que ce n'est pas comme si je partais longtemps...
Il secoua la tête.
-Par contre, je préfèrerais que tu repasses me prendre en revenant de chez toi... Je dois me changer, et j'aimerais mettre certaines choses en ordre avant de partir. Je n'en ai que pour quelques minutes, mais... Je serai plus tranquille une fois que ce sera fait.

[Galathée]

« Très bien. Mais si tu préfères attendre demain, honnêtement, je ne suis pas si pressé. Ecoute… Je vais monter jusqu’à la garnison, tout fermer, je ramène les chevaux, ça te laisse encore le temps de réfléchir. Si tu es prêt à partir, nous irons. Si tu décides de postposer, je resterai ici jusqu’à demain matin et je t’aiderai pour la vaisselle. »
Après son éprouvante confrontation avec Elisa, Albérich avait tout envie sauf d’un compagnon de route qui ruminait de sombres pensées. Il avait besoin d’un peu de lumière, d’un peu de camaraderie. Et surtout de moins d’erreurs.

[Taliesin]

César acquiesça.
-Je vais peser le pour et le contre. Mais je crois malgré tout que nous partirons aujourd'hui. A trop tergiverser, à trop réfléchir sur mon départ, je risque de le repousser, et ce ne serait pas un très bon engrenage. Mieux vaut battre le fer tant qu'il est chaud, franchir le pas tant que je n'en mesure pas encore toutes les implications.
Il sourit.
-Je sais, ça peut paraître idiot. Mais je n'ai plus remis un pied dans le monde extérieur depuis près de quarante ans. Et je n'ai jamais laissé Bastien seul plus d'une journée. Alors, forcément... Cela donne à réfléchir.

[Galathée]

" Je comprends tes réticences... Si tu veux... Peut-être pouvons-nous convaincre Bastien de t'accompagner. Il n'a jamais quitté Combeloup, cela pourrait être une belle expérience pour lui, d'aller voir le monde... Erhedun est un endroit paisible, c'est un bon premier pas dans l'univers plus peuplé des cités humaines. Sans danger mais non sans attraits."
Il haussa les épaules.
" C'est vraiment à toi de voir."