[Lieu] Mersant

[Taliesin]

Les épaules du barde s'affaissèrent comme une vague de découragement le submergeait. Il ne pouvait rien dire, non. Rien dire qu'ils comprennent, dans leur état.
Il jeta un regard au courtisan, fut tenté de vider son sac, d'exprimer, dans l'instant, toute l'impuissance qu'il ressentait face à cette situation.
Il se tourna vers les gamins, fut troublé par leur émoi. Fut presque attendri.
Mais, alors, les images de l'incident s'imposèrent à lui. Il les revit bondissant sur le Mélandien aveugle, le frapper avec une indescriptible sauvagerie...
Et la colère revint. La colère et un terrible sentiment de responsabilité.
Il ne pouvait pas renoncer. Il ne pouvait pas laisser passer cet acte odieux. Il fallait que les gamins comprennent l'ampleur, la gravité de ce qu'ils avaient tenté. Sans quoi... Sans quoi ils pourraient devenir des Monstres.
Que faire, cependant ?
-Tu as raison, ils n'entendront rien, dit-il à Martin. Mais je ne peux pas laisser passer ça. C'est par trop impardonnable... Ils doivent le comprendre. d'une manière ou d'une autre..
Il refit face aux garçons.
-Vous avez commis une tentative de meurtre. Et vous n'avez même pas l'air de vous en rendre compte. C'est normal, d'un côté. Vous êtes des enfants. De petits enfants, à en juger par vos réactions. Et vous méritez qu'on vous traite comme tels.
Il croisa les bras. Se demanda ce qu'aurait fait son père adoptif, à sa place. Ce qu'aurait fait Hafgan, par la suite...
-Mon maître m'aurait donné une fessée pour beaucoup moins grave que ça. Je me demande si ce n'est pas ce qu'il vous faudrait.
Il n'était pas sûr que ce soit la bonne solution. Pas sûr du tout. Mai peut-être que la menace, simplement, les ferait réagir, comprendre...

[Galathée]

" Est-ce qu'il va nous tuer, nous aussi ?" demanda alors Jehan, tremblant. " Même si c'est parce qu'il devient fou... Comment on sait que ça ne va plus arriver ?"
Victor ne disait toujours rien, renfrogné.
" Parfois, quand je dors, je le vois avec la hache." dit le petit Merlu.
" T'étais même pas là quand il l'a tuée." grommela Victor, d'une voix tendue.
" Si j'étais là."
" Moi j'étais juste à côté d'elle."
" Mais j'étais là quand même."

[Taliesin]

Il fut tenté de ne pas répondre. Après tout, ils ne semblaient même pas avoir écouté ce qu'il venait de dire. Pourquoi, encore, parler dans le vide ?
Il répondit néanmoins, la mine - et le ton -sévères.
-Je vous ai déjà expliqué tout ça. Il a été possédé, obligé d'agir par une volonté extérieure, et le médaillon qu'on lui a passé au cou l'en a libéré, empêchera que ça se reproduise. Ce médaillon, et tous les autres, nous ont été offerts par le pipeau. Vous avez pu voir comme ses dons sont efficaces, non ? Et puis, cette possession ne s'est manifestée que dans la caverne marine. C'est pourquoi ceux qui y travaillent à l'heure actuelle portent les autres médaillons, pour ne courir aucun risque. Ailleurs que dans la caverne ou à proximité de celle-ci, il n'y a rien à craindre de ces possessions. Donc, même sans son médaillon, Philibert ne représente aucun danger.
Il les dévisagea un instant, sentant monter, s'ajoutant à la colère, une pointe d'indignation.
-Et, par dessus tout;.. Vous croyez vraiment qu'on l'aurait laissé en vie, qu'on l'aurait laissé avec nous, si nous pensions qu'il pouvait recommencer à tuer ? A vous tuer, à nous tuer ? Vous n'avez donc aucune confiance en nous ?

[Galathée]

Jehan frissonna mais ne répondit rien. Martin posa une main sur son épaule et la serra doucement.
" On n'est pas sûrs de ça. On n'est sûrs de rien." souffla Victor, sans lever les yeux.
" C'est de ma faute." murmura Martin finalement. " J'aurais dû sentir qu'ils étaient en train de tramer quelque chose..."

[Taliesin]

-Tu n'y es pour rien, Martin. Tout à l'heure, les voyant comploter avec les jumeaux, j'ai eu dans l'idée que quelque chose se tramait. C'est pourquoi j'ai pris Victor à part pour lui parler... J'aurais dû me douter que ce que j'avais dit était rentré par une oreille et sorti par l'autre. C'est toujours comme ça, avec lui. Bref, si quelqu'un n'a pas su prévenir cet acte, c'est moi. Et je dois faire en sorte de ne pas reproduire mon erreur.
Il toisa les garçons sans aménité.
-Tu as raison, Victor, on n'est sûr de rien. Mais le plus grave, à présent, c'est que ni moi, ni les autres ne pouvons être sûrs de vos réactions. Vous venez d'attaquer un homme désarmé, aveugle, sans défenses, et vous l'auriez tué si nous n'étions pas intervenus. Ce n'est pas loin d'être aussi grave que ce que Philibert à fait. Sauf que lui... n'a pas eu le choix, qu'il a été forcé; Alors que vous avez agi de votre propre chef.. Dans ces conditions, quelle garantie avons-nous que ça ne se reproduira pas ? Que vous ne vous comporterez pas, à nouveau, en barbares assassins ? Que vous n'agresserez pas à nouveau Philibert, ou quiconque d'autre vous semblera szuspect ?

[Galathée]

Les enfants ne répondirent rien.
" Dommage qu'on ait pas une cage pour les y enfermer quelques temps." intervint alors Guéric qui les avait rejoints.
Il secoua la tête et soupira.
" Je ne vois qu'une solution : diviser le groupe. Sinon, nous allons passer notre temps à devoir les surveiller... L'autre possibilité, c'est de les attacher. J'imagine que tu ne seras pas très chaud."

[Taliesin]

-Tu te trompes, répondit le barde, sérieux. S'il faut les attacher, je le ferai moi-même. Je ne tiens pas à ce que les enfants dont j'ai la responsabilité deviennent des criminels, et je suis prêt à faire tout ce qu'il faudra pour qu'ils ne s'engagent pas davantage sur cette voie; Malheureusement, je crains que d'autres soient choqués par une telle mesure, qu'ils ne la comprennent pas.
Il soupira.
-Nous diviser est risqué en cas d'incursion pirate. Mais c'est sans doute le plus logique, d'autant que nous avons un certain nombre de tâches à accomplir, comme le bateau. Il faudra juste bien réflachir à la composition des groupes, définir précisément leurs missions. Ce qui implique des discussions et... qu'on fasse dors et déjà quelque chose pour ces deux-là, afin qu'ils ne réitèrent pas leurs "bêtises" avant que nous n'ayoons tranché.

[Galathée]

" Attachons-les à leur lit. Ce sera réglé. Nous avons tous assisté à cette agression : ils méritent ce qu'ils subissent." dit Guéric.
" Je peux les emmener en promenade..." proposa Martin, indécis. " Chercher des oeufs de mouette, nous en avions trouvé l'autre jour. Cela vous permettra de discuter tranquillement en notre absence et quand nous reviendrons... j'imagine que les décisions seront prises."

[Taliesin]

L'elfe hésita quelques secondes, puis secoua la tête.
-Je te sais gré de ta proposition, Martin. Mais je ne peux décemment régler cette sordide affaire avec ce qui pourrait s'apparenter à une récompense, puisque ladite promenade serait susceptible de leur plaire. Et vu ce dont ils sont capables, je préfère autant les avoir sous les yeux, afin de pouvoir pallier à une éventuelle nouvelle catastrophe.
Il jeta un regard à Guéric.
-Je ne vais pas non plus les attacher. Pas encore. En revanche...
IL fixa les enfants, haussa le ton pour que les autres occupants de la caverne puissent entendre ses mots et en soient ainsi témoins.
-Victor, Jehan, vous allez gagner vos lits. Je vous interdis formellement de les quitter, sous quelque prétexte que ce soit. Et ce, jusqu'à nouvel ordre. Si pour une raison ou pour une autre, vous devez vous en éloigner, vous attendrez mon autorisation. Evidemment, je vous confisque toutes vos affaires : vu ce que contiennent vos sacs, je n'ose imaginer ce que vous seriez susecptibles d'en faire. Peut-être cette immobilité forcée vous aidera-t-elle à comprendre la gravité de vos actes...
Il se tut brièvement, pour donner plus de poids à ses paroles, puis repris, sur le même ton dur, inflexible.
-Si vous enfreignez mes consignes, si vous faites même seulement mine de les enfreindre, je vous jure que, cette fois, je sévirai d'une manière plus tangible que vous sentirez passer. Est-ce clair ?

[Galathée]

Les enfants obéirent sans desserrer les lèvres. Ils se levèrent, la tête basse, et allèrent jusqu'à leurs lits. Victor s'assit contre l'oreiller, les bras croisés autour de ses jambes, mais Jehan s'enfouit sous les couvertures, comme pour hiberner. Debout à côté du Mélandien, Goran ne disait rien. Martin grimaça une seconde puis retourna vers la table qu'ils avaient quittée et entreprit de ranger la vaisselle et les reliefs du repas. Guéric gratifia Taliesin d'une tape amicale dans le dos, puis suivit le courtisan.

[Taliesin]

Comme il l'avait annoncé, Taliesin alla récupérer les affaires des gamins pour les déposer près de son propre lit : Victor ayant emporté, en plus de sa cotte de maille, les armes qu'il lui avait données lors de leur voyage de retour à Luménis, il préférait ne pas les laisser à sa disposition. Compte tenu de ce qui s'était passé, mieux valait être prudent.
Il se rapprocha finalement de Guéric et de Martin, leur prêta main forte pour achever de débarrasser leur table. Lorsque se fut chose faite, il s'adressa au halfelin.
-Je ne sais pas ce que tu en penses, mais je crois qu'il vaut mieux prendre nos décisions au plus vite. Sans quoi, l'incident d'aujourd'hui et la tension accumulée pourraient avoir des conséquences néfastes... Dans ces conditions, mieux vaut qu'on se remette tous au travail, avec des directives et des objectifs précis. Et en petits groupes, évidemment.

[Galathée]

" Je dois dire que vu la manière dont tournent les choses, je ne sais plus s'il faut ménager les nerfs de chacun en favorisant des groupes où les gens se connaissent et se respectent ou s'il faut au contraire diviser les tandems trop dangereux... A priori, ni les jumeaux, ni les mômes ne devraient rester avec Philibert, mais peut-être qu'un jumeau et un gosse pourraient cohabiter avec lui sans trop de risques. Sans doute faudrait-il établir un campement dans la grotte marine... même si c'est un endroit funeste. C'est, comme tu l'avais bien dit, notre sortie principale. Un deuxième groupe resterait ici... Ou bien tu avais une idée moins radicale ? En comptant simplement sur des roulements pour éviter les contacts hasardeux ?"

[Taliesin]

-Je ne sais pas. A vrai dire, je n'ai pas d'idées arrêtées. Toutefois, je crois qu'établir une base permanente dans la grotte, le temps que l'embarcation soit terminée, pourrait s'avérer profitable : les trajets entre ici et là-bas sont un gaspillage de temps et d'énergie. De plus, avec les médaillons, il n'y a pas à craindre de nouvelle possession... Le tout, c'est de trouver des gens acceptant d'y travailler malgré ce qui s'y est produit, ce qui exclue probablement les gosses. Ah, et des gens qui acceptent de collaborer avec Philibert : son aide sera précieuse, si on lui rend la vue.

[Galathée]

" J'imagine qu'on pourrait faire comme ça... Philibert, Goran, Martin et moi..."
" Je ne pense pas sérieux de laisser Taliesin avec Ruyven, Bellyra, Fred, George et les deux gosses." intervint le courtisan.
" En même temps, à qui veux-tu confier les gamins ? Les jumeaux sont à cran. Ruyven a failli égorger Philibert. Le nombre de personnes capables de le tolérer est réduit."
" Ruyven et Bellyra sont capables de comprendre ce qu'il s'est produit. Ruyven a agi sous le feu de la colère, juste après les faits."
Martin soupira.
" Ne devrions-nous pas prendre le temps de comprendre vraiment ce qu'il s'est passé dans cette grotte ?"

[Taliesin]

-Dans l'absolu, si... Mais pouvons-nous nous permettre de trop nous disperser ? Nous avons déjà tant de choses à faire : fabriquer l'embarcation, peut-être tenter d'orienter les pirates vers le trésor afin qu'ils ne nous trouvent pas, ne trouvent pas le groupe caché dans les grottes nord, éventuellement créer un golem... Sans parler d'une nouvelle reconnaissance en surface qui devra intervenir tôt ou tard. Et puis, même si nous découvrions la cause de ce qui s'est produit, est-ce que cela calmerait vraiment les esprit ? La possession semble évidente, les moyens d'y pallier aussi. Et ça n'a manifestement rasséréné personne, ni diminué la rancœur envers Philibert...
Il s'interrompit, tenta de mettre de l'ordre dans ses pensées.
-Après, peut-être que... Peut-être qu'une personne capable de se défendre pourrait mener des recherches dans la grotte, tandis que les autres travailleraient au bateau. Il n'y a pas énormément de matériel, de bois ; du coup, je ne sais pas combien peuvent y œuvrer en même temps... C'est donc une possibilité envisageable. Le tout est que chaque personne présente dans la grotte marine porte un médaillon.

[Galathée]

" Bon." fit Guéric. " Nous n'avançons pas. Je pense qu'il faut laisser tomber le système de rotations entre les différents postes. L'équipe du guet y campera définitivement. L'équipe du bateau demeurera là également. Je pense y affecter tout le monde sauf toi et les gamins. Je circulerai entre les différents endroits pour vérifier que tout va bien. Martin et Bellyra s'occuperont du trésor, éventuellement avec Goran. Nous verrons si nous avons l'opportunité de remonter... Ce n'est probablement pas urgent de toute façon. Tu resteras ici avec les enfants. Je suis certain que modeler le golem les occupera."

[Taliesin]

Taliesin ne put tout à fait dissimuler sa déception, laquelle était teintée d'un certain agacement. Il avait rien moins qu'envie de jouer les gardes d'enfants, de se retrouver bloquer avec Victor et Jehan. D'autant qu'il avait l'impression qu'il aurait pu être beaucoup plus utile en d'autres lieux, pour d'autres tâches, que le golem n'était qu'un prétexte.. Après tout, ils avaient beaucoup plus urgent à faire.
Mais il ne protesta pas. Il fallait qu'ils avancent, et il ne laisserait pas ses états d'âme entraver leurs plans.
-Soit... soupira-t-il. Encore faudra-t-il trouver l'argile... Mais peut-être le pipeau nous fournira-t-il ce qu'il faudra.

[Galathée]

" En parlant de pipeau..." intervint Martin. " Ne t'avait-il pas gratifié de quelque chose qui n'a pas encore servi ? Il me semble que tu avais parlé de cailloux ?"
Guéric croisa les bras.
" Peut-être aurions-nous dû en user pour lapider les mômes avant qu'ils ne fassent n'importe quoi." grommela-t-il.

[Taliesin]

-Oh, ils ne leur auraient pas fait bien mal... dit Taliesin en fouillant dans la poche où il gardait les divers présents de l'instrument magique.
Il finit par tendre la main : dans sa paume ouverte reposaient les quatre petites pierres bleues et ternes qui avaient accompagné le plan détaillé des cavernes lors de son apparition.
-Peut-être peut-on repérer leurs porteurs sur la carte ? fit-il. C'est le seul usage possible que je leur vois pour l'instant, en tout cas...

[Galathée]

Guéric en prit un qu'il examina avant de le reposer sur la paume du barde.
" Nous ne pouvons pas partir tant que Philibert n'est pas sur pied. Ça nous laisse un peu de temps pour les tester, je suppose. La nuit est en train de tomber... Il faudra que tu dormes pour retaper le Mélandien à l'aube. Je monterai la garde : je me méfie des initiatives vengeresses au coeur de la nuit."
" Ils ne recommenceront pas." fit Martin. " Ce sont des gosses terrorisés, rien de plus."
" Un animal acculé est particulièrement dangereux." murmura Goran en les rejoignant.

[Taliesin]

-Je pense que la présence d'un guetteur les dissuadera de mettre en œuvre les éventuelles mauvaises idées qu'ils pourraient avoir. Tout en les rassurant au niveau de Philibert : ils en ont peur mais sauront qu'il ne pourra rien faire, si au moins une autre personne est réveillée...
Ce n'était là, malheureusement, que conjectures : il se sentait plus que jamais incapable de deviner ce qui se passait dans la tête des deux gamins. Mais il devait bien essayer de se rassurer...
-Pour le reste, reprit-il, ils sont au courant de ce qui leur pend au nez s'ils quittent leurs lits. J'espère que si ton guet, Guéric, ne suffit pas à les rassurer, ma menace, au moins, les fera tenir en place. Même si... Je ne suis pas du genre impressionnant;
Il s'arracha un sourire.
-Par contre, nos autres guetteurs s'attendent à être relevés. Il faudrait donc soit aller les chercher, soit les informer qu'ils devront rester là-bas plus longtemps que prévu. Si le messager prend avec lui l'un des cailloux, tandis qu'on garde la carte, ce serait une bonne occasion de voir si ma théorie est bonne.

[Galathée]

Les trois autres hommes s'entreregardèrent.
" Très bien, j'irai." fit Martin avec un sourire en coin. " Laissez-moi une heure ou deux pour me reposer. Les autres ne bougeront pas de leur propre initiative..."
Il se leva et s'étira.
" Je suis beaucoup plus résistant que je ne l'aurais cru." dit-il avec un sourire. " Comme quoi, le sport en chambre n'est pas un mauvais entraînement."

[Taliesin]

Le barde lui tapa sur l'épaule.
-J'ai toujours pensé que c'était un excellent exercice. Mais pour en revenir à des préoccupations plus actuelles... Il faudra que je te pose quelques questions à propos... d'argile, avant que nos groupes ne se séparent pour un certain temps. Le grimoire est assez précis quant aux qualités de la terre nécessaire à la réalisation du golem...
Il réprima un bâillement.
-Bon, dans l'immédiat, toutefois, je vais aller dormir. Travailler sur un tel bouquin, mine de rien, ça fatigue...
Il salua ses compagnons et s'apprêta à gagner sa couche. Auparavant, il passerait près des enfants pour leur dire que s'ils voulaient aller au latrines, c'était le moment où jamais. Ensuite, ils n'auraient plus l'opportunité de quitter leur lits jusqu'à l'aube.

[Galathée]

Mais Victor et Jehan, contre toute attente, dormaient déjà à poings fermés, peut-être assommés par leur acte insensé. Taliesin put donc regagner sa couche sans encombres. Goran l'imita rapidement, mais Martin et Guéric demeurèrent à deviser près du puits de lave, à voix basse. Philibert ronflait avec bruit, comme à son habitude. Les murs de la grotte s'étaient assombris, petit à petit leur petit groupe sombrait dans le sommeil. Taliesin lui-même, malgré les émotions de la soirée, ne manquerait peut-être pas de goûter quelque temps à un oubli salvateur...
Mais le sol trembla à nouveau, plus fort et plus longtemps que la première fois. Un grondement sourd se répercuta dans le ventre de la terre. Aucune poussière, aucun gravillon ne chut cependant du plafond de leur caverne, mais c'était peut-être dû à son caractère magique...

[Taliesin]

La première pensée - ensommeillée - de Taliesin fut une amère récrimination contre cette loi qui voulait que, ploc d'une goutte d'eau, vrombissement d'un moustique ou grondement du sol en train de trembler, quelque chose intervienne pile au moment où le sommeil s'empare de vous... et le repousse brutalement, retardant l'assoupissement pour de longues minutes.
La seconde pensée - bien réveillée - du barde fut un constat tout aussi amer : quelque chose de grave était en train de se passer.
Pourtant, il ne bougea pas. Il se contenta de couler un regard en direction de Guéric et de Martin. S'ils ne l'appelaient pas, il resterait allongé. Après tout, quelle que soit la cause de cet inquiétant phénomène, ils ne pourraient rien tenter dans l'immédiat. Qu'il s'agisse d'explosions provoquées par les pirates, d'un tremblement de terre, de l'éveil du volcan, ils ne pouvaient pas faire grand chose sinon continuer selon le plan qu'ils avaient défini, se répartir entre surveillance des pirates, confection d'un golem - pour occuper d'incontrôlables marmots - et construction d'un esquif, seul moyen d'échapper à l'île et aux menaces qu'elle recelait.
De plus, il devait dormir pour être en mesure de soigner Philibert, le seul d'entre eux à avoir des connaissances en matière de menuiserie. Et le pipeau, sauveur potentiel en bien des occasions, ne serait rechargé que le lendemain...
Bref : il allait attendre de voir si on l'appelait. Sinon, il tenterait de retrouver le sommeil. Ce qui ne serait pas aisé, loin s'en fallait.

[Galathée]

On ne l'appela pas. Guéric et Martin s'étaient levés, aux aguets, et s'ils ne se rassirent pas, ils ne firent pas davantage signe au barde. Le halfelin alla s'asseoir à l'écart, pour veiller, et Martin se dirigea vers sa propre couche sur laquelle il s'allongea sans se déshabiller. Il sembla à Taliesin qu'un grondement sourd continuait à résonner dans les profondeurs, mais ce n'était peut-être que l'écho du tremblement prisonnier de son oreille. Le silence relatif de leur tanière revint. Le sommeil en ferait-il autant ?

[Taliesin]

Sans doute fut-ce le cas. A moins qu'il ne s'agisse que de somnolence... Quoi qu'il en soit, au cours des heures qui suivirent, l'elfe s'avéra incapable de distinguer ce qui tenait de la réalité ou du rêve, de la réflexion lucide ou du songe mêlant craintes inconscientes et souvenirs enfouis.
Il perçut des grondements, parfois intenses, parfois ténus ; des ronflements, aussi. Il entendit des conversations, faites de voix alternativement calmes et excitées, murmurantes et vociférantes. Il vit des mains se lever, serrées sur des couteaux à la lame tantôt argentée, tantôt écarlate ; il constata que le sol, près de son lit, se craquelait, s'ouvrait tout grand pour vomir des flots d'hémoglobine qui inondaient la caverne, devenaient une véritable mer qui se tordait sous un ciel d'orage, dont les vagues tumultueuses zébraient de gerbes pourpres les murs immaculées d'une chambre à coucher...
Ce fut la dernière image. La pire, peut-être.
Ensuite... Plus rien. Le néant.

[Galathée]

Si la terre trembla encore pendant la nuit, Taliesin ne s'en rendit pas compte, et lorsqu'il émergea, les murs de la caverne rosissaient doucement. Victor et Jehan semblaient toujours endormis, Guéric préparait manifestement le petit déjeuner et Goran était en passe, lui aussi, d'émerger. De Martin, aucune trace, mais il n'était pas impossible qu'il ait décidé de passer la nuit avec les guetteurs, après les avoir avertis du changement de programme.

[Taliesin]

Heureux de retrouver les choses à peu près dans l'ordre, trop endormi, encore, pour s'inquiéter de l'absence de Martin - elle pouvait effectivement s'expliquer -, Taliesin s'extirpa de son lit et alla se rafraichir au bassin, histoire de dissimuler les brumes dans lesquelles s'engluaient encore ses pensées. Enfin, il rejoignit le halfelin.
-Pas trop crevé ? s'enquit-il après l'avoir salué.

[Galathée]

" On fait aller." répondit le halfelin en lui tendant un bol de gruau fumant. " Il va falloir qu'on divise les provisions. Martin devrait revenir dans la matinée... Je n'ai pas eu le coeur d'exiger qu'il fasse un aller-retour. C'est un des rares éléments plus ou moins stables de cette bande de bras cassés, il ne manquerait plus qu'il me craque entre les doigts..."
Il leva les yeux vers les lits où les enfants commençaient à remuer.
" M'est avis qu'ils font semblant de dormir. Que vas-tu faire d'eux, dans l'immédiat ?"