[Lieu] Mersant

[Taliesin]

Bon, apparemment, ça avait marché.
Restait à dépasser les apparences. A voir si la créature pouvait bouger, se déplacer, obéir à un ordre...
Il jeta un regard aux autres. Se racla la gorge.
Hésita. Se racla la gorge à nouveau.
Puis se lança :
-Heu... Golem... Marche jusqu'à l'entrée de la caverne, là-bas.
Il se tut une seconde, puis ajouta :
-S'il te plait.
C'était ridicule. Tellement ridicule, même, qu'il se sentit sourire. Il ne disait jamais "s'il-te-plait" aux élémentaires qu'il convoquait. Ceci dit, en général, c'était au cœur de l'action, au cœur du combat, ce qui n'était guère propice aux politesses. Ici, la situation était différente. Et il avait contribué à créer cet être...

[Galathée]

La créature obéit. Placidement. Promptement. Mais le résultat ne fut peut-être pas tout à fait ce que Taliesin et les enfants avaient escompté. Même si le mille-pattes était plutôt rapide, il était aussi... lourd et pas vraiment gracieux. On aurait dit une sorte de bélier longiligne, sinueux, qui fit trembler le sol en les dépassant et en gagnant l'entrée de la caverne. Là, il s'immobilisa et le silence qui retomba derrière lui leur fit prendre conscience du tambourinement qui l'avait précédé.
" C'est une grosse bête." commenta Rumoc.

[Taliesin]

Peut-être avait-il effectivement imaginé que le golem serait plus élégant, qu'il ondoierait, agile, tel un véritable insecte. Ce qui avait été idiot. Mais il n'en était pas moins impressionné de voir la créature bouger, obéir. De constater qu'elle était viable, que leurs efforts n'avaient pas été vains. Qu'elle était désormais vivante, même si cette vie n'en était pas vraiment une.
-Si des pirates viennent à s'entasser dans un tunnel, il nous suffira de l'y envoyer pourqu'il déblaye tout sur son passage.. murmura-t-il.
Puis il se tourna vers les gamins. Ils avaient contribué autant que lui à sa création. Il était normal qu'ils puissent, eux aussi, en profiter.
-Victor, Jehan ? Vous voulez lui donner un ordre ? Si je lui demande de vous obéir, il le fera.

[Galathée]

" Tu es vraiment sûr que tu veux prendre ce risque..." intervint Martin. " C'est beaucoup de pouvoir entre les mains d'un enfant..."
Le courtisan ne semblait pas rassuré.
" Ah ouais ! Moi je veux bien lui donner des ordres !" s'exclama Victor.
" Tu crois qu'il est amphibie ? Qu'il sait grimper à l'envers au plafond ?" ajouta Jehan.
" Si tu vois ce que je veux dire..." souffla le Mersantais en faisant un pas en arrière.

[Taliesin]

Le barde esquissa une grimace, puis sourit à nouveau.
-Hum, quand je vous proposais de lui donner des ordres, il s'agissait d'ordres simples, élémentaires, du type : "marche jusqu'à tel endroit". Ce n'est peut-être pas le plus amusant, mais... On ne peut pas prendre le risque de l'abim... de lui faire du mal. S'il se dissout dans l'eau, s'il tombe en escaladant un mur et se brise, ça sera fichu, tous nos efforts seront réduits à néant, et nous perdrons une arme de poids contre les pirates... Bref, je veux bien lui demander d'obéir à un ordre de chacun d'entre vous, mais il faut que vous restiez raisonnables et responsables.

[Galathée]

" Il est fou." souffla Martin.
" Opérons une retraite stratégique, veux-tu."
" Je suppose que si nous périssons, écrabouillés, le pipeau pourra nous ramener à la vie..."
" Tu as envie de prendre le risque ?"
" A la réflexion..."
Le courtisan s'éloigna jusqu'au bord du bassin, endroit stratégique s'il en était. Pendant ce temps, les deux petits garçons trépignaient.
" Oui, oui, on sera sages !" s'exclama Victor.
" Tu crois que si on lui donne un ordre, puis on l'annule juste après, ça marche ?" demanda Jehan, les yeux pétillants.

[Taliesin]

Taliesin commençait vaguement à regretter son offre. Sans doute trompé par la docilité et le sérieux dont les gamins avaient fait preuve ces deux derniers jours,, il avait oublié leur potentiel destructeur. Toutefois, ne disait-on pas "chose promise, chose due ?".
-Je ne sais pas si ça marcherait. Je testerai plus tard. Pour l'instant, demandez-lui des choses simples et raisonnables. Je vous fais confiance pour ne pas provoquer la catastrophe que Martin redoute : montrez-lui comme vous savez faire preuve de sagesse !
Puis, se tournant vers la créature et désignant les deux enfants :
-Golem, je te demande d'obéir au prochain ordre que te donnera Victor, et au prochain ordre que te donnera Jehan.

[Galathée]

Le golem remua des mandibules mais son acquiescement s'arrêta là.
" Comment il sait qui est Victor, qui est Jehan ?" demanda Victor.
" Deux ordres à exécuter en suivant... Je crois que tu as atteint la limite de son absence de neurones, déjà." fit Martin, railleur, sans pour autant se rapprocher.
" Qu'est-ce qu'on peut demander à un gros mille-pattes comme ça ?" dit Victor. " Ça sait pas faire grand chose à part marcher. Golem ! Marche jusqu'au mur là-bas."
A nouveau, la grosse créature se mit en branle, secouant toute la caverne au passage de ses dizaines de petites pattes joufflues.
" Je n'aimerais pas qu'il me marche sur le pied." souffla Rumoc.
" Tu n'as pas de pied."
" C'était de l'empathie."
" A ton tour, Jehan."
" Golem, saute !"
La créature demeura immobile un instant, puis ses jointures se plièrent et elle effectua un petit bond sur place. Le vacarme fut épouvantable et un nuage de poussière s'éleva, sans parler de la vibration qui se répercuta dans toutes les parois de la grotte.
" C'était futé, ça."

[Taliesin]

Taliesin avait senti ses tripes se nouer en entendant l'ordre lancé par Jehan. Et si le golem se brisait en essayait d'y obéir ? Si ses pattes cédaient sous son poids ? Mais il poussa bientôt un soupir de soulagement : il n'en avait rien été. Ils pouvaient donc être rassurés quant à sa solidité.
-Bah, en ces temps de tremblements de terre, si quelqu'un a entendu ce raffut, il l'interprétera comme un nouveau grommellement de l'île... fit-il d'un ton léger.
Mais, comme on n'était jamais assez prudent :
-Merci pour ta coopération, golem. A présent, va surveiller l'entrée de la caverne. Si quelqu'un s'approche, préviens nous en... en... en tapant doucement d'un ou deux pieds.
Cela ce traduirait sans doute par un nouveau vacarme, mais demander à la créature de se déplacer en aurait provoqué un plus grand encore.
Le barde se tourna ensuite vers ses compagnons. A présent que leur tâche était accomplie, il se retrouvaient sans rien de particulier à faire. Ce qui n'était pas à franchement parler une bonne nouvelle : il faudrait qu'il réfléchisse à des manières de les occuper tous.
Dans l'immédiat, toutefois, il y avait pour les gamins - et pour lui-même, dans une moindre mesure, puisqu'il n'avait pas, contrairement à eux, plongé dans le bassin d'argile - une activité toute trouvée.
-Maintenant que notre sécurité est assurée, vous allez être bons pour un récurage intégral, les gars. Ce n'est pas pour dire, mais à vous regarder, là, on vous prendrait presque pour des golems... Allez, zou, et que ça brille !

[Galathée]

Les gamins obtempérèrent tandis que Martin et Rumoc les contournaient de loin, suspicieux. Mais il n'y eut pas de contact entre les deux groupes et le courtisan. Ce dernier se dirigea vers le garde-manger : le temps avait passé, il était l'heure de se sustenter. Le golem s'était lové devant la sortie qui menait à la grotte marine, délaissant les autres issues, moins fréquentées, de leur refuge.
Gratter l'argile, cependant, risquait de prendre un certain temps et la belle eau tiède du bassin serait à nouveau troublée...

[Taliesin]

Qu'importe : davantage que de la propreté de l'eau, c'était de la sienne qu'il était préoccupée. Et plus que de sa propreté, de son confort : l'argile grattait en séchant, ce qui n'était pas des plus agréables lorsqu'on n'était plus absorbé par le travail.
Une fois débarrassé de ses chausses solidifiées - bonnes pour la poubelle, à son avis -, il entreprit donc de se débarrasser énergiquement de la substance qui leur avait servi à modeler leur nouveau compagnon.

[Galathée]

L'eau perdit rapidement de sa transparence. Au début, cette brume en suspension sembla dégouter vaguement les enfants, mais bientôt, ils y virent là une possibilité nouvelle dans leurs jeux. En effet, une fois sous la surface du bassin, on y était pratiquement invisible. Ils se mirent donc brusquement à jouer à la bataille sous-marine... quelques minutes seulement avant d'attaquer l'elfe qui, solitaire, ne faisait pas le poids contre deux petits humains.

[Taliesin]

Taliesin fut totalement pris au dépourvu par le premier assaut : après tout, lors des dernières baignades, les gamins l'avaient à peu près laissé tranquille, en dehors de quelques éclaboussures, lesquelles étaient bien souvent des dommages collatéraux. Mais, une fois remis de sa surprise - et de la tasse qu'il avait bue -, il se défendit comme un beau diable. Cela ne voulait pas dire pour autant qu'il eut le dessus : il faisait face à deux adversaires décidés, retors, et plutôt énergiques. En tout cas, il tenta de faire bonne figure, de tendre quelques pièges, de leur rendre la monnaie de leur pièce... Il n'avait pas été mauvais à ce jeu-là, autrefois.

[Galathée]

Les gamins regorgeaient d'énergie, c'était surtout dans ce domaine qu'ils avaient le dessus. Et si Taliesin était leste, les deux gosses trempés se faufilaient dans la boue sans difficulté. En réalité, l'incantation avait puisé dans sa résistance et il était las, courbatu, comme s'il avait guerroyé toute la journée. Battre en retraite semblait de plus en plus opportun, s'il ne voulait pas finir noyé par inadvertance dans le jus brunâtre qu'était devenu leur bassin. Il n'était pas certain qu'il soit réellement possible d'en sortir propre, cependant... Un second lavage serait sans doute opportun quand l'eau aurait récupéré de ce premier trempage.

[Taliesin]

Il tenta donc une manœuvre de dégagement aussi rapide que désespérée et, lorsqu'il eut enfin échappé, pour quelques instants, aux deux garçons, lorsqu'il eut enfin atteint le rebord du bassin, il leva la main en signe de paix.
-Trêve ! lança-t-il, haletant, Je demande une trêve ! Laissez-moi le temps de retrouver des forces, de manger ce que Martin nous a préparé, et peut-être serais-je en état de reprendre les hostilités. De toute façon, il faudra qu'on retourne à l'eau, on est presque aussi sales qu'au début.

[Galathée]

Les garçons le laissèrent filer d'un air peu convaincu, mais ne le rejoignirent pas pour autant. Peut-être comptaient-ils s'entraîner en son absence ou mettre au point une nouvelle tactique imparable. En tout cas, l'eau trouble ne les rebutait plus le moins du monde.
Taliesin manqua geler en sortant de l'eau : l'air s'était considérablement rafraichi.
Martin lui fit signe depuis la table où il avait posé des victuailles qui fumaient agréablement.

[Taliesin]

-Allez, on mange, lança-t-il aux gamins, par dessus son épaule.
Il s'essuya avec l'une des couvertures qu'ils gardaient à cet usage près du bassin, enfila en grimaçant ses chausses argileuses - de toute façon, il faudrait qu'il retourne dans l'eau -, passa la chemise qu'il portait les jours précédents et vint s'installer à table. Les mets chauds seraient à coup sûr réconfortants, vu la température soudain frisquette. Et le chaleureux bassin pourrait être une lieu de paresse fort indiqué pour les heures suivantes...

[Galathée]

Mais les gamins ne firent aucunement mine de sortir de leur bassin. Ils étaient relancés dans un jeu titanesque, nécessitant apparemment moult éclaboussures.
" Laisse-les." fit Martin. " Qu'ils se crèvent... Après, ils feront une bonne sieste, simplement. Et ils pourront toujours se réchauffer leur tambouille lorsque leur estomac criera famine. Nous sommes presque en vacances, après tout. Rien à faire, attendre, attendre, attendre..."
Il haussa les épaules.
" Fritchi de pommes de terre aux navets, courgettes bosselées, tomates bien molles. Je fais ce que je peux. Mais j'ai mis du jambon, aussi. La cuisson devrait l'avoir ramolli."

[Taliesin]

-Allez, je suis sûr que ça a bon goût ! lança l'elfe, encourageant. Et je pourrai cuisiner la prochaine fois, si tu veux. Quoi que vu nos réserves, ça ne sera pas miraculeux... Mais l'important, c'est que ça nourrisse !
Il avala une première bouchée. Ce n'était pas un plat de gourmet, tout en étant parfaitement acceptable.
-Quant à l'attente... il faudra qu'on se trouve une activité. Rester à ne rien faire, sinon à réfléchir, à s'inquiéter, c'est le pire. J'ai de mon côté un bâton de mager avec lequel me familiariser. Mais on peut réfléchir à quelque chose de plus collectif, évidemment.

[Galathée]

" Personnellement, attendre ne me gêne pas : ça fait partie de mon métier depuis toujours, et c'est devenu encore plus vrai depuis que je suis sur Mersant. Bavarder me suffit : je ne sais pratiquement rien de vous, et je parie que tu dois avoir mille histoires passionnantes à raconter. Ta vie à la Cour Elfique, notamment... Il y a quelques livres, sinon, et je ne suis pas un lecteur très rapide... Je suis doué pour regarder dans le vide en ne pensant à rien... Bon, les gamins seront sans doute moins emballés, mais regarde-les : ils jouent avec n'importe quoi. Ils inventeront sans nul doute un jeu de saute-golem incessamment... de combat d'oreillers, que sais-je... L'oisiveté n'est pas forcément dangereuse."

[Taliesin]

-Tu as probablement raison... répondit le barde. En tout cas, pour toi et les gosses. Car, personnellement... attendre, rester à ne rien faire, c'est dangereux. Vraiment dangereux. Autrefois, il n'en était pas ainsi : j'étais sans doute assez contemplatif, je profitais des moments d'oisiveté pour y chercher l'inspiration. Aujourd'hui, en revanche... J'en suis incapable. Si je ne m'occupe pas les mains et la tête, si je dois rester assis sans activité définie, je pense trop, et mes pensées ne tardent pas à devenir sombres réflexions, noires anticipations... Ce qui a un joyeux effet sur mon moral, évidemment. D'où ma tendance presque maniaque à m'absorber dans le travail, ou dans toute autre tâche à ma portée.
Il sourit.
-Enfin, comme tu le disais, nous pouvons bavarder. Ou empêcher Jehan et Victor de faire trop de bêtises. De plus, il y a ce fameux bâton avec lequel je dois me familiariser... Mais pas avant demain. L'incantation m'a littéralement vidé.

[Galathée]

Martin lui sourit.
" Broyer du noir quand on sombre dans l'inactivité est aussi très luménien, finalement. Quand on n'a que les ténèbres comme perspective, depuis toujours, on ne s'en soucie plus guère, et on apprend à vivre au jour le jour, tranquillement, sans s'épuiser à ressasser ce contre quoi on ne peut rien faire... Mais laissons-là ces discours... Raconte-moi plutôt comment un barde du continent a fini par atterrir au milieu de nulle part... Avec les richesses que renferme Féérune... A quoi bon venir jusqu'ici, parmi les barbares exilés ?"

[Taliesin]

-Parce que j'étais justement à la recherche d'exilés... expliqua l'elfe. La cité dont je suis originaire a été rasée, son peuple massacré. Les rares survivants se sont dispersés de par le monde... Personnellement, c'est ma mère qui m'a tiré de la ville mise à sac, qui m'a emporté à travers les terres sauvages, jusqu'à la petite maison d'une famille de forestiers humains, trouvée par hasard... Elle est morte après m'avoir confié à eux, et ils m'ont élevé contre leur propre fils. C'est sous leur toît que j'ai rencontré, pour la première fois, un autre rescapé : un barde qui a demandé gîte et couvert, un soir... et que j'ai fini par suivre. Ensemble, nous avons continué à chercher les nôtres, et lorsque nous nous sommes séparés, il m'a laissé la charge de mener à bien cette quête. Aprèsavoir écumé Féérune, j'ai pris le bateau... et j'ai débarqué sur Dorrandin.

[Galathée]

Martin sourit, songeur.
" Une histoire dramatique... qui te sied, je suppose. Quel courage de poursuivre une quête... pour des gens que tu n'as jamais rencontrés... une ville que tu n'as jamais connue... N'est-ce pas un peu comme... courir après des chimères ? J'imagine que cet endroit devait être merveilleux... ou avoir laissé un souvenir merveilleux à ceux qui l'ont connu, du moins, s'il a suscité une telle vocation... As-tu trouvé ceux que tu cherchais ? J'imagine que l'humaine que tu vas chercher à Mélandis n'en était pas, à moins qu'elle ne soit centenaire."

[Taliesin]

-Oh, je n'ai fait preuve d'aucun courage, pour cette quête... répondit Taliesin. Je crois simplement que... et bien, elle était épique, romantique, de quoi donner un but un peu mystique à mon existence. Et, surtout, je me sentais redevable envers mon maître, qui avait cherché si longtemps, qui m'avait trouvé, formé, puis fait confiance en me confiant cette responsabilité...
Il eut un sourire un peu nostalgique. Qu'était devenu Hafgan ? Il ne le saurait jamais. et mieux valait ne pas trop y réfléchir.
-Pour répondre tes questions... reprit-il. Non, effectivement, ma compagne n'est pas originaire de cette cité. Et elle n'est pas centenaire, loin s'en faut ! En revanche, oui, j'ai découvert des survivants. A Manost, dans une crypte, je suis fortiutement tombé sur le journal écrit par un rescapé de mon peuple, malheureusement mort depuis longtemps. Il indiquait que certains des nôtres avaient probablement été réduits en esclavage à Mélandis, tandis que d'autres, plus chanceux, avaient vogué vers Luménis. C'est par là que j'ai commencé mes recherches : en vain. J'ai donc mis le cap sur Cité du Chaos, où j'ai trouvé deux survivants encore en vie... Et par la suite, dans une ville elfe d'Hélonna, j'ai rencontré... une soeur dont je ne connaissait pas l'existence. Surprise pour le moins imprévue ! Nous n'avons guère pu parler, malheureusement, d'autant que je n'ai pas tout de suite cru à son histoire. Mais je retournerai la voir, si tout ceci connaît une heureuse conclusion.

[Galathée]

Martin écouta son court récit avec attention, puis acquiesça.
" Je te le souhaite. Si quelqu'un a des chances de survivre, c'est bien toi, au vu de tes péripéties passées." dit le courtisan en vidant son verre.
Les deux gamins virevoltaient toujours dans le bassin, apparemment increvables.
" N'envisages-tu jamais de retourner d'où tu viens, à présent que ta mission est remplie ? Après tout, tu as trouvé tes survivants... Tu pourrais aller en rendre compte à ton maître barde."

[Taliesin]

Taliesin secoua la tête.
-Je ne sais pas où il est, ni même s'il est encore en vie. Il est parti un peu sans crier gare, sans non plus me donner d'explication, sinon que j'étais assez formé pour suivre ma route seul, désormais. Je me suis interrogé sur ce départ, je me suis demandé s'il étais las de ces recherches, s'il voulait se poser, ou s'il ne pouvait plus supporter mon humour lamentable... Je n'en saurais jamais rien. Et comme nous étions bardes itinérants... Je n'ai nulle part où retourner. D'autant que mes parents adoptifs sont morts depuis belle lurette, la maison qu'ils occupaient doit appartenir, désormais, à mes arrières-arrières-arrières-petits-neveux...
Il soupira, puis esquissa un sourire.f
-Enfin si, j'ai quelque part où retourner. Une petite maison, à Luménis. celle où nous vivions avec ma compagne et Victor, avant que tout ne dégénère... J'espère que nous pourrons bientôt nous y installer à nouveau, tous les trois... et que les péripéties, les aventures et les mésaventures seront de l'histoire ancienne.

[Galathée]

Martin opina du chef.
" Je trouve ça curieux, de dépenser autant d'énergie, de temps, de prendre autant de risques, pour pourchasser des gens dont on ne sait rien, sinon qu'ils étaient, autrefois, citoyens d'une ville qu'on ne connait qu'au travers du récit nostalgique des autres... et de n'avoir aucun désir, parallèlement, de retourner sur les véritables lieux de son enfance, ou à la recherche d'un homme qui a défini tout ce qu'on est..." dit-il cependant. " Arrière-arrière-arrière-petits neveux... Es-tu si vieux ? J'oublie toujours que vous autres, elfes, avez ces longévités si démentes... Tu es bien... courageux de t'être acoquiné avec une humaine."

[Taliesin]

Le barde ne put réprimer une légère grimace. Le moins qu'on puisse dire, c'est que Martin abordait de front les problèmes douloureux.
-Encore une fois, je ne crois pas qu'il s'agisse de courage... dit-il. On ne décide pas toujours, en la matière : les événements, simplement, ont fait que nous sommes devenus... très liés. Si j'ai fait un choix, c'est seulement celui d'oublier cette différence de longévité. De profiter, une fois n'est pas coutume, de ce que la vie avait à offrir dans l'immédiat. De profiter du présent, plutôt que de ne songer qu'à l'avenir, de ne poursuivre que des ombres...
Mais n'était-ce pas ce qu'il était en train de faire, quelque part, en se lançant à la recherche de Galathée dont il ne savait rien du destin ? Qui pouvait être perdue au fin fond de l'empire mélandien, sans qu'aucune trace ne mène à elle ?
Pour se donner contenance, il entreprit de vider son assiette.
-Pour le reste, reprit-il bientôt, ce n'est pas l'envie qui m'a manqué de me lancer aux trousses de mon maître. Mais j'ai respecté son choix de partir seul. S'il avait voulu que nous nous croisions à nouveau... il aurait fait en sorte que cela soit possible. Je n'ai donc pas à lui imposer ma présence, ou à le tirer de sa retraite, quelle qu'elle soit... Quant à mes arrières-petits-neveux... J'ai peut-être mis un arrière de trop. Je m'embrouille parfois un peu dans les générations... La sénilité qui commence, sans doute. Après tout, j'ai plus de cent quarante ans...

[Galathée]

" Peut-être ton maître attend-il que tu fasses le premier pas... Comment savoir ? Ou peut-être est-il prisonnier quelque part, réduit en esclavage, blessé et amnésique dans une contrée lointaine... Je crois que tu devrais noter sur tes tablettes de le rechercher... Est-il un elfe, lui aussi ? Peux-tu te permettre d'attendre un siècle avant de le chercher ?"