[Lieu] Mersant

[Taliesin]

-Tu as bien fait de m'en parler, bonhomme, répondit-il. Tu ne dois jamais hésiter à me dire les choses. Jamais. Même si ça te paraît des bêtises. D'accord ?
Il lui serra l'épaule à travers les couvertures puis se leva, s'apprêtant à rejoindre les autres.
-Dors bien.
Une fois répondue à la question de Victor, les possibles implications de sa découverte étaient revenues le hanter. Elles, et d'autres choses encore. Des souvenirs qui prenaient un sens nouveau, jusqu'ici caché... Comme cet entrainement, en début d'après-midi. Cette incroyable capacité à éviter les coups... Ce refus d'attaquer... N'étaient-ils pas les signes d'une connaissance martiale que l'on désirait masquer ?
Et...
Il secoua la tête.
Il pouvait tout déduire. Tout réinterpréter. Mais il n'avait rien de concret. Et ce doute désormais présent risquait de s'avérer néfaste, risquait d'être comme une brèche dans leur si nécessaire unité.
Malgré tout... Il se montrerait prudent.
On ne l'était jamais assez.
Et il y avait trop en jeu.

[Galathée]

Martin et Griselda étaient toujours à table, à deviser tranquillement, et ils l'accueillirent d'un sourire.
" Je te ressers ?" demanda la jeune femme en lui proposant du thé.
" Ou tu préfères te dévergonder en reprenant un peu d'alcool des gais lichens de Mersant ?" fit Martin en soulevant la bouteille d'eau-de-vie.

[Taliesin]

Le barde hésita.
-Je vais opter pour le thé, répondit-il finalement. Je suis crevé, et l'alcool m'assommerait complètement. Le thé, en revanche... Me fera glisser en douceur, m'offrant encore quelques minutes de répit pour discuter avec vous...

[Galathée]

Le courtisan haussa les épaules avec bonhomie tandis que Griselda servait l'elfe.
" Je disais à Martin que j'étais épatée par la résilience des deux garçons." fit-elle. " Quand nous les avons dénichés, passagers clandestins, dans la soute du bateau, j'ai vraiment pensé que nous avions deux braillards sur les bras, mais malgré leur jeune âge, ils abattent un travail remarquable. Autrefois, les gamins étaient plus rapidement mis à l'ouvrage, bien sûr. Peut-être était-ce une preuve de la valeur qu'on leur accordait."

[Taliesin]

-Peut-être. Mais il pouvait aussi s'agir de... la preuve de l'utilité qu'on leur trouvait. Ils pouvaient faire des choses, alors on les leur faisait faire sans attendre, sans songer à leur bien-être. Aujourd'hui... On leur laisse sans doute plus de temps. Enfin, dans certains endroits... Et pour être franc, j'aurais aimé que Jehan et Victor puisse demeurer "insouciants" encore quelques années. Loin du danger, de la peur, de la mort. Le destin en a décidé autrement pour eux. Et ils se sont eux-même... mis dans une situation délicate, en nous suivant. A présent, les choses sont ce qu'elles sont, et nous ne pouvons rien y changer. Et c'est là que je rejoins ton avis : c'est une chance qu'ils s'avèrent si résistants, si forts.

[Galathée]

" Pour l'instant." fit Martin. " Mais en la matière, l'expérience m'a appris que la différence entre quelqu'un qui tient et quelqu'un qui craque ne tenait pas à quelque chose de tangible... Qu'ils soient des gosses ne les rend pas plus fragiles. Et c'est tant mieux. Je doute que les pirates se montrent plus tendres avec eux, de tout façon."
Il se fendit d'un sourire.
" Ah, l'alcool ne me réussit pas ce soir."
" C'est le moins qu'on puisse dire, oiseau de malheur."
" Je ferais mieux d'aller me coucher. "

[Taliesin]

-Je pense au contraire que tu es réaliste. Ne leur ais-je pas dit la même chose, lorsqu'ils voulaient s'entrainer au combat ? Que les pirates ne seraient pas plus tendres avec eux parce qu'ils sont des gosses ? Aller de l'avant, croire à notre réussite, c'est une chose. Mais nier ce qui peut nos arriver, c'en est une autre. Or, nous avons autant besoin d'espoir que de réalisme.
Il essaya d'atténuer la froideur de ses propos par un sourire. Il ne voulait surtout pas brusquer Griselda.
-Bon, en même temps, n'envisager que le pire... Cela va au-delà du réalisme. Et qui sais si ça ne l'amène pas à se produire.
Il se tourna vers Martin.
-Par contre, j'aimerais que nous ayons une petite discussion, avant que tu n'ailles te coucher. Promis, ça sera bref.

[Galathée]

Martin eut un début de grimace mais Griselda fut plus prompte.
" Je vais vous laisser deviser, les hommes." fit-elle en se levant, posant une main sur l'épaule du courtisan comme pour l'empêcher de se redresser à son tour. " Je vais me coucher. A demain matin !"
Elle sourit à Taliesin, comme si elle anticipait ce qu'il allait dire à Martin mais n'ajouta rien.
" Je dois m'inquiéter ?" fit néanmoins ce dernier, une fois qu'ils furent seuls.

[Taliesin]

L'elfe secoua la tête.
-Heu... Non. Enfin, sauf si tu estimes que demander leur avis à ses compagnons d'aventure est une chose inquiétante.
Il finit par se servir un peu d'alcool. Il s'en était abstenu jusqu'ici pour garder les idées claires, mais quelques lampées ne lui feraient pas beaucoup de mal.
-Je sens bien que tu n'as pas envie que nous quittions cette grotte... Alors, j'aimerais que tu me dises le fond de ta pensée. Clairement, et sans retenue. Nous sommes tous sur le même bateau, et la moindre des choses me semble être que chacun puisse s'exprimer librement.

[Galathée]

Martin pinça les lèvres.
" A vrai dire, je n'ai ni envie de sortir, ni de rester. Je n'ai pas particulièrement envie de me trouver ici. J'avais simplement l'impression... qu'il était un peu tôt pour partir à l'aventure. Nous n'avons aucune idée de l'endroit où nous nous trouvons. Si nous abandonnons la grotte... nous pourrions errer des jours entiers dans le ventre de Mersant, nous perdre, peut-être nous noyer, ou tomber sur les pirates, qui doivent aussi avoir subi les bouleversements que les tremblements de terre ont occasionnés... Je n'en sais rien. J'ai peut-être l'espoir que l'armée luménienne va débarquer pour nous sauver, voilà tout. Mais je te suivrai. Tu es notre chef, je respecte ton autorité. Je ne me débinerai pas. De ça, tu n'as pas à t'inquiéter."

[Taliesin]

-Mais je ne m'inquiète pas, répondit l'elfe, tranquille. Et, pour parler franchement, je ne suis pas sans partager tes craintes et tes espoirs. Simplement... Si l'armée luménienne venait à débarquer, nous pourrions rester des jours sans le savoir, dans l'hypothèse où les pierres persisteraient à être silencieuse. Et nous ne pourrons découvrir où nous nous trouvons qu'en lançant des expéditions; En revanche, nous ne sommes pas à un jour près : nous pouvons très bien nous contenter, dans un premier temps, de reconnaissances entrecoupées de retours à la grotte. Le tout est que nous prenions les précautions pour ne pas nous trouver dépourvus, sans armes ou sans vivres, en cas de nouvelle secousse et d'éboulement nous empêchant de revenir en arrière.

[Galathée]

" J'imagine qu'on ne doit pas forcément prendre de décision ferme..." commença-t-il. " Ou peut-être, au contraire, cela rassurerait-il les troupes..."
Il secoua la tête et se frotta le visage des deux mains.
" Je suis heureux que tu sois le chef et pas moi. Je ne voudrais de ce genre de responsabilités pour rien au monde." ajouta-t-il avec un sourire mutin.

[Taliesin]

-Gare ! Je pourrais t'ordonner de me succéder. Et te menacer de nommer Victor ou Jehan, si tu ne te soumets pas...
Il termina son verre.
-Mais donc, partons sur de simples reconnaissances. C'est le plus prudent. Si j'ai interrompu celle d'aujourd'hui, c'est parce que nous étions un peu partis les mains dans les poches... Nous nous préparerons davantage, demain. Et nous aviserons dès que nous saurons mieux où nous sommes.
Il étouffa un bâillement.
-Allez, si tu veux te coucher, je ne te retiens pas. Merci de m'avoir parlé.

[Galathée]

Martin opina du chef puis sourit et se leva. Il souhaita la bonne nuit au barde, avant de gagner son lit, dans lequel il s'installa rapidement. Il faisait désormais sombre dans la caverne, et le silence n'était plus ponctué que par les respirations de ses compagnons et le chuintement de la lave dans l'âtre. Il ne restait que l'elfe et le golem, lequel était, il faut bien le dire, de marbre. Rumoc trônait toujours sur la table, visiblement indifférent, en tout cas muet.

[Taliesin]

Ah, Rumoc... Taliesin l'aurait imaginé plus bavard, au regard des premières heures de leur "collaboration". Mais après des éons de silence dans une caverne sans vie, la ceinture devait avoir l'impression de s'être énormément exprimée, et trouver son content de distraction dans l'animation de leur petit groupe...
La pensée fut chassée par l'autre, celle qui, désormais, risquait de le hanter en permanence. Heureusement pour le barde, il était réellement fatigué. Trop pour rester à réfléchir, solitaire. Alors, il se leva, gagna son lit.
Avant de s'endormir - ce qui arriva en quelques instants -, il prit cependant le soin de mettre sa dague et le pipeau sous son oreiller.
Prudence, encore...

[Galathée]

Et sans doute n'est-on jamais trop prudent quand on dort dans les ténèbres.

Taliesin fut réveillé par un cri perçant et un tumulte. Il ouvrit les yeux sur la nuit, car seul le trou de lave dispensait une lumière affaiblie, mais son regard d'elfe perça l'obscurité. Peut-être aurait-il préféré ne rien voir.
La caverne subissait l'assaut d'un groupe d'intrus. Deux étaient aux prises avec le golem mille pattes, mais un troisième l'avait déjà dépassé et se dirigeait vers les lits, lame sortie. Un quatrième surgissait du trou, suivi par un cinquième. C'étaient des pirates. Des elfes noirs. Et les humains n'y voyaient goutte.

[Taliesin]

Il ne perdit pas de temps à se demander s'il s'agissait d'un cauchemar où de la réalité.
Il ne perdit pas de temps, non plus, à se morigéner pour ne pas avoir demandé au golem de surveiller l'entrée nouvellement mise au jour.
Il agit.
Il aurait pu tenter de convoquer un élémentaire ; mais il se serait signalé aux assaillants comme une cible prioritaire, et la créature aurait sans doute été insuffisante pour renverser l'équilibre des forces. Non, l'élémentaire, il s'en chargerait plus tard.
Dans l'immédiat, il n'y avait qu'une chose à faire, une chose qui lui donnerait peut-être la marge de manoeuvre nécessaire pour jouer les miraculeuses demoiselles d'Eauprofonde.
Glissant la main sous son oreiller, il récupéra le pipeau, mais surtout sa dague.
L'instant suivant, après avoir pris une profonde inspiration, il bondissait, lame brandie, bien décidé à l'enfoncer entre les côtes du pirate le plus proche.
Avec un peu de chance, il bénéficierait de l'effet de surprise.

[Galathée]

Malheureusement, la distance entre l'ouverture et le lit de l'elfe était un trop grande pour qu'il puisse la franchir sans se faire repérer, d'autant que les cavernes étaient le terrain d'élection des drows. En le voyant bondir, deux d'entre eux lui firent face, lame sortie, rictus plutôt ravi. Ils échangèrent quelques paroles dans leur langue gutturale, puis se déployèrent autour de leur adversaire. Taliesin n'avait pas vraiment la liberté de surveiller le reste de la grotte, s'il ne voulait pas être pris au dépourvu par ceux qui venaient sur lui.

[Taliesin]

Sa manœuvre avait été remarquable en un point : on n'aurait pu imaginer échec plus complet, plus retentissant.
Il n'avait pas réussi à abattre le plus avancé des Drows.
Il se retrouvait à présent face à trois ennemis. Alors qu'il ne brandissait qu'une malheureuse dague.
Il était, plus que jamais, dans l'incapacité de jouer du pipeau, ou d'incanter.
Bref : c'était fini. Il avait laissé passer sa seule chance de renverser la situation.
Paradoxalement, ce n'est pas le désespoir qui le submergea. Mais un calme étrange, résigné.
Puisque tout était perdu, il n'avait pas à s'en faire. Bientôt, plus rien n'aurait d'importance.
Restait juste à opposer aux pirates un baroud d'honneur. Pour la beauté du geste.
-Golem ! cria-t-il. Renverse-les ! Écrabouille-les ! Le plus vite que tu peux !
Puis il recula jusqu'à son lit, saisit prestement son épée, déposée sur ses autres affaires. Il y avait le bâton de mage, aussi. Mais il était complètement inutile : il ne serait jamais capable de s'en servir, de se concentrer assez intensément, assez longtemps, pour mettre à profit les sortilèges que renfermait l'artefact...
Son épée, donc. Une lame contre trois.
Pour la beauté du geste.

[Galathée]

Le golem redoubla de frénésie, mais il n'avait qu'une gueule et même en se servant de son corps comme d'une arme, il ne pouvait attaquer que deux drows à la fois. Or, ceux-ci étaient six. Ils n'étaient plus que deux à venir vers Taliesin, les deux autres ayant décidé de s'occuper des humains aveuglés. Griselda s'était levée et brandissait son épée courte vers les ombres qui l'environnaient. Martin était debout, lui aussi, mais sans arme, et aux aguets, tentait d'anticiper ce qui venait dans sa direction : pour l'heure, rien du tout. Les deux enfants s'étaient regroupés sur le même lit, mais étaient paralysés. Un drow allait dans leur direction.
" Rappelle ta bête, ou nous vous massacrerons tous." siffla finalement l'un des assaillants à l'intention de Taliesin.

[Taliesin]

Lequel, aussi discrètement que possible, et autant que le lui permettaient ses adversaires, tentait également de se rapprocher des enfants.
-Allez vous faire foutre, lâcha-t-il. Vous nous massacrerez de toute façon. Alors ne comptez pas sur moi pour vous faciliter les choses.
On lui avait assez parlé de la réputation du Squale pour qu'il ne se laisse pas prendre. Il en avait assez vu, aussi, lors de son expédition en surface, avec Guéric...
IL était donc hors de question qu'il se rende.

[Galathée]

" Dommage." fit l'elfe noir, puis il lança quelque chose à ses comparses.
Taliesin ne put plus avancer vers les enfants : les deux drows qui lui faisaient face portèrent leur attaque. L'un et l'autre étaient armés de ces épées dentelées d'aspect lugubre que les Mersantais avaient récupéré sur le cadavre de leurs ennemis tombés sur la plage. Ils semblèrent cependant hésiter lorsqu'ils arrivèrent sur Taliesin, un peu comme s'ils ne savaient pas comment l'aborder. Mais lorsqu'ils réalisèrent que l'elfe avait du répondant, ils ne retinrent plus leurs coups.

[Taliesin]

Et lui non plus.
C'était son dernier combat. Sauf, bien sûr, s'il parvenait à triompher d'eux... Mais il n'avait pas la prétention de le croire.
Son dernier combat, donc. Alors, pas besoin de penser à un après : il n'était nécessaire ni de ménager ses forces, ni de contenir ses émotions.
S'abandonner à la frénésie du combat, simplement. Et espérer ne pas partir seul.

[Galathée]

Les deux hommes se contentèrent de parer les attaques du barde, puis l'un d'entre eux décrocha. Comme Taliesin l'avait supposé, s'ils n'étaient pas des guerriers à proprement parler, ils avaient l'habitude de se battre, et leur vision nocturne était bien supérieure à la sienne. La nuit, les grottes, étaient leur élément. Beaucoup plus que le pont d'un navire pirate, à n'en pas douter.
L'elfe ne pouvait pas réellement observer ce qui se passait autour de lui, car le moindre coup d'oeil aux enfants, au golem, aux autres, aurait certainement signé son arrêt de mort.
Mais il entendit le gémissement. Puis son adversaire bondit en arrière, lui laissant un instant de répit insoupçonné.
" Rends-toi ou je tue le gosse." fit la voix de l'elfe noir qui l'avait apostrophé plus tôt.
Il était debout entre les lits, Jehan serré contre sa poitrine, son épée contre la gorge de l'enfant. Victor était hors de vue, mais il pouvait simplement être à terre.

[Taliesin]

Le barde sentit son cœur se serrer.
Il avait toujours su que cet instant viendrait. Toujours. Et c'était pourquoi il avait tenu à ce que Victor demeure en arrière. Demeure en sécurité.
Bien sûr, ce n'était pas Victor qui était menacé, en l'instant. Mais son tour viendrait. S'il n'était déjà venu.
Foutus mômes, songea-t-il. Il a fallu que vous me suiviez...
Mais il n'était pas responsable de leur choix. Il ne l'avait pas voulu, ne l'avait pas encouragé.
Et il savait ce que feraient les pirates, s'il venait à se soumettre. Ce ne serait pas rendre un service aux enfants : le sursis qu'ils obtiendraient serait pire qu'un cauchemar.
N'en avaient-ils pas déjà parlé ? Avec Guéric, avec les autres ?
N'avaient-ils pas convenu qu'il vaudrait mieux être mort que capturé ?
Si le drow tuait Jehan, là, maintenant... Lui, au moins, serait tiré d'affaire, ne subirait plus de tourments.
Et puis...
Et puis il refusait d'être à nouveau capturé. A nouveau impuissant.
Il manquait défaillir à cette seule pensée.
La mort était mille fois préférable. Pour lui. Pour eux.
-Vous le tuerez de toute façon... haleta-t-il.
Mais, sans vraiment l'avoir décidé, il s'abstint de repartir au combat dans l'instant. Comme s'il attendait une réponse.
Un espoir...
Imbécile
Et ses doigts se serrèrent davantage sur la garde de son épée.
Puis se détendirent.
La lame résonna sur le sol de pierre.
Pardon pour ma faiblesse. Pardon pour ce qui suivra. Je n'ai pas pu...

[Galathée]

Le drow sourit et fit un signe de tête à l'homme qui se trouvait le plus près de Taliesin. Le second s'approcha, la lame toujours au clair. Jehan était livide, en larmes, mais il ne voyait rien de ce qui se jouait autour de lui. Le premier pirate attrapa Taliesin par le poignet gauche puis le fit pivoter pour lui ramener les mains dans le dos. Le chef de l'escouade fixait toujours le barde.
" Maintenant, rappelle la bête."
Derrière eux, deux des pirates étaient encore aux prises avec le golem.

[Taliesin]

Ses épaules s'affaissèrent.
Il avait fait son choix. Il devait l'assumer. Accepter les conséquences.
Boire le calice jusqu'à la lie.
-Golem, laisse-les tranquilles. dit-il d'une voix éteinte mais malgré tout audible.
Tout allait recommencer. Comme cet hiver.
La captivité. L'impuissance.
Tout.
Il manqua vomir.
Juste à cause d'un instant de faiblesse. D'une bouffée d'espoir fou.

[Galathée]

Une fois le golem neutralisé, il ne fallut pas longtemps aux drows pour se rendre maîtres de la caverne. Taliesin fut entravé et bâillonné en priorité : les elfes noirs avaient compris qu'il était le plus dangereux du lot. Martin et Griselda connurent le même sort. Le courtisan paraissait indemne, mais la jeune femme avait pris un coup au visage qui fonçait déjà. Ils furent allongés face contre terre, au centre de la caverne. Taliesin put cependant voir ce qui se déroulait autour d'eux : leurs agresseurs étaient finalement sept. L'un d'entre eux avait été grièvement blessé par le golem et geignait au sol. Après un conciliabule nerveux, celui qui semblait être leur chef l'égorgea. D'autres fouillaient leurs provisions et autres affaires, méthodiquement. Deux s'installèrent à table. Victor et Jehan étaient avec eux, pétrifiés de peur, mais toujours aussi aveugles. Leurs mains étaient libres, mais leurs chevilles liées. On leur donna des ordres. Mais ils n'y voyaient goutte. Au bout d'un moment, ils les attachèrent comme les adultes et ils furent à leur tour allongés sur le sol.

[Taliesin]

Ligoté, bâillonné.
Un retour aux bonnes vieilles habitudes.
Il se sentait déjà, inconsciemment, adopter cette position dans laquelle il s'était tenu des jours durant, au fond de cette caisse maudite. Pour souffrir le moins possible des crampes, de la morsure des cordes enfoncées dans la chair...
Et il fixait le sol, comme alors il avait fixé la planche qui le recouvrait. Il ne lui avait pas fallu longtemps avant de cesser de regarder les drows. Leur petit nombre suffisait à faire monter la rage en lui.
S'il avait été moins stupide, s'il avait été plus prudent, s'il avait disposé d'un peu plus de temps... Ils auraient pu triompher d'eux.
Encore une fois, il avait failli en tant que chef, Encore une fois...
Il avait cessé de les regarder. Et bientôt, il fit effort pour cesser de penser.
Si la chance, une fois n'est pas coutume, voulait bien lui sourire, peut-être parviendrait-il à retrouver cette hébétude où il était demeuré plongé durant son trajet vers les mines de Gargouille.
Ne rien voir. Ne rien entendre. Ne rien ressentir.

[Galathée]

Les drows ne tardèrent cependant pas à se ré-intéresser à leurs prisonniers. Le chef les fit asseoir contre un mur et les dévisagea, concentré. Il désigna finalement Victor et Martin et ses hommes les embarquèrent vers le bassin d'eau tiède, à une dizaine de mètres des autres prisonniers. Taliesin put suivre la suite des opérations : ils menacèrent le gosse tout en interrogeant le courtisan. Aucun coup ne fut porté. Martin demeura très calme. Il répondit à toutes leurs questions, sans se dérober. Non, ils ne savaient pas où se trouvait la sortie. Oui, il y en avait d'autres. Non, ils ne savaient pas où ils étaient, les tremblements de terre les avaient séparés.
Les gardes qui étaient restés avec Taliesin, Jehan et Griselda échangèrent quelques paroles, ils avaient l'air presque déçus que le sang n'ait pas coulé. Le chef fit ramener Victor et Martin, qui furent replacés près de leurs compagnons de misère.
" Dormez, à présent." finit par dire le chef drow, en langage commun. " Nous avons de la route à faire demain, et vous allez être chargés."