[Bâtiment] Chapelle de Helm et de Tyr

[Lothringen]

Lorsqu'il devint évident que le guerrier ne répondrait pas, l'inconnu reprit.

- Nous avons commencé à nous intéresser à vous quand nous vous avons vu apparaître dans l'entourage du Conseiller. Alors nous avons mené notre enquête, nous vous avons suivi. Imaginez notre surprise de vous voir vous intéresser de si près à ce qu'il se passe en ville, alors que vous n'y aviez manifestement jamais mis les pieds. Mais le meilleur moment a été de vous savoir entré au service de Torm. Tout en restant en contact avec Lothringen.

Il baissa la voix. Celle-ci, bien que toujours aussi calme, devenait plus sourde, plus menaçante.

- Le conseiller n'a pas fait mystère de ses opinions sur le culte tormite, ces derniers temps, pas plus que ce dernier n'a jamais porté dans son cœur la présence d'un tymoran au conseil. Alors, vu le contexte, il nous semble évident que vous tentez de faire le même métier que nous, bien que très maladroitement. Vous jouez un double jeu, messire. Reste à savoir d'où vous prenez vos ordres, et qui est la dupe.

[Mornagest]

Effectivement, ils semblaient bien renseignés. Du moins ne connaissaient-ils pas sa véritable identité, son passé... une seule personne, à Manost, savait. Ailleurs... ils le pensaient mort, et ne parlaient probablement plus de lui depuis longtemps, ce qui était pour le mieux. Mais sa situation actuelle ne se présentait pas très bien. Que lui voulaient-ils, à part lui extorquer des renseignements dont la richesse risquait de les frustrer, et les pousser à user de violence sur lui ? Il n'était qu'un pion, un sous-fifre... mais ils ne le croiraient sans doute pas. Pas avant de l'avoir torturé, battu, usé jusqu'à la corde, poussé jusque dans ses derniers retranchements, quand, au seuil de la mort, il répèterait une nouvelle fois qu'il ignorait presque tout de cette affaire dans laquelle il n'aurait jamais dû fourrer son nez, et qu'alors, peut-être, ils le croiraient... et abrègeraient enfin ses souffrances indescriptibles.

Mettant le holà à ces pensées désagréables qui lui donnaient vaguement la nausée, Mornagest se concentra à nouveau sur ses ravisseurs. Il devait leur répondre, sans quoi, leur patience risquait de fondre comme neige au soleil.

"On m'a demandé d'enquêter sur la mort d'un prêtre de Tyr. Je suis donc venu voir à la chapelle si je pouvais trouver quelque indice sur sa personne, savoir pourquoi quelqu'un pouvait désirer la disparition d'un membre du clergé."

Cela ne les satisferait certainement pas. D'autant qu'ils ne cherchaient sûrement pas à savoir ce qu'il fichait là. Ils devaient savoir qu'il était entré en contact avec du Plessis... une infiltration, dont c'était l'origine qui les intéressaient.

Instinctivement, il serra la mâchoire, s'attendant à recevoir un coup quelconque. Il n'avait pas perdu les bonnes habitudes mélandiennes, malgré son décès...

[Lothringen]

Il recula instinctivement la tête en entendant s'approcher et attendit encore, puis le coup vint enfin. Sous la forme d'un léger claquement sur la pommette. Une pichenette ?!

"Pas encore", commenta le moins bavard des deux d'un ton légèrement goguenard.

"Oui nous savons cela", reprit l'autre. "Et ce n'est pas là ce qui nous intéresse. Nous voulons savoir qui vous donne vos ordres, et en quoi ils consistent."

Après un silence, il poursuivit.

"Je ne vous donnerai pas d'autre occasion de parler librement, et comme nous n'avons pas de temps à perdre, nous risquons de recourir rapidement à des méthodes moins douces si vous ne coopérez pas. Réfléchissez-y."

[Mornagest]

La tension montait progressivement, mais Mornagest se prit à espérer qu'il ne s'agissait là que de menaces en l'air. Un coup de semonce bien trop léger pour qu'il soit sérieux. Craignaient-ils de le blesser ? Étaient-ils à la hauteur pour exécuter leur sentence ?

Il se refusa à leur révéler ce qu'il savait, même si c'était finalement bien peu. Que leur dirait-il ? Que Lothringen lui avait demandé de l'aide... et ensuite ? Il s'était aventuré du côté du temple de Torm, et c'était maintenant le paladin qui lui donnait les ordres... évidemment, cette version, pourtant réelle, ne semblait guère plaire aux deux inconnus. Mais il ne pouvait rien inventer : il ne connaissait personne, à Manost. Et ces deux butors semblaient en savoir long... suffisamment pour découvrir le pot-aux-roses s'il venait à se contredire.

Il faillit les provoquer, mais se retint juste à temps. Cependant, il ne put s'empêcher...

"Je ne sais rien de plus. Mais peut-être en savez-vous davantage que moi ? Cela m'intéresserait."

C'était presque vrai, au vu de son amnésie...

[Lothringen]

Son principal interlocuteur lâcha un soupir d'exaspération qui ne fit que confirmer Mornagest dans ce qu'il soupçonnait déjà : les deux hommes avaient compté que leurs menaces suffiraient, et ils ne voulaient pas le frapper. L'explication ne tarda pas à suivre. Sous forme d'ultimatum.

« Je vois. Voici la situation : vous travaillez pour l'un ou l'autre camp. C'est exactement notre cas. Si nous retardons de muscler l'interrogatoire, c'est uniquement parce que nous nous demandons si, d'aventure, vous ne seriez pas du même côté que nous sans que nous le sachions, ce qui ne serait pas impossible car on ne nous aurait pas forcément mis dans la confidence.

Mais les temps ne sont pas à la délicatesse excessive. Donc, pour mettre rapidement fin à ce petit jeu, je vous propose un dilemme amusant : choisissez l'allégeance sous laquelle vous souhaitez mourir. Si elle ne nous plait pas, nous nous débarrasserons de vous. Si vous ne dites rien, aussi. Si elle nous plaît, en revanche, nous vous libérerons et tâcherons de réparer ce mauvais accueil. Vous n'aurez droit qu'à une réponse, et nous ne vous ferons pas la conversation. »

L'inconnu comptait apparemment que, ayant une chance sur deux de se tromper, leur prisonnier choisirait de répondre la vérité afin de ne pas risquer de se perdre pour rien. Son calcul n'était valable que pour autant que Mornagest avait réellement une chance sur deux de se tromper, c'est-à-dire, absolument aucun moyen de savoir si lui et son acolyte travaillaient pour les Tormites ou pour le gouvernement manostien. Était-ce réellement le cas ? Du Plessis pouvait très bien avoir lui-même envoyé ces hommes l'attendre à la chapelle. Comme ce pouvaient être des agents du contre-espionnage manostien qui surveillaient de près toute personne approchant le conseiller. Les deux semblaient plausibles, malheureusement... Ils attendaient leur réponse.

[Mornagest]

Prendre une décision rapidement, voilà quelque chose qu'il détestait faire. Et pourtant, il n'avait plus guère de choix : ses ravisseurs avaient épuisé leur réserve de patience et de temps disponible pour "discuter" avec lui, ils devaient également agir et rapporter de leurs actes auprès de leurs supérieurs.

Mentir lui sauverait-il la vie ? Il en doutait : qui pourrait avoir le temps et les moyens nécessaires pour faire espionner un second, voire troisième couteau comme lui, excepté le gouvernement manostien ? Pourquoi les religieux auraient-ils des soupçons face à un simple exécutant, même s'il jouait un double jeu ?

Il devait se dépêcher de répondre, et, avec une certaine tension dans la voix, il finit par lâcher :

"Je travaille pour le compte du conseil manostien."

Son cœur bondit dans sa poitrine, pour reprendre ensuite un rythme presque normal. Mais il lui semblait l'entendre battre furieusement dans ses tempes. Il avait peur.

[Lothringen]

Un silence.

"Je préfère ça."

"Moi aussi. Si le conseiller est au courant de vos agissements, cela nous facilite grandement la tâche. Nous avons plus qu'assez de personnes à surveiller ces temps-ci."
"Je cours cherche confirmation", fit l'autre en s'éloignant.

Le premier lui retira néanmoins son bandeau : il se trouvait dans une salle nue, en sous-sol, à peine éclairée par un vasistas. En face de lui, l'un de ses ravisseurs, un homme long et mince équipé d'une rapière, esquissait un sourire en coin.

"Ravi de vous rencontrer, messire, s'il s'avère que nous sommes alliés. Nous faisons partie des Sentinelles de Helm. Désolé de l'accueil, mais par les temps qui courent, les traîtres et les espions sont partout... Je n'aurais pas aimé en trouver un si près de Lothringen."

[Mornagest]

De ce qu'il en savait, Mornagest était la dernière personne au monde à pouvoir et vouloir trahir Lothringen. Ces souvenirs fugaces, cette complicité passée, et qui allait peut-être revenir... tout cela, il le savait. Mais les détails... tout était si trouble lorsqu'il voulait en savoir plus.

"Je ne sais pas exactement ce que sont les Sentinelles d'Helm... la garde manostienne ? Les services secrets ?"

Il ne s'attendait pas précisément à recevoir des explications détaillées sur la chose, mais tant qu'à essayer... il nota avec un certain amusement le nom de l'organisation, pour protéger quelqu'un qui avait rejeté Helm à de nombreuses reprises, et qui vénérait Tymora, pour sa propre chance, d'ailleurs.

Et il se demanda soudain comment il savait cela. Fouillant ses souvenirs récents, il ne parvenait pas à se rappeler avoir eu ce genre de conversation avec le semi-drow. Et il revoyait une image, un avatar de la Dame de la Fortune...

[Lothringen]

"Les services secrets, en effet. L'Oeil qui voit tout ne dédaigne pas un coup de pouce mortel de temps à autres..."

Il se tourna de nouveau vers Mornagest, visiblement intrigué de cette concurrence inattendue. Puisqu'ils allaient devoir rester face à face jusqu'au retour de son collègue, autant mettre ce délai à profit.

"si j'ai bien compris, vous tentiez d'infiltrer les Tormites ? Vous avez pris de gros risques, messire, en revenant deux fois au même endroit sous deux identités différentes. D'autres que nous auraient pu remarquer cela, au Coeur Radieux... Mais, peut-être pouvons-nous nous aider mutuellement. Avez-vous trouvé quoi que ce soit d'utile sur eux ?"

[Mornagest]

Le guerrier rassembla ses souvenirs, mais ne pouvait en tirer de conclusion très probante. Aucune preuve quant à leur implication dans les événements récents.

"Ils semblent tirer profit de la situation, mais difficile de savoir si c'est par simple opportunisme, ou parce qu'ils ont eux-mêmes favorisé la crise actuelle. Ils m'ont envoyé enquêter sur le meurtre de ce prêtre tyrite, peut-être parce qu'ils ignorent tout de ce crime. Je pencherais plutôt pour une phase d'observation prudente, en attendant d'en savoir plus, et de voir comment tourner la situation à leur avantage. En succédant à la suprématie helmite ?"

La question resta en suspens. Il ignorait trop de choses sur la feue théocratie du Vigilant pour imaginer ce que cela pourrait impliquer réellement.

[Lothringen]

"Ah ça, tel est certainement leur rêve secret... Mais nous en sommes plutôt à nous demander s'ils n'ont pas un plan qui commencerait à se former. Leur récent visite privée au Haut Prélat, si peu de temps après la précédente, ne me dit rien qui vaille."

Il soupira. On pouvait ne pas être un helmite fervent et s'inquiéter néanmoins de la tournure des événements. Il y avait matière...

"Nous n'avons pas eu le temps d'enquêter davantage nous-mêmes sur la mort de ce prêtre de Tyr. A première vue, la nécessité de se cacher de la garde l'aura poussé à s'aventurer dans des quartiers qu'il connaissait mal, à une heure où l'on peut faire toutes sortes de rencontres. Je vous en dirai un peu plus quand mon confrère sera revenu."

Le second homme revint quelques temps plus tard. Il surgit de l'escalier sans qu'aucun bruit n'annonce sa venue...

"Je reviens du Palais des Murmures", commença-t-il d'une voix légèrement essoufflée. "Je n'ai pas pu rencontrer le conseiller, mais son assistant - Gerdold je crois - a bien voulu faire la commission. Apparemment il confirme pour votre mission, et m'a en outre confié ce pli pour vous."

Il tenait à la main une feuille de papier hâtivement pliée en huit et cachetée, sans aucun nom sur le dessus. Son collègue détachait déjà le guerrier, dont le premier réflexe pour masser ses poignets endoloris. Pas de doute, ces hommes-là savaient serrer leurs liens.

[Mornagest]

Un message de Lothringen ? Le savait-il présent en ces lieux, ou s'était-il préparé à lui laisser des indications en cas d'absence prolongée ? Toutes ces affaires à Manost, entre complots, espions et simili-trahisons commençaient à se faire inextricables. Quelle part le semi-drow avait-il dans tout ceci ? Cette police secrète devait bien recevoir ses ordres de quelqu'un. Bah, comment aurait-il pu savoir que c'était lui - ironie du sort - qui serait envoyé pour enquêter sur un meurtre ? N'empêche qu'il risquait sa vie, en se trompant de réponse...

Alors qu'il retrouvait peu à peu l'usage de ses mains endolories, Mornagest demanda :

"Puis-je ?"

[Lothringen]

L'espion lui tendit le pli en esquissant une moue d'excuse devant son aspect peu reluisant ; en effet, le papier était plié de travers, et Mornagest remarqua même que la cire du cachet était encore humide par endroits.

"Désolé, c'est pas très présentable. Le conseiller était en rendez-vous", expliqua l'autre. "Je suppose qu'il aura rédigé ça sur un coin de table, pendant que Gerdold lui expliquait votre cas à l'oreille..."

Un aperçu de la missive dépliée confirmait cette impression de hâte ; l'écriture fine et nerveuse de Lothringen courait d'une ligne à l'autre sans toujours s'arrêter pour corriger une lettre mal formée ou une tache d'encre. Le message était bref :

On vient de m'apprendre cette mésaventure qui aurait pu mal finir. Je te présente mes excuses, pour ce qu'elles valent. Ne blâme pas ces hommes pour autant ; ils ont fait ce qu'ils avaient à faire.

Je vais m'absenter bientôt - pas pour plus de deux jours je l'espère. Les éclaireurs annoncent des mouvements de troupes au départ de Melandis : je vais tenter de voir ce que vaut l'alliance luménienne.

Sois prudent. A toi,

Lothringen.

[Mornagest]

Il relut la missive, cherchant un éventuel message codé parmi les mots, mais il doutait qu'il en existât un : Melandis s'était préparée depuis un certain temps à l'affrontement, le début des hostilités paraissait bien choisi en ces temps troublés à Manost. Lothringen parlait d'une alliance... put-elle s'avérer fructueuse, car l'intimidation de deux armées pouvait peut-être suffire à calmer la soif de destruction que l'empereur semblait avoir inassouvissable.

Blâmer ses ravisseurs... à vrai dire, il n'y avait même pas songé. Il aurait probablement agi de même s'il s'était trouvé à leur place. Et les circonstances obligeaient à une prudence presque paranoïaque.

"Bon... vous me parliez de la mort de ce prêtre tyrite. Pensez-vous que cela un indice important dans toute cette affaire, ou... un incident de parcours, voire quelque chose de totalement indépendant ?", demanda-t-il en glissant le message dans sa tunique. Il préférait garder pour lui la teneur du message de Lothringen. Et espérait que les deux contre-espions ne l'interrogeraient pas à son propos.

[Lothringen]

S'ils étaient intrigués par le courrier que le guerrier venait de faire disparaître, les deux hommes étaient suffisamment professionnels pour ne pas poser de question. C'est à peine si une point de dépit perça dans la voix de celui qui lui répondit :

"Nous n'avons pas vraiment eu le temps d'approfondir cette enquête, mais il semble que le prêtre a été retrouvé à deux ruelles à peine de la demeure Jermieux, une famille de marchands tyrites ayant pignon sur rue et qui de plus fréquentait sa paroisse. Je suppose que c'est là qu'il comptait trouver refuge. Peut-être a-t-il simplement fait une mauvaise rencontre, ou peut-être est-ce une affaire d'ordre privé. Je ne pense pas que ce soit décisif pour ce qu'il se passe en ce moment, mais il n'empêche que dans le contexte actuel les soupçons sont prompts à se porter sur les prêtres de Helm ou de Torm. Personnellement, je ne crois pas vraiment à la thèse de la vengeance de clercs. Il a été tué au couteau, la gorge tranchée, ça ne leur ressemble pas. Vous devriez interroger les Jermieux."

[Mornagest]

Un assassinat crapuleux pour maquiller les pistes, ou un simple tire-laine qui s'était emballé lors qu'il échouait dans sa tâche de délestage de poches ? Il en saurait peut-être plus en allant voir ces Jermieux, mais il sentait que ses talents d'investigateur étaient plutôt nuls, au mieux. En témoignait la bosse qui ornait sa tempe, et qui l'élançait encore régulièrement.

"Un prêtre ayant des ennemis personnels, ce serait plutôt surprenant, mais il jouait peut-être un double jeu ? Enfin, j'en saurai sans doute plus en allant trouver ces Jermieux. Où habitent-ils, d'ailleurs ?"

Il était temps d'avancer. Rien n'indiquait que cette piste était en rapport avec les conflits religieux qui agitaient Manost, et s'il faisait chou-blanc, il aurait du travail pour retrouver le fil...

[Lothringen]

"Oh, ce n'est pas très loin d'ici, il vous suffirait de tourner deux fois à droite en sortant de la chapelle, ou mieux, de vous laisser guider par les effluves nauséabondes des tanneries... C'est une grande demeure de teinte orangée, située à un carrefour."

Ah, ils se trouvaient donc toujours dans la chapelle ? Quand il eut pris congé des deux espions, Mornagest eut tout loisir de le vérifier ; pendant tout le temps qu'avait duré son enlèvement, il se trouvait en réalité dans une cave liée aux quartiers des prêtres. Par acquis de conscience, une fois remonté, il voulut encore jeter un oeil sur les affaires des deux prêtres, mais il ne trouva pas grand chose. Des vêtements, des lettres personnelles. Il apprit ainsi que le tyrite avait un frère parieur invétéré et que l'helmite jouait les directeurs de conscience auprès de quelques vieilles grenouilles de bénitier. Rien de bien passionnant.