Premier thème

[Ailyn]

Je vais lancer aujourd'hui le premier thème sur lequel nous vous proposons d'écrire.

Le thème de ces vacances est :

L'imprévu

Je vous propose à la suite des phrases dont vous êtes libre de vous servir, ou de ne pas vous servir... Elles peuvent vous aider à trouver l'inspiration :

• Où vas-tu ?
• J'attends
• Il n'y a rien à faire
• Je ne veux pas rester ici
• La douceur de l'hiver a recouvert le monde d'un épais manteau blanc

Pour ce début un peu particulier, je vous proposerai un nouveau thème dans quinze jours.

A vos claviers !

Si vous avez des questions, n'hésitez pas à m'envoyer un Mp !

[missElder]

Première à écrire, soyez indulgents (j'espère que je ne dévie pas trop du thème...)

La porte s’ouvrit brutalement, et une silhouette féminine entra.
« Arod ! Où étais-tu passé ? Je te cherche depuis une demi-heure ! Mais ? Tu n’es pas encore en costume ? Par les Dieux, mais que fais-tu donc, mon garçon ? »
Elle s’arrêta pour reprendre son souffle, et le dénommé Arod leva les yeux vers elle, résigné. Il était brun et bien bâti, tout son être respirant l’intelligence et la maturité. Cependant, son regard était bien sombre, comme si quelque chose s’était fermé en lui.
« Oui, Mère, fit-il doucement. Je vous suis. »

Sa mère, Comtesse de son état, était aussi grande et blonde que son fils était petit, et son visage arborait un air décidé qui indiquait qu’elle n’avait guère l’habitude d’être contredite, ni même de rencontrer la moindre opposition à sa volonté.
Elle le happa par la main et l’entraîna à sa suite, tout en poursuivant ses reproches, sans attendre de réponse semblait-il.
« Enfin, cela fait des mois que tout est prévu, nous avons répété des milliers de fois ce qu’il te faudrait faire, le couturier t’attend, et toi tu lambines ? Ton père est follement impatient ! Le peuple est déjà sur la place depuis des heures ! »

Ils entrèrent dans une petite pièce où les attendait un petit homme, élégant malgré son grand âge. La comtesse se dirigea vers ce dernier tandis qu’un second homme, jusque-là assis sur un tabouret en face du petit homme, se leva brusquement en bousculant Arod. Celui-ci soupira.
« Bonjour, Maik », fit-il.
Ce dernier se retourna vers lui d’un air provocateur.
« Bonjour, grand frère, répondit-il, méprisant. Ou devrais-je dire Monseigneur ? »

Son frère le regarda tristement. « Maik, pourquoi faut-il que tu m’en veuilles ainsi ? Je n’ai pas choisi ce destin et tu le sais très bien. »
L’autre ricana. « Certes, mais il n’empêche que c’est ton destin, et c’est cela qui fait toute la différence. » Il lui fit une révérence ironique, et s’en fut.

Sa mère intervint sur ces entrefaites. « Quel dommage que ce soit lui le cadet ; j’en aurais fait de grandes choses. Mais ne te fais pas de souci, tu feras un excellent Comte toi aussi. »

Elle se tourna vers le vieil homme. « Je te laisse avec notre couturier ; tu connais déjà ta tenue. Une fois que tu seras habillé, rejoins-moi dans la grande salle, je t’ai préparé un discours parfait. Pour le reste, tu sais comment se déroulera la cérémonie, de toute manière c’est surtout ton père qui agira. »

Elle s’éloigna, laissant Arod seul avec le couturier, qui avait déjà sorti les vêtements préparés pour l’occasion. Rouge et bleue, aux armoiries du Comté, elle était splendide ; un col en V, tenu par des ficelles en plus pur poil de bison des steppes, mettrait parfaitement en valeur la musculature du jeune homme ainsi que le pendentif comtal qu’il allait bientôt revêtir.
Le vieil homme lui sourit en notant le regard admiratif d’Arod.
« Ah, messire, c’est pas tous les jours qu’on se fait introniser Héritier Officiel du Comté, pas vrai ? A partir de ce soir, votre destin est scellé, vous serez notre futur suzerain, gravé dans la roche, juré ! » Il fit mine de cracher à terre afin d’illustrer ses dires.

Arod répondit d’un air las : « Scellé, vous ne pourriez pas mieux dire… » Il soupira. « Joseph, pouvez-vous comprendre que je n’aie pas envie de devenir Comte ? Pas envie de devoir commander à tous ces gens, pas envie de passer ma vie entière à gouverner ? De renoncer à ma vie pour accomplir ce à quoi on m’a destiné ? »

Le vieil homme lui sourit à nouveau. « Oui, messire, mais vous savez, y a des avantages aussi ! Le nombre de belles princesses que vous pourrez rencontrer, si vous voyez ce que je veux dire, hé hé… » Il lui adressa un clin d’œil, mais cela sembla renforcer encore l’amertume du jeune homme, et Joseph redevint sérieux.
« Oh, allez, faites pas cette tête-là ! Si c’est gouverner qui vous embête, vous pourrez compter sur votre mère, elle vous laissera pas tomber, pour sûr ! Elle vous aidera à tout faire, y a pas de souci ! »

Arod ricana. « Pour le coup, Joseph, vous êtes parfaitement dans le vrai ! Je suis certain qu’elle a déjà prévu cela également… Comme toujours… »

Un domestique fit soudain irruption dans la salle.
« Messire, la Comtesse vous fait savoir que les pâtisseries sont arrivées, ainsi d’ailleurs que la pâtissière. Elle vous presse de vous vêtir, la cérémonie est à 15 heures précises et elle aimerait que vous soyez à ses côtés dans 3 minutes ; elle a déjà prévu votre discours, et votre père aimerait répéter avec vous les gestes rituels. »
Il s’inclina. « Ceci était le message dans sa totalité, je n’y ai rien ajouté qui provienne de ma propre personne ni qui déformât les propos qui me furent tenus », ajouta-t-il selon la formule consacrée.

Le jeune homme acquiesça lentement, avant de se redresser soudain. « Qui est arrivé ? »
Le domestique le regarda un instant sans comprendre, puis son visage s’illumina et il répéta : « Les pâtisseries sont arrivées, messire, ainsi que la pâtissière. »
Arod eut un sourire soudain. Il semblait comme transformé.
« Merci. Vous pourrez dire à ma mère que je serai bientôt prêt. »
Le domestique salua, et partit. Aussitôt Arod se tourna vers Joseph et s’exclama : « Mon bon Joseph, voici que mon destin se met à frémir ! Le vent du changement souffle sur lui ! »

Le couturier resta perplexe. Arod éclata de rire et le prit dans ses bras. « Adieu, mon bon ami ! Je te remercie de ton affection et de tes bons conseils ! »
Le vieil homme n’eut pas le temps de balbutier une réponse, que le jeune homme s’en allait déjà au pas de course.

Il parvint à l’écurie au moment où son frère en sortait. Ce dernier le foudroya du regard.
« Eh bien, toujours pas en tenue ? Tu vas finir par te mettre en retard par rapport au planning de Mère… »
Arod lui répondit joyeusement : « Oh, ne t’en fais pas pour Mère, je suis sûre qu’elle s’arrangera pour trouver quelqu’un pour porter cette tenue ! Tu devrais peut-être réviser tes ambitions pour ce soir, petit frère… »
« Que veux-tu dire ? » questionna Maik, qui ne saisissait pas la portée de ces paroles. Son frère lui adressa un sourire mystérieux et impénétrable, si bien que Maik abandonna la partie et s’en alla.

Arod scella alors deux chevaux, et héla un serviteur en lui donnant pour consigne d’aller chercher quelques affaires dans sa chambre et de les glisser dans la sacoche sous la selle d’un des animaux. « N’oubliez pas mon épée. Ensuite, apportez le cheval à l’entrée du château, voulez-vous ? Et ne traînez pas, surtout ! »

Sur ce, il se hissa sur le plus grand et le plus costaud des deux chevaux, et se dirigea vers l’entrée de la grande salle, accessible même à cheval.

Lorsqu’il entra, sa mère s’apprêtait à partir le chercher. Elle eut un hoquet de rage et de surprise en voyant sa tenue. Son père se leva, prêt à gronder, tandis que sa femme semblait se contenir à grand-peine.

Mais Arod ne prêtait attention ni à l’un, ni à l’autre. Son regard s’était fixé sur la pâtissière, une jolie jeune femme, brune, aux yeux d’un bleu limpide, dont le visage s’éclaira d’un grand sourire en l’apercevant.

La Comtesse s’écria : « Arod ! C’en est trop ! Enfin, nous avions tout décidé ! Tout ! Regarde ! » Elle lui montra un parchemin, couvert d’écritures. « Le plan de toute la cérémonie ! Regarde ! » Elle lut : « 14h15 : Arod est en tenue. 14h20 : Dernières répétitions ; mise en place du buffet pâtissier. »
Son époux posa une main sur son épaule pour la calmer. Elle le repoussa d’un geste impatient. « Sais-tu quelle heure il est ? Le sais-tu ? Le sais-tu seulement ? Je… »

Son fils l’interrompit calmement. « Mère, je ne reste pas ici. »

Il avança son cheval vers la pâtissière et la hissa derrière lui ; puis il lança son cheval vers la grande porte. Le Comte s’écria : « Où vas-tu ? »
« Nulle part ! », lui répondit son fils, goguenard.

Sa mère hurla de rage. « Reviens ! Ce n’est pas censé se passer ainsi ! Ce n’est pas ce que… Raaaaaah !» Elle attrapa un chou à la crème sur la table, et le lança en direction de la petite porte, qui s’ouvrait à l’instant sur Maik. Celui-ci se reçut la pâtisserie en plein face.

La comtesse le regarda alors, regarda son époux, regarda Maik à nouveau. « Bon. Nous avons un programme à respecter ! »

*****

Après avoir franchi l’enceinte du château, sous les regards médusés de la foule, et récupéré le deuxième cheval, sur lequel la pâtissière s’installa, les deux jeunes gens prirent la route joyeusement.

« Amélie, ne regrettes-tu rien ? » questionna Arod.
« Regretter quoi ? fit-elle en riant. Tu serais devenu Comte et je ne t’aurais jamais revu. Au contraire, je suis ici avec toi. C’est tout ce qui compte ! »
Le jeune homme rit à son tour, et ralentit leurs montures pour l’embrasser longuement.

Amélie repartit au galop, et il la poursuivit, amusé. De loin, elle lui cria :
« Où allons-nous ? »
« Je ne sais pas ! », lui cria-t-il en retour.
« Et que ferons-nous ? »
« Je ne sais pas ! » dit-il à nouveau.

Il la rattrapa enfin et la fixa, les yeux dans les yeux.
« Je ne sais pas, murmura-t-il, et c’est ça qui me plaît tant. »

FIN

[Smidge]

Pourquoi suis-je ici ? Je ne le sais pas vraiment moi-même. Un arôme envoûtant de nostalgie emplit lentement mon cœur, puis achève de guider mes pas. Il neige. Partout autour de moi, un millier de plumes immaculées aussi fragiles que délicates recouvrent le banc sur lequel je me trouve, tandis que la nuit tombante confère aux arbres tout autour l’allure de fantômes d’un autre temps, un temps que je pensais avoir oublié, mais qui hante encore aujourd’hui mon esprit.

La lumière colorée des enseignes se mêle aux flocons, leur prodiguant des reflets improbables. Une musique entraînante et insupportable retentit un peu plus loin d’un manège en bois. Noël approche. La joie se lit sur tous les visages, et se répand dans l’atmosphère comme quelques bulles de champagne s’échappent d’une coupe. Mais pas pour moi. Plus pour moi.



« Oh, je t’en prie, juste un tour ! », me supplia-elle.

Nous tenions chacun un chocolat brûlant dans un gobelet en plastique, d’où s’échappait une fumée épaisse et sucrée. Je la regardais, un sourire irrépressible aux lèvres, incapable de toute façon de résister à ses mimiques.

« Tu veux vraiment monter sur ce truc à cette heure-ci ? », insistai-je, à la fois agacé et amusé.

Que répondre à cette moue dépitée et à ces grands yeux suppliants ? Je soupirais en secouant lentement la tête, incapable de m’arrêter de sourire. Elle s’approcha soudainement de moi, m’enlaça les épaules, et m’embrassa au coin des lèvres.



C’était il y a si longtemps. Mais je n’ai pourtant rien oublié. Dix années se sont écoulées depuis ce jour. Dix années figées dans la glace, prisonnières de cette journée enneigée. Je laisse le froid m’envahir peu à peu, anesthésiant mes larmes et ma douleur. Une partie de moi hurle de m’enfuir, de respirer, de vivre à nouveau. Mais le simple souvenir de ce baiser la condamne à jamais au silence. J’ai froid. Terriblement froid. Mon corps ne réagit qu’à peine. Car je sais qu’elle se trouve avec moi, quelque part. Comme tous les ans. Depuis dix ans.



« − Allez, viens ! J’ai les orteils complètement congelés !, s’exclama-t-elle en foulant vigoureusement de ses bottes à fourrure les vestiges de la pelouse moribonde étouffée par l'hiver.
− J’arrive…, soupirai-je. Pars devant, je te rejoins. »

Elle me tendit son chocolat dont elle tira une dernière gorgée à la paille, puis fit quelques pas en arrière, sans me quitter des yeux.

« Pas de boule de neige ! », s’exclama-t-elle en riant.

Je la rassurais mollement, haussant les épaules d’un air innocent. Son visage abandonna un instant son sourire radieux pour arborer un sérieux inattendu. Elle me fixa profondément dans les yeux, silencieuse. Quelques flocons se déposèrent gracieusement sur une mèche de ses cheveux d’ébène, qu’elle laissa lentement glisser jusqu’à son visage.

« Je t’aime. »



Mon cœur bat au rythme de mes souvenirs, dans la parfaite indifférence du monde qui m’entoure. Tout était allé si vite. Une larme gelée glisse sur ma joue. Ma vie s’est brisée il y a dix ans. Pourquoi encore lutter ? J’attends. Il n’y a rien à faire. Il n’y a qu’à se souvenir… ou oublier. Mais je ne peux pas oublier.



J’entendis le son feutré de ses bottes sur la neige. Ses dernières paroles résonnaient encore en moi comme un écho sans fin, me rendant si fort et si faible à la fois. Son visage mutin rougi par le froid me gratifia d’un sourire inoubliable, et elle disparut en un instant derrière le bosquet recouvert de neige qui bordait le square. La musique du manège reprit de plus belle. Mon cœur battait la chamade, faisant trembler mon corps de tout son saoul. Je fermai les yeux, profondément serein.

Puis ce fut la panique. Soudaine, désordonnée, brute. Un avertisseur sonore retentit derrière les arbres. Un cri déchira les airs, suivi d’un crissement de pneus sur l’asphalte gelé. La surprise m’envahit l’espace d’une seconde, puis laissa sa place à une évidence implacable. Elle venait de m’ouvrir son cœur. Et je venais de la perdre.



J’ai froid. De plus en plus froid. Je ne sens qu’à peine mon visage, et mon corps m’a déjà abandonné depuis quelques temps déjà. La morsure de l’hiver est déjà sur moi, et va bientôt m’emporter avec elle. Ce jour voit naître et mourir le même rituel depuis dix ans, le même cycle sans fin de désespoir et de souvenirs.
Moi aussi je t’aimais. Et je t’aime encore. Mais je n’ai jamais pu te le dire. Le monde est en train de s’obscurcir lentement. Les sons s’atténuent, les lumières se tamisent. L’heure approche. L’heure de ce temps déréglé qui n’a de cesse de revenir en arrière. Encore quelques secondes. Je ferme les yeux. Cela fait dix ans, en ce moment même.

« C’est toi ? »

Qui ? Une voix. Une voix que je croyais presque avoir oubliée.

« Je me sens seule. Et j’ai froid. »

Elle est là. Il n’y a pas de doute possible. C’est elle. Son visage d’ange semble triste, et las. Mais cela n’a aucune importance. Une flamme d’espoir que je croyais à jamais perdue illumine soudainement mon cœur.

« − Où vas-tu ?, lancé-je tout à coup, en tendant une main vers elle.
− Je ne sais pas. Je ne veux pas rester ici. Tu viens avec moi ? »

Tout s’arrête, et tout renaît à nouveau. Le temps a fait brusquement marche arrière. Mes mains saisissent les siennes, et je la serre éperdument dans mes bras.

− Cela fait si longtemps que je voulais te le dire…
− Je sais, me coupe-t-elle. Tu as mis si longtemps à me rejoindre… »

Les battements de mon cœur cessent tout à coup. Tout s’éteint enfin. Le sourire aux lèvres.

[Zyl]

A mon tour ! Un petit truc aussi !

"Tout va bien ? Je peux m'asseoir ?"
Zoé leva les yeux, l'air renfrogné, et haussa mornement des sourcils pour signifier un accord. Du moins ce fut sûrement la conclusion à laquelle parvint l'homme, qui, sans se départir d'un sourire très pourvu en dents, tira à lui une chaise et s'installa, coudes sur le dossier et menton sur les bras, en face de la jeune fille.

Il aurait été faux de dire qu'un silence embarrassé s'installa entre eux, parce que les rires suraigus des danseuses pompettes, le vacarme incompréhensible des conversations et les palpitations graves de la sono, qui passait un morceau de techno quelconque, couvraient à eux trois tous les spectres sonores audibles par l'oreille humaine.
"Ouais." Fit Zoé, sans passion, après quelques secondes de flottement dans le vacarme ambiant. Peut-être en réponse, -en vraie réponse cette fois- tardive à l'homme, peut-être simplement pour meubler un peu le contact qui s'installait entre eux, bon gré mal gré.
Il la fixait. Il ne la dévisageait pas vraiment, mais il n'avait toujours pas cessé de sourire, ce qui embarrassait plus qu'un peu la jeune femme. Elle n'avait pas particulièrement envie de faire connaissance avec qui que ce soit ce soir. Mais puisqu'il s'était imposé, hé bien elle supposait que les conventions voulaient qu'ils entament au moins une conversation au lieu de se fixer avec des yeux de merlan frit.
Ce n'était pas que l'homme était laid, d'ailleurs, même si ce n'était pas son style. Elle n'était pas capable de lui donner un âge (elle le devinait plus vieux que ce qu'il apparaissait, ce qui rendait toute possibilité très vague), ce qui l'embêtait profondément, comme cela embêtait toujours ceux tout juste sortis de l'adolescence lorsqu'ils prenaient contact avec une nouvelle personne. Il donnait une impression de familiarité, sans que Zoé ne se souvienne l'avoir jamais vu au Nox. Il possédait des yeux d'un noir profond, très rare, des yeux d'abysse comme aurait sûrement dit, avec un air inspiré, sa mère passionnée de romans, à l'aspect vertigineux heureusement compensée par son sourire -sinon il l'aurait probablement inquiétée. Finalement, ce n'était peut-être pas si mal qu'il persiste à sourire comme un idiot. Il avait les joues plutôt creuses, un teint pâle -sans être maladif-, ivoirin et lisse, et des cheveux noirs coupés court, plus bourrés d'épis qu'un champ de blé mûr. Pour ce qui était des vêtements, il portait sur une chemise blanche un gilet blanc, et un coup d'œil furtif vers le sol lui révéla que son pantalon immaculé était de la même trempe. Cela lui donnait une allure qu'on pouvait classifier dans le "chic décontracté", qui détonnait pas mal avec le reste des clients et leurs manches courtes ou inexistantes de précaution, et qui ne plaisait pas particulièrement à la jeune femme, quoique Zoé eut une certaine admiration pour quelqu'un capable d'aller en boîte habillé du col aux ourlets en blanc sans craindre de finir maculé de sueur au mieux, ou repeint au cocktail renversé au pire.
"Tu t'ennuies un peu, non ?"
Fit l'homme d'une voix amicale.
Zoé n'avait pas envie d'être draguée (surtout par quelqu'un dont elle ignorait s'il avait vingt ou quarante ans !) ou même simplement invitée à danser. Elle se demandait pourquoi elle n'avait pas bêtement décidé d'ignorer ce type. Comme s'il avait lu ses pensées, il haussa les épaules au mieux que lui permettait sa position.
"Moi aussi, hein."
Il jeta un coup d'œil à sa montre de poignet -une assez jolie montre d'ailleurs, fine et en argent, gravée d'un petit "8" sur le pourtour, et d'un nom qu'elle oublia immédiatement-, puis, aussi rapidement, son regard nocturne revint croiser celui, toujours aussi banalement brun, fatigué et blasé, de Zoé.
"-Encore une petite dizaine de minutes, je dirais.
-Y'a un truc de prévu c'soir ?"
Elle chercha du regard un quelconque panneau indiquant le programme. A part celui qui spécifiait que le bar ne faisait pas crédit, elle ne trouva rien. L'homme se contenta de hocher de la tête.
"-Plus ou moins. Rien d'officiel, mais ça devrait être un peu plus vivant.
-Ouais..." Fit-elle, dubitative. S'il voulait lui faire des mystères, ça le concernait, qu'il joue dans son coin parce qu'elle n'avait pas envie de le relancer. Zoé n'était pas particulièrement crédule, et pour elle la soirée était déjà morte depuis une bonne heure. Depuis que Vita l'avait lâchée pour aller glousser au bras du seul mec à peu près potable de la soirée, en fait, songea Zoé avec humeur, en jetant un coup d'œil en coin aux deux concernés, qui partageaient pour l'heure ce qu'elle devinait être une sangria (probablement immonde, les cocktails du bar du Nox n'égalant leurs prix que par leur médiocrité).
"-Je te paie un verre, en attendant ?
-Non. Non merci, je veux dire. Ça va."
Elle lui adressa un sourire froid. Elle espérait vraiment que l'homme comprendrait son implicite "C'est gentil, mais tu m'intéresses pas, dégage, merci mon chou". Mais il se trouvait que les muscles du visage, bien que nombreux et complexes, ne communiquaient pas les choses avec autant de précision, aussi l'homme ne bougea t-il pas d'un iota de sa chaise, souriant toujours.
"-Bon, y'a quoi dans dix minutes ?
-Plutôt huit, maintenant.
-Ouais, ouais. Y'a quoi ?
-Un peu d'animation. Enfin, si on peut dire." Il désigna Vita d'un geste de la tête.
"-D'ailleurs ça va t'intéresser, ta copine va participer.
-Hu ?" Fit Zoé, avec autant de mollesse, mais il s'agissait cette fois d'une mollesse suspicieuse.
L'homme se contenta de sourire, ce qui la fit frissonner sans qu'elle ne puisse dire pourquoi.
"-Ça ne sera plus une surprise si je te dis. Un professionnel ne gâche jamais son numéro d'avance.
-T'es qui ? Tu fais partie du staff ?"
Il hocha la tête.
"On peut dire ça. Je travaille un peu partout. Hier, j'étais en maison de retraite. J'ai plein de demandes. Les boîtes dans ce genre, c'est plus rare, enfin pas autant que les maternelles, même si ça arrive."
Il éclata de rire. Zoé toussota un gloussement inintéressé, visiblement il venait de dire quelque chose de drôle.
"Donc t'es animateur."
Elle aurait dû s'en douter, avec son costume beaucoup trop propre, et son sourire d'affiche publicitaire. Il n'avait pas l'air de quelqu'un venu au Nox pour perdre trois kilos de sueur à danser et deux autres à vomir son minuit dans les toilettes à cause des cocktails infâmes.
Il se passa la main dans les cheveux, les ébouriffant encore plus qu'ils ne l'étaient déjà.
"Plus ou moins, oui."
Il restait vague, mais il n'était pas DJ, Zoé en avait la conviction. Probablement une sorte de clown, hein ? Un clown moderne, mais elle ne voyait pas ce qu'il y avait de plus admirable à être un comique en costume blanc récitant des blagues éculées qu'un crétin peinturluré d'un sourire idiot. Il avait probablement honte de son métier, en tout cas elle en aurait eu honte à sa place.
Zoé aurait bien été gentille et visiblement intéressée, mais elle n'en avait plus la patience. Elle lâcha donc, abrupte :
"-Ça doit être chiant, non ?
-Non, ça va. Je rencontre beaucoup de gens. Je vais partout. Qu'est-ce-que tu fais dans la vie ?
-J'essaie d'atteindre la gloire éternelle par mes talents de pianiste virtuose. Tu sais, le truc habituel. Mais comme ça, ça marche pas des masses, caissière, je suppose.
-Oh, ça va, caissière. Tu pourras devenir chef de rayon d'ici quelques dizaines d'années."
Elle lui lança un regard furieux. D'accord, elle l'avait peut-être cherché, mais d'habitude on lui disait plutôt "Je suis sûr que tu joues très bien, tu trouveras ton public !" ou autre stupidité aimable du genre. L'homme se contenta d'un petit sourire désagréable -en fait, il n'avait pas arrêté de sourire, mais cela horripilait Zoé de plus en plus-, et elle eut envie de le gifler.

Elle chercha du réconfort du côté de Vita, songeant avec une férocité sans honte qu'à ce moment précis, il lui serait très réconfortant de constater que sa trouvaille masculine l'avait lâchée pour quelqu'un d'autre et laissée stupidement accoudée au comptoir. Mais non, la jeune femme en était rendue à grignoter à poignées pleines un bol d'olives, en gloussant à n'en plus finir aux plaisanteries, sûrement aussi imbéciles que celles de n'importe quel comique, de son interlocuteur. Elle semblait avoir totalement oublié Zoé. Sa peau naturellement hâlée se couvrait maintenant du rose et de la brillance incidents à plus de dix minutes de rire forcé dans une atmosphère surchauffée. Elle se contentait de bouger la tête d'avant en arrière, dodelinant comme un chien en plastique à l'arrière d'une voiture, la main serrée autour du poignet de sa nouvelle trouvaille, de plus en plus rouge, la bouche béante sur un sourire, comme figée. Elle avait l'air d'une conne absolue. La trouvaille en question ne la regardait pas particulièrement, et souriait largement à ce qu'elle devina être son groupe d'ami, trois buveurs à une table deux mètres plus loin qui lui levèrent simultanément un pouce victorieux.
"Tu es certaine que tu ne veux pas un verre, Zoé ? Tu vas peut-être regretter..."
L'homme se releva, s'étira les épaules et sortit un billet de cinq de sa poche.
"Tiens, c'est pour toi." Il le lui fourra dans la main avant qu'elle n'ait eu le temps de protester. "Comme ça tu pourras prendre ce que tu veux sans craindre qu'un abominable violeur potentiel ne mette quoi que ce soit dans ta boisson. Hm, désolé, c'est de très mauvais goût."
Il eut un rire embarrassé. Elle le foudroya du regard, lui imposant le billet sous le nez.
"-Reprend ça.
-C'est pour me faire pardonner, allez. Garde ça, paie-toi ce que tu veux, évite juste les olives d'ici, elles n'en valent pas le coup.
-J'aime pas les olives. Et de toute façon-
-Brave fille. On se reverra, je n'ai pas envie que tu gardes une trop mauvaise idée de moi."
Il considéra avec un fatalisme désolé le visage dur de Zoé, qui murmura, sans le prononcer mais de manière très visible, "Aucune chance." entre ses dents. Elle retira cependant sa main et garda le billet. Après tout...



L'homme fit volte-face, et, à la grande surprise de Zoé, se dirigea vers Vita, qui était passé d'un rose léger à un écarlate bien senti, et qui oscillait d'avant en arrière de plus en plus fortement, pendant que le-seul-mec-bien-de-la-soirée, qui avait cessé d'ânonner des âneries, la regardait avec des yeux ronds. Lui, il avait plutôt tendance à pâlir, nota la jeune femme avec une perplexité croissante.
Il sembla à Zoé que la musique avait faibli, non, qu'elle s'était tue, et que les clients avaient fait de même, se jetant des regards (dont la subtilité interrogative variait selon leur taux d'alcoolémie) les uns aux autres pendant que Vita, proche de se fracasser le crâne sur le comptoir à force de balancer, continuait de s'étrangler dans un manque total d'étiquette de la soirée réussie.
Et puis l'homme en blanc saisit le poignet de Vita avec douceur. Celle-ci leva son visage congestionné vers le sourire plein de dents qui venait la sauver, et, tomba, avec un lourd et bruyant soulagement ponctué par un ultime gargouillis, dans ses bras, alors que la scène autour d'eux gelait. Avec une tendresse paternelle, il posa deux doigts blancs sur son front, passa la main sur sa gorge inerte puis sur ses lèvres, et enfin la lâcha complètement, la laissa tomber à terre, aux pieds des grands sièges de bar.

Puis il s'en fut, tournant une dernière fois vers Zoé le sourire pétrifié et les yeux creux dont elle connaissait désormais la nature, tapotant à son adresse la montre à son poignet, comme pour lui faire remontrance du peu de temps qu'il lui restait.

[Streen]

Interessant ce topic, je me lance moi aussi.



-Messieurs et mesdames, bienvenue à la banque. Que le premier arrivé s'approche.
Londres 8h30, c'est l'heure de l'ouverture quotidienne d'une banque. Dehors, le soleil peinait à se lever. Dans la banque, la première personne tel un automate, l'air indifférent, se dirigea à la rencontre de l'employé. Y a t 'il quelque chose à signaler? Rien d'anormal à première vue. Une journée banale débutait et pourtant...


La journée commenca sans grand incident. La première personne visiblement ne connaissait pas son numéro de compte, ce qui s'avérait gênant lorsqu'elle devait encaisser un chèque. Derrière celle-ci, la file d'attente s'accumulait petit à petit. Une seule personne passa devant tout le monde et se dirigea vers les plaquettes annoncant les différentes offres de la banque. Il s'agissait d'un jeune homme banal, le regard aussi sérieux et automatisé que les autres clients. Il s'assit sur la table qui servait de support aux plaquettes. Rien de bien important à signaler sur ce point également. Peu après, survint une jeune femme qui se dirigea aussi vers les plaquettes. Son pas normal et son allure banale ne méritait pas plus d'attention.


-Excusez moi... fit la jeune femme.
L'homme sortit brusquement de sa lecture, jetant regard surpris vers la jeune femme.
-Puis je m'asseoir moi aussi?
Bien que la table soit assez grande pour deux, l'homme prenait toute la place.
-Non fit il d'un ton neutre. Je suis client ici et j'ai le droit de disposer de mon aise comme je le souhaite.
-C'est une remarque très subtile dit la femme. Le problème est que je suis aussi cliente ici.
-Ha oui? Alors est ce que vous pouvez me dire pourquoi je ne vous ai jamais vu ici? Je viens tous les jours pourtant.
-Hé vous? Est ce que vous pouvez me réveler pourquoi je ne vous ai jamais vu ici? Moi aussi je viens tous les jours.
Les deux protagonistes se fixèrent du regard jusqu'à ce que l'homme capitule.
-Bon très bien dit il en se décalant, asseyez vous à coté.
La jeune femme ne se fit pas prier.
Puis les choses reprirent leur cours.


Au bout d'un moment, l'homme se tourna vers le femme et lui demanda.
-Qu'est ce que vous lisez?
La femme sortit de sa lecture surprise mais se reprit.
-Les offres publicitaires de la banque concernant la construction de maisons.
-Vous vous apprêtez à construire une maison?
-Oui et j'aimerais savoir si des offres seraient avantageuses pour moi. Et vous?
-Je lis les offres concernant l'equipe de football d'Arsenal. Il paraît qu'en achetant la carte bancaire de cette équipe de football, on peut assister gratuitement à cinq matchs de championnat de football.
-Vous êtes fan de football?
-En effet, je regarde tous les matchs de football à la télévision.
Ils se fixèrent à nouveau puis ils reprirent leur lecture.


Au bout d'un autre moment, ce fut au tour de la femme d'engager la conversation:
-Que faîtes vous dans la vie?
Il sortit de sa lecture surpris.
-Je suis animateur dans un centre de loisirs. Et vous?
-Je suis auxiliaire de puériculture.
-Et votre mari?
-Je n'en ai pas.
-Je suis désolé de cette remarque.
-Ce n'est rien. Et votre femme?
-Moi aussi je suis seul.
-Je suis désolée
-Ce n'est rien.
Ils se fixèrent à nouveau mais se lançèrent un léger sourire avant de reprendre leur activité.


A nouveau, l'homme rompit le silence.
-Vous êtes libre ce soir?
Elle sortit de sa lecture avant de répondre.
-Bien entendu pourquoi?
-Que diriez vous d'un rendez-vous au restaurant?
La femme réfléchit et dit:
-Pourquoi pas.
L'homme sourit.
-Génial, à quelle heure nous voyons nous?
-A huit heures si vous le souhaitez.
Cette fois, ils se lancèrent un clin d'oeil avant de se replonger dans leur lecture.


La femme commenca plus tard à soupirer d'impatience.
-Ceci est ridicule fit elle.
L'homme laissa tomber la plaquette publicitaire à terre.
-Vous avez raison répondit il, tout ceci est ridicule.
-Nous sommes là pour la même chose n'est ce pas?
-En effet.
-Et aucun de nous deux ne renoncera?
-Je ne crois pas.
-Alors allons-y ensemble, il est temps de passez aux actes.
-On ne peut être plus d'accord. Cessons les bavardages et passons aux actes.
Dans un bel ensemble, ils sortirent chacun révolver qui étaient cachés dans leur manteau avant de se tourner vers les autres personnes et crier:
-HAUT LES MAINS! CECI EST UN HOLD-UP!

[Lothringen]

Je voudrais que tu reviennes. Je m'ennuie tant. Toi seul savais donner du piment aux idées noires. Tu aurais su inventer une transhumance dans une colonie de fourmis, une constellation dans les éclats de peinture du plafond. Avec toi les chambres ne sont jamais, ni froides, ni nues, et la conversation ne tarit pas, pas plus que le silence n'embarrasse. Avec toi la solitude n'existe plus, il y a toujours matière à débattre, dans le respect de l'autre et de sa nature intrinsèquement différente. Tu sais donner de la profondeur aux phrases les plus banales, des causes et des effets aux situations les plus dépourvues d'intérêt. Avec toi même les barreaux des fenêtres ont quelque chose à dire, et tu sais toujours quoi leur répondre. Avec toi, je me sens fort. Et à l'inverse, sans ta compagnie, je ne suis rien, je meurs : sans même avoir la présence d'esprit de me défendre, je me recroqueville, je m'atrophie.


Je ne sais plus vraiment pourquoi tout a échoué, pourquoi la fêlure s'est transformée en faille et la faille en abysses, ni même pourquoi, ce matin-là, nous avons commencé à ne plus nous parler. Tu me disais que j'étais trop naïf, je crois. Que je cherchais toujours chez les autres ce qu'ils avaient de meilleur sans chercher à comprendre le pire de leurs desseins. Que je n'avais aucun instinct de survie, que j'ouvrais ma porte au grand méchant loup, que je tendais la joue gauche, la droite, et les verges en bonus. Que j'étais un danger pour moi-même et pour toi. A t'entendre, je nous mettais tellement en péril que nous finirions par nous perdre. Mais n'est-ce pas toi qui a précipité tout cela en refusant de me parler ? J'ai beau me repasser sans cesse tes propos en mémoire je ne comprends toujours pas ce que tu me reproches. J'ai essayé, pourtant, promis ! Ce n'est pas le temps qui m'a manqué pour le faire.


Faisais-tu allusion à cette histoire avec Elsa ? Elle était jolie avec ses boucles brunes interminables, mais tu la trouvais un peu envahissante, n'est-ce pas ? Elle ne pensait pourtant pas à mal. Je la revois encore, prenant son café sur la terrasse de ce troquet, le jour de notre rencontre. Cette façon qu'elle avait de sourire de toutes ses dents. Je voyais le sourire, tu voyais la couleur brune du café sur les dents ; je voyais son impressionnante chevelure de lionne, tu décelais les pellicules dans un fouillis capillaire en friche. Là où je voyais une jolie femme vive et enjouée, tu ne voyais qu'une quadragénaire aux abois prête à tout pour parvenir à ses fins, une cougar croisée avec une mante religieuse. Nous avons toujours vu différemment : c'était pour nous, en même temps qu'un jeu, une identité, une raison d'être. C'était en tout cas une répartition des rôles idéale pour tout le monde et elle nous avait toujours convenue.


Mais Elsa s'est immiscée entre nous peu à peu, insensiblement – tu aurais plutôt dit : sournoisement, consciencieusement, insidieusement, je pense. Au début c'était presque imperceptible. Des petites réflexions : « arrête de parler ainsi », « ça ne me plaît pas que tu dises ça. » Elle ne t'aimait pas. Elle aurait bien voulu nous séparer. Elle a même été jusqu'à dire que j'étais mieux sans toi. Sans toi, mon équilibre, ma lumière ! Était-elle jalouse ? Je pense qu'elle ne comprenait pas vraiment ce lien entre nous. Elle te traitait comme un étranger, un importun. Toi, en revanche, tu l'as rapidement prise en grippe, cette femme qui se mêlait de nous comme si elle en avait le droit. J'ai peur que tu m'en veuilles de l'avoir suivie. J'essayais seulement de nous sortir de ce tête à tête à huis clos. C'est peut-être cela que tu ne m'as pas pardonné, d'ailleurs. Cette exhibition. Ce racolage.


Puis tu es effectivement parti. Ou plutôt, non, tu t'es effacé. Ta voix se faisait de plus en plus lointaine, de plus en plus rare, et je devais l'écouter moins aussi. Nos rencontres étaient froides et Elsa a pris le reste - avant de me larguer, comme tu l'avais prédit. Et voilà où cela m'a conduit : dans une pièce froide et vide avec les murs pour public.


Je voudrais que tu reviennes. Je veux t'entendre me traiter d'imbécile à ta façon bien à toi, me dire :
« triple crétin tête à claque, tu n'en as pas fini de geindre sur toi-même ? Tu t'apitoies sur ton sort, tu me tournes le dos, tu ne fais rien, et en prime j'ai droit aux reproches ! Tu es fier de ta naïveté, sans doute ? Ça t'offre comme une virginité morale qui se recoud quotidiennement, tu trouves ça commode de m'accuser, de me rejeter, ça te laisse dans ton petit confort bien tranquille avec ta conscience au chaud dans la ouate? Et moi, pendant ce temps ? Qu'est-ce que je deviens pendant ce temps ? Tu t'en moques, tant que tu peux parler, c'est ça ? » Ah, je brûle, n'est-ce pas ? Je croirais presque t'entendre. Et que dirais-tu d'autre ? Voyons : « Oh, et cesse de faire semblant de me parler, je ne suis pas là, et tu le sais très bien ! Et tu ne me remplaceras pas ! » En effet, je ne te remplacerai pas. Je ne veux pas parler à ta place. Loin de moi une ambition aussi absurde : ce serait faire les questions et les réponses, monologuer ; ça n'aurait aucun sens. Au contraire, je veux que tu restes comme tu es : autre. Imprévisible.


Je voudrais seulement que tu reviennes, et peu importe que les hommes en blanc soient d'un avis contraire.

[Althéa]

[Allez, je me lance]

Dehors, il neige …

Esperluettes glacées tombant de la nuit électrique. Quiétude glacée qui a recouvert le monde. Étouffant les sons et les pas.

J'attends que tu te réveilles. Et t'observe. Ce petit nez retroussé. Cette petite bouche renfermant cette petite dent qui pousse. Petite bouche d'où sortent des sons débutants. Grands yeux clos qui s'ouvrent sur le monde. Tu m'émerveilles et m'émeus à loisir.

Et tu souris dans ton sommeil.

Où t'en vas-tu derrière tes paupières fermées ? Quels rêves abritent tes yeux clos ? Rêves de douceur et de lait. De découvertes. Tu es un mystère. Le mystère. Mon mystère. Chaque jour, tu m'apprivoises. Tu m'enrubannes. M'habille de couleurs de fêtes. Doux hasard de la génétique qui a fait que c'était toi. J'ai marqué de fils d'or le jour de notre rencontre. Petit être de lumière. Petit ange. Par toi, je renais autrement.

Je ne m'attendais pas à toi.

Dehors il neige …

Et tu souris.

[Garfield]

[L'expérience sur le thème 2 m'ayant assez amusé, je me suis lancé sur le thème 1]

« Mesdames et messieurs, veuillez nous excuser. En raison d’un accident de personne à la station Saint-Jacques, nous allons devoir stationner pour une durée indéterminée.»

Le conducteur même ne semblait savoir à quoi s’en tenir, ce qui était mauvais signe. Les autres voyageurs semblaient-en avoir prit leur parti, blasés. Comprenaient-ils seulement ? Comprenaient-ils l’angoisse qui semblait serrer son nœud de cravate à mesure que les précieuses secondes défilaient ?

Bien sûr que non. Ils ne savaient pas ce que c’était que de passer trente-six minutes la veille du jour-J à choisir une cravate. Non, ils n’imaginaient pas le temps passé au bureau de poste à photocopier son CV, encore et encore jusqu’à ce que l’alignement soit parfait. Non, ils n’imaginaient pas la nuit sans sommeil précédent cet accident de personne. Ils ne voyaient que leur trajet quotidien interrompu, pas sa détresse tandis que sa dernière chance s’envole.

Lentement, cependant, le métro se remit en marche. Mais il était trop tard et peut-être les autres voyageurs avaient-ils remarqué la larme qui coulait sur la joue de l’homme à la cravate soigneusement choisie et aux CV bien centrés. Il devait descendre. Plusieurs stations passèrent. Il se leva à l’une d’entre elle, au hasard, et quitta prestement la rame. Il ne savait pas exactement où il était, mais il voyait la Seine au coin de la rue.

« Ca va aller monsieur ? Ca va faire presque une heure que vous n’avez pas bougé… » Le sympathique cafetier avait observé l’homme engoncé dans son costume depuis son arrivée sur le pont. Qu’il ne saute pas, pitié. Il lui offrit un café à sa terrasse, que l’homme terne accepta d’un grand sourire. A peine attablé, il se mit à parler au cafetier de ses projets d’avenir : quitter la capitale, envoyer valser ses habitudes, l’air pur, la campagne, libre, lui.

Et pourtant, le petit homme névrosé continuait de nettoyer d’invisibles grains de sucre sur la table alors qu’il parlait de liberté et de spontanéité. Le cafetier commençait à regretter sa gentillesse. Mais l’homme à la mine anxieuse abrégea son malaise en se levant et le remerciant. Il avait affaire pour préparer son départ.

Bienheureux accident de métro ! Hasard salvateur qui brise la monotonie d’une vie. Le petit homme tout en sueur fut soudain pris de fantaisie, décidant de dénouer sa cravate et de rentrer en Velib’. Oui, là vie allait être belle et il pourrait décider de son avenir. Il irait à la campagne, près d’une rivière large et calme comme la Seine qu’il avait observée plus tôt. Il n’aurait plus à se soucier de cravates et d’alignement de photocopies comme il l’avait fait toute sa vie.

Et c’est ainsi que l’homme aux cheveux huileux arriva au pied de son immeuble dont il monta les marches quatre à quatre. Sous la porte de son petit deux-pièces gisait le courrier du jour : une quittance de loyer, l’échéancier pour l’électricité et la facture de la maison de retraite pour sa mère.

Et c’est ainsi que l’homme au visage fermé déposa précautionneusement sur un dossier de chaise la cravate qu’il devrait porter à cet autre entretien d’embauche demain, qu’il classa le courrier dans ses classeurs à factures, et qu’il recommença à nettoyer d’invisibles miettes sur la nappe cirée de sa table de cuisine.