[Lieu] Mersant

[Taliesin]

Taliesin ferma les yeux. Les interrogations de Victor étaient légitimes, certes, mais il ne pouvait s'empêcher de regretter que ce bref moment de chaleur et de lumière soit assombri par de telles discussions. Avant même que ne reviennent les ténèbres des cavernes, voilà que s'avançaient celles de l'avenir.
Car celui-ci promettait d'être peu réjouissant, même dans le cas où le Squale ne serait plus que de l'histoire ancienne. La Liberté aurait probablement été détruite, que ce soit par les pirates ou à cause des tremblements de terre. Si elle était intacte, il était probable qu'il serait impossible de déblayer le port avant longtemps. Et même si la chose était moins ardue que prévu... Qui resterait-il pour la conduire à bon port ?
Non, en l'instant, l'elfe n'avait pas envie de penser à l'avenir. Mais il ne pouvait rester silencieux, malheureusement... Aussi prit-il une profonde inspiration avant de se lancer :
-J'irai à Mélandis, oui. Peut-être sera-t-il nécessaire de suivre les Luméniens jusque sur Hélonna, ne serait-ce que pour ramener dans leur famille Jehan et Benoît (Benoît.. Valaellyn, l'autre groupe... encore une pensée angoissante qui lui serrait le cœur). Mais ensuite...
...si bien sûr les Luméniens ne me jettent pas en prison à cause de ma lettre d'aveux à Longuehune, songea-t-il sans bien sûr le dire.
-...Ensuite, je trouverai un moyen d'aller à Mélandis. Coûte que coûte. C'est là qu'est Galathée. Elle souffre alors qu'elle n'a rien mérité de tel. Ni elle... ni toi n'avez mérité ce qui vous arrive. Tout est de ma faute. Alors j'irai là-bas pour la sauver. Je dois... réparer le mal que j'ai causé.
Il eut un triste sourire, s'efforça de prendre un ton un peu moins altéré.
-Et quand bien même n'aurais-je rien à me reprocher... Qui abandonnerait celle ou celui qu'il aime à pareil destin ? Personne, à moins d'être un monstre.

[Galathée]

Victor parut sur le point d'ajouter quelque chose, puis se ravisa. Il préféra décocher un sourire encourageant au barde.
" Je suis sûr que tu la trouveras." dit-il finalement. " Si quelqu'un doit la trouver, ça ne peut être que toi."
Son regard s'égara un instant dans le feu, puis il secoua la tête.
" Ça me fait penser... Griselda."
Il jeta un coup d'oeil sombre à l'endroit d'où Martin allait revenir sous peu.
" Griselda, avant qu'ils ne l'emmènent... Elle a dit... qu'il ne fallait pas faire confiance à Gauthier. Ou quelque chose comme ça. Elle n'a pas pu expliquer plus parce qu'elle est partie ensuite, mais... Il me semble qu'elle a dit ça. Ou alors j'ai mal compris. C'est dommage que je ne peux pas demander à Jehan."

[Taliesin]

Le barde, qui s'était remis à décortiquer son crabe, interrompit aussitôt son minutieux labeur.
-Et merde... grommela-t-il. Elle avait déjà dit quelque chose de similaire, là fois où elle s'était brièvement réveillée... Elle avait évoqué Gauthier et Greta, ajouté "Il ne faut pas", "Ils ne doivent pas", si je me souviens bien, puis "Mélandis", avant de conclure "Tu dois le dire...". Elle avait l'air d'y attacher beaucoup d'importance. Malheureusement, elle s'est évanouie juste après.
Il soupira.
-J'en avais discuté avec Guéric qui ne voyait pas à quoi il était question. Et après... J'ai complètement oublié cet incident, je n'en ai jamais touché mot à Griselda quand elle est revenue à elle...
Décidément, il n'en manquait pas une. C'était affligeant.
-Je vais m'en souvenir, cette fois, reprit-il. Je demanderai à Jehan quand il se réveillera. Et si nous croisons Gauthier... Rumoc pourra nous aider à tirer tout ça au clair, si nous n'avons pas eu d'autres informations d'ici là.

[Galathée]

Victor acquiesça, les bras autour des genoux, puis son regard se voila, perdu sans doute dans une pensée ou un souvenir. Il le reposa sur le feu tandis que Martin réapparaissait avec le second drow, auquel il fournissait les mêmes mises en garde avant de se camper dans son dos, l'épée à la main.
Taliesin eut l'impression que la lumière de l'élémentaire était moins forte, même si sa chaleur demeurait réconfortante. Martin poussa un profond bâillement.
" Après ce gueuleton, il m'est avis que nous devrions tous dormir un maximum. Même si la surface n'est plus loin... Je suis épuisé, personnellement. Et je pense que nous le sommes tous. Nous devrions peut-être profiter de cet endroit pour reprendre des forces. La mer peut nous nourrir, le bassin nous abreuver. Quelle que soit la situation en surface... Ce ne serait peut-être pas du luxe."

[Taliesin]

-Tu as raison. Pour le côté "reprenons des forces avant la sortie" comme pour celui "finis de manger et file au lit" ! Mais puisque j'ai déjà dormi un peu il n'y a pas si longtemps, alors que toi, tu as trimé sans t'arrêter, tu pourras te reposer en premier : je monterai la garde.
Il avait fini de décortiquer son crabe et avait déjà avalé une ou deux bouchées. Mais il en laissa la majeure partie à qui voudrait la prendre : il n'avait plus faim. Les thèmes douloureux précédemment évoqués lui avaient coupé l'appétit, de la même manière qu'ils avaient brisé le charme décalé de leur repas.
-Je vais chercher de l'eau, puis j'essaierai de faire manger et boire Jehan, dit-il en se levant, la carapace à la main. J'ai peur que notre ami élémentaire ne reste plus très longtemps parmi nous...

[Galathée]

" Tu devrais dormir aussi. Tu n'as eu quelques heures, d'après ton empressement à filer à ma poursuite ! Rumoc peut monter la garde."
" Et si j'ai envie de dormir ?"
" Tu n'as pas besoin de dormir, tu es une ceinture."
" Ah oui, tiens."
Victor gloussa.
" Mais tu as raison pour Jehan."
Il jeta un oeil à l'enfant étendu près du feu, mais n'ajouta rien.

[Taliesin]

Taliesin se pencha et, après lui avoir mentalement demandé la permission, apporta Rumoc à Martin.
-Pour le cas où la lumière s'éteindrait subitement... souffla-t-il à son oreille.
Il s'en fut ensuite remplir d'eau sa carapace de crabe et rejoignit Jehan. S'agenouillant, il passa un bras sous le dos du gamin et, doucement, le redressa. De sa main libre, il entreprit alors de le faire boire, priant les dieux pour que la chose soit possible. Il n'osait même pas imaginer les conséquences, dans le cas contraire.

[Galathée]

Mais l'eau ruissela davantage sur les joues de l'enfant que dans sa bouche. Peut-être le barde parvint-il à lui en faire ingurgiter quelque peu, mais c'était difficile à dire. Il n'entendit en tout cas de réflexe ni de toux, ni de déglutition. Jehan était parfaitement inerte, sa respiration à peine détectable sur sa poitrine froide, les battements de son coeur infimes, réduits au galop lointain d'un cheval minuscule.
Martin avait redisparu dans l'ombre, ramenant le drow à ses liens. Sans doute en profiterait-il pour surveiller que leurs deux prisonniers ne pourraient se délivrer pendant les heures de sommeil.
Victor était toujours immobile, près du feu. Il ne prêtait pas attention aux gestes de l'elfe, fixant les flammes, pensif ou déjà presque endormi.

[Taliesin]

Doucement, tout doucement, l'elfe posa la carapace vide sur le sol et allongea Jehan. Puis il ferma les yeux, poussa un profond soupir.
Non seulement la présence de l'élémentaire avait été impuissante à réchauffer le petit garçon (par contraste, il semblait encore plus glacé qu'auparavant), mais voilà qu'il avait échoué à le faire boire. Alors le faire manger, n'en parlons pas : il n'osait même pas essayer.
Il ne lui restait que deux solutions : interroger le drow et le pousser à parler par tous les moyens, si d'aventure il savait quelque chose (Rumoc pourrait l'éclairer sur ce point), ou attendre de retrouver Valaellyn (elle était clerc, après tout). Malheureusement, que ce soit l'une ou l'autre de ces possibilités, il fallait un bel optimisme et beaucoup d'espoir pour s'y raccrocher. Or, en l'instant, Taliesin ne se sentait ni optimiste, ni plein d'espoir. C'était même tout le contraire.
Il ne pensait pas droit. La discussion avec Victor, la fatigue, son échec retentissant et la disparition prochaine de l'élémentaire s'alliaient pour le pousser vers le plus complet découragement. Il fallait qu'il dorme, qu'il reprenne forces et aplomb. Au réveil, les choses lui paraîtraient peut-être moins désespérées...
Sauf si Jehann était mort entretemps, bien sûr...
Il frissonna.

[Galathée]

Lorsque Martin reparut, il commença à se rhabiller et Victor l'imita presque mécaniquement. L'heure tournait et il était probable que l'élémentaire n'en avait plus que pour quelques minutes. Le visage des deux humains, l'adulte comme l'enfant, reflétait que leurs pensées étaient ailleurs ou peut-être simplement absentes.
Une fois vêtu, Victor se coucha en boule sur le sol et poussa un bref soupir. Martin s'assit en tailleur, s'étira puis bâilla. Son regard revint alors seulement sur Taliesin.
" Le premier réveillé prépare le petit déjeuner !" lança-t-il avant de s'allonger à son tour.

[Taliesin]

-Ça marche ! répondit le barde avec un entrain simulé sans grande conviction et en se demandant bien ce qu'il y aurait à faire, en matière de préparatifs...
Sur ces mots, il rhabilla Jehan, se vêtit lui-même, puis s'étendit près de l'enfant inconscient. Espérer le réchauffer était une chimère, mais le tenter malgré tout l'aidait un tout petit peu à combattre son pénible sentiment d'impuissance.
Malgré ses craintes, malgré ses noires pensées, le sommeil l'emporta rapidement, magnanime, l'arrachant à la réalité sinistre avant que ne disparaisse l'élémentaire. C'était tant mieux : il aurait eu bien plus de mal à s'endormir dans le froid et les ténèbres. Il y aurait vu un affreux écho à son état d'esprit...

[Galathée]

Taliesin s'éveilla dix ans plus tard. Ou peut-être mille. Quand il émergea dans les ténèbres grisées de la grotte, bercées par le roulis tranquille de la mer sous leurs pieds, il eut l'impression de quitter un sommeil de marbre, de s'arracher à une gangue de glace, d'avoir le poids du monde sur les épaules. Ou peut-être était-il simplement vaseux.
Autour de lui, les respirations monotones de ses compagnons rebondissaient sur les parois de pierre humide. Jehan contre lui, inerte. Victor un peu plus loin. Un drow sur la gauche, un autre sur la droite. Martin, sur le dos, à quelques mètres. Souffles. Le silence était à la fois mort et habité.

[Taliesin]

C'était bien sa veine, tiens : il avait fallu qu'il soit le premier à se réveiller, qu'il se retrouve seul dans le noir glacé...
Son premier réflexe fut de tenter de se rendormir, mais il échoua lamentablement : trop froid pour cela. Trop mal à l'aise, aussi. Alors, après un soupir, il décida de s'activer un peu : il allait vérifié si le cas de Jehan n'avait pas empiré, irait prendre Rumoc afin de lui demander (mentalement, pour ne pas réveiller les chanceux qui dormaient encore) si rien de particulier ne s'était produit. Ensuite, il aviserait : peut-être tenterait-il de pêcher ? Mais ce n'était pas forcément une bonne idée : mieux valait, sans doute, attendre encore un peu avant de convoquer à nouveau l'élémentaire pour une séance de cuisson et de chauffage.

[Galathée]

Jehan était pareil à ce qu'il avait été ces dernières heures : inerte, glacé, vivant. Il ne réagit pas lorsque Taliesin le toucha, prisonnier de son sommeil de pierre. Il n'offrit ni espoir, ni nouvelles inquiétudes au barde.
Rumoc n'avait rien à raconter non plus. Martin dormait comme une souche bienheureuse. Victor avait fait un cauchemar sans s'éveiller, un peu plus tôt. Les drows n'avaient pas bougé, pas essayé de communiquer, non plus. Le plus vindicatif des deux avait grommelé à voix basse pendant plusieurs minutes avant de s'endormir, sans doute des imprécations et des promesses de vengeance, mais la ceinture ne pouvait le jurer. Le second avait tenté de trouver une position plus confortable pour dormir, avait renoncé, mais s'était quand même livré aux limbes de l'oubli. De la manière dont Taliesin avait passé ses heures de repos, il ne dit rien.

[Taliesin]

Taliesin, après lui avoir une nouvelle fois demandé fort diplomatiquement la permission, attacha Rumoc autour de sa taille. La solitude et le silence ne le tentaient pas du tout, et la présence d'un être éveillé était en quelque sorte une bénédiction dont il comptait bien profiter.
Deux possibilités s'offrent à nous, dit-il en son for intérieur. Nous pouvons essayer de regarnir notre garde manger au détriment de la faune aquatique, mais je ne pense pas convoquer l'élémentaire dès le réveil des autres, et il vaut peut-être mieux ne pas pêcher de manière trop rapprochée si l'on ne veut pas effaroucher la poiscaille. Nous pouvons aussi aller réveiller notre drow râleur pour lui demander s'il a dit toute la vérité à propos de Jehan : grâce à toi, nous verrons très vite s'il nous mène en bateau... Mais, en bavardant tranquillement avec lui, nous risquons de tirer Victor et Martin de leur bienheureux sommeil...
Il jeta un regard envieux à ses compagnons.
Alors, qu'est-ce qui te tente le plus ?

[Galathée]

Sans vouloir te vexer, Taliesin, car je sais que tu es un être plein de richesses, et en dépit de ma préférence personnelle, je pense qu'il vaut mieux, pour ton égo, que nous allions discuter avec les drows. La parole, c'est ton domaine. Le poisson, c'est celui de Martin. Je ne pense pas que tu arriverais à grand chose d'autre qu'à secouer ta main dans l'eau de mer. Peut-être même qu'un requin viendrait te la gober. Tout ça pour dire que... Même si l'idée me désespère rien qu'à la formuler en silence dans ton crâne... Nous avons plus de chance de faire avouer un elfe noir que d'attraper une sardine. Excuse-moi pour ma franchise. Mais c'est aussi mon domaine.

[Taliesin]

Hey, je ne suis pas un si mauvais pêcheur ! protesta l'elfe, feignant l'indignation. J'ai grandi en pleine cambrousse : si mes parents adoptifs, des forestiers, s'y entendaient surtout en matière de chasse, ils n'étaient pas novices en l'art d'attraper du poisson. Ils ont appris la technique à tous leurs enfants et quand nous allions à la rivière, avec mes frères et sœurs, ce n'était pas toujours uniquement pour nous baigner : il n'était pas rare que nous soyons chargés de rapporter le repas !
Il eut un sourire nostalgique à l'évocation de ces souvenirs lumineux. Puis il revint au présent, aux ténèbres.
Bon, après, c'est vrai qu'à une ou deux exceptions près, je n'ai plus pêché depuis des décennies... Je vais donc me ranger à ton sage avis.
L'instant suivant, Taliesin ceignait son épée, rejoignait le drow endormi et le secouait par l'épaule, sans douceur mais sans brutalité inutile.
-Debout, Krenlyn, souffla-t-il. Nous avons à parler.

[Galathée]

Le drow se serait probablement volontiers mis debout, mais Martin l'avait attaché de manière à ce que cela soit impossible, rivant ses poignets à ses chevilles dans une position des plus inconfortables. Une grosse stalactite l'empêchait de ramper vers une issue, de surcroît. Aussi la mine qu'il leva sur le barde reflétait-elle une franche hostilité, ainsi qu'une grande fatigue.
" Qu'est-ce que tu veux ?" grommela-t-il sans tenter de lui être agréable.

[Taliesin]

En réponse, une fois n'est pas coutume, le barde alla droit au but et ne se fendit d'aucune fioriture verbale :
-Je veux te parler du gamin que ta prêtresse a vidé de son énergie. Nous en avons déjà discuté, certes, mais je voudrais m'assurer que tu m'aies bien tout dit. Alors, est-ce réellement vrai qu'il n'y a rien à faire pour lui ? Qu'on ne peut rien entreprendre pour l'arracher à son état ?
Il faillit ajouter qu'il valait mieux pour le drow ne pas mentir, mais il s'abstint. Rumoc décèlerait le mensonge, s'il y en avait un. Et si c'était le cas... La conversation monterait d'un ton.

[Galathée]

Krenlyn eut un sourire mauvais.
" Ce que je sais, je ne te le révélerai que lorsque je serai libre, à la surface."
C'est vague, ça, songea Rumoc, embarrassé.

[Taliesin]

-Me prendrais-tu pour un imbécile ? lâcha le barde, rendant au drow un sourire de la même nature. Quand tu seras libre, tu fileras loin de moi, sans tarder et sans rien me révéler. A moins, bien sûr, que tu n'essaies aussitôt de m'assassiner.
Son regard se fit dur.
-Mais procédons dans l'ordre. Tu vas répondre franchement et sans détour à ma question : connais-tu réellement un moyen de sauver le petit ?

[Galathée]

Le drow sourit.
" Non. Et je te l'ai déjà dit. Mais tu ne sembles pas pouvoir le croire, n'est-ce pas ? Nous, drows, sommes économes. Mais nous n'avons que rarement besoin de la puissance que cette technique nous confère. Et nos esclaves servent à ça, à être utilisés. Usés. Sacrifiés. Nous les élevons. Aucun ne devient vieux et inutile. Et si une tribu vient à manquer de chair fraîche, nous allons rafler ce dont nous avons besoin chez nos voisins des profondeurs... ou au dehors. Et c'est pour cela que la nation drow est grande et florissante et qu'elle s'étend sous toutes les terres de Toril. Sans ce soleil détestable, nous serions déjà maîtres de votre monde."

[Taliesin]

Taliesin ne releva pas les dernières phrases du drow : il n'avait que faire de ses vantardises. En revanche, il avait trop bien entendu ses premiers mots, et il se sentit gagné par une nouvelle vague de découragement.
Ment-il lorsqu'il dit ne connaître aucun moyen de sauver le petit ? demanda-t-il malgré tout à Rumoc, sans grand espoir.

[Galathée]

Il ne ment pas, dit simplement Rumoc. Il est même intimement persuadé de chacun des mots qu'il a prononcés, pour dire vrai. Cela ne veut pas dire qu'il ne connait pas de moyen, cela dit... Mais alors, c'est à son insu.
Face à l'elfe, le drow demeurait bravache, le scrutant de ses yeux rouges.

[Taliesin]

Et comment arrache-ton à quelqu'un des informations qu'il connaît à son insu ? songea le barde, amer et déprimé.
Il s'efforça cependant de demeurer impassible et s'adressa au drow d'un ton glacial :
-En tant que représentant de cette race à nulle autre pareille, tu dois posséder, outre une force incroyable et des talents extraordinaires, une mémoire et une intelligence hors du commun. Aussi, si tu décides d'y avoir recours, je suis sûr que tu te souviendras de "traitements" qui, s'ils n'ont pas été prévus pour ce cas précis, pourraient malgré tout être tentés. N'as-tu pas été au service d'une puissante prêtresse ? Tu as dû en voir, des prodiges !
Son ton se fit plus tranchant que le fil d'une épée.
-Oui, je suis sûr que tu trouveras quelque chose. En tout cas, je l'espère pour toi. Car si le garçon meurt, tu meurs aussi. Et avant que cette triste fin ne survienne, il n'est pas impossible que, las de voir l'enfant dans cet état, nous décidions de t'encourager à réfléchir en... te montrant les modestes talents dont peuvent faire preuve humains et elfes en matière de... comment dire... "chirurgie artistique", voilà. Je pense que tu vois de quoi je veux parler.

[Galathée]

Le drow ne se laissa pas démonter et son sourire s'élargit.
" Je serai curieux de voir ce dont tu es capable." siffla-t-il. " Mais je ne crains pas tes menaces. Libre à toi d'assouvir tes penchants pervers si cela te chante. Je n'ai rien à te dire. Tu devrais l'accepter plutôt que de caresser cet espoir ridicule."

[Taliesin]

-Désolé, mais l'espoir ridicule, c'est ma spécialité, répondit-il du tac au tac. J'ai bien essayé de me débarrasser de cette vieille habitude mais elle est revenue, plus tenace que jamais.
Il se redressa.
-N'oublie pas ce que je t'ai dit, et creuse-toi la cervelle. En plus, ça t'occupera ! Ah, et ne te fie pas aux apparences : je suis peut-être plus pervers que j'en ai l'air. Beaucoup plus... Bref, à toi de voir si tu tiens à la vie et à ton intégrité physique ou si tu préfères devenir l'œuvre d'art d'un barde dégénéré qui a déjà horrifié toute une cité par ses atrocités.
Il se détourna, prêt à aller s'assoir dans un coin de la caverne. En matière d'espoir, il avait atteint ses limites, au moins temporairement. Et comme les autres - il les jalousait sans réserve - dormaient encore à poings fermés, comme il n'avait par ailleurs rien à faire d'autre que ruminer ses noires pensées, il était bon pour un long moment de déprime.

[Galathée]

Le drow ne relança pas la conversation et Taliesin eut donc tout le loisir d'aller s'installer à l'écart pour broyer les ténèbres qui régnaient dans son esprit. Martin respirait avec la tranquillité de ceux qui s'abandonnent au sommeil. Victor était plus agité mais le barde put constater qu'il dormait toujours. Cependant, l'elfe n'était pas réellement seul.
Je peux sentir la surface, fit Rumoc dans son esprit. Nous sommes proches. Au niveau de la mer. Cette île n'est pas si haute, dans mon souvenir. Enfin, tout ça est flou dans ma mémoire... Peut-être devrions-nous essayer de percer le sol ici-même, et nous enfuir par la mer... Si proches du but ! Mais d'un autre côté, je n'adore pas l'eau salée. Elle abime terriblement mon cuir. Je ne voudrais pas finir à l'état de boucle toute couverte de rouille.

[Taliesin]

Si tout se passe bien, nous embarquerons sur de bons gros bateaux et tu n'auras pas à craindre d'être mouillé. Pour le reste... Creuser me semble une mauvaise idée : nous n'avons que nos mains et quand bien même y parviendrions-nous, ce serait fort peu discret. Mieux vaut explorer les galeries voisines pour voir si certaines débouchent à l'air libre, puis faire des repérages pour découvrir ce qui se passe dehors. Si les Luméniens sont arrivés, nous pourrons pousser un énorme soupir de soulagement. S'ils ne sont pas là... Nous serons bons pour attendre encore dans les ténèbres.
Il soupira - mais non de soulagement, évidemment.
Dans tous les cas, promis, je t'emmènerai avec moi lors de ma première sortie. Tu pourras ainsi revoir le soleil... ou le ciel étoilé.

[Galathée]

Je croyais avoir entendu parler de radeaux fragiles sur la mer déchaînée, songea Rumoc. Mais je te remercie de tes égards. Cependant, si tu voulais être magnanime, tu me confierais à l'un des humains. Ils ont autrement plus besoin de moi que toi. Je pourrai toujours te servir de révèle-coeur si nécessaire...
Quelqu'un bâilla sur leur gauche et Martin se redressa sur son séant. Il sembla chercher quelque chose dans le noir et s'arrêta, le regard plus ou moins dirigé vers Taliesin.
" Taliesin ?" chuchota-t-il. " C'est toi... J'espère."