[Guilde] La Vierge d'Argent

[Dhast]

- Nan... mais on sait jamais. Faut y aller, savez. J'ai tout c'qu'i' faut dans l'sac. Puis on va avoir du r'tard.

Tout en parlant Brus s'était levé et avait remis le sac sur ses épaules. Son regard s'attarda sur le visage rougi de la bretteuse.

- J'sais pas quoi vous dire moi m'dame Althéa. M'dame Elissa non plus savait pas quoi dire. Faut pas m'convaincre de faire que'qu'chose, j'vais avec vous c'est tout vu, j'vais pas vous laisser tomber, puis z'aurez b'soin d'moi hein? Pour porter l'sac au moins... Sans blague m'dame Althéa, vous v'nez?

[Althéa]

Quête : là où meurent les neiges éternelles

L'émotion avait manqué la refaire pleurer mais elle se retint à temps. Brus venait, sans rien demander alors que la piste était plus qu'incertaine et infiniment dangereuse. Mais il était là, tout simplement.

Elle se promit de veiller sur lui, de faire en sorte que si l'aventure tournait mal qu'il puisse au moins s'en sortir.

"Alors, il va nous falloir des vêtements chauds. Pour ça, je sais où il y en a. Oh, ils ne seront pas forcèment à notre taille, mais l'important, c'est qu'ils soient chauds ... Suis-moi."

Et elle l'entraîna chez Thom Méryllim.

[Dhast]

Depuis les portes, Brus avait traversé pas mal de ruelles et quelques grandes places. L'ambiance délétère qui régnait à présent dans la ville contrastait avec celle d'avant leur départ. Il n'avait rien perdu de ses habitudes et prêta oreille à tous les bruits qui couraient, la mort de Helm, les émeutes, et bien d'autres rumeurs hyperboliques, toujours différentes. Au coin d'une rue [évènement aléatoire n°54] un mendiant lui demanda une pièce. Brus lui en lâcha une avant de remarquer qu'auparavant il n'avait vu que très peu de mendiants dans les rues de Manost, les temples prenant souvent en charge les sans-abris grâce aux donations. Elissa lui en dirait certainement plus sur la situation et bientôt la Vierge d'Argent apparut devant lui. Il laissa traîner un dernier coup d'oeil dans la rue puis entra. Il salua Delcia, derrière son comptoir, puis après avoir fait un brin de causette avec elle il demanda à voir Elissa.

[Lothringen]

La tenancière de l'herboristerie le couva d'un long regard entendu, fait d'indulgence et de goguenardise.

"Hum, tu es certain d'être impatient de vivre ça, mon mignon ? Je te laisse imaginer l'humeur d'Elissa, quand on a constaté ta disparition. On avait beau se répéter que tu avais dû rejoindre l'expédition et qu'Althéa et Oriane veilleraient sur toi, on se faisait un sang d'encre ici. Ce dont Elissa ne conviendra jamais, bien sûr. A mon avis, tu verras surtout le côté "colère de Kelemvor, juteuse, à point." Tu te rends compte que cette expédition était sans doute la mission la plus périlleuse de ces derniers mois ? Encore heureux que tu en sois revenu entier..."

[Dhast]

Brus haussa les épaules en entendant la réplique de Delcia. Il avait espéré, assez présomptueusement, que son retour serait bien accueilli mais l'herboriste venait de mettre en avant quelques arguments de poids qui faisaient plutôt pencher la balance du côté d'une beuglante, voire d'une mandale, que d'un sourire. Il se gratta la tête et prit un air un peu ennuyé.

- Ben cachez vot' joie... Faut bien que j'lui dise qu'j'suis d'retour en même temps. Plus j'attends, plus ç'va être douloureux, 'voyez? Là, j'viens, elle s'ra surprise, bouche bée hein! Eh! j'suis rev'nu d'la mission la plus dang'reuse d'ces derniers mois comme vous dites, j'sais c'que j'fais, pour sûr!

C'était un mensonge éhonté, d'une part parce qu'il était peu probable qu'Elissa reste sans voix, bien au contraire, et d'autre part parce que la raclée qu'il allait justement se prendre vaudrait bien toutes les crasses qu'ils avaient eues depuis leur départ, mais Brus ne pouvait se permettre de perdre la face devant la belle et moqueuse Delcia. Aussi prit-il son courage à deux mains et fixa-t-il Delcia en essayant de prendre un air assuré.

[Elissa Keens]

Delcia obtempéra donc en haussant les épaules, disparaissant derrière le comptoir sur un "tu tiendras la boutique..." désinvolte. Heureusement pour Brus, aucun client ne poussa la porte tandis qu'il demeurait seul dans l'herboristerie. Il entendit discuter à l'étage, quelques paroles rapidement échangées - puis on dévala l'escalier quatre à quatre, et soudain, la moinesse se campait là, dans l'encadrement de la porte, un peu essoufflée. Elle regarda Brus avec un air de soulagement qui s'effaça bien vite.

"Althéa ? Oriane ?"

Derrière elle, Delcia confirma qu'elles étaient elles aussi rentrées saines et sauves.

"Ah ? Bon, bon... Alors elles t'envoient nous faire le rapport, hein ? J'en ai un aussi pour toi, de la part de ta maîtresse de guilde."

Et le gratifia d'une gifle vigoureuse qui manqua de le faire tomber en arrière. Puis elle lui fit signe de la suivre dans l'un des bureaux de la guilde. Ce n'est que quand Brus eut à son tour passé la porte qu'elle lui adressa de nouveau la parole.

"Un bon agent c'est aussi quelqu'un qui sait respecter les ordres, et qui comprend quand une mission dépasse ses compétences. Tu aurais dû y rester, tu sais ? Ne confonds pas ta chance avec du mérite."

Elle s'assit dans un fauteuil et posa sa joue sur son poing, l'air d'attendre.

"Alors, ce rapport ?"

[Dhast]

Brus ne la vit pas venir, et même après, lorsqu'ils furent seuls dans le bureau, son sang battait toujours ses tempes tant la mandale avait été violente. La moinesse avait pris un ton exceptionnellement dur, qui fit mesurer à Brus la gravité de son acte et qui l'inonda d'un sentiment de culpabilité honteux. Aussi lorsqu'elle l'interrogea sans plus de préambule sur son rapport le jeune voleur eut quelques secondes d'hésitation. Il prononça avec une petite voix :

- Bah ça, pour autant qu'je sache, la mission 'l'air réussie. C't-à-dire, tout le monde est rentré, Eroeh, l'type qu'les helmites cherchaient, aussi.

Brus enchaîna ensuite avec un peu plus d'assurance sur les détails de leur aventure, il fit de son mieux pour n'omettre aucun détail et se garda bien de faire le clown : le passage par les égouts, la rencontre avec les brigands, sa blessure qui avait permis de constater la perte de pouvoirs des helmites, leur arrivée à Dernek, la première rencontre avec les mages zhents, le vieux Alduriel et sa tour, les combats, la découverte d'Eroeh, le retour en tonneaux tandis que Corwin Balder ramenait le dernier Zhent à Dernek, il glissa ici qu'il n'avait pas de nouvelles du vieux prêtre et qu'il lui était impossible de dire s'il était rentré ou non, et pour finir leur arrivée aux portes. Il indiqua qu'Althéa avait décidé de continuer à accompagner Eroeh tandis qu'Oriane était partie de son côté. Quand il eut fini, il attendit en silence la réaction de la maîtresse de guilde.

[Elissa Keens]

Elissa avait écouté attentivement le récit du jeune voleur. Mission accomplie, donc. Les trois membres de la guilde qu'elle avait "prêtés" à l'expédition officielle étaient de retour indemnes, un bon point. Même si la mort de Helm semblait rendre l'effort tout à fait inutile... Mais sait-on jamais ? Le Grand Emissaire mystérieusement absent, les helmites ne seraient peut-être pas fâchés d'avoir un chef...

"Donc les Zhents continuent de chercher à nous affaiblir par tous les moyens, et ils se sont probablement acoquinés avec les mélandiens. Vu leur passage à Cyric, c'est pas une surprise, mais va falloir se méfier. Le Zhentarim a une plus longue expérience que nous en matière d'espionnage, d'assassinats et de sabotages en tout genre. D'ailleurs c'est à ça qu'on s'occupe, depuis quelques semaines : assister les Sentinelles dans le contre-espionnage... La guilde est déserte, du coup."

Réflexion pour elle-même plus que pour Brus. Elle songea aussi qu'il allait falloir avertir Lothringen et en discuter un peu avec lui. Puis reporta son attention sur le garçon.

"Dis-moi, tu dois être épuisé par tout ce voyage ?"

Elle sourit.

"Hum, et d'où vient donc cette délicieuse odeur de piquette ?

[Dhast]

Les réflexions d'Elissa à voix haute intéressèrent beaucoup le jeune voleur, il y trouvait des mots familiers et des activités bien plus intéressantes qu'une quête perdue au messie, qui, depuis qu'ils avaient entrepris leur pénible retour, avait lentement perdu tout côté épique ou héroïque. Certains noms, cependant, comme "les Sentinelles" étaient inconnus de lui, ce qui les rendait d'autant plus intrigants! Il commençait à rêvasser sur ce que devait être les services secrets de la cité du vigilant lorsque la moinesse l'interrompit pour lui demander comment il allait. Brus hésita un moment, suspicieux, la question était subite de la part de la demi-elfe, elle qui lui avait collé une mandale mémorable juste avant d'entrer. Malgré le sourire affiché, Brus flaira le piège, et ses doutes furent confirmés lorsqu'Elissa évoqua un fumet de piquette. Le jeune voleur se reprit à rougir. Il n'y avait pas pris garde mais il devait reconnaître qu'il empestait un peu la vinasse. Sentant effleurer sa joue encore sensible le vent annonciateur d'une nouvelle mandale pour avoir enfreint un autre principe du style : on ne boit pas pendant le service, Brus pris les devants :

- Hem, faut pas vous formaliser, c'pas mon truc le picrate, c'est seul'ment l'retour, j'vous ai dit, dans les tonneaux. C'tait un convoi pour Titoeil à la base, vous d'vinez l'genre, 'n'a pas eu l'choix. J'me serai pas permis de prendre une com', pas en pleine mission, ça non. Il jugea préférable, bien qu'il fût en effet un peu fatigué, de ne pas afficher la moindre mauvaise volonté. Aussi ajouta-t-il : 'tracassez pas pour moi, j'suis en pleine forme, si z'avez du travail pour moi, j'suis opé, pour sûr!

[Elissa Keens]

La réaction presque craintive de Brus donna des scrupules à la moinesse. Oui, bon, elle avait dû y aller un peu fort, avec sa gifle. D'un autre côté, c'était à la mesure de la sottise commise par le garçon en suivant une expédition dans laquelle il n'avait rien à faire, et une vie à perdre, éventuellement. N'étant pas d'un naturel rancunier, elle considérait que la question était réglée, et quoi que le voleur ait pu croire, sa question précédente n'était pas un piège. Seulement un moyen d'évaluer l'état des troupes.

"opé, opé, faut le dire vite... Je me vois mal te lancer dans une filature quand on peut te suivre à la trace les yeux fermés. Débarbouille-moi tout ça et on en reparle. Tu pourras sans doute être utile, cela dit, d'autant que tu n'as pas le profil que nos ennemis repèrent le plus facilement. Mais ça peut attendre demain matin."

[Dhast]

- A vot' service.

Brus salua respectueusement la demi-elfe avant d'évacuer le bureau, légèrement soulagé. Dans un premier temps il aurait à prendre un bon bain ainsi qu'à se changer, aussi alla-t-il à l'étage, dans la chambre qui lui était réservée. La pellicule de poussière qui nappait chaque surface témoignait de son absence. Le jeune humain ouvrit la fenêtre puis alla s'allonger sur son lit. Ce moment d'oisiveté laissa son esprit vagabonder dans la pièce. Cette chambre lui était bien peu familière après tout, il n'avait pas de sentiment de propriété à l'égard de ce lit, de cette table et de ces murs, il était là comme il était partout, en transit. Pourtant avant de la quitter il y avait laissé quelques effets personnels. Il les retrouva à leur place, dans le tiroir du bureau, Brus en ajouta quelques uns qu'il avait trouvés en chemin, la dague qu'il avait prise à la tueuse morte en haut de la tour, sa fortune et quelques pièces.

Il occupa donc le début de son après-midi à se laver et à lessiver ses vêtements qui étaient dans un piteux état après le long voyage, ensuite il descendit avaler un repas puis quitta la guilde en direction du marché, là où il pourrait reprendre contact avec la ville et la vie quotidienne de celle-ci. Il irait sans doute au Loyal dans la soirée, ainsi que du côté du port, des portes peut-être, sur les parvis des temples, chacun avait son mot à dire.

[Lothringen]

Un vent un peu frais soufflait sur le quartier du port. Le soir tombait et la luminosité déclinait peu à peu. Mais Brus avait encore deux bonnes heures devant lui : le marché ne fermait guère avant le coucher du soleil.

Suite

[Althéa]

Le poing levé

Elle avait poussé doucement la porte de la guilde le dos perclus de courbatures et les vêtements imbibés de vinasse de mauvaise qualité. Après l'agitation qu'elle avait vécu durant ces derniers jours, la guilde lui parut silencieuse et déserte.

Dans peu de temps, elle allait retrouver sa fille et prendre un bon bain. Dans l'immédiat, il lui restait à faire son rapport. Et peut-être échanger un peu avec Elissa. La mort d'un dieu n'était pas chose anodine ... Plus de Helm plus d'helmites, plus d'helmites ...

[Elissa Keens]

Althéa ne tarda pas à réaliser qu'en effet, la guilde était quasiment déserte. Elle y croisa un jeune agent qu'elle connaissait à peine, et qui la salua vaguement, en lui suggérant d'aller trouver Elissa à son bureau. Ce qu'elle avait bien l'intention de faire.

Elissa l'accueillit avec un sourire sincère. La disparition d'un membre en mission n'était pas chose si rare qu'on ne se réjouisse pas de son retour. Il ne manquait plus qu'Oriane, et tout le monde serait revenu au bercail...

"ça fait plaisir de voir que la quête de spiritualité ne vous a pas dégoûtés du mercenariat. Brus est déjà repassé à la guilde et il m'a raconté votre expédition jusqu'au moment de votre séparation aux portes. Comme d'après lui tu étais restée avec les helmites, je ne m'attendais pas à te revoir de sitôt."

[Althéa]

"Disons qu'ils n'avaient plus besoin de nos services. Et d'Eroeh non plus ..."

Althéa finit par tout raconter. A mesure qu'elle parlait, elle se rendait compte du dérisoire de l'affaire. Ils étaient partis à la recherche du prêtre d'un dieu moribond. Un prêtre qu'on venait de mettre à la porte comme un vulgaire vagabond. L'exposer aux regards et l'humilier un peu plus. Lui qu'on attendait comme un messie avait été reçu comme un mendiant.

Qu'allait-il devenir à présent ? Où irait-il ? Il ne pourrait plus jamais retourner dans son immobilité de pierre. C'est pourtant là qu'il aurait été le mieux. Statue funéraire ...

"Tout cela pour rien.", finit-elle par conclure, un goût amer à la bouche.

[Elissa Keens]

Elissa haussa les épaules.

"Bah, pas forcément. Il a été mal accueilli au Coeur Radieux parce qu'il constitue un véritable reproche vivant pour tous ceux qui ont décidé de se convertir, et que c'est justement le mot d'ordre que le Haut Prélat a voulu faire passer auprès de ses paladins - mais il sera sans doute beaucoup mieux reçu par le clergé helmite. Ils ont été trop longtemps les rivaux des clergés qu'il leur faudrait rejoindre : la pillule a du mal à passer."

Le destin d'Eroeh ne la tourmentait pas beaucoup, à vrai dire. On leur avait demandé de le ramener et ils l'avaient fait. Mission accomplie, bouclée, et passons à la suite : l'affrontement avec Melandis, par exemple. Ces derniers temps, la crise du clergé avait été complètement éclipsée à ses yeux par la recherche des éventuels infiltrés.

"Ici, c'est plutôt de la guerre qu'on s'inquiète..."

[Althéa]

La guerre. Elle ne l'avait pas vraiment envisagée. Du moins, la menace de Melandis planait au dessus d'eux comme l'épée de Drizzt la légende planait au dessus de ses ennemis. Aussi sursauta-t-elle brièvement à l'énoncé de la moinesse.

"Encore ? J'imagine que la mort de Helm a dû précipiter les choses, là-bas. Ils doivent déjà être en train de rassembler leur armée."

*Oh, misère. Qu'est-ce que je vais faire avec ça, moi.*

Elle laissa planer un léger silence.


"J'imagine que Manost ... bouillonne ... Nous allons avoir du pain sur la planche, n'est-ce pas ?"

*Et moi qui comptais revoir tranquillement ma fille ...*

[Elissa Keens]

"Oh. En fait, l'armée mélandienne a déjà quitté la ville, d'après ce que j'ai appris. Je sais pas exactement où ils en sont... ces infos sont du genre confidentielles. Il y a aussi le Grand Émissaire qui joue les filles de l'air. A un moment, la rumeur a même couru qu'il devait être mort, mais il a fini par envoyer un courrier, à ce qu'il paraît. Reste à savoir si c'est vraiment bon signe..."

Elissa marqua une pause, le temps de rassembler ses idées.

"Quoi d'autre ? Il y a eu quelques tentatives de barricade dernièrement. Les cultes qui s'agitent..." Elle soupira."Enfin, bref, oui, Manost bouillonne, façon marigot. Mais le Conseil... enfin, ce qu'il en reste... nous a donné une mission bien précise, qui est de traquer les espions mélandiens. J'imagine qu'ils préfèrent garder le contre-espionnage plus délicat pour les agents des Sentinelles."

[Althéa]

Rhavesta ... Elle se souvint du grand Emissaire avec lequel elle avait fait route vers Mélandis. Ravestha l'avait sauvée en l'empêchant d'être jetée à l'eau. Elle était tombée sous son charme le temps d'une traversée sans que leur relation aboutisse à quelque chose de sérieux.

Il devait souffrir de voir sa ville se déliter peu à peu. Son passé, ses valeurs. Quelque part, c'était lui qui était l'âme de Manost.

Il y avait donc des barricades. Des cultes tentant de s'accaparer la meilleure part du gâteau. Et eux, dans tout ça ?


"Et ma mission consiste en ... ?", demanda-t-elle en essayant de ne rien faire paraître de son trouble.

[Elissa Keens]

Elissa sourit. Althéa venait à peine de rentrer, et elle était déjà prête à se remettre sur une affaire. Brus avait eu exactement la même réaction, quelques heures plus tôt. Si seulement ils étaient plus nombreux, Manost se porterait moins mal...

"Il y a une histoire que je garde au chaud depuis quelques jours, parce que je ne sais pas trop qui envoyer. C'est une vieille fille qui a débarqué d'un navire d'Eauprofonde il y a deux semaines. Elle serait l'aïeule d'une riche famille marchande de là-bas. On soupçonne ledit navire de faire un peu de contrebande, et d'avoir fait plusieurs fois relâche avant d'atteindre Manost. Elle prend des contacts chez les marchands, les éblouit avec son or, s'immisce partout...
Bref, cette femme pourrait bien être un espion mélandien, mais on n'en a aucune preuve. En somme, ta mission, si tu l'acceptes, sera de découvrir les vraies raisons de sa présence ici. Je t'en dis plus si ça t'intéresse."

[Althéa]

Eauprofonde. Des marchands. De la contrebande. Les mots avaient heurté Althéa. Pas vraiment les mots en eux mêmes mais ce qu'ils évoquaient. Un passé. Le passé. Son passé. Le milieu d'où elle venait, où elle se sentait oppressée. Elle l'avait fui. Elle pensait que plus rien ne la renverrait à cela. Que ce temps là était révolu. Elle se trompait. Et le retour était rude.

Elle faillit refuser la mission et rentrer se cacher de peur de croiser ladite marchande. Mais Elissa n'aurait pas compris son choix. Elle qui d'habitude courait se jeter dans la gueule de tous les coups, était de toutes les expéditions tremblerait devant une vieille fille ? Sa réputation en souffrirait, sans doute. Elle hocha la tête.

"J'accepte la mission. Il y a quelque chose que je dois savoir en plus ?"

[Elissa Keens]

"Hé bien, elle se fait appeler Mélisande de Gorneval, elle a la quarantaine, des manières assez affectées tout en étant quelquefois très directe... Elle a pris un logement dans le centre ville, pour se rapprocher de la guilde des marchands où on la croise trop fréquemment. J'ai appris qu'elle cherchait une femme de chambre, preuve qu'elle compte s'incruster encore un peu. Tu as donc le choix des approches, je pense ; en tant que propriétaire du Loyal, tu as tes entrées à la guilde des marchands, tu pourrais y interroger le prévôt ou d'autres collègues. Etant d'Eauprofonde aussi, tu pourrais peut-être la faire parler pour déterminer si elle ment. Enfin, si tu préfères l'approche discrète, j'imagine que tu ferais une parfaite femme de chambre."

Là, Elissa ne put retenir un sourire d'ironie. La discrétion, la ponctualité, l'ordre, la propreté... n'étaient pas vraiment les vertus essentielles de la jeune bretteuse.

"Évidemment, tu peux aussi combiner les approches. Dis-moi juste ce que tu comptes faire, que je puisse limiter la casse si ça tourne mal."

[Althéa]

Ah, mais c'est qu'Elissa se moquait. Elle ne la voyait pas du tout en soubrette. C'était parce qu'elle ne l'en croyait pas capable, c'était ça ? Piquée au vif, elle fronça les sourcils, les joues en feu.

"Tu as raison. Je pourrais combiner les approches. Bien sûr en évitant qu'elle ne fasse le rapprochement entre la guilde et sa femme de chambre ... Je pourrais aussi me faire passer pour un marchand. Un bon déguisement, un peu d'esbroufe. Au pire, nous pourrions l'enlever et la faire tout avouer. Qu'en pense-tu ?"

[Elissa Keens]

Elissa fit la moue.

"J'aimerais autant éviter, à moins que tu ne sois sûre de ton coup. Elle s'est fait quelques amis parmi les marchands et sa disparition ne passerait pas inaperçue. Si après ça il s'avérait qu'elle est innocente, et que nous soyons obligés de la libérer... elle ne semble pas du genre à nous épargner un scandale. Non, l'enlèvement, c'est uniquement pour quand on aura la certitude de son implication, pas avant. Sinon pour ce qui est du déguisement, ou des mille façons de l'embrouiller, je te fais confiance. Alors, tu vas commencer par quoi ?"

[Althéa]

Althéa réfléchit comme à son habitude, une trentaine de secondes. Mais dans sa tête, les méninges tournaient à vive allure.

"Hé bien, je pense d'abord me rendre à la guilde des marchands sous ma véritable identité. Peut-être pourrais-je me faire passer pour un pigeon potentiel et lui laisser entendre que le Loyal Paladin peut-être une cible intéressante. Et pour le reste ... Attends-moi, je reviens."

Elle partit sans laisser à Elissa le temps de faire ou dire quoi que ce soit. Quelques temps plus tard - le temps pour la moinesse interloquée de refermer la bouche - un jeune homme frappa à la porte.

Fin, assez petit de taille. Sa tignasse rousse masquait une partie de son visage. Mais à part ça, il était plutôt soigné. Quand il parla, sa voix roulait les r comme la rivière roule les cailloux.

"Bonjour, je m'appelle Jack O'Baran, j'aimerais parler à Elissa Keens, s'il vous plait. Je suis à la recherche de travail."

[Elissa Keens]

L'espace de quelques instants, Elissa hésita, se demandant qui était ce jeune homme qui déboulait de nulle part au beau milieu de la guilde, sans même passer le barrage de l'herboristerie. Comme si sa guilde était une taverne. Malpoli, ça. Et vexant. Puis un soupçon l'effleura, elle plissa les paupières, l'inspecta de plus près, reconnut quelques taches de son, une odeur de vinasse qui commençait à lui devenir familière, et éclata de rire.

"Pas mal. Pas mal du tout. Si tu arrives à tenir ton accent, il faudrait vraiment être averti pour faire le rapprochement. Une idée à retenir. Enfin... seulement si tu n'as pas peur de réveiller le démon de minuit assoupi chez cette vieille bique" , acheva-t-elle plus perfidement.

[Althéa]

Jack eut un immense sourire qu'Elissa ne connaissait pas à Althéa et passa sa main dans sa tignasse qui partit docilement dans la main de la bretteuse. Celle-ci, les yeux brillants finit par s'expliquer.

"Jack était un personnage que j'utilisais souvent à l'époque d'Angelo. Il me servait à me promener en ville pour le rejoindre. Avec lui, pas la peine d'être reconnu. Mais le pauvre a connu une fin plutôt cocasse. Figure-toi qu'il a failli être violé par certains membres de notre équipage. Apparemment, ils avaient perdu notre mousse de vue. Le pauvre n'a dû son salut qu'au fait que je me dénonce, mettant fin à son existence par la même occasion. Du moins, quelque temps. Les marins n'ont pas eu l'occasion de me dénoncer. Ils ont été débarqués au premier port venu. Le viol des mousses n'était pas toléré sur notre bateau ..."

[Elissa Keens]

"Hé bien. Sympathique, le milieu des marins..."

D'autres réflexions lui venaient en tête, comme de demander à quoi jouait Althéa de se déguiser en mousse pour naviguer en compagnie de ces individus peu fréquentables, mais elle préféra s'abstenir. C'était peut-être ce qu'on appelait l'appel du large ? Dans ce cas, elle avait bien fait de jeter l’ancre à Manost. La Vierge d'Argent était une guilde plutôt féministe, dans son genre. En tout cas, s'il y avait eu un problème de ce genre chez elle, Elissa ne se serait probablement pas contentée de"débarquer" les fautifs.

"Ton numéro est au point, ça peut marcher. Oh, et quand tu en auras fini avec cette affaire, rappelle-moi de te parler..."

Sur un regard interrogateur d'Althéa, elle précisa :

"Rien de grave, juste que... "

Elle comprit que partir dans des explications complètes serait beaucoup trop long.

"Cette guerre et la mort de Helm risquent de changer durablement la donne à Manost, et j'aimerais en discuter avec toi."

[Althéa]

Althéa fronça les sourcils. Rien de grave, certes. Peut-être. Mais il y avait quelque chose. La mort de Helm et la guerre n'étaient pas rien de grave. Et Elissa comme elle le savaient. Elle essaya tant bien que mal de masquer son inquiétude en se réfugiant derrière Jack. Celui-ci porterait un regard naïf sur Manost, se contentant d'y habiter. Elle hocha tranquillement la tête.

"Quand tu voudras, alors."

Elle eut un soupir presque imperceptible qu'Elissa pouvait prendre pour de la fatigue.

"Juste le temps de me décrotter pour enlever cette épouvantable odeur de vinasse, d'embrasser ma fille, passer une tenue de marchand digne de ce nom et ... Vogue la galère."

Et elle partit sans se retourner.

hrp : où est-ce qu'on poste la souite ?

[Elissa Keens]

Il ne restait plus à Althéa qu'à appliquer cet ambitieux programme, qui impliquait tout d'abord un passage chez elle pour se laver et enfiler une tenue correcte (plus correcte en tout cas que le costume "retour de quête parfumé au vin sué" qui lui collait à la peau comme la boue sur ses chausses). Par la suite, elle voulut aussi passer au Loyal pour vérifier si Titoeil faisait un excellent parrain, père et mère de substitution, ce qui était malheureusement la plus stricte vérité : Leodacya se portait comme un charme. N'était ce regard parfois lourd de reproches tandis qu'elle embrassait sa mère intermittente.

Jetons un voile pudique sur ces deux scènes et sautons directement à la suivante, qui implique une bretteuse, une mégère d'Eauprofonde, et la guilde des marchands manostiens, où la première entendait dénicher la seconde.