[Rp : Aux quatre vents] La Discrète

[Lothringen]

Le Vieux haussa les sourcils devant cette curieuse entrée en matière, plus surpris qu'autre chose. Que pouvait bien lui vouloir ce parfait inconnu ? Il n'avait pas le souvenir d'avoir jamais eu affaire à lui ni comme joueur ni comme débiteur... Il accepta de s'écarter de quelques pas avec lui, de manière à se mettre hors de portée d'oreille de ses partenaires de jeu. Hors de portée d'oreille, mais tout à fait à portée de lame de ses deux accolytes, qui ne les quittaient pas du regard.

"Je suppose que vous ne souhaitez pas discuter des mérites comparés de telle ou telle martingale, alors expliquez-vous."

Il parlait d'une voix très calme, incisive et glacée, en homme qu'il ne devait pas être très facile de déstabiliser.

[Mornagest]

Il grimaça un sourire forcé avant de répondre :

"Non, en effet. Je suis actuellement à la recherche d'indices concernant une affaire grave, et j'ai cru comprendre que vous pourriez me renseigner. Je cherche un joueur qui a contracté des dettes, ici. Des dettes importantes, et impayées. Cela vous parle-t-il ?"

Une description pareille pouvait inclure des dizaines de personnes, à vrai dire. Mais Mornagest ne souhaitait pas révéler trop vite, sinon du tout, que le frère de cet homme avait été assassiné quelques jours plus tôt, non loin d'ici... Cependant, aurait-il le choix ? Se dévoiler trop durant l'enquête lui ouvrirait certaines portes, mais parmi les truands, qui accepterait de s'en remettre à un garde apparenté ? Pourrait-il jouer le rôle d'un indépendant crédible ? Aucune chance, vus ses non-talents en la matière...

Il se surprit à repenser à Lothringen en ce moment incongru ; Lothringen le mage, le rusé, l'habitué des instances politiques et des complots en tous genres. Se rirait-il de lui en le voyant ainsi patauger dans une mare fangeuse d'indices aussi clairs que de l'eau de roche ? Il ne chercha pas à deviner la réponse.

[Lothringen]

ben justement, c'est clair, l'eau de roche


Le visage de cet homme s'était-il figé tandis qu'il écoutait sa réponse, ou s'était-il crispé un bref instant ? De toute évidence, le Vieux ne trahirait pas grand chose de cette manière.

"Peut-être, et peut-être pas... Votre description est bien vague. Qui êtes-vous, Messire, pour rechercher ici ce genre de renseignements ?"

Une question légitime, et prévisible, après tout.

[Mornagest]

C'est pour ça que c'est la honte de patauger ainsi

Il avait eu le temps de se préparer à cette question. Évidemment. Sur base de quelle légitimité pouvait-il interroger quelqu'un de la sorte ? Il avait longuement hésité entre se déclarer membre de la garde manostienne, ou simple enquêteur dépêché par un temple. Mais la religion n'était pas en odeur de sainteté partout à Manost, il s'en était rapidement rendu compte...

"Je fais partie de la garde. Je cherche cet homme car son frère est mort à cause de ses dettes."

C'était dit. Trop tard pour faire marche arrière. Et rien ne lui garantissait que le Vieux allait accepter de lui parler de l'affaire, ni même simplement le croire. Décidément, il manquait de technique.

[Lothringen]

Son interlocuteur parut réfléchir quelques instants. A supposer qu'il croyait Mornagest, la présence de la garde dans son tripot, prête à fourrer le nez dans ses affaires, n'était certainement pas pour lui plaire. Les jeux d'argent étaient notoirement interdits à Manost, comme le guerrier l'avait entendu plusieurs fois répéter depuis son arrivée à La Discrète ; une simple descente pouvait aboutir à la fermeture de l'établissement, voire à l'arrestation des joueurs. D'un autre côté, "Hugues" était venu seul...

Le Vieux sembla finalement décider que son intérêt dans l'affaire était, pour une fois, de coopérer.

"S'il s'agit bien des frères que je crois, je ne pense pas que vous soyez sur la bonne voie. Un joueur a eu effectivement récemment des dettes importantes à mon endroit. Des dettes qu'il ne pouvait payer, et dont les intérêts enflaient... J'ai dû durcir le ton, jusqu'à ce que son frère, un certain Théogal, vienne en personne les payer pour lui. Il m'a payé l'intégralité de la somme due et nous nous sommes quittés aussi bons amis que possible. Tout cela s'est passé devant témoins, interrogez à la ronde si vous voulez : la présence d'un prêtre de Tyr à ma table a fait son petit effet. Quant au frère joueur,depuis cette affaire, il est indésirable ici. Bref, si vous comptiez me mettre cette affaire sur le dos, je crains de manquer de mobile pour commettre un meurtre..."

Il se frotta le menton, l'air songeur.

"Il se peut cependant que j'aie une piste pour vous. Vous n'êtes pas la première personne à m'interroger sur les deux frères et sur leur dette. Un homme est passé, peu de temps après Théogal. Le visage sous un capuchon. Nerveux. Pas l'air très à l'aise dans cet endroit. Il a voulu me payer pour que je parle..." Il ricana. "Mes hommes l'ont jeté dehors. Mais un fouinard douteux est alors allé le retrouver à l'extérieur. Sans doute pour le renseigner et prendre ce pot de vin dont je ne voulais pas. Mais ça ne s'est peut-être pas arrêté là..."

[Mornagest]

La piste se poursuivait. La chance était avec lui, car le Vieux s'était souvenu de Théogal, et d'un homme qui le cherchait ensuite. Alcine ? C'était du domaine du possible, mais il faisait un coupable trop facile.

"Vous avez une idée de l'endroit où je pourrais trouver ce type ? Celui qui a suivi l'encapuchonné au-dehors ? Il se peut qu'il soit lié à ce meurtre."

Il sentit qu'il devait également rassurer son interlocuteur. En toute bonne foi, Mornagest n'avait aucune intention de signaler ce tripot aux autorités. Il n'en avait cure pour le déroulement de son enquête, d'une part, et d'autre part, ne voyait pas en quoi cela gênait la bonne marche de la cité, tellement occupée à se déchirer pour des histoires religieuses... Qui s'intéresserait à quelques joueurs clandestins ?

"N'ayez crainte quant à votre salle de jeux. Je ne suis pas mandé pour vous faire la chasse, au contraire. Vous m'aidez déjà grandement en répondant de la sorte."

Un petit encouragement ne ferait sans doute pas de mal.

[Lothringen]

Le Vieux acquiesça d'un air songeur.

"Ce type est du genre à traîner dans les arrière-salles en l'attente d'une opportunité, si vous voyez ce que je veux dire. A cette heure, vous le trouverez sans doute à trois rues d'ici, face au quai, dans un bar à marins aussi tapageur que cet établissement-ci se veut discret. Il se fait appeler Ned. Nous ne sommes pas en bons termes..."

Après quelques instants, il ajouta sur un sourire.

"Mais changez de couverture si vous voulez l'aborder. Tout le monde sait ici que les enquêteurs de la garde ne se déplacent jamais que par trio, et que quand ils sont en civil ils montrent un symbole de Helm pour prouver leur accréditation..."

[Mornagest]

Hum, un type dont il faudrait sans doute se méfier. Le meurtrier ? Pourquoi pas, s'il en avait reçu l'ordre moyennant quelques pièces d'or ? Il faudrait tirer cela au clair, mais le Vieux lui fournissait une piste sérieuse qu'il ne devrait plus lâcher.

"Bien. Je vous dois beaucoup pour votre aide. Si ça peut vous faire plaisir, je pense que vous n'aurez plus longtemps à souffrir la présence de ce Ned. Avec un peu de chance, il acceptera de discuter."
Après quelques remerciements, Mornagest laissa à son interlocuteur le loisir de poursuivre sa soirée de jeux. Bientôt, le guerrier fut dans la rue. Il n'y faisait guère plus bruyant que dans le tripot de jeux. Tout le monde devait être en train de souper, ou d'écluser quelques bières dans les tavernes du coin. Tous les ports du monde étaient pareils, probablement.

Il marcha d'un pas tranquille jusqu'à l'endroit indiqué par le Vieux. Évidemment, des bouges bruyants peuplés de marins ivres morts, il y en avait des tas dans la rue susmentionnée. Comment trouver lequel était le bon ? Il chercha des noms d'enseigne qui pourraient lui donner un indice supplémentaire.

[Lothringen]

Il n'y avait que trois bars à marins strictement face au quai. Le premier, «Le Tire-mousse», laissait échapper des chants paillards et des rires gras. Un équipage complet, déjà sérieusement imbibé, semblait en avoir fait son quartier général. Si on laissait les beuglards brailler, on pouvait pousser jusqu'au bar suivant, «Le pied à l'air», dont la clientèle à peine moins chahuteuse admirait dans la semi-pénombre la danse de femmes court vêtues au déhanché suggestif. Au vu des tenues, la clientèle paraissait plus bigarrée, mêlant des terriens intéressés par la vue aux simples marins en relâche. La musique assourdissante d'un groupe de bardes nouvelle génération rythmait l'ensemble. Le dernier bar, «L'Escale», un peu plus loin, un peu plus grand que les deux autres, semblait proposer des tables sur deux étages. La musique y était un peu moins forte, et l'on pouvait dîner. Les trois établissements étaient bondés à cette heure, et le quai grouillait de badauds.

[Mornagest]

Mmh... tapageurs, avec une arrière-salle. Évidemment, les trois endroits combinaient les deux caractéristiques. Mais peut-être pourrait-il trouver, dans un des trois, une salle commune divisée en plus petites parties ? Ou simplement le tenancier connaîtrait-il ce Ned. S'il était habitué, après tout...

Mornagest se décida à tenter "Le pied à l'air", peinant cependant à arriver jusqu'au comptoir sans une tirade ininterrompue de "pardon !" et de "excusez-moi !". La surpopulation menaçait gravement Manost, et les préoccupations religieuses ne semblaient guère s'être transmises jusqu'ici, à moins que Helm n'ait brutalement changé de mode de vie avant de passer l'arme à gauche...

Du regard, le guerrier balaya la salle. Difficile, voire impossible, de repérer un homme seul qui serait un peu à l'écart du reste. La salle était trop emplie pour se permettre d'être suffisamment éloigné du reste. En revanche, tout ce bruit était idéal pour discuter sans crainte d'être entendus par des oreilles indiscrètes, sauf s'il fallait vraiment hurler pour se faire comprendre. Ce que fit Mornagest à deux reprises, à l'adresse du serveur, qui grimaçait et tendait l'oreille, lui indiquant par là qu'il n'entendait goutte.

"Vous connaissez Ned ?", beugla-t-il finalement.

[Lothringen]

Le serveur sursauta, en grand péril de laisser tomber au sol l'assiette qu'il essuyait. L'air un peu énervé, et soudain un peu pressé de se débarrasser de lui, il lui désigna du menton un vague azimuth dans la pénombre de la salle surpeuplée. Là-bas, au fond... derrière les tables, l'estrade des danseuses, les clients divers, l'opacité sonore, et les effets de lumière colorée... devait figurer un Ned quelconque. Le serveur fut à nouveau sollicité, cette fois par une brochette de buveurs, et Mornagest n'eut d'autre choix que de poursuivre seul son investigation. La direction qu'on lui avait indiquée lui permettait d'accéder à une salle secondaire qu'il n'avait pas aperçue au premier abord. Après une nouvelle série de coups de coude et de "pardon !" qui lui firent regretter son ancienne carrure, il parvint enfin, presque essouflé, sur le seuil de la pièce. Ce n'était pas une salle de jeu, mais une sorte de salon privé, apparemment. Pouvaient s'y tenir au moins une quinzaine de personnes toutefois. L'obscurité était plus grande encore dans cette salle que dans la salle commune, et la musique qui s'en échappait paraissait un peu plus raffinée. Pour autant, le guerrier ne pouvait pas en apercevoir davantage pour l'instant, car devant la porte entrebaîllée se tenait un videur qui le repoussa mollement.

"Réservé aux habitués, ici", grogna-t-il.

[Mornagest]

Un gorille. C'était bien sa veine. Fut un temps, guère lointain, mais hautement inconnu de lui-même, où il n'eût pas hésité à lui jeter un regard noir avant de lui asséner un coup de poing au visage, voire de genou dans l'entrejambe. Mais Mornagest était devenu l'homme qui se tenait maintenant devant le videur, mesurant vingt centimètres de moins, avec un esprit pratiquement vierge de tous les actes violents qu'il avait pu commettre. Et il opta naturellement pour une voie plus diplomate que celle de son pendant maléfique.

"Hum. J'aimerais simplement m'entretenir avec l'un des convives. Ned. Ce ne sera guère long."

Après tout, il n'était pas venu dans de brutales intentions. Il n'aurait qu'à trouver un indice certain de la culpabilité de Ned, et il le livrerait aux autorités aussi sec. Mais comment allait-il mener son interrogatoire...

[Lothringen]

Le videur hésita, puis, sur un haussement d'épaules, le laissa passer, en lui signifiant du regard qu'il n'avait pas intérêt à le lui faire regretter. Du menton, il lui avait désigné un coin de la pièce, probablement l'endroit où se tenait Ned.

La salle particulièrement sombre dans laquelle Mornagest pénétra était occupée par quelques tables basses, des banquettes et des tabourets confortables. Quelques sphères bleutées d'origine manifestement magique vous empêchaient à peine de rentrer dans les murs eux-mêmes peints en noir. Sur une estrade, un barde accompagnait à la harpe la danse particulièrement obscène d'une femme en train de se dénuder intégralement. Quelques uns des occupants de la pièce la contemplaient tout en rêvant à autre chose. Mornagest les soupçonna de s'adonner au lotus noir. Mais d'autres clients se penchaient sur les tables les uns vers les autres, en grande conversation. A leur maintien, on devinait des relations d'affaires.

La direction indiquée par le videur restait encore bien vague. Restait à trouver Ned. Peut-être le type adossé au mur, qui sirotait un cocktail tout en dévorant des yeux la danseuse ? Ou bien l'un de ces trois hommes attablés, en grande négociation d'il ne savait quoi ? La musique couvrait le bruit des conversations, et la pénombre ne lui permettait au mieux que d'identifier de vagues silhouettes. Il n'en saurait pas plus sans se rapprocher.

[Mornagest]

Inconsciemment, il ne s'était pas fait une idée particulière de Ned, mais il ne se l'était pas imaginé en mâle avide de sensations visuelles obscènes. Le spectacle était par trop vulgaire pour être d'un quelconque intérêt pour Mornagest, qui ne s'accommodait guère facilement à l'obscurité importante qui régnait dans les lieux. Et l'humaine - à en juger par sa taille - qui se trémoussait devant quelques malandrins n'inspirait que le mépris, à ses yeux. La dépravation gagnait Manost, ou était-elle présente depuis les origines ? Il n'avait pas de souvenirs sur ce point, mais même en s'attardant un instant sur l'anatomie désormais intégralement dévoilée de la femme, il ne ressentit aucune émotion ni envie, autre que celle de s'en aller en retenant son souffle jusqu'à être sorti de ce bouge.

Détournant finalement le regard, il dut faire un choix entre l'homme seul et voyeur, et les trois gaillards en pleine discussion. Diantre. Interrompre à nouveau une discussion, dans un tel vacarme, ne l'inspirait que très peu. Il tenait à conserver le plein usage de ses cordes vocales pour le restant de la soirée. Il opta donc pour l'observateur unique et subjugué, se glissant tant bien que mal sur la banquette tout en essayant de ne pas l'effrayer en apparaissant trop brusquement dans son champ de vision.

Lui tapotant légèrement l'épaule, Mornagest haussa la voix tout en essayant de ne pas hurler et ainsi attirer l'attention sur lui :

"Ned ?"

[Lothringen]

L'homme ne sursauta pas, et ne parut même pas surpris de l'interruption. Comme s'il n'avait rien perdu de son manège. Pour autant, il ne détourna pas un instant les yeux du spectacle sur scène.

"Chut voyons... c'est le meilleur passage... Z'êtes sûr d'être un homme ?"

Bon gré mal gré, Mornagest dût prendre son mal en patience. Sur scène, le barde approchait manifestement du finale de sa mélodie, et la danse devenait de plus en plus rapide, mêlant la performance athlétique à l'exhibition intégrale. La femme nue possédait une plastique irréprochable, à laquelle le guerrier n'était décidément pas sensible. Enfin, après un temps qui lui parut infini, un rideau noir la dissimula au regard, tandis qu'elle rejoignait d'invisibles coulisses.

Le trio d'affaire s'était dispersé peu de temps avant la conclusion du spectacle, et soudain, un doute l'effleura : se pouvait-il que Ned ait été moins occupé à déshabiller la fille qu'à espionner ces trois hommes ?

"Voilà, maintenant on peut parler" commenta Ned d'un ton nonchalant, en se tournant enfin vers lui. C'était un homme jeune, de taille moyenne, qui semblait affectionner les vêtements noirs. Dans ce décor, sa tête pâle paraissait sortir de nulle part, flottant dans la pénombre comme un masque mortuaire. "Je ne crois pas vous connaître. J'espère que vous avez une affaire à me proposer ?"

[Mornagest]

L'ironie de la situation aurait pu arracher un sourire au guerrier, mais il n'était pas dans de bonnes dispositions. Une affaire ? En quelque sorte. Qu'allait-il lui dire, maintenant qu'il avait trouvé son homme ? Bonsoir, je voudrais savoir si vous avez tué un prêtre de Tyr la semaine dernière ? Peu probable qu'il goûtât à la plaisanterie. Sans compter qu'il tenait peut-être l'assassin de Théogal sous la main...

"J'aimerais seulement discuter un instant avec vous. J'ai appris que vous vous intéressiez aux joueurs de cartes ?"

Promis, cette fois. Dès que cette enquête était terminée, il se consacrerait uniquement au combat. Finis, les interrogatoires bâclés, les questions idiotes et l'impression que ses véritables intentions étaient gravées en rouge vif sur son front.

Mornagest s'assit à côté de Ned, non sans s'assurer qu'il disposait d'un peu d'espace pour manœuvrer, au cas où l'homme souhaitait s'enfuir ou l'agresser.

[Lothringen]

Mais Ned s'était déjà mis debout, une expression ennuyée sur le visage. Le verre à cocktail était resté sur le sofa, près de Mornagest, et l'homme semblait en alerte, maintenant. Etait-il armé ? Dans l'obscurité ambiante, il aurait pu aussi bien s'équiper d'une paire de jarretières : Mornagest ne l'aurait pas vu davantage.

"Heureusement pour mes contacts professionnels, je ne suis pas du genre à bavarder. Oui, il m'arrive de fréquenter les salles de jeu, les tavernes, et de traîner en toute sorte de lieux dont vous ne soupçonnez même pas l'existence. Dites-moi tout de suite où vous voulez en venir, ou restons-en là."

[Dhast]

Dehors Brus prolongeait sa veille. Lorsque Hugues avait quitté La Discrète le jeune voleur n'avait eu à le suivre que de quelques pas pour s'apercevoir qu'il pénétrait dans un nouveau troquet. Brus reluqua l'enseigne avec une moue dubitative : "Le Pied à l'air, ben ça..." Depuis il ne quittait pas son poste, aussi discret qu'il le pouvait quoiqu'avec l'attente son attention avait tendance à se relâcher. Comme Hugues semblait s'attarder Brus grimaça en éprouvant une sensation pressante au-delà du bas ventre. L'attente, les deux pintes et la curiosité qui le tenaillait sans cesse : les conditions s'accordaient trop bien. Agacé il se mit à fureter du regard de part et d'autre des quais en quête d'un endroit approprié. Et cependant il hésitait devant le dilemme éthique auquel il se trouverait confronter dès lors qu'il devrait quitter son poste : arrêter le guet et prendre le risque de perdre de vue la cible ou rester ? Après une brève introspection il se jugea capable de tenir encore quelques temps, mais bon Dieu, que cela compliquait l'attente.

[Mornagest]

Il ne paraissait guère désireux de s'épancher sur ses activités. Quoi de plus normal ? Après tout, il avait bien le droit à ses petits secrets, comme tout le monde. Néanmoins, la nervosité relative dont Ned faisait montre laissait croire à Mornagest qu'il souhaitait plutôt aller voir ailleurs s'il n'y était pas. Sans pour autant se préparer à dégainer, le guerrier fit rapidement bouger ses doigts pour s'assurer qu'il pourrait réagir au plus tôt, en assommant l'homme en cas de besoin. Il ne voulait pas en venir là, mais en cas d'attaque...

"J'ai des raisons de croire que vous avez fourni des informations à quelqu'un pour qu'il puisse commettre un meurtre, récemment. Le meurtre d'un prêtre nommé Théogal."

Cette fois, Mornagest avait les poings crispés. Ned allait-il tenter de fuir en courant, non sans l'avoir bousculé au passage ?

[Lothringen]

Hé bien, non, pas tout à fait. En tout cas pas sans qu'il n'ait d'abord eu la très désagréable sensation qu'une lame s'enfonçait quelque part entre deux côtes, jusqu'à la garde, tout en perforant un poumon et insinuant un poison virulent dans ses veines. Le poison lui voilait la vue, ralentissait ses mouvements : c'est dans un brouillard assourdi qu'il vit la silhouette agile de Ned se faufiler dans l'obscurité, tandis que lui-même ne pouvait rien faire d'autre que de demeurer assis sur la banquette, la respiration sifflante, à moitié inconscient. Après un temps difficile à évaluer, il entendit des conversations penchées sur lui, puis sentit qu'on le soulevait en passant un bras sous ses aisselles et le faisait ainsi sortir de la pièce, puis du bâtiment, en passant par une porte arrière. Il se retrouva adossé au mur extérieur du tripot, se soutenant à peine. A ses côtés, il reconnut le videur de tantôt. L'air frais lui remettait les idées en place peu à peu. Ce poison n'était pas mortel, juste très efficace pour induire une léthargie temporaire... en attendant, l'oiseau avait filé. Et il y avait toujours la garde d'un poignard qui dépassait de son thorax.

Le gorille vérifia à gauche, vérifia à droite, et quand il fut certain que la ruelle était déserte, tira l'épée - de toute évidence, pour l'achever.

Le bruit d'une porte de service qui s'ouvre dans un accès latéral, puis d'un combat, attira l'attention du jeune Brus, qui cherchait où se soulager.


HRP : ça c'est de l'enquête. si jamais on te recrute dans la garde, rappelle-moi de te garder une place comme mannequin d'entraînement

[Dhast]

Le temps passant l'affluence des rues comme la clientèle des troquets diminuaient substantiellement. Brus avait beau se démancher le cou et aller et venir le long de la rue Hugues ne semblait pas reparaître. Un bruit métallique qui n'avait rien du zinc des comptoirs attira finalement son attention. Une bagarre de rue? Cela ne devait pas manquer dans cette zone-ci des docks, comme lui-même n'avait pas manqué d'en avertir le drôle de m'sieur Hugues. Il s'approcha à rapides foulées silencieuses. A l'angle il distingua deux silhouettes d'hommes, l'une armée d'une épée, l'autre une dague fichée dans la poitrine. Les yeux plissés il finit par reconnaître dans la pénombre celui qu'il cherchait, m'sieur Hugues, dans l'homme blessé. Le coup allait porter. Il chercha des yeux un objet contondant pour assommer l'autre homme mais l'allée était déserte. Le temps lui manquait, il sortit sa dague s'approcha encore, accrocha d'une main le col de l'homme et de l'autre vint placer sa lame dans le dos du videur. De sous sa capuche s'échappa une voix qu'il fit aussi ferme que possible.

- Tu l'ouvres j'te plante, tu bouges j'te plante aussi, maint'nant lâche ton arme. T'as trois secondes, 3...

Il appuya sa menace en enfonçant d'un centimètre sa dague dans le dos de l'homme.

[Mornagest]

Le guerrier était dans un état second. La lumière diffuse ne lui était d'aucun secours, les sons étaient étouffés comme s'il avait du coton dans les oreilles, et même la douleur qui aurait dû le clouer au sol n'était qu'une gêne désagréable, diffuse, qu'il ne parvenait pas à localiser correctement.

Ses sens étaient complètement inhibés désormais, et il sombra dans une inconscience pratiquement complète. Il tenta d'ouvrir les yeux une dernière fois, et se sentit périr... la douleur était insupportable. L'odeur de sang l'écœurait, l'affolait également, car il s'agissait de son sang. La poitrine était lacérée jusqu'à l'os, la gorge ouverte, et ce visage, blanc, dur et sadique, qui le contemplait avec un rictus de satisfaction vicieuse...

Walar. Il l'avait poursuivi jusqu'ici pour le traquer, l'achever, l'anéantir. Mais comment l'avait-il reconnu, après sa métamorphose ? Pourquoi cherchait-il encore sa mort, alors qu'il avait tout oublié... ou presque. Walar. Beorn. Le conseil mélandien. Les complots. Les tentatives d'assassinat contre lui, contre Lothringen. Tout ceci lui revenait brutalement en mémoire, lui arrachant des grimaces de douleur psychologiques sur le visage, déjà déformé par l'abrutissement dont il était victime suite au poison et à cette lame fichée dans sa poitrine. Il avait déjà été assassiné, avait vogué parmi les âmes tourmentées des autres infidèles, manqué être entraîné par un démon désireux de s'emparer à jamais de son âme perdue, avait été ressuscité grâce à la bonté, la ténacité et l'amour de Lothringen envers lui. Le visage du semi-drow lui apparaissait maintenant clairement, quoique mêlé à celui de sa chère Tymora, lui donnant une prestance divine belle et effrayante. Cette fois, plus de rictus douloureux, mais un sourire apaisé aux lèvres. Mornagest venait de revivre les doux moments des escapades répétées avec Lothringen, à Manost, tout d'abord, puis au-dehors, sur une grande partie de Dorrandin. La mort les avait frôlés à tant de reprises. La séparation avait été toute aussi menaçante quant à la survie de leur relation, mais ils s'étaient retrouvés, s'aimaient... Et le guerrier s'apprêtait à mourir dans un caniveau malpropre d'un quartier chaud de Manost. Le destin était parfois chose cruelle et ironique.

Tout cela ne dura que quelques battements de son cœur, certes ralentis, mais néanmoins réguliers. Petit à petit, il ressurgissait de sa torpeur imposée, et recouvrait ses sens. Il avait chu durant ce bref laps de temps. Une voix se fit entendre, au bout d'un temps qui lui parut très long. Une voix qui lui rappelait confusément quelqu'un, mais qui ?

- Tu l'ouvres j'te plante, tu bouges j'te plante aussi, maint'nant lâche ton arme. T'as trois secondes, 3...

Brus. Le jeune homme du tripot. Pourtant, lorsque Mornagest ouvrit les yeux, il ne vit que le videur du "Pied à l'air", l'air apeuré, parfaitement immobile. Instinctivement, le guerrier porta la main à son épée, mais il dut s'y reprendre à deux fois pour parvenir à dégainer son arme.

hrp : on ne m'y reprendra plus à vouloir être fin !

[Lothringen]

Quelques secondes plus tard, un bruit métallique résonna sur le sol : le videur venait de lâcher son arme. Il n'avait pas vraiment eu le temps de voir qui était l'inconnu qui venait de l'empêcher d'achever sa victime, et la surprise de cette intervention inattendue lui faisait perdre ses moyens. Sale affaire, et avec des complications en plus, il n'avait pas envie de prendre trop de risques pour Ned, d'autant que ce dernier semblait bien avoir pris la poudre d'escampette. Pis cette pointe de lame dans son dos. Il déglutit et laissa passer quelques secondes, se rappelant que son agresseur lui avait interdit de l'ouvrir. Puis il l'ouvrit quand même, mais pas trop fort :

"Ecoutez, je sais pas qui vous êtes, j'ai rien contre vous, Ned me paie quelquefois pour fermer les yeux ou faire le ménage, j'ai juste pensé que ça l'arrangerait..."

[Dhast]

Si Brus éprouva du soulagement en voyant la lame tomber au sol, celui-ci ne dissipa en aucun cas sa nervosité. De la botte il ramena lentement la lame derrière lui tout en écoutant ce que le videur racontait. Il n'avait aucune idée de qui il parlait mais peut-être que cela avait à voir avec les recherches de Hugues. Il lui jeta un oeil autant pour l'interroger que pour s'assurer de son état. Le coup de dague était moche, Brus ne savait pas bien comment faire pour y remédier. Hugues ne pourrait peut-être pas aller bien loin comme ça et lui-même ne voulait pas prendre le risque de retourner traîner du côté des temples. Mais sur les docks? Peut-être qu'à l'herboristerie...? Elyssa le tuerait c'est sûr. Brus s'adressa à Hugues :

- Pas d'questions? Tant qu'on est là... Sinon feriez mieux d'prendre un peu d'avance, puis tâchez d'cacher un peu vot' blessure.

[Mornagest]

Sa fureur était grande, et seule sa blessure et la douleur qui en découlait l'empêchait d'agir sottement et lâchement en se jetant, lame au poing, à la gorge du videur. Mais Mornagest finit par tempérer sa colère, et la voix calme et contrôlée de Brus, même s'il trahissait une certaine nervosité, eut un effet apaisant assez efficace.

Tandis qu'il rengainait son arme, par gestes tremblotants, le guerrier répondit :

"Ça devrait aller, mais pas longtemps. Je saigne encore et le poignard est..." Il n'eut guère besoin de poursuivre ; la garde était toujours parfaitement visible au-dehors de sa poitrine.

"Je ne sais pas où aller. Je ne connais pas le coin.", avoua-t-il, penaud.

[Dhast]

Brus cogitait à toute vitesse. Ce qui l'embarrassait le plus était de savoir comment se débarrasser du videur maintenant qu'il ne menaçait plus Hugues. Le jeune voleur doutait assez d'avoir suffisamment de force pour l'assommer d'autant plus qu'il ne disposait en matière d'objets contondants que du pommeau de sa dague d'un poids dérisoire. Mais il ne pouvait pas le tuer non plus, comme ça, de sang froid, et il n'avait rien à disposition qui fut susceptible de permettre de l'immobiliser. De sa main libre il ramassa lentement l'épée au sol puis vint la pointer en plus de sa dague dans le dos de l'homme. Accentuant légèrement la pression il lui donna les directives suivantes :

- Pas la peine de t'retourner, 'vance contre l'mur. Puis il s'adressa à Hugues : J'crois qu'j'ai ma p'tite idée, vues les circonstances, j'vois pas mieux.

En vérité il n'était très sûr de lui mais au regard des autres possibilités qui s'offraient, soit trop lointaines soit trop risquées pour lui après son petit délit, l'herboristerie lui paraissait être la meilleure alternative. Delcia ou bien Elyssa sauraient sûrement comment utiliser toutes ces plantes pour soigner la blessure. Il reporta son attention sur le videur, dissipant le contact des lames sur son dos.

- Voilà c'qu'on va faire. J'suis juste derrière vous hein, r'stez tranquille. P'dant qu'mon ami décarre moi j'reste 'vec vous et on va faire un jeu. De la tête il fit signe à Hugues de commencer à avancer vers la rue. L'enjeu c'est simple, si vous gagnez, rentrez dans vot' bouge et finissez vot' soirée comme si s'était rien passé, si vous perdez, ben ça, pourriez bien vous r'trouver dans la situation d'mon ami. Maint'nant bougez pas et m'ttez vous à compter. Voix haute, 'fin pas trop saisissez, doucement, puis jusqu'à 200, ça ira? Si z'arrivez au bout sans vous r'tournez c'est vous qui gagnez. Pouvez commencer. Et pas de triche hein, j'vous ai à l’œil.

Brus en jeta un en arrière pour voir où en était Hugues. Lorsqu'il fut arrivé il se mit à reculer le plus silencieusement qu'il put, calquant ses pas sur le comptage du videur, de manière à dissimuler le plus possible les éventuels bruits. Lorsqu'il aurait rejoint Hugues et si tout se passait bien, il emmènerait celui-ci jusqu'à l'herboristerie de la Vierge d'Argent.

[Mornagest]

Le guerrier n'hésita qu'un instant, à cause de l'obscurité qui régnait dans ladite rue indiquée par Brus. Il n'avait guère le choix, mais il pensait pouvoir faire confiance au jeune homme, qui lui avait paru honnête lors de leur première rencontre.

En titubant, mais en marchant relativement vite, Mornagest commença à s'avancer dans la rue déserte et silencieuse, ne cherchant pas à savoir ni entendre ce que Brus pouvait bien raconter au videur pour s'en débarrasser.

Plus d'une fois, il manqua trébucher sur un pavé protubérant, voire simplement dans ses propres jambes, mais il réussit à chaque fois à maintenir son équilibre et ne pas s'affaler lourdement au sol. Cependant, il sentait que ses forces diminuaient. Il aurait vite besoin de l'appui du jeune homme pour continuer ainsi à marcher.

[Lothringen]

Brus le rejoignit quelques temps plus tard. Le videur avait-il marché, ou simplement estimé que le jeu n'en valait pas la chandelle, ils ne le sauraient sans doute jamais ; toujours est-il qu'ils remontèrent sans encombre quelques rues durant. Alors qu'ils s'arrêtaient pour souffler un peu (c'est que Mornagest, même nouvelle formule, pesait lourd sur l'épaule du jeune homme), ils crurent entendre un bruit de pas léger qui s'arrêtait avec un léger temps de décalage, derrière eux. Pourtant, ils eurent beau scruter la pénombre, ils ne virent personne. Lame au clair et les dents serrées, ils poursuivirent leur route, rejoignant des rues plus fréquentées, et bientôt, Mornagest reconnut le trajet : pas de doute, Brus était en train de le conduire à la Vierge d'Argent.