Quête : Le Poing Levé - Mornagest, Chandara et Althéa

[Chandara]

La jeune femme retrouva à nouveau le sourire en entendant les propos une nouvelle fois rassurants du guerrier. Elle se tut quelques minutes avant de reprendre la parole pour aborder une nouvelle fois un autre sujet :

- Vous avez visiblement des notions de ce qu'implique une campagne de cet envergure. J'ai tout de suite vu que vous étiez quelqu'un de cultivé et sachant prendre un peu de recul. La plupart des guerriers - et des paladins aussi d'ailleurs - ne savent parler que de deux choses : leurs prouesses au combat et, par extension, leur conquêtes d'un jour ou... d'une nuit. J'avoue que cela me faisait un peu angoisser à l'idée de me mêler à toute cette foule.

[Mornagest]

"Hugues" sourit à cette remarque. Il était vrai que les soldats n'étaient pas toujours très distingués. Lui-même n'était pas particulièrement un modèle de politesse, et surtout de retenue, mais cela se traduisait surtout chez lui par une forte propension à la colère, plutôt qu'à la vulgarité ou la misogynie. Mais il n'était pas réellement un soldat, simplement, le fait d'en avoir côtoyé à de nombreuses reprises lui donnait une assez bonne idée du crétin moyen qui composait les troupes, d'un côté comme de l'autre.

"Oui, je vois ce que vous voulez dire. Mais je ne suis pas un soldat de métier, vous savez. J'ai reçu une éducation convenable grâce à mes parents. Si j'ai appris à manier les armes, c'était d'abord par nécessité plutôt que par réelle envie."

Un semi-mensonge. Durant sa jeunesse, il avait appris parce qu'il fallait bien savoir se battre pour survivre, dans l'Épine dorsale du monde, contrée hostile s'il en était.

"Mais je vous retourne le compliment. J'ai travaillé avec les paladins de Torm, et certains m'ont donné une impression de gens un peu... exaltés, dirais-je. Vous n'avez pas l'air aussi investie par votre fonction... qu'est-ce qui vous a poussé à devenir paladin ? Oh... c'est peut-être indiscret, en fait", acheva-t-il rapidement, l'air embarrassé.

[Chandara]

La paladine tentait de mémoriser toutes les informations qu'Hugues révélait sur lui avec un réel intérêt. Le guerrier, même s'il ne se définissait pas ainsi, était un interlocuteur de choix et elle doutait en trouver bien d'autres avec qui partager quelques discussions durant le long voyage et les semaines sinon les mois de campagne qui s'annonçait. Ce faisant, elle faillit ne pas entendre le compliment puis la question qui lui étaient destinés et elle rougit avec retard en répondant avec sincérité :

- Oh, il faut croire que je n'étais pas destinée à tenir une exploitation viticole ou à épouser un autre exploitant. Déjà très jeune, j'avais le goût des aventures. Nous partions souvent battre la campagne avec mes deux frères. C'est d'ailleurs eux qui m'ont initié à l'épée. Enfin, j'ai su plus tard que ce n'était que des jeux d'enfants et j'ai du recommencer tout à zéro en arrivant à Cojum. La proximité de tant de livre a du jouer aussi pour choisir une voix un peu différente de celle du métier des armes. C'est là que j'ai découvert les préceptes d'Helm : la vigilance, la défense sans faille. Mais je ne vais pas vous embêter avec ces histoires de religion alors que vous venez de me dire que c'est précisément cet aspect qui vous ennuie chez les paladins !

[Mornagest]

"Oh", fit-il, quelque peu gêné. "Non... enfin, certains paladins sont très ennuyeux. La religion n'est pas ma tasse de thé, et les préceptes un peu trop rigides ne me tentent pas vraiment. J'ai cru, pendant un temps... que je pourrais m'en accommoder, mais j'ai sans doute un esprit un peu trop libre pour cela. Mais ça ne veut pas dire que j'abhorre les paladins, heureusement !"

Il revint sur les paroles de Chandara.

"En somme, c'est plutôt l'aspect guerrier du culte de Helm qui vous a attiré ?"

[Chandara]

La paladine fut quelque peu décontenancée par cette dernière question et répondit après un instant de réflexion :

- Je ne sais pas vraiment : après tout chaque foi a ses défenseurs. Cela m'a paru être une évidence à l'époque et ça l'est toujours aujourd'hui même si j'avoue que je ne saurais l'expliquer. Disons qu'à un moment, je me suis senti en phase avec ces préceptes. Certains parleraient de révélation mais ça fait affreusement pédant et mystique, non ? Je crois que je n'ai jamais eu le goût des dogmes moins non plus alors je m'efforce d'interpréter au mieux ce que je dois faire. Ce n'est pas toujours facile, j'ai déjà commis bon nombre d'erreurs. Mais c'est le prix à payer pour conserver un esprit critique je crois.

[Mornagest]

Apprendre de ses erreurs. C'était une philosophie qu'il partageait en partie, même si elle n'était pas exempte de risques. En revanche, devenir paladin sans adhérer entièrement au dogme de Helm... c'était plutôt curieux, mais Hugues n'insista pas. Remettre en cause les croyances de la jeune femme était bien la dernière chose qu'il souhaitât faire.

"L'esprit critique... quoi de plus important, finalement ? Cela nous fait avancer. Évidemment, avec tout un lot de questionnements plus ou moins douloureux, mais salutaires, en général. J'imagine que votre vie doit être pleine d'occasions de ce genre..."

Que dire de la sienne ? Mais il n'osait guère parler de lui sans commettre une étourderie au sujet de sa véritable identité. Heureusement, il pouvait cacher cela sous une once de pudeur et de réserve, mais tout de même... Il ne savait vraiment pas jusqu'à quel point il pouvait se confier, ni avec qui. Tout était plus simple, avant. Ou maintenant. Il ne savait plus.

[Chandara]

La paladine se perdit un moment dans ses pensées avant de répondre d'un ton grave qui la faisait paraître plus âgée qu'elle ne l'était :

- Oui, dans le feu de l'action, tout parait simple et facile : il faut défendre sa vie et se battre de son mieux pour obtenir la victoire. Mais avant et après, les choses prennent plus de relief, les décisions sont plus difficiles à prendre. Etait-ce une bonne chose de détruire le temple de Talos à Mélandis ? Aujourd'hui je ne le sais pas encore : Talos est mauvais et nous menaçait mais un ennemi encore plus dangereux a pris sa place. A quoi bon sert d'abattre un ennemi si c'est pour le remplacer par un plus cruel encore ? Mais épargner un ennemi qui nous menace n'est pas une meilleure solution... Oui, décidément les combats sont des moments plus faciles que toute cette attente. Ne faites pas cette tête, je pourfendrai tout mélandien armé qui croisera mon chemin sans me poser de questions.

[Mornagest]

Alors qu'il n'avait pas compris la première allusion à la mission de la paladine, en abordant directement la destruction du temple de Talos, la jeune femme n'entretenait désormais plus aucune ambiguïté, et Mornagest manqua suffoquer en comprenant qui elle était : une des membres du groupe qui avait anéanti la structure religieuse, plusieurs mois auparavant. L'audace de ces malandrins n'avait jamais cessé de le surprendre, même si le fait de détruire une icône talosienne n'était pas pour lui déplaire, à l'époque où lui-même adhérait aux préceptes de Baine.

Reprenant ses esprits aussi rapidement que possible compte tenu de la nouvelle, Hugues se contenta d'acquiescer aux propos de Chandara.

"Souvent, en combat, on n'a guère le choix. Hésiter signifie perdre quelques fractions de seconde qui peuvent faire la différence entre la vie et la mort. Et c'est l'ennemi ou soi-même... cependant, je pense que vous n'aurez pas à avoir beaucoup de scrupules vis-à-vis des adversaires que vous rencontrerez durant cette campagne. Les soldats, de métier ou non, qui composent l'armée mélandienne, sont loin d'être des saints. Certains sont cruels, d'autres bien pires... je suis prêt à parier que le gratin des prisons mélandiennes est désormais non loin d'Aghoralis, à œuvrer pour le Mal sous l'œil bienveillant d'un quelconque sergent, lui aussi recruté dans les geôles pour l'occasion."

S'il répugnait à user de violence, désormais, il n'avait guère de commisération pour ces individus dont il connaissait la possible étendue de leur noirceur ; sans doute égale à celle qui l'avait habité, auparavant. Comment avait-il pu basculer si vite, et considérer désormais ces gens autrefois semblables à lui comme la pire des engeances, digne des démons issus des Abysses elles-mêmes ? Cela restait encore un mystère à éclaircir.

[Chandara]

La présence de repris de justice dans les rangs de l'armée mélandienne n'étonnait guère la paladine. Du reste, les soldats de rangs étaient certainement capables de commettre bien des atrocités. Cela n'en rendait que plus urgente l'intervention destinée à les arrêter. Chandara était malade à l'idée de penser ce qui pourrait attendre les civils piégés à Aghoralis s'ils arrivaient trop tard. En même temps, la paladine n'était pas assez naïve pour penser que la guerre en cours ne comptait pas déjà de nombreuses victimes et en compteraient de plus nombreuses encore.

- Nul doute que les mélandiens tenteront de nous déstabiliser par leurs atrocités pour nous forcer à nous découvrir. Ce serait illusoire d'espérer le contraire. Mais il faut continuer à nous dire que nous sommes là pour y mettre un terme et que nous sommes le dernier rempart contre de nouvelles exactions.

[Mornagest]

Il soupira brièvement. Dernier rempart... cela sonnait comme un espoir vain, un baroud d'honneur avant le déferlement inexorable du Mal sur le continent, emportant tout sur son passage, semant la mort et la désolation... Il secoua la tête pour revenir sur terre.

"Aucune guerre n'épargne les civils. Celle contre Melandis ne diffère en rien des autres, sauf en ce qui concerne la liberté de tout le territoire manostien. Pour le reste... ce sera sans doute une copie parfaite de ce que tous les peuples de Toril vivent au long de leur évolution."

[Chandara]

La perspective soulevée par le guerrier avait quelque chose de déprimant et de rassurant à la fois : quelles que soient les destructions perpétrées par les mélandiens, la vie reprendrait son cours une fois la guerre terminée. Mais si c’était sous leur domination, il y avait fort à parier que le monde serait bien plus sombre pour les populations sous leur coupe. Elle avait entendu parler par des récits de voyageurs (qui exagéraient sans doute mais tout de même) de ce qu’avaient été les dernières heures de la tyrannie à Luménis, des massacres sans nom perpétrés et du sentiment vengeur qui animaient encore l’esprit de la plupart des rescapés. D’un autre côté, les propos de Hughes semblaient suggérer que la victoire n’apporterait qu’un soulagement sans doute provisoire et que la marche des événements mènerait encore à d’autres périodes sombres en une série de cycles sans fin. Ces considérations philosophiques étaient un peu trop sophistiquée pour la paladine somme toute simple qu’était Chandara aussi résuma-t-elle sa pensée :

- Il n’appartient qu’à nous de ne pas laisser le champ libre à tous ceux qui n’ont pas pu fuir assez loin pour se mettre à l’abri. Mais ce n’est que la première étape, aussi importante soit elle. Ensuite il faudra reconquérir tous les territoires que les plus chanceux auront pu fuir à temps sinon la guerre fera des victimes bien après le dernier des combats.

[Mornagest]

"La question mérite d'être posée : en cas de victoire, jusqu'où repousserons-nous l'ennemi ? Défaire Melandis jusque dans ses retranchements les plus fortifiés me paraît complètement illusoire. Le désert qui entoure la cité est invivable, et à part y perdre de nombreuses vies à cause de la chaleur et de l'absence d'eau, nous n'y récolterions rien... mais comment nous assurer d'une paix durable, à défaut d'être éternelle ?"

Il parlait davantage pour lui-même que pour recevoir une réponse de Chandara, qui devait également l'ignorer. Les stratèges et diplomates manostiens devaient déjà envisager cette possibilité, et concocter plusieurs scénarios souhaitables en cas de victoire, mais cela conditionnait beaucoup de choses pour l'avenir. Son avenir, et celui d'un certain semi drow de sa connaissance... il n'aimait pas être dans le doute. Et, alors qu'il parvenait tout juste à se trouver une place, à se définir et tracer sa voie, les événements extérieurs s'empresseraient d'anéantir ses efforts pour rebattre entièrement les cartes en bouleversant la situation politique du continent entier. La vie était cruelle... Tymora aidait-elle Lothringen en ce moment ? Pas sûr que Hugues bénéficiait du même traitement...

[Chandara]

La paladine se refusait à faire des plans sur la comète mais parler de cette perspective valait mieux que de se lamenter sur les heures sombres à venir, à tout prendre :

- J'imagine que cela dépendra de l'ampleur de notre victoire. Mais que les force que nous combattons depuis tant d'année soient sorties de leur désert protecteur n'est pas une si mauvaise chose : nous pourrons enfin les affronter sans avoir à subir un long périple qui nous aurait diminué. Il est même possible qu'il ressorte du bon de tout cela, au final. Bien sûr, cela ne vaut pas pour tous ceux qui auront eu à subir leurs dévastations mais je garde bon espoir malgré tout. Vous croyez que Luménis cherchera à s'implanter sur le continent à la faveur de la guerre ? si c'est le cas, nous ne serions plus seuls à contenir la menace...

[Mornagest]

"Je n'en ai aucune idée", avoua-t-il. "Je n'ai pratiquement jamais eu de contacts avec les luméniens, je ne les connais que par ouï-dire, comme beaucoup de gens sur le continent, je suppose. Peut-être serait-ce une bonne chose, peut-être pas. L'indépendance reste souveraine, à mon avis, et une implantation luménienne sur les territoires manostiens donnerait un mauvais signal au peuple. Enfin, c'est ainsi que je verrais les choses, pour ma part... sans parler des éventuels problèmes de gouvernance qui viendraient probablement s'installer une fois la paix rétablie. Hum..."

Il n'osa pas préciser qu'il était méfiant vis-à-vis des intentions luméniennes. Certes, les dirigeants de la cité devaient avoir de bonnes intentions en tête, mais le plan de Fugue en était pavé, il était particulièrement bien placé pour le savoir. Les alliances de ce type ne pouvaient à terme que se fragiliser et disparaître au profit de l'ennemi, si l'ennemi ne provenait pas d'un des deux alliés eux-mêmes... il garda cependant cela pour lui, peu désireux de froisser la paladine, et une fois encore, de trop en dire. Il en savait long sur les luméniens ; il avait survécu de justesse à une tentative de renversement du pouvoir en place alors qu'il était ambassadeur à la cité de la Lumière. Forger une alliance avec des comploteurs ? Il en avait eu plus que sa part.

[Chandara]

La colonne continue des troupes manostiennes était sans doute bien loin des préoccupations dont devisaient Hughes et Chandara. Les effets de la pluie commençaient à se faire sentir et la paladine frissonna malgré sa tenue de combat.

- Toute cette pluie : ça donnerait presqu'envie de combattre dans le désert. Je ne me suis jamais rendu à Aghoralis. Vous qui en êtes originaire, que pouvez-vous m'en dire ?

[Mornagest]

La question faillit le prendre au dépourvu, d'autant qu'il ne s'était jamais rendu à Aghoralis. Il n'en connaissait que quelques éléments, qu'il s'empressa de donner à Chandara pour donner le change. Diantre, cette campagne aurait au moins l'avantage de lui permettre de voir sa "ville natale"...

"Une cité fortifiée assez importante. Les soldats y sont nombreux et bien entraînés, car de tous temps, la guerre a été latente ou présente entre l'empire mélandien et Manost. Mais en temps de paix, elle a pu prospérer grâce au commerce entre les deux parties. Les accords commerciaux récemment passés... et aussitôt brisés, d'ailleurs, auraient pu permettre à Aghoralis de prétendre rivaliser Manost en terme d'importance démographique et économique. En revanche, j'ignore ce que nous y trouverons en y arrivant. Si les combats ne se seront pas déjà déplacés..."

Une tentative de changement de sujet ne lui ferait pas de mal.

[Chandara]

La dernière phrase prononcée par le guerrier était une belle diversion en effet mais la paladine la considéra comme si le guerrier voulait éviter de parler de la cité de son enfance ravagée qu'ils trouveraient peut être au bout du chemin. Chandara perçut sa volonté de changer de conversation même si elle n'en avait pas interprété la cause réelle et c'était heureux pour tout le monde. La découverte d'un imposteur mélandien dans les rangs de l'armée en marche pour les combattre ne pourrait être interprétée que comme une tentative d'espionnage. La vie de Hughes ne tiendrait alors même plus à un fil... Cependant, la jeune femme qui paraissait prolixe jusque là ne relança pas la conversation, toute à ses pensées. Si Hughes voulait parfaire sa diversion, c'était à lui de trouver un nouveau sujet de débat.

[Mornagest]

Profitant d'un bref répit dans la conversation, Hugues se laissa aller à observer les gens qui l'entouraient. Beaucoup d'hommes, bien sûr, certains plus vieux que lui, mais la majorité avait son âge, voire moins ; certains étaient à peine adultes. Quant aux femmes, elles étaient pour la plupart entrées à l'âge adulte. Les plus jeunes n'avaient sans doute pas eu l'autorisation de leur mari ou parents pour se joindre à une pareille campagne. Et traditionnellement, elles s'occupaient des enfants tandis que leur conjoint allait se faire massacrer quelques lieues plus loin. Une perspective des plus agréables... il ressentait de l'admiration pour ces femmes qui osaient braver l'interdit et marcher fièrement aux côtés des hommes pour participer à une probable boucherie de laquelle elles ne reviendraient sûrement pas indemnes, physiquement ou psychologiquement.

Il avait moins de mérite. Accoutumé à la violence, il en avait vu d'autres, bien d'autres. Son esprit avait supporté des atrocités mille fois pires que ce qu'il pourrait voir durant les semaines à venir, et à moins d'un grand coup de malchance, il sortirait de cette guerre sans trop de dommages. Peut-être même pourrait-il retrouver Lothringen... s'enfuir avec lui loin de cette folie...

Il ne regardait plus rien en particulier ; son esprit voguait librement, marchant mécaniquement, extrait du monde alentour.

[Chandara]

Chandara respecta le silence d'Hughes pendant un temps avant de laisser parler une nouvelle fois sa curiosité, interprétant mal son mutisme :

- J'imagine que vous avez des amis autour d'Aghoralis. De la famille, peut être ? Je suis certaine qu'ils auront pu s'enfuir, néanmoins. Après tout, les pillards mélandiens ne se sont pas montré particulièrement discrets dans leur progression.

[Mornagest]

Il s'extirpa rapidement de ses pensées, qui étaient toutes autres, et dut repasser mentalement les paroles de Chandara avant d'en saisir la teneur.

"Oui, de la famille, quelques amis. Normalement, ils devraient avoir eu le loisir de quitter la cité et se diriger vers Manost, en effet. J'imagine que les mélandiens n'ont pas le luxe de s'attaquer aux civils pour terroriser les populations locales... du moins, pas dans les cités. Les villages frontaliers ne doivent plus exister depuis longtemps, lors que nous parlons..." Son visage s'assombrit alors que lui venaient à l'esprit des scènes brutales d'innocents massacrés par l'avant-garde mélandienne. De quoi envoyer le moral des troupes assaillantes aux cieux, et avoir le résultat inverse chez les manostiens. Quoi de plus déprimant que d'arriver sur place pour éteindre les ruines en flammes et compter les cadavres ?

[Chandara]

Les réflexions de Hughes n'avaient pas de quoi remonter le moral mais il fallait reconnaître au guerrier qu'il était réaliste et pragmatique. Ne pas se bercer d'illusions évitait les déconvenues aussi Chandara comprenait son attitude même si elle ne la partageait pas totalement. Toujours est-il que la tendance de Hughes à se refermer finit par déteindre sur la paladine qui s'enferra dans le mutisme. Il était probable que la marche allait se poursuivre de manière monotone plusieurs heures encore voire davantage si les troupes se restauraient sans s'arrêter. Encore des considérations logistiques qui étaient parfaitement étrangères à Chandara.

[Mornagest]

Restant muet pendant un bon moment, Mornagest laissa à nouveau dériver ses pensées, d'abord sur des questions très terre-à-terre. Il passait en revue les événements qu'il avait vécus ces derniers jours, essayant d'y voir plus clair dans la situation géo-politico-religieuse de Manost. Puis il se tourna vers ses souvenirs récemment recouverts. Sa maîtrise martiale, dont il n'avait finalement rien perdu, hormis un peu de pratique qu'il avait rapidement comblé en s'entraînant à l'ordre des Tormites... il s'était aperçu avec satisfaction que ses réflexes n'étaient pas rouillés, et qu'il maniait toujours avec autant d'habileté l'épée à deux mains. Mais il refusait toujours de porter une armure un tant soit peu gênante, afin de profiter au mieux de ses parades et esquives. Peut-être pas le choix le plus avisé en pleine bataille rangée, mais à un contre un, c'était un avantage sur le long terme.

Enfin, ses pensées revinrent rapidement vers Lothringen. L'image de l'elfe noire envahissait ses songes, et il espérait vivement le revoir sous peu, même s'il ignorait où il se trouvait. Peut-être était-il encore à Lumenis... Il passa un long moment à s'imaginer leurs retrouvailles, qui promettaient d'être riches en émotions. Il se demandait quelle tête Lothringen allait faire quand il lui annoncerait avoir retrouvé l'entièreté de sa mémoire...

Au bout d'un long moment, Mornagest finit par reprendre la conversation, désireux de se changer un peu les idées et de revenir à la réalité présente.

"Vous avez une idée de ce que vous ferez une fois ce conflit clos ?"

[Chandara]

Chandara s'était elle aussi abîmée dans ses propres pensées sans toutefois parvenir à en fixer une. Elle mit donc quelques instants à revenir à la réalité quand Hughes mit brusquement fin au silence. Il lui fallut encore un petit moment pour esquisser une réponse tant la question était délicate :

- Tout dépendra de la tournure qu'aura pris ce conflit j'imagine. Mais il y aura toujours une guerre à mener contre le mal, contre Mélandis ou d'autres de ses représentants. Donc j'imagine que ce conflit ne changera rien à ce que je faisais avant. Comment je le ferai est une question bien plus épineuse avec mon exclusion de l'Ordre pour m'appuyer. J'imagine qu'il me faudra trouver des compagnons de route. Et vous, quels sont vos projets ?

[Mornagest]

Il hocha la tête à la réponse de Chandara. La quête d'un paladin ne s'arrêtait jamais, et une guerre n'était finalement qu'une parenthèse, certes dangereuse, mais une parenthèse...

"Je ne sais pas encore. Si Aghoralis existe encore, j'y retournerai probablement, avec ma famille. J'imagine que je pourrai toujours devenir marchand... ou continuer sur la voie martiale et défendre la cité contre d'éventuels autres agresseurs. Les possibilités sont nombreuses, pour peu que la guerre ait une conclusion... disons heureuse, même si le terme n'est pas vraiment adéquat."

[Chandara]

La paladine se fit soudain rêveuse et répliqua d'un ton plus léger :

- Cela doit être réconfortant de savoir que des être chers vous attendent. Et cela doit être une source de motivation tout aussi puissante que sa foi pour défendre son pays. En tous cas, je vous souhaite de réussir ces beaux projets. Vous voulez bien me parler de votre famille ? Vous avez des enfants ? Si ce n'est pas une question trop indiscrète, bien entendu.

[Mornagest]

"Oh, non, ce n'est rien d'indiscret", assura-t-il avec un sourire. "Je vis seul, voyez-vous... c'est peut-être ce qui me pousse à prendre le risque d'aller au combat de la sorte. Évidemment, mes parents souffriraient de me savoir mort, mais si c'est en défendant le pays, peut-être y trouveraient-ils réconfort... mais j'ai foi en la victoire, et en ma chance. J'en bénéficie assez souvent, ces derniers temps, dirait-on", acheva-t-il, l'air plus vague.

"Et vous ? Je connais assez peu le paladinat, mais il me semble que le célibat n'est pas obligatoire ?"

[Chandara]

Alors qu'elle avait écouté la réponse d'Hughes avec un intérêt sincère et opiné poliment de la tête à son point de vue sur les risques de leur métier, elle ne s'était pas du tout attendu à ce que le guerrier lui retourne la question. Elle se mit soudain à rougir furieusement d'autant plus qu'elle tentait de réprimer cette manifestation gênante. Pourquoi lui avait-il posé cette question ? Que cherchait-il à savoir au juste. Evidemment, c'était un peu injuste et tardif de sa part de s'en inquiéter après ses propres interrogations indiscrètes mais cela ne suffisait pas à lui rendre un peu d'aplomb. Elle bafouilla en répondant, se maudissant elle-même :

- Comment ? Oh non, non pas du tout ! Enfin si... Je veux dire que... Oui, la plupart des paladins finissent par se marier même si les impératifs les éloignent souvent de leur conjoint. Enfin, ce n'est pas mon cas. Non, je veux dire, je n'en ai pas. Pas encore quoi.

Voilà, elle se sentait maintenant parfaitement idiote. Il n'y avait pas de mal à être célibataire mais sa nature timide rendait toujours le fait de l'exprimer bien difficile.

[Mornagest]

Conscient qu'il venait d'être très direct et à la limite de la grossièreté, Mornagest rougit lui aussi, de honte vis-à-vis de son comportement.

"Je... excusez-moi, je ne voulais pas vous mettre dans l'embarras. Ce n'est pas... une façon de parler à une dame. Veuillez me pardonner."

Il avait beau jeu de mentir sur son célibat ; d'un autre côté, il n'était pas certain de pouvoir un jour raconter à grand-monde quelle était la nature de sa relation amoureuse. Un semi-drow... il cumulait les faux-pas ! Mais il s'en voulait d'avoir ainsi gêné Chandara, et il réitéra ses plus plates excuses une fois encore.

[Chandara]

La paladine se reprit et les excuses embarrassées de Hughes l'y aidèrent mais elle s'en voulait en même temps de le mettre dans une telle position alors que ses questions avaient vraisemblablement été innocentes plutôt que guidées par des intentions malhonnêtes. Elle répondit avec un aplomb soudainement retrouvé :

- Oh, vous n'avez pas à vous excuser. Vous n'avez pas du tout été incommodant. C'est juste que je n'ai pas beaucoup l'habitude de... ce genre de questions. Je ne connais pas grand monde en ville encore et la plupart des inconnus s'arrêtent à mon armure et ma fonction. Ils ne voient pas la femme qui se dissimule de son mieux en-dessous. C'est un peu de ma faute en fait. Et puis c'est moi qui ai commencé avec ces questions. Alors, il n'y a vraiment rien à excuser, vraiment.

[Mornagest]

"Je vous remercie", fit-il, encore quelque peu gêné par son comportement. "Je pense que vous n'êtes pas la seule à être dans ce cas. Beaucoup de personnes influentes ne sont abordées que pour leur fonction, et non ce qu'elles sont réellement. Si, si, ne souriez pas... être paladin, c'est être influent. C'est même la mission première des paladins, à mon avis. Hum. Évidemment, c'est facile à dire alors que je n'en suis pas un, mais... c'est ainsi que je vois les choses. Alors, les hommes n'osent sans doute pas vous parler d'autre chose que de spiritualité ou de foi. Enfin, les hommes et les femmes."

Il n'était pas certain d'être très habile pour exprimer ses pensées, mais il espérait sincèrement ne pas avoir commis de nouvel impair, car ç'eut été entièrement involontaire...