Quête : Le Poing Levé - Brus et Lothringen

[Lothringen]

Comme il disait ces mots, ils venaient de dépasser l'un des nombreux villages qui jalonnaient la Voie Côtière. Avec le temps et le trafic commercial incessant avec Graëlon, nul doute qu'ils deviendraient d'ici une dizaine d'années de riches bourgades relevant directement de la sphère d'influence de la grande cité méridionale... Enfin, à l'expresse condition que l'armée mélandienne n'y mette jamais les pieds.

Lothringen se rappela d'avoir lu la carte avant de partir. Les généraux avaient décidé de prendre pour première étape Médann, un bourg d'une centaine de maisons, doté de vastes pâturages et de jachères où l'on pourrait planter les tentes, sans compter le point d'eau indispensable à l'entretien de cette foule. L'état-major, lui, trouverait facilement où se loger en réquisitionnant les deux auberges principales. Une grange servirait à la préparation et la distribution de nourriture... Il y avait fort à parier qu'on ne serait pas toujours aussi bien reçus, surtout lors du passage des cols, et plus tard lorsqu'il faudrait couper à travers la campagne pour rejoindre Aghoralis plus rapidement.

«Nous ferons étape à Médann, ce soir. Nous sommes à peu près aux deux tiers de la route...»

Selon ses calculs, ils y parviendraient peut-être deux heures avant le coucher du soleil. Il y aurait beaucoup de choses à mettre en place ce soir-là – à commencer par régler le problème des recrues volontaires non affectées et fâchées avec la discipline – sans compter que la colonne s'étirait encore longuement derrière eux.

«...Nous ne nous arrêterons pas pour manger avant le repas du soir. Vous avez de quoi casser la croûte ? Sinon, n'hésitez pas à demander, les gardes ont toujours des réserves d'urgence dans leurs sacoches...»

Pour sa part, Lothringen s'était contenté de grignoter des fruits secs au fil de la route. Depuis que la pluie s'était tarie et que ses vêtements avaient plus ou moins séché, il commençait de trouver le voyage beaucoup plus agréable, et son esprit vagabondait. En ce moment, il se rappelait son voyage avec Seina, Erszebeth et Cyric, le long de cette même route : la tension entre eux, le caractère complètement hasardeux de leur quête, la liberté d'aventurier dont il jouissait alors...

[Dhast]

Médann? Brus n'avait jamais entendu parler de ce village. Ni d'aucun autre, en vérité, de la côte manostienne jusqu'aux terres désolées autour et par-delà Melandis, à l'exception de Dernek, bien sûr. Le monde qu'il connaissait était-il si réduit, si étriqué? Athkatla, Manost, c'était tout. Le conseiller avait voyagé sur Dorrandin, Hélonna probablement, sur les terres de Toril, et sans doute dans d'autres endroits qu'il n'avait pas mentionnés. Mènerait-il une vie d'explorateur ou de voyageur lui aussi? Brus n'en savait trop rien, les grands espaces ne l'attiraient pas particulièrement, voire le mettaient mal à l'aise, mais les cités exerçaient toujours sur lui un charme irrésistible. En attendant, il ne goûtait pas particulièrement la longueur des voyages. Deux tiers... Brus leva les yeux vers le ciel qui s'éclaircissait, le soleil, à grand renfort de rayons, perçait de lumineuses brèches dans l'amas des nuages qui se dispersaient peu à peu. Le jeune voleur sourit à la clémence de la nature. Il fit glisser la sangle de sa besace pour la ramener devant lui.

"Pour sûr que j'ai pris à manger m'sieur Lothringen, vous savez, je n'voyage pas souvent, mais au cas où, j'avais pris quelques p'tits trucs, r'gardez..."

Et Brus commença à sortir plusieurs paquets de tailles diverses, dans lesquels étaient rangés toutes sortes de nourriture, biscuits et pain, fruits, certains séchés d'autres frais, le jeune voleur proposait au fur et à mesure ses paquets au conseiller à côté duquel il chevauchait, soit qu'il les lui tendit simplement, soit qu'il les lui colla directement dans les pattes, comme pour le dernier paquet, qui contenait des biscuits sablés parsemés de graines. Brus lui en expliqua la provenance, tout sourire :

"C'est m'dame Elissa qui les fait, vous n'vous en doutiez pas hein? Elle m'a dit ce qu'il y avait dedans mais j'ai oublié l'nom, ça sonnait bizarre, tout ce que j'espère c'est qu'elle ne s'trompe pas dans ses bocaux à l'herboristerie, vous imaginez... Mais allez-y hein, vous verrez, c'très bon."

Et Brus laissa le conseiller faire son choix pour s'occuper d'un de ses sandwichs.

[Lothringen]

Il fallait reconnaître que pour quelqu'un qui n'avait pas réellement l'intention de partir en voyage, Brus avait fait des réserves plutôt conséquentes. Lothringen préleva par politesse, ici une tranche de lard fumé, là une boule de pain de seigle ou une poire fraîche : peut-être cela lui viendrait-il quand ils auraient démonté, mais pour l'heure, il n'avait pas un très gros appétit.

En revanche sa curiosité fut aiguisée par le paquet de biscuits que lui proposa finalement le voleur. Il n'aurait effectivement pas soupçonné ce talent (ni surtout, ce penchant) chez Elissa Keens. Saisissant avec précaution l'un de ces biscuits, il le porta à sa bouche et commença de l'analyser avec le sérieux dont il aurait retranscrit la composition d'une potion complexe.

« Hum, alors... des éclats de pomme... du sésame... de la cannelle... et peut-être même quelques noisettes en poudre... C'est vraiment très bon, et moelleux en plus. Comme quoi on peut être maîtresse d'une guilde de mercenaires, spécialiste des arts martiaux, servante du dieu des morts, et amateur de pâtisserie fine, il n'y a pas de raison. Je me ressers ! Qui en veut ?» fit-il en distribuant à la ronde aux gardes les plus proches. Le paquet eut un réel succès, même si on veilla à en laisser un peu à son propriétaire. S'il revoyait jamais Elissa, le semi-drow ne manquerait pas de la taquiner sur son talent caché.

Bien qu'allant un train plutôt tranquille, ils remontaient inexorablement la colonne des marcheurs sur la route. Pour l'heure, ils étaient au niveau des mages de la guildes des Arcanes. Un assemblage hétéroclite de mages crottés et souvent furieux de leur piètre allure, et d'apprentis surchargés de bagages... Les professeurs les plus âgés n'étaient pas du voyage : ceux qui étaient encore en état de combattre se téléporteraient avec Eloern lorsqu'ils approcheraient de la destination.

[Dhast]

Brus écouta un moment l'analyse du conseiller quant à la composition des gâteaux avec, en ce qui le concernait, un mélange d'admiration et de perplexité. Maintenant qu'il les entendait, les ingrédients nommés par Lothringen venaient se superposer sur ceux que sa mémoire avait commencé de voiler. Il hocha finalement la tête d'un air infiniment convaincu à la conclusion du semi-drow, puis il regarda avec le même plaisir qu'il aurait eu s'il les avait lui-même faits, les paladins se les passer avec sans doute une pointe de gourmandise. Comme quoi l'assiette de devoir, de rigidité et de vertu qu'ils s'étaient enfilée au petit-déjeuner leur avait laissé une place, en cela ils étaient plus humains qu'ils en avaient l'air. Lui-même les avait piqués à la guilde au moment de partir. Brus espérait fortement que les soupçons de la moinesse se porteraient d'abord sur Delcia ou Basile, avant de lui choir sur la joue sous la forme d'une nouvelle mandale mémorable. Mais le fait qu'ils avaient servis à sustenter des paladins déchus en quête de réconfort après la mort de leur dieu et la perte de leur seigneur ne manquerait pas de donner au geste l'aura d'une bonne action. Du moins il faudrait s'en convaincre, et en convaincre Elissa.

Cependant il n'aurait pas à se soucier de tout cela avant son retour à Manost qui se ferait, au plus tôt, le lendemain. Pendant ce temps, ils poursuivaient leur route, et Brus put constater qu'il n'était pas le seul à souffrir du voyage. Chez les magiciens, entre mules et apprentis, la différence était minime. Le jeune voleur scrutait les robes des mages, certaines auraient pu être élégantes si la situation et leur état ne les rendaient pas grotesques. Il mordit dans son sandwich.

"Ch'est cha la guilde des Arcanes? Ils n'ont pas l'air bien méchants... Vous vous y connaichez en magie? Ils ont un dieu auchi? Il déglutit. Où ça fonctionne autrement?"

[Lothringen]

Lothringen était assez effaré d'entendre une question aussi ingénue sur ce qui faisait pourtant la différence essentielle entre magie divine et magie profane.

« Bon sang, mais c'est criminel d'en savoir si peu ! Enfin, c'est surtout mauvais pour votre espérance de vie. Il faut se renseigner sur les méthodes de tous ceux qui peuvent devenir vos adversaires un jour ou l'autre, c'est essentiel... Les mages peuvent avoir un dieu, Mystra par exemple est leur protectrice, mais ce n'est pas la foi qui leur procure leurs pouvoirs. Ils les tirent de la Toile, c'est-à-dire... »

A ce moment-là, une deva narquoise défila dans l'esprit de Lothringen. Comment résumer correctement vint ans d'étude des arcanes sans être tout à fait incompréhensible ?

« ...c'est-à-dire d'une sorte de réseau d'énergie invisible qui imprègne l'ensemble de la matière qui nous entoure. A priori n'importe qui peut apprendre à la manipuler, à condition d'avoir de l'intelligence, de la patience et, hum, beaucoup de goût pour l'étude. » Il désigna du menton le piteux convoi des mages de la guilde. « Ces mages peuvent vous paraître chétifs et mal protégés, mais leurs sorts sont variés, puissants, et facilement mortels pour celui qui ne les a pas vus venir. Quand ils projettent une boule de feu, mieux vaut ne pas se mettre dans la ligne de mire... »

Et encore, on peut esquiver une boule de feu, alors qu'un sort d'altération mentale ou une illusion représentaient des dangers beaucoup plus sournois. Brus allait devoir en apprendre davantage là-dessus s'il voulait poursuivre longtemps la vie périlleuse d'un membre de la guilde...

[Dhast]

Criminel? Brus s'était vu reproché beaucoup d'actes criminels mais ce dernier échappait à toutes les perspectives délictueuses qu'il avait pu imaginer. Quant à la Toile, il peinait à imaginer son existence sinon sous la forme d'une vaste toile d'araignée invisible dont les fils seraient tissés tout autour d'eux et cette image lui paraissait vraiment peu crédible, voire plutôt fantaisiste. Pourtant, une fois de plus, dans ce charabia opaque, le conseiller marquait un point : il était crucial d'en savoir le plus possible sur ses adversaires. Lorsqu'il aurait appris à lire, il aurait encore bon nombre de lectures à faire. Il avait croisé peu de mages à Athkatla, et pour cause, et encore moins à Manost, en fait, l'exception était les membres du Zhent, mais une seule rencontre suffisait pour que l'issue en soit fatale. Décidément, tout cela était bien sinistre.

"Mouais, l'goût pour l'étude, j'pourrais pas dire qu'c'est mon fort. Mais alors, ils peuvent faire n'importe quoi 'vec la toile? Et vous avez d'jà combattu des magiciens, vous? D'ailleurs vous êtes mage? Il paraît qu'oui. Et entre la magie des prêtres et la magie des mages, laquelle est la plus forte?"

Et voilà que Brus assommait de nouveau le conseiller de question, mais après tout, c'était probablement la personne la plus érudite qu'il avait rencontrée, avec le vieux Corwin. Ne disait-on pas que les elfes avaient une vie démesurément longue? Bien qu'il ne fût que semi-elfe, Lothringen devait tout de même conserver une espérance de vie plus que confortable. Cela laissait beaucoup de temps pour étudier.

"Et au fait, vous avez quel âge?"

[Lothringen]

« Trente-six ans. Ce n'est guère âgé pour ma race... »

En fait, il entrait à peine dans l'âge adulte, mais l'accumulation des épreuves et des vies antérieures l'avaient marqué au point que peu nombreuses étaient les personnes qui pouvaient faire ressurgir cette relative jeunesse derrière son masque de résignation grave. Si peu nombreuses, et l'une d'elles lui manquait...

« J'ai étudié les arcanes durant une quinzaine d'années, mais je ne progresse guère ces derniers temps. J'ai trop à faire. »

Il avait interrompu son étude de la magie dès qu'il avait quitté l'Ombreterre, et ne s'y était remis que récemment. Le manque de temps était le problème récurrent. Un conseiller manostien n'a pas trop le loisir d'apprendre par cœur des ouvrages d'incantations diverses, de tester de nouvelles potions ou de perfectionner sa gestuelle.

« Je ne saurais vous dire si la magie divine est plus puissante que la magie profane, ou l'inverse. A bas niveau, ils ont surtout des sphères d'influence très différentes, avec des prêtres spécialisés dans les sorts de protection, de guérison et de soutien au combat, alors que les mages peuvent jouer avec les illusions, le contrôle mental, les créatures invoquées et les dégâts élémentaires. A haut niveau, en revanche, je crois que les sorts se valent. Du reste un archimage pourra guérir et ressusciter, tandis qu'un grand-prêtre invoquera des colonnes de feu, des démons ou de de puissants élémentaires. Les mages, à tout niveau, conservent le privilège d'avoir une bien plus grande variété de sorts disponibles... »

Il aurait sans doute fait un mauvais clerc. Trop impatient, trop curieux, il aimait expérimenter, découvrir, voyager, suivre son impulsion en somme, et se serait assez mal accommodé des injonctions d'une Eglise.

[Dhast]

Trente-six ans, en effet, était assez peu, et surtout bien inférieur à ce que Brus avait imaginé. Il écouta attentivement la suite des réponses données par Lothringen, tout en jetant un œil nouveau sur les mages et les clercs qui les entouraient. Des colonnes de feu et des démons! Difficile à imaginer et pourtant si le conseiller l'affirmait, c'est que c'était sans doute vrai, et par conséquent, Brus était partagé entre la crainte et la curiosité d'assister à pareil événement, les Mélandiens invoqueraient sûrement quantité de créatures infernales et démoniaques. Le jeune voleur acheva d'engloutir son sandwich et ponctua son repas par l'un des fameux gâteaux d'Elissa.

"Ah ça, je vous imaginais plus vieux, c'est peut-être les cheveux blancs..."

Brus risqua un regard du côté de Lothringen pour voir si sa plaisanterie avait fonctionné. Il réalisa un peu tard que le conseiller pouvait ne pas être très taquin, voire ne pas la goûter du tout.

[Lothringen]

Lothringen pouvait certes se montrer très susceptible à l'occasion, mais les considérations capillaires ne faisaient définitivement pas partie de ses points sensibles. Dans l'ensemble, il aurait été plutôt satisfait de son physique si ce dernier n'avait été de nature à lui attirer les préjugés par wagons... Il sourit donc à la plaisanterie du jeune voleur, et se contenta de remarquer sur un hochement de tête :

"Ah vous savez, ma fille a les mêmes, et elle suce son pouce comme personne."

Il se laissa quelques temps bercer par le pas des chevaux, songeant à sa fille. Cette campagne allait l'éloigner durablement de Leodacya, dont il espérait qu'Elissa saurait la protéger. Des semaines complètes durant lesquelles elle allait continuer de grandir, et faire de précieux progrès dont il ne serait pas témoin. Il s'en voulait de n'être qu'un père intermittent, et savait que la petite fille lui en voulait aussi. Elle prenait souvent une mine boudeuse quand il venait lui rendre visite. Même lorsqu'il restait à Manost, il y avait sa charge... Et quand il aurait quitté sa charge ? Si floue que soit la façon dont il se représentait l'avenir - avec ou sans Mornagest, avec ou sans défaite face aux mélandiens, avec quel destin pour la ville ? - Lothringen doutait que cela y changerait rien...

Il revint au moment présent. La luminosité commençait à baisser. Un vent du soir un peu trop frais lui soufflait au visage. Ils ne tarderaient plus à atteindre Medann. A ses côtés, Brus avait fini de manger, peut-être même de digérer, et le semi-drow se fit la réflexion que sa compagnie, somme toute, lui avait permis de passer une première journée de route beaucoup moins sinistre qu'elle ne s'était annoncée. Avec la perspective du gîte, il se représentait aussi la mission qu'il avait confiée au jeune homme, et l'excitation pointait le bout de son nez. Peut-être pourrait-il voir son compagnon dès ce soir ! Et peut-être Brus reviendrait-il bredouille, n'ayant pas réussi à le retrouver dans la foule... Il fallait bien essayer.

"Comment avez-vous trouvé Hugues, dans les quelques temps que vous avez passés avec lui ? Je craignais qu'il ne soit tout à fait perdu à son arrivée à Manost, où il ne connaissait pour ainsi dire personne... j'étais loin de me douter qu'il s'attirerait des tentatives de meurtre !"

Il était peut-être imprudent de poser une telle question, et peut-être Brus lui avait-il déjà dit tout ce qu'il avait à en dire, mais l'envie d'entendre davantage parler de Mornagest avait été la plus forte.

[Dhast]

Brus resserra sa veste de cuir autour de ses épaules. Malgré la fraîcheur, la question du conseiller ne manqua pas de le faire sourire. Présentées comme ça, il est vrai que le déroulement des événements pouvait paraître très curieux, surtout vu leur dénouement. Mais comme il réfléchissait à la façon dont il devait présenter les choses, il dut bien admettre qu'elles étaient curieuses en elles-mêmes.

"Oh ça, paumé, il en avait l'air m'sieur Lothringen. J'imagine que m'dame Elissa lui avait donné quelques repères dans Manost... C'est vous qui l'avez envoyé à la guilde alors? M'enfin à part ça je saurais pas trop quoi vous dire. Être paumé n'empêche pas de trouver des ennuis vous savez, et lui il avait l'air spécialement de les chercher, c'était sans doute en rapport avec sa mission, j'crois qu'il menait une sorte d'enquête."

Brus songea aux discussions qu'il avait eues avec Hugues à la Discrète. Celui-ci avait été assez évasif sur les raisons de sa présence. Et pour connaître l'un des rares établissements de Manost à proposer ce type d'arrière salle, Hugues n'en restait pas moins manifestement un étranger à la ville.

"Mais pour fouiner dans ces coins-là, vaut mieux être discrets ou bien avoir d'gros bras vous voyez, et m'sieur Hugues, je sais pas comment il a fait son compte mais vous voyez comment il est, c'pas non plus une montagne alors... "Brus haussa les épaules, avant de conclure." En tout cas il avait beau être curieux, il n'a jamais vraiment dit qui il était... Vous l'connaissez d'puis longtemps? C'est un ami à vous? Ou un de vos agents plutôt? Ou... 'ttendez, j'vais trouver..."

Et Brus de se mettre à réfléchir tout en passant sa main sur son menton imberbe.

[Lothringen]

C'est l'ancien chancelier de Melandis ressuscité. Et aussi mon amant.

« Vous ne trouverez pas, je pense. »

Cette première phrase était à peu près tout ce qu'il y aurait de vrai dans sa réponse. Le reste avait été convenu avec Mornagest quelques temps plus tôt, quand il avait fallu coordonner leurs versions.

« Je connais mieux son père que lui, en fait... C'est le fils d'un riche marchand d'Aghoralis avec lequel je suis en relation. Il n'avait pas vraiment choisi de se faire téléporter à Manost, c'est juste que c'était ma destination et qu'il avait besoin de soins urgents...» Il haussa les épaules, sur un demi-sourire. « Même s'il aurait mieux fait de devenir marchand à son tour que de se prendre pour un espion et un enquêteur, le hasard a bien fait les choses, somme toute. Au jour d'aujourd'hui, mieux vaut marcher avec l'armée que de se trouver assiégé dans sa ville natale. »

Sa pensée glissa vers la population d'Aghoralis. Le siège avait-il commencé ? L'armée allait forcer l'allure tant qu'elle pourrait, mais il était essentiel que la cité tienne le coup le temps qu'elle arrive. Essentiel pour l'espérance de vie de la population, bien sûr, mais aussi pour le tour que prendrait la guerre.

[Dhast]

Le conseiller vendit la mèche avant que le jeune voleur n'eût donné sa langue au chat. Au « Vous ne trouverez pas, je pense. », Brus s'attendait à entendre ensuite une histoire improbable, de celle qu'un conseiller à la diplomatie semi-drow ne devait pas manquer de vivre de temps en temps, mais le rendu fut d'une banalité un peu décevante pour Brus. Aussi se contenta-t-il de répondre un peu mollement :

" 'Fectivement, je pensais pas à ça. En tout cas ça explique ses petites maladresses. "

Quant à la conclusion, Brus hocha de nouveau la tête. Lui aussi était mieux ici qu'à Athkatla, et pourtant, cette dernière gardait quelque chose dans son climat qui la faisait toujours l'emporter sur la cité de Helm. Y retournerait-il un jour? Le jeune voleur ne connaissait pas la réponse à cette question, et en l'état, il ne pourrait y répondre sans avoir glané beaucoup d'informations au préalable. Un océan séparait les deux cités, il ne s'agissait pas d'y amarrer à l'improviste, le temps manquerait pour faire demi-tour.

"Dommage que tout ça ait raté. L'enquête je veux dire. Ça puait le complot à plein nez, c'est sûr! J'pense aux hommes que l'Grand Tormite a fait ram'ner d'Aghoralis, ceux-là aussi ont échappé au siège, du coup. Et ils ne marchent sans doute pas 'vec nous aujourd'hui. Manoeuvre opportune, pas vrai? Croyez qu'ils ont pactisé 'vec l'ennemi? M'dame Elissa disait qu'les Tormites étaient pas assez nombreux pour prendre la cité, mais maint'nant qu'tout l'monde en sort..."

L'imagination de Brus était lancée et s'il ne les énonçait pas toutes, son esprit se perdit vite dans les méandres des multiples conjectures qu'il se représentait.

[Lothringen]

Le conseiller était parfaitement conscient du problème, qui n'était d'ailleurs pas étranger à la précipitation du départ des troupes. Néanmoins, ce n'était pas un sujet qu'il pouvait aborder trop ouvertement, même devant des gardes d'élite et un membre de la Vierge d'Argent.

"On a veillé à ce que les Tormites contribuent largement à l'effort de guerre en fournissant de nombreuses troupes, mais comme vous dites, il en reste, il en arrivera peut-être encore en ville, et Manost serait très facile à prendre de l'intérieur à présent qu'elle s'est à ce point vidée..."

D'autant que dans le cas d'une prise de pouvoir de ce type, consigne avait été explicitement donnée à la garde de rendre les armes sans combat.

"Cela dit... Une telle action, à elle seule, est inutile. Il faudrait d'abord s'assurer de ce que l'armée ne rentrera pas. "

C'est pourquoi le soupçon de Brus concernant une collusion avec l'ennemi n'avait rien d'absurde, dans l'absolu. Sauf qu'on se représentait mal des Tormites s'entendre avec des Cyriciens.

"Je ne crois pas à la possibilité de leur entente avec les mélandiens, en revanche."

Bien sûr, Lothringen avait déjà vu plus étrange - des tempusiens commanditant des meurtres, des cyriciens levant une armée régulière... - mais tout de même, son imagination butait un peu sur l'obstacle. Il y avait une différence sensible, dans l'esprit d'un tormite, entre balayer un gouvernement affaibli et dépourvu de légitimité qu'on jugeait incapable d'organiser les combats, et pactiser avec un dieu maléfique parmi les plus nuisibles... Enfin, il l'espérait.

Au loin sur la route, à l'issue d'une double rangée de peupliers annonçant la proximité d'une agglomération, se profilaient les premières chaumières, dont les cheminées fumaient tranquillement à l'approche du crépuscule.

"Nous arrivons."

[Dhast]

Brus haussa simplement les épaules à la dernière objection de Lothringen.

"C'est vrai qu'ça paraît assez incroyable. Mais s'ils sont sûrs d'leur victoire ensuite... Les clercs ont une sacré tendance à être sûrs d'eux vous savez. C't'un peu dans leur nature..."

Et le conseiller annonça leur arrivée à l'approche d'une bourgade qui différait assez peu de celles qu'ils avaient déjà pu croiser. Pourtant elle avait ceci de particulier, aux yeux de Brus, qu'elle était leur point de chute et marquait, au moins pour ce jour-là, la fin de ce périple ô combien douloureux pour son fessier. Ils pourraient mettre pied à terre et bientôt, sous l'affluence des soldats, le bourg se transformerait en une agglomération de taille respectable, Brus y retrouverait le fourmillement et la densité qui lui étaient si agréables. Quoique la mission du conseiller risquait de mettre un bémol à ce dernier point. Il lui faudrait dénicher Hugues et la partie ne serait pas simple, surtout s'il n'avait pas suivi les Tormites. Le plus pratique serait peut-être encore de guetter son arrivée à l'entrée de la ville. Brus fit part de son plan au conseiller :

"Vous avez la lettre m'sieur Lothringen? Je m'disais que dans l'cas où m'sieur Hugues n'avait pas r'joint les Tormites, le plus pratique pour le trouver s'rait d'guetter son arrivée à l'entrée d'la ville." Brus jeta un oeil sur ce qui était plutôt de la taille d'un village. L'armée n'y tiendrait sûrement pas tout entière. "Ou du campement."

[Lothringen]

« C'est une bonne idée, approuva Lothringen. Nous avons dépassé les Tormites il y a une petite heure sur la route, et s'il ne marche pas avec eux alors il sera sans doute obligé de passer ici pour se renseigner. »

Le semi-drow désigna du menton un sergent campé à l'entrée de la grande rue qui se chargeait de distribuer les consignes pour l'installation des différents corps de troupe en leur désignant le carré de labour ou de prairie qui leur était réservé. Des isolés venaient déjà spontanément près de lui pour retrouver leur affectation perdue de vue...

« Restez ici si vous voulez. Ma lettre n'est pas encore écrite, mais je vous la ferai porter rapidement. Où logeons-nous exactement ? » demanda-t-il à l'un des gardes.
« A l'auberge du Merle Rouge. Sur la gauche dans la grande rue. On la voit d'ici. »

« Très bien. Brus, vous viendrez me retrouver là-bas quand vous aurez accompli votre mission. J'attends toujours de savoir quelle récompense vous désirez, d'ailleurs. A tout à l'heure, et avec de bonnes nouvelles j'espère. »

Sur un salut rapide, le conseiller et ses gardes s'éloignèrent alors, laissant le jeune voleur à l'entrée de Médann, à scruter un flux beaucoup plus calme et clairsemé que celui du départ aux portes de Manost. Les troupes d'élite de la Citadelle de la Lame d'Argent gardaient encore assez fière allure, mais il n'en allait pas vraiment de même des combattants moins entraînés à la marche qui les suivirent. Vingt minutes plus tard, un des gardes blancs vint trouver Brus et lui remit la lettre cachetée destinée à Hugues Montfort.

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« Hugues,

Elissa m'a appris que tu avais rejoint l'armée, et je suis tombé par hasard aux portes de Manost sur cette connaissance commune qui m'a un peu parlé de toi. J'ai pensé qu'il ferait le messager idéal pour te retrouver dans cette foule... Je voudrais te parler en privé de tes « affaires de famille. » Pourrais-tu me rejoindre assez rapidement ?

Lothringen

PS : si tu peux venir ce soir Brus pourra te guider, sinon je serai avec l'état-major. »