[Lieu] Mersant

[Galathée]

L'officier acquiesça, manifestement à contrecoeur. Sans doute estimait-il que l'objet aurait été plus en sécurité avec lui-même. Mais il ne s'opposa pas à la décision de Taliesin. Celui-ci dut cependant déchanter : Martin semblait s'être volatilisé. Personne ne l'avait vu dans la grotte depuis un certain temps, et dans la confusion qui avait suivi le combat contre les pirates, personne ne s'était réellement soucié de lui.

[Taliesin]

La disparition de Martin l'inquiéta. La dernière fois qu'il l'avait vu, son humeur n'était pas au beau fixe, et il redoutait que l'ancien courtisan n'ait pris quelque périlleuse initiative. Toutefois, le temps manquait pour le chercher ou pour s'enquérir de lui. Il confia donc le caillou à l'officier - ce qui aurait au moins le mérite d'améliorer son humeur - puis, sans pouvoir s'empêcher de jeter des regards autour de lui, au cas où son compagnon de mésaventure serait revenu, il rejoignit le groupe d'intervention mené par Kerun. Ils n'allaient pas tarder à se mettre en marche, pour le meilleur ou... pour le pire. Cependant, presque à son corps défendant, il ne pouvait s'empêcher d'être plutôt optimiste...

[Galathée]

Le groupe de Kerun s'ébranla le premier. Leur objectif était de gagner le port sans se faire repérer par les hommes présents sur la lande. Le reste de la troupe luménienne attendrait un rien plus longtemps pour se déployer, mais l'idée était d'attaquer les pirates isolés et de les éliminer, puis d'attendre aux sorties des tunnels pour coincer les équipes qui remontaient. Mais ce n'était pas du ressort de Taliesin. Constance lui souhaita bonne chance, ainsi qu'à Guéric, et ils se glissèrent le long du goulot qui quittait la caverne. Kerun envoya deux hommes à l'extérieur pour reconnaître la lande.
"Nous allons gagner le port immédiatement. Pas de coups fourrés dans la lande, même si vous avez un pirate à deux pouces de votre lame..."
Il se tourna vers Guéric et Taliesin.
"Je vous demande de vous plier à mes ordres. Je ne doute pas de vos compétences respectives, mais les initiatives personnelles n'ont pas droit de cité. Nous devons agir de concert et je supervise l'intervention."
Guéric acquiesça, concentré.

[Taliesin]

Il opina également du chef, plutôt content de jouer les simples exécutants. Car, d'ordinaire, endosser des responsabilités ne lui réussissait guère.
-Vous devez juste savoir que mes sorts d'invisibilité ne durent qu'une dizaine de minutes, prit-il cependant soin d'ajouter. Ainsi me faudra-t-il trouver un coin tranquille pour incanter à nouveau, une fois arrivé au port.
Non sans un certain amusement, il songea que son séjour sur Mersant aurait au moins eu un avantage : cette discrétion permanente, ces multiples opérations d'infiltration, tout cela constituait une excellente préparation pour ses futures pérégrniations mélandiennes. En effet, contrairement aux précédentes, celles-ci seraient placées sous le signe de la discrétion, puisqu'il devrait soigneusement veiller à ne pas se faire remarquer...

[Galathée]

" Vous ne devriez pas en manquer. Le Squale semble jouer son va-tout et le port sera probablement peu protégé. Les lanceurs de sorts font face au large, mais peut-être qu'un ou deux seront chargés de leurs arrières. Notre problème principal est que le bateau n'est plus à quai. Nous pouvons le rejoindre à la nage ou en passant par l'ancienne butte du phare. L'un dans l'autre, ce sera un peu sportif..."
Les deux hommes qu'il avait envoyés reparurent.
" Il y a une douzaine d'hommes sur la lande, commença le premier. Un officier seulement. Nous pourrions tous les éliminer assez facilement...
- Ce n'est pas notre combat. Rendez-vous au port, dans l'appentis de l'auberge que nous avons repéré ce matin. Rosa et Morten, vous continuez vers la butte du phare, nous vous attendons au rapport."
L'agent se tourna vers Guéric et Taliesin.
" En route. Soyez prudents."

[Taliesin]

L'appentis, donc. Il en connaissait très bien la localisation et savait pouvoir l'atteindre avant que son sortilège ne prenne fin. Du moins, dans des circonstances normales. Toutefois, à en croire les rapports des éclaireurs, il semblait fort peu probable que des embûches ponctuent leur chemin. Les difficultés les attendraient plus tard, lorsqu'il serait question de grimper sur le navire... Mais il serait toujours temps de s'en préoccuper le moment venu ! Aussi, sans plus tarder, il lança son incantation et, devenu invisible, s'enfonça d'un bon pas dans le tunnel qui conduisait à la surface.

[Galathée]

Contraste avec la journée pluvieuse de la veille, il faisait beau. L'herbe était cependant trempée et chaque fureteur, aussi invisible soit-il, laissait une belle piste derrière lui. Mais comme l'avaient dit les éclaireurs, la lande était pratiquement déserte. Deux hommes traînaient dans leur secteur, en grande discussion. Deux autres cheminaient vers la plage. On distinguait encore un petit groupe pratiquement à l'autre bout de l'île. Au milieu de tout ça, solitaire, se tenait le second de Squale, bras croisés dans un large manteau, le regard fixé sur l'horizon.
Taliesin quitta aisément l'espace à découvert, dépassa la ferme, et se glissa entre le comptoir et l'auberge, pour gagner les quais. Là aussi, on était loin de l'effervescence de la veille. L'épave du Crève Panses avait pris l'eau, mais son pont noir et un morceau de château arrière surnageaient encore. Elle encombrait en tout cas le petit port, rendant probablement les manoeuvres plus difficiles. En bout de jetée, le Meurs Chiure bloquait la sortie vers le grand large. La Citronnelle et le Havre Crapules étaient à quai, mais si ce dernier semblait désert, la première était manifestement habitée et plusieurs silhouettes en arpentaient le pont. Minuscule à côté des grands voiliers pirates, la Liberté se dandinait elle aussi sur l'eau sombre.
L'elfe se glissa sans difficultés dans l'appentis de l'auberge, lequel paraissait encore désert. Puis la porte se referma lentement et plusieurs formes quittèrent l'ombre. La première étape de leur parcours s'était déroulée sans accrocs.

[Taliesin]

La présence d'Aigéan sur la lande ne lui inspirait rien qui vaille et, connaissant sa sinistre réputation, il ne pouvait s'empêcher de redouter une entourloupe. Était-il possible que ses compagnons et lui se soient jetés dans un piège machiavélique ? Après tout, pour parvenir à ses fins, le Squale semblait prêt à sacrifier un grand nombre de ses hommes... Quoi qu'il en soit, il était trop tard pour reculer. Gagner discrètement le navire, par la bute ou à la nage, ne serait pas une mince affaire, tout comme éliminer le lanceur de sort qu'on lui donnerait pour cible. Mener à bien ces tâches réclamerait donc la plus intense concentration qui soit, ce qui impliquait que l'elfe commençât dès à présent à faire le vide dans son esprit, à chasser tout sujet de distraction. Aussi s'y employa-t-il sitôt après avoir levé son invisibilité.

[Galathée]

Kerun traça rapidement un plan de la zone portuaire dans la poussière.
"Bon. La Citronnelle va nous poser problème. Il y a beaucoup trop de monde sur le pont. Même si nous arrivons sur le Meurs Chiure sans avoir été repérés, nous serons vus lorsque nous interviendrons et constituerons des cibles aisées. Couler un navire ou l'autre pourrait être une manoeuvre plus aisée, mais il faudrait parvenir à ouvrir une brèche dans la coque sous l'eau, et j'imagine qu'aucun d'entre nous n'est vraiment calé dans le genre poisson. J'hésite donc à diviser l'équipe en deux... Un groupe sur la Citronnelle, un groupe vers les lanceurs de sorts.
— Pourquoi n'essayons-nous pas de prendre le lieutenant du Squale ? Il pourrait aisément nous faire monter à bord d'un bateau ou même désorganiser les lanceurs de sorts.
— D'après ce que j'ai compris, il est en désaccord profond avec son capitaine, de plus.
— Constance dit qu'il ne la trahirait sous aucun prétexte.
— C'est de la racaille de pirate, ça ne veut rien dire !
—On pourrait peut-être se contenter d'organiser une diversion pour faire descendre les gars de la Citronnelle ou en tout cas attirer leur attention ?"

[Taliesin]

[color=#FFFF6]-En matière de diversion, pourquoi ne pas mettre le feu à l'un des bâtiments du port ? Mais si vous craignez que cela ne suffise pas... Je suis capable de produire des illusions sonores assez puissantes. Je pourrais, par exemple, faire retentir les bruits d'une armée en approche ou, au contraire, les vivats de dizaines de pirates célébrant la découverte de l'artefact... et de monceaux d'or. Peu importe, au fond, le tout étant que les hommes de la Citronelle aient leur attention détournée. Le seul problème, c'est qu'Aigéan et les autres guetteurs de la lande entendraient aussi ce tintamarre... Je peux aussi tenter de soumettre le second du Squale à un sortilège de domination, pour qu'il s'approche du bateau et réclame des renforts. Malheureusement, je ne garantis pas que cela réussisse.[/color]

[Galathée]

Kerun parut songeur.
"Je ne suis pas versé dans les arts de la magie, mais ta cible prend-elle conscience d'une telle tentative ? Ce type n'est manifestement pas humain. Il n'a pas non plus l'air d'avoir du sang elfe noir, mais il y a quand même quelque chose qui cloche avec son apparence... Je ne serais pas surpris qu'il ait une bonne résistance aux tentatives d'ensorcellement...
— Je pense aussi qu'une lame sur la gorge serait beaucoup plus efficace, intervint Guéric. Mais je pense que si nous en arrivons là, autant le tuer.
— Mettre le feu à un bâtiment est une bonne alternative. Sans doute que l'auberge serait la meilleure idée...
— Les gens de Mersant vont nous adorer, pour le coup. Il ne leur restera rien sur cette île !
— C'est un prix bien léger à payer si cela nous permet de débarrasser la mer du Squale. En plus, nous aurons ensuite tout le loisir de rechercher cette caverne au trésor à notre aise. Luménis, Antelucas et toutes les personnes qui se trouvent sur cet îlot en profiteront largement."

[Taliesin]

-Si nous prenons le contrôle de la surface alors qu'il reste des centaines de pirates dans les tunnels, nous serons peut-être heureux d'avoir une base aussi vaste et solide que l'auberge, intervint-il après un instant de réflexion. Pourquoi ne pas choisir un autre édifice ? L'effet serait le même... Tenez, la prison, par exemple : je doute que quiconque veuille s'installer là dans le futur, vu les horreurs qui y ont été perpétrées. La seule chose qui m'ennuie, avec un incendie, c'est que les forbans pourraient songer d'emblée à une tentative de diversion...

[Galathée]

" Surtout avec ce qui est arrivé au Crève Panse hier... fit Guéric, songeur. Ils risquent effectivement d'y songer...
— Et pourquoi se rueraient-ils vers un bâtiment qui n'a plus aucun intérêt pour personne ? ajouta Kerun.
— Si le but est d'attirer leur regard pendant quelques instants, ça peut marcher... dit l'un des demi-elfes.
— Mais cela les avertira aussi que quelque chose se prépare... et que nous sommes sur le terrain. Je pense que c'est risqué." fit le second halfelin.
Kerun croisa les bras et poussa un bref soupir.
"Peut-être qu'in fine, couler la Citronnelle est plus important que cette bande de lanceurs de sorts qui regardent vers le large... Nous pourrions nous introduire sur la caraque et liquider tout le monde à bord, puis nous occuper des sentinelles."

[Taliesin]

Nouveau temps de réflexion.
-Éliminer les lanceurs de sorts aurait toutefois un gros avantage : cela rééquilibrerait les forces, puisque nous n'en comptons pas beaucoup dans nos rangs... Je serais donc d'avis de commencer par eux, du moins s'il est possible de les atteindre en passant par la butte, ce qui nous assurerait une approche discrète et ne rendrait pas nécessaire une diversion destinée aux hommes de la Citronnelle. Et qui sait ? Nous pourrions même parvenir à réussir cette opération sans que ces derniers s'en aperçoivent... En revanche, si le trajet par la butte n'est pas envisageable, s'il nous faut opter pour une séance de natation, laquelle risquerait d'attirer l'attention, le navire amiral du Squale me paraîtrait une meilleure destination : les lanceurs de sorts se rendraient compte de quelque chose, au bout d'un moment, mais ils sont trop éloignés pour intervenir. Nous devrions seulement prendre garde au fait que l'un des nôtres est peut-être retenu captif à bord...
Il eut un sourire vaguement embarrassé.
-Quoi qu'il en soit, mes avis ne sont sans doute guère pertinents : je ne suis pas expert en stratégie, encore moins en infiltration. Je me rangerai donc bien évidemment à votre décision, Kerun.

[Galathée]

Kerun opina du chef, songeur.
"Nous ne pouvons pas être sûrs qu'il ne reste aucun lanceur de sorts à bord de la Citronnelle, bien sûr. Le Squale serait stupide de s'en passer. Mais le chemin de la butte est dégagé si nous longeons l'arrière des bâtiments. S'il y a le moindre feu d'artifice, les gars du navire amiral se rendront compte de quelque chose, mais ça ne veut pas dire qu'ils auront la moindre possibilité d'y réagir. Si nous tenons le bateau qui bloque le port, la Citronnelle est piégée. Même s'ils tentent d'éperonner le Meurs Chiure, ils ne s'en sortiront pas sans dommages.
— J'ai juste une question, intervint alors un des agents, en se tournant vers Taliesin. Il me semble illusoire de penser que les mages et les clercs vont se trouver là-bas sans aucune forme de protection... Ils risquent d'avoir placé des glyphes ou des pièges, ou je ne sais quoi... Je suis certain de pouvoir me glisser derrière un mage drow et de lui trancher la gorge, mais pas si je me fais pétrifier en route... Pouvons-nous détecter la magie ? Voire la dissiper ?"

[Taliesin]

Il grimaça : il avait complètement oublié cet aspect pourtant crucial des choses...
-Non, malheureusement, je suis incapable de faire cela. D'ordinaire, en pareilles circonstances, je peux convoquer une créature pour qu'elle dégage la voie, mais c'est une tactique aussi efficace que peu discrète...
Ce dernier rebondissement de la conversation semblait plaider en faveur d'un assaut sur la Citronnelle.

[Galathée]

Kerun grimaça.
"Nous pouvons toujours nous procurer quelqu'un pour ouvrir cette voie à notre place. Si nous repassons par la lande, nous devrions pouvoir attraper un pirate au hasard. Même invisible, une dague entre les omoplates suffit à faire avancer un larbin...
— Et si Taliesin peut le dominer, c'est encore plus simple, dit Guéric.
— Oui, c'est jouable. Mais je ne jetterais pas mon dévolu sur le second de Squale. Il y avait des groupes plus isolés dans la direction de la jetée. On en élimine un, on domine le suivant, et le tour est joué. Est-ce que ça te parait réalisable ?"

[Taliesin]

-Dans l'absolu, c'est tout à fait faisable, même si je devrais attendre ici que vous me rameniez le pirate : mes ressources magiques sont limitées, il me faut en user avec parcimonie, notamment en ce qui concerne l'invisibilité... Ce qui m'ennuie, dans ce plan, c'est que l'approche de cet homme serait rien moins que discrète, l'équipage de la Citronnelle et les lanceurs de sorts pourraient le repérer et ces derniers être intrigués par son comportement. De surcroît, s'il déclenche des glyphes ou d'autres pièges, cela ne passera pas inaperçu... Enfin, j'hésite un peu à utiliser sur un simple forban un sortilège aussi puissant que la domination, qui pourrait être utile en bien d'autres occasions...
En y repensant, il se demandait d'ailleurs comment il le connaissait. Ce n'était pas le cas encore peu de temps auparavant. Avant son étrange vision, en fait... Mais désormais, il savait pouvoir le lancer. C'était le plus important. Les réflexions métaphysiques attendraient...

[Galathée]

Kerun poussa un sifflement.
"Nous devons bouger, si ça se trouve, les autres auront déjà sécurisé la lande..."
A ce moment, l'elfe qui était resté faire le guet près de la porte se tourna vers eux.
"Il y a du mouvement sur le pont de la Citronnelle. J'ai l'impression qu'ils sortent en masse... Je n'arrive pas bien à distinguer ce qui se passe à cette distance...
— J'y vais ?" demanda Guéric.
Kerun haussa les épaules et se tourna vers Taliesin. Le halfelin en profita pour se glisser au dehors.
"Nous allons tenter de faire approcher un forban sans utiliser tes sorts, dans ce cas. S'il se dit porteur d'un message, ils désactiveront peut-être les pièges qu'ils ont éventuellement placés. Cela ne règlera pas le problème des protections magiques, mais nous avons de bonnes armes, il n'est pas interdit de penser que cela suffira, d'autant que ces sortilèges sont généralement limités dans le temps. Ils devront les lancer, et nous les occirons avant ça."

[Taliesin]

-Très bien. Mais si l'équipage de la Citronnelle va tout droit à la lande, quarante soldats parviendront-ils à faire face ? Je pourrais les rejoindre : un barde a son utilité, sur un champ de bataille. Enfin, je peux aussi vous rendre service avec les lanceurs de sorts... Bref, j'irai là où vous le jugez bon.
En tout cas, ils avaient bien fait d'attendre un peu... Peut-être venaient-ils, sans rien faire, d'obtenir la diversion qu'ils recherchaient.

[Galathée]

"Attendons de voir ce que Guéric a à nous apprendre pour trancher." proposa Kerun.
Le halfelin reparut quelques minutes plus tard, légèrement mouillé.
"Il s'est remis à pleuvoir, fit-il avec un haussement d'épaules. Bon, ils ont l'air d'être en train d'organiser une petite cérémonie. Ils sont en rang, j'ai vu des bougies dans l'eau... Et je pense bien avoir reconnu un clerc d'Umberlie sur le pont.
— Ça sent venir le noyé, dit l'autre halfelin.
— Mais ils vont être occupés, fit Kerun. On y va. On contourne le port par l'arrière, on prendra un pirate sur le chemin. Taliesin, tu pourras rester sur la butte et surveiller nos arrières. Tu seras à portée s'il faut lancer un sort, et il y a suffisamment de vieux rochers dans les ruines du phare pour que tu puisses t'y dissimuler."

[Taliesin]

Il acquiesça.
-D'accord. J'espère juste que cette cérémonie n'a pas pour but de demander à Umberlie de couler vos navires. Parce que si c'était le cas, il nous faudrait l'interrompre au plus vite...
Il soupira. Tant de risques, tant de tâches à accomplir en même temps... Si la chance était avec eux, peut-être y verraient-ils plus clair d'ici une heure ou deux.

[Galathée]

Le groupe se mit donc en branle. Ils contournèrent l'auberge pour revenir dans son ombre, le long de la lande. Celle-ci paraissait toujours déserte : les Hélonniens n'étaient pas encore sortis. Kerun les divisa en trois équipes de trois : il prit l'avant-garde avec Guéric et un demi-elfe, laissa Taliesin et deux elfes dans le second groupe, et confia leurs arrières à ses trois derniers hommes. Ils devaient cheminer à une cinquantaine de mètres les uns des autres et rester dissimulés pendant que la première équipe se saisissait d'un pirate isolé. Ils feraient un dernier point dans les ruines du phare, puis lanceraient leur attaque. La pluie était battante, désormais, comme la veille. Taliesin n'eut nul besoin de devenir invisible pendant le trajet : il n'y avait que très peu de risques que quelqu'un les aperçoive, et les deux elfes qui l'accompagnaient allaient reconnaître chaque étape avant de se déplacer. Finalement, Kerun leur adressa le signal convenu qui signifiait qu'ils devaient attendre la fin de leur rapt. Les deux elfes et Taliesin se retrouvèrent à l'abri dans l'étroit conduit qui séparait les deux derniers bâtiments du port avant la butte et son phare. Ils avaient une vue directe sur la coque et le château arrière de la Citronnelle, mais pas sur le pont.
"Je sais maintenant pourquoi je le trouvais bizarre, ce navire, dit alors un des elfes à voix basse, à l'intention de son compagnon.
— Pourquoi donc ?
— C'est une caraque de la marine luménienne.
— Hein ? Tu es sûr ?
— Oui, regarde les fenêtres du château. Elles ont une forme caractéristique... et tu vois le grand espace abîmé, juste entre deux parties, là... C'était l'endroit où les armoiries étaient gravées. Elles ont été bien saccagées par un ciseau à bois furieux, mais si tu regardes bien, on voit encore deux rayons du soleil... et la base de la tour.
— Mais un bateau d'une taille pareille ne peut pas disparaitre comme ça, sans que personne ne s'en inquiète !
— Oh mais on s'en est inquiété. Simplement, tu n'étais pas encore parmi nous, donc tu ne peux pas t'en souvenir... C'est le Narval Tacheté. Il a disparu environ trois semaines avant la prise de pouvoir de Morféa Nwalk. Du coup... Personne n'a vraiment eu le temps de le chercher. Et puis après... On n'y a plus pensé, j'imagine."

[Taliesin]

-Comme j'ai beaucoup de mal à imaginer que le Squale soit un ancien capitaine luménien, je gage qu'elle a réservé un triste sort à l'équipage originel, intervint-il. Quoi qu'il en soit, nous pourrons essayer de ne pas trop abîmer ce bateau : m'est avis que l'amiral Longuehune ne serait pas mécontent de remettre la main sur un tel bâtiment !
Bien sûr, la chose se révélerait peut-être impossible. Mais on ne savait jamais...

[Galathée]

Le premier elfe acquiesça.
"Je ne me souviens plus de qui commandait ce navire... Si ça avait été une femme, je pense que ça me reviendrait, effectivement..."
Il eut un haussement d'épaules.
"Mais c'est vrai... Il y a peu de chances que l'équipage soit encore vivant..."
Devant eux, Kerun refit un signe. Il était temps de gagner le sommet de la butte. Les trois compagnons s'ébranlèrent donc, cheminant à pas de loups, cachés par l'ombre des bâtiments. Ils dépassèrent la dernière maison et commencèrent l'ascension de la butte, la contournant côté mer pour ne pas être vus du port. Le sentier était escarpé, un peu glissant, mais Taliesin en avait vu d'autres la veille, et il put grimper sans difficultés. Il restait effectivement de quoi se cacher au pied du phare écroulé et l'elfe rejoignit Kerun, Guéric et leur otage à l'abri d'un gros morceau de pierre couvert de mousse. Le pirate était bâillonné et avait les mains liées devant lui. Il avait l'air à la fois terrorisé et furieux.

[Taliesin]

Jusqu'ici, tout semblait fonctionner parfaitement. Le barde croisait les doigts pour que cela ne change pas.
-Vous lui avez expliqué ce qu'on attend de lui ? s'enquit-il, d'un ton badin.
D'ordinaire, envoyer un homme à une mort quasi certaines l'aurait mis très mal à l'aise. Cependant, ils avaient déjà tant souffert à cause des pirates et tant de vies dépendaient de la réussite de leur plan que les scrupules l'effleurèrent à peine. De surcroît, si le forban se débrouillait bien, il n'était pas impossible qu'il sorte vivant de l'opération...

[Galathée]

Kerun et Guéric se tournèrent vers le barde avec un sourire partagé.
"On lui en a touché un mot, oui. Mais on aimerait que tu lui parles aussi... Tu as la manière pour convaincre les gens, tu sais, fit le halfelin avec un sourire carnassier.
— Ce qui nous intéresse surtout, c'est que tu lui expliques clairement ce qu'il risque s'il fait l'imbécile, ajouta Kerun, d'un air dégagé. Nous l'avons prévenu que certains de tes sortilèges étaient vraiment très très douloureux... et que tu pourrais aussi décider d'asservir son esprit...
— Rien ne vaut une petite description bien vivante."

[Taliesin]

A son tour, il se fendit d'un sourire de mauvais augure.
-Des sortilèges douloureux ? Vous voulez sans doute parler de celui qui entraîne la liquéfaction des organes internes et leur écoulement progressif hors du corps, le tout en maintenant la victime en vie pendant au moins... Une heure ? Deux ? Je ne sais plus. Il y a également celui qui permet d'enlever la peau de quelqu'un aussi aisément qu'on ôterait une vieille chaussette ! Pas mortel pour un sou, celui-là, mais il laisse la chair et les muscles à vif. Tu imagines le tableau, n'est-ce pas ?
Il s'était tourné vers le prisonnier.
-Bien sûr, ce ne sont que des exemples : je préfère te laisser des surprises, c'est plus amusant. Quant à asservir ton esprit, c'est très drôle aussi. Pense donc ! Tu deviendrais ma marionnette ; tu serais toujours conscient mais sans avoir plus aucun contrôle sur tes actes. Je pourrais donc te forcer à faire des choses que tu détesterais... Et crois-m'en, j'ai de l'imagination. Beaucoup d'imagination ! Oh, et si d'aventure tu penses que tout cela n'est que du bluff... Sache que je ne suis pas Luménien. Ni Hélonnien. Alors la pitié, la miséricorde et tout le tralala, je m'en soucie comme d'une guigne.
Il se fit plus grave.
-Bref, voilà ce qui t'attend si tu fais l'imbécile. En revanche, si tu te montres raisonnable, si tu fais ce qu'on attend de toi... Mes camarades te laisseront la vie sauve. Je n'en serai pas ravi mais c'est ainsi, cela fait partie de notre accord. Et si par hasard je venais à trop m'ennuyer... Bah, les pirates, ce n'est pas ce qui manque sur cette île ! Pour l'instant, en tout cas...

[Galathée]

La démonstration ravit Guéric, qui demeura aux côtés de Taliesin, accompagnant ses déclarations de grimaces éloquentes. Kerun, par contre, parut rapidement mal à l'aise et s'écarta pour aller deviser avec ses hommes. Le prisonnier, lui, était livide et son teint pâlit encore davantage au fur et à mesure du discours du barde. Le halfelin eut un sourire carnassier.
"Alors, tu en dis quoi ? Tu vas faire ce qu'on te demande ?"
Le pirate hocha rapidement la tête, les yeux fixés, terrorisés, sur l'elfe.
"Génial."
Le halfelin tapa amicalement sur l'épaule de Taliesin puis l'entraîna vers les autres membres de leur petit commando. Kerun terminait de s'entretenir avec les deux elfes qui avaient accompagné le barde pendant leur escapade. Il avait l'air franchement incrédule. Ils parlaient manifestement de la Citronnelle, qui dodelinait tranquillement sur l'eau, en contrebas. Il revint vers Guéric et Taliesin dès qu'il réalisa qu'ils en avaient terminé avec le prisonnier.
"Alors ? demanda-t-il.
— Il est très très volontaire.
— Parfait. Je vais devoir renvoyer Rosen en bas pour prévenir Dessaules de certains développements... Mais nous serons encore huit. Je propose toujours que Taliesin reste en renforts ici en haut, néanmoins. Nous pouvons quitter l'ombre et la regagner. Une fois son sortilège d'invisibilité épuisé, il sera trop vulnérable."

[Taliesin]

-Quelles sont mes consignes ? Repousser les pirates qui pourraient s'approcher, j'imagine ? Et si la situation tourne mal, pour vous, puis-je intervenir ou préférez-vous que je demeure à ma place pour, le cas échéant, prévenir le lieutenant ?
Puis il ajouta, avant que Kerun n'ait pu répondre :
-Je tenais aussi à vous dire... A part la domination, les autres sortilèges que j'ai mentionnés sont le pur produit de mon imagination. Les bardes n'étant ni des experts en magie, ni des maîtres d'armes, le bluff est bien souvent leur dernière planche de salut.