[Lieu] Mersant

[Taliesin]

-Demain ?!
Taliesin était abasourdi que les retrouvailles puissent s'avérer si brèves. Mais le gamin, volubile, était déjà passé à un autre sujet.
-Oh, merci, je ne l'avais pas repéré... J'irai lui parler sitôt que j'aurai rassemblé le courage nécessaire pour effectuer un tel parcours. Et entretemps, je voudrais revenir sur quelque chose que tu viens de dire, Victor. Ça me paraît important.
Il le regarda bien en face.
-Je sais parfaitement que tu peux bien agir. Tu l'as déjà souvent prouvé. Je sais aussi que tu tiens tes promesses. Bref, je te fais confiance, tu ne dois pas en douter. Simplement... Je m'inquiète très facilement pour toi et j'ai sans doute tendance à être trop protecteur... Il ne faut pas m'en vouloir. Mais j'essaierai d'y remédier. Tu as ma parole. Et je réfléchirai à ce que tu m'as demandé.

[Galathée]

Victor sourit.
" Je comprends que tu t'inquiètes pour moi. Je ne t'ai pas toujours donné de bonnes raisons de me faire confiance, mais... Je vais bientôt avoir dix ans. Je pense que je sais me débrouiller mieux que plein d'enfants de mon âge... en fait, mieux que plein d'enfants plus âgés, aussi... Mais c'est gentil de t'inquiéter, c'est pas ça. C'est juste que... de plus en plus, il y a peut-être des choses que je vais faire... que je vais faire sans toi... et même sans Galathée, quand elle sera rentrée... Je crois que c'est normal... C'est pas parce que je vous aime pas, ou parce que j'ai peur de ce que vous allez dire... c'est juste que..."
Il fit un geste vers la mer.
" C'est juste que c'est comme ça. Moi je le sens comme ça. D'avoir mon espace."

[Taliesin]

Il resta un instant à l'observer. Le temps passait à une vitesse folle, oui, et le gamin grandissait plus rapidement que le barde n'en avait conscience... Il se demanda brièvement à quoi Victor ressemblerait, lorsque Galathée et lui reviendraient de Melandis. Bien sûr, le voyage ne prendrait sans doute que quelques mois, mais il pouvait aussi se prolonger bien plus longtemps, puisque lui-même ne rebrousserait pas chemin sans avoir retrouvé la rôdeuse... C'était donc une bonne chose qu'il ait envie, dès à présent, d'une plus grande autonomie.
-Je comprends, Victor. Et c'est tout à fait normal de ressentir ce besoin, effectivement. Je veillerai à le respecter. Je n'ai aucune expérience en ce qui concerne l'éducation des enfants mais je pense pouvoir m'améliorer...
Il lui sourit puis se détourna.
-Allez, tant qu'il me reste des forces, je vais en profiter pour remercier mon sauveur.
Et de se diriger vers Aigéan, clopin-clopant, en s'appuyant sur le bastingage.

[Galathée]

Avant que Taliesin ne soit hors de portée, Victor lui serra brièvement l'avant-bras, puis le regarda avec un sourire très doux... qu'il assortit finalement d'une grimace embarrassée avant de détaler sur le pont. Le barde put donc continuer sa progression vers la poupe. Il y avait malheureusement de nombreuses marches à escalader, mais son pas chancelant attira l'attention de sa cible et l'officier abrégea sa promenade en descendant à sa rencontre. Aigéan était un homme à la trentaine passée, le cheveu noir tirant vers le bleu et les yeux outremer. Même libéré de l'emprise de Squale, il avait conservé son apparence légèrement inhumaine, mais Taliesin savait qu'il n'était certainement pas d'ascendance elfique. Le Luménien esquissa un sourire gêné et tendit une main franche, mais glacée, au barde.
" Je suis honoré de faire votre connaissance. Vraiment votre connaissance, devrais-je dire,commença-t-il. Je vous dois la vie et la liberté, et pourtant je vous aurais tué si j'en avais eu l'opportunité. En cela, je suis éternellement votre débiteur."

[Taliesin]

Taliesin serra volontiers la main tendue.
-C'est moi qui suis honoré, répondit-il avec sincérité. Et je suis exactement dans la même situation à votre égard : vous m'avez arraché à un trépas certain alors que la veille, lorsque nous nous trouvions tous deux dans la ferme, je vous aurais volontiers occis. Je suis heureux de n'en avoir rien fait et d'avoir pu contribuer à votre libération.
L'elfe se tut. D'abord parce que l'homme n'aimerait sans doute pas qu'il évoque la servitude que lui avait imposée Squale, ensuite parce que cette situation était si étrange qu'il se retrouvait à cours de mots. Les destins, parfois, s'entrecroisaient de bien curieuse manière...

[Galathée]

L'officier ne parut pas trouver davantage de mots : Longuehune avait prévenu le barde, c'était un homme généralement peu disert, et un silence un peu inconfortable s'installa une seconde entre les deux hommes, avant que Valtameri ne le brise.
" Je ne sais pas encore de quoi demain sera fait, mais si vous veniez à avoir besoin de moi, un jour, pour quelque raison que ce soit, sachez que je ne considère pas ma dette envers vous épongée. J'imagine que les Longuehune sauront où me trouver le cas échéant. Je sais que vous avez déjà capitaine et navire, sinon j'aurais offert de vous convoyer jusqu'à Melandis, et de toute façon, je crains de n'être pas disponible dans les veilles qui viennent, mais... Souvenez vous-en."

[Taliesin]

Il hocha la tête.
-Je vous remercie, et je ne l'oublierai pas. J'aimerais cependant que vous sachiez que l'inverse est également valable. Ne voyez pas là de simples formules de politesse. Sans votre intervention, je ne serais plus de ce monde, et j'en ai conscience à chaque instant. De surcroit, si j'ai bien porté le coup fatal, je n'aurais jamais été en mesure de le donner sans l'aide d'une foule de personnes, à commencer par le capitaine Longuehune, les équipages des trois navires Hélonniens ou encore Aegyr, le clerc de la Salicorne... Je vous épargne la liste complète. L'important, c'est que vous pouvez compter sur moi si je puis vous être utile d'une quelconque manière.
Il se tourna un instant vers le panorama qui se dévoilait par-delà le bastingage.
-Comme je le disais à mon garçon il y a quelques minutes, c'est apaisant, de pouvoir contempler tout cela. Bien sûr, le soleil ne suffira pas à dissiper toutes les ombres, mais j'y vois malgré tout un signe encourageant pour l'avenir...
Il grimaça, refit face à Aigéan.
-Désolé pour mes divagations lyriques. Les bardes ont la fâcheuse habitude de trop parler...
Il esquissa un sourire chaleureux.
-Je me souviendrai de vos paroles, comme je me souviendrai que c'est grâce à vous que j'ai pu les entendre, conclut-il.
L'elfe pensait prendre congé. Leur dialogue avait été bref mais ils s'étaient dit l'essentiel : l'importance d'un moment ne se mesurait pas à sa seule durée. De surcroît, sachant son interlocuteur peu disert, il ne ovulait pas lui imposer ses bavardages.

[Galathée]

Aigéan semblait toujours mal à l'aise et il serra la main du barde avec un soulagement presque palpable.
" Je vous remercie de m'avoir accordé ces quelques instants. Puissiez-vous trouver bons vents jusqu'à Melandis." dit-il simplement.
Il parut sur le point de s'esquiver mais son visage blanc fut soudain marqué par l'hésitation.
" Juste encore... si vous en avez l'occasion... Assurez Dame Lamalice de mes plus intenses regrets pour ce qu'il s'est produit. Je sais que cela n'effacera en rien l'affront... et la douleur... mais puisqu'elle ne peut l'entendre de ma voix, et je le comprends... Si les choses se mettent... Dites-lui que je regrette."
Puis il s'inclina légèrement et s'éloigna vers le château avant.

[Taliesin]

-Je n'y manquerai pas, vous avez ma parole. lança-t-il avant qu'Aigéan ne soit hors de portée de voix.
Taliesin était heureux d'avoir parlé avec lui. Heureux, aussi, que l'entretien ne se soit pas prolongé. C'était la première fois qu'il se trouvait confronté à une personne dont il avait sauvé la vie... et à qui il devait la sienne, dans le même temps. La première fois qu'il rencontrait quelqu'un presqu'autant rongé par les remords qu'il l'était lui-même. Quoiqu'il existât entre eux deux une différence de taille : c'était la magie qui avait contraint le Luménien à commettre des horreurs, pas la seule fureur...
Lentement, péniblement, l'elfe reprit la direction de sa cabine. Avant de s'y retirer pour prendre un peu de repos, il allait toquer à la porte de Martin. Leur entrevue ne serait pas très longue non plus, assurément. Mais elle promettait d'être moins étrange...

[Galathée]

La réponse qui lui parvint manquait sévèrement d'énergie, mais Taliesin avait été prévenu, là encore. Martin occupait une cabine sensiblement identique à la sienne, si ce n'est que, située plus vers l'intérieur de la caraque, elle était dépourvue de fenêtre. Le courtisan était installé dans sa couchette, redressé contre la paroi, et sa peau avait une teinte blafarde que la lueur des bougies n'améliorait pas. Cependant, à côté d'Aigéan, il avait presque l'air en bonne santé. En reconnaissant Taliesin, il lui décocha un sourire amical mais vacillant.
" Voilà le héros. En meilleure forme que moi, je vois..." souffla-t-il.

[Taliesin]

-Pas tant que ça ! dit-il, souriant.Tu m'aurais vu clopiner sur le pont... Une vraie horreur !
Il s'avança d'un pas, referma la porte derrière lui et s'y adossa.
-Je te demanderais bien la permission d'utiliser ton fauteuil, d'ailleurs, mais si je m'y installe, je crains de ne pas pouvoir me relever avant... longtemps, Or, je ne voudrais ni t'empêcher de te reposer, ni encourir la colère d'Aegyr.
Il l'observa un instant.
-Je venais juste prendre de tes nouvelles, te demander si nous ne t'avions pas trop dérangé, hier soir... et pour te dire à quel point j'ai été soulagé d'apprendre que tu étais vivant, aussi. J'ai eu très peur pour toi, sur la Citronnelle...

[Galathée]

Martin eut une légère grimace.
" Je dois dire que je ne me souviens pas de grand chose... Si, je me souviens de ce qui s'est passé avant..."
Il lâcha un soupir, remonta la couverture sans en prendre conscience.
" Mais pour la suite... Les choses sont floues. Je me souviens du pont et de cette folle..."
Il passa une main un peu tremblante devant ses yeux.
" Je peux te dire que j'en ai vu des choses, dans ma carrière. Je pensais, en tout cas. J'ai vu des esclaves crever sous les coups de leurs maîtres, parfois juste sur le lit d'à côté... Mais là..."
Son visage prit une expression un peu sauvage, juste une seconde, puis il revint à lui-même.
" Je ne t'ai pas remercié de m'avoir sauvé la vie. Merci."

[Taliesin]

-Tu ne dois pas me remercier. Après toutes les épreuves que nous avons traversées ensemble, après toute l'aide que tu nous as apportée, notamment quand nous nous sommes retrouvés seuls avec les deux garçons, je ne pouvais pas te laisser en arrière. En plus, si tu n'avais pas été sur la Citronnelle, il m'aurait été impossible de jouer cette comédie qui a sans doute convaincu Squale que j'étais bien le monstre dont je jouais le rôle. Elle n'aurait donc pas relâché sa vigilance et je n'aurais eu aucun moyen d'agir... Bref, si j'ai réussi, c'est aussi grâce à toi. Te filer un petit coup de main était donc un juste retour des choses.
Il se fit plus grave encore.
-Et Squale... C'était une créature démoniaque. Une servante d'Umberlie, voire son envoyée. Je doute qu'aucun être pensant de Toril soit capable de pareilles ignominies... Mais les dieux soient loués, elle ne fera plus jamais de mal.

[Galathée]

" Je crains que tu aies la mémoire courte, si tu penses que la cruauté est l'apanage de créatures non humaines... Je pense simplement que Mersant m'a ramolli, que j'ai commencé à oublier, petit à petit, ce qu'avait été la vie avant et ce qu'elle peut redevenir facilement... Ton voyage à Melandis devrait te le rappeler, malheureusement."
Il pinça les lèvres.
" Je suis désolé, j'aimerais être le boute-en-train habituel mais ces derniers jours ont été plus rudes pour moi que je ne l'aurais cru. Je me pensais plus solide que ça, c'est une surprise. En même temps, ce n'est qu'un juste retour des choses. Devoir vivre quand d'autres, plus méritants, ont péri. Ce n'est pas la première fois."

[Taliesin]

N'y tenant plus, il alla s'assoir sur le fauteuil, se promettant cependant de ne pas y rester trop longtemps.
-Je crois que je comprends ce que tu ressens, Martin, reprit-il, très sérieux. Je ne compte plus le nombre d'amis qui sont morts, souvent par ma faute. Sans parler de tous ces inconnus à qui mes erreurs stupides ont coûté la vie. Sur Mersant, j'ai eu beaucoup de chance : ni Val ni aucun des enfants n'ont trépassé. J'en suis parfaitement conscient. Mais j'ai vu tomber des gens biens, généreux, dévoués... Eux comme les précédents valaient mille fois mieux que moi. Et pourtant, je continue à arpenter le monde... Tu parles d'une injustice...
Il soupira.
-Je comprends donc ce que tu ressens. Et pourtant, Martin, je peux te dire une chose : tu mérites d'être en vie. Quel que soit ton passé. Je t'ai côtoyé assez longtemps pour t'en assurer. Et même ce que tu prends pour de la faiblesse... Cela prouve ta bonté, ta bienveillance. Non, tu n'as pas volé ton existence. Et c'est pour cela que je suis heureux d'avoir pu t'aider. Secourir ceux qui valent mieux que moi... C'est l'une des choses qui me permettent encore d'avancer, aujourd'hui.

[Galathée]

" Tu ne sais pas de quoi tu parles." lâcha alors Martin, amer. " La seule raison pour laquelle je veux vivre est pour expier. Je n'ai pas l'intention de tirer la moindre satisfaction de la vie, jamais. Que je sois responsable de la mort idiote de George ou de Ruyven, parce que je me suis cru capable de leur venir en aide, ça n'est qu'une broutille, Taliesin..."
Il secoua la tête et pour la première fois depuis qu'ils se connaissaient, le barde le vit réellement furieux. Mais pas contre lui. Sûrement pas.
" Je ne vaux certainement pas mieux que toi. Mon existence entière n'a été que médiocrité, je n'ai même pas une belle intention derrière laquelle me réfugier."
Ses yeux débordèrent.
" Je te remercie de m'avoir sauvé parce que je n'ai pas encore le droit de mourir. Ce serait si facile, mourir, et si lâche."

[Taliesin]

Il songea à se lever pour aller poser une main sur son épaule. Mais, ne sachant ni s'il aurait la force de se déplacer, ni comment l'ancien courtisan prendrait le geste, il s'abstint et se contenta de parler.
-Tes paroles prouvent que tu vaux bien mieux que tu ne le penses, Martin. Crois-tu qu'ils soient si nombreux, ceux qui se laissent torturer par leur conscience et songent à l'expiation ? Et même parmi ceux là, combien choisiraient-ils de vivre dans ce seul but ? Or, tu as fait ce choix. Sciemment. Volontairement. Mesures-tu le courage qu'il y a en toi ? Moi, je le mesure. D'autant mieux que je ne l'ai pas eu.
L'elfe ferma les yeux, hésitant à aller plus loin. Mais si ce qu'il avait à dire pouvait aider son interlocuteur, il se devait de continuer. Ce qu'il fit.
-J'ai commis des choses abominables, Martin. Des choses qui n'avaient rien à envier aux horreurs perpétrées par le Squale. Et le Monstre - car tel était mon surnom -, le Monstre aurait pu continuer longtemps ses ignobles méfaits. Mais il a été terrassé par une femme qui m'avait connu jadis, qui était persuadée qu'il restait du bon, derrière l'ignominie... Elle a failli périr. Elle a survécu, pourtant, et a réussi à me sauver. Quand je suis revenu à moi, quand j'ai compris de quoi je m'étais rendu coupable, j'ai succombé à la lâcheté, j'ai supplié cette femme de me laisser mettre fin à mes jours. Elle a refusé, m'a plutôt proposé un marché : je ne devrais pas tenter de me supprimer durant quelques semaines mais si, passé ce délai, j'avais toujours envie de fuir, elle ne s'y opposerait plus. J'ai accepté son offre. Et quand le délai est arrivé à son terme, je voulais toujours en finir. Elle m'a donc préparé une décoction pour que je puisse partir en douceur. J'ai passé une nuit assis, à la tenir dans ma main, à hésiter...
Il poussa un soupir tremblant.
-Et j'ai finalement renoncé au trépas. Cette femme et son petit garçon m'avaient redonné goût à la vie. Ils m'avaient fait un don merveilleux que je savais ne pas mériter, mais que je ne pouvais refuser. C'eut été une ultime horreur, et je ne voulais plus en commettre. Non, j'étais décidé à vivre. Parce que j'en avais envie, mais pas seulement. Je souhaitais aussi les remercier et... expier mes fautes. J'ai donc continué ma route avec eux. J'aurais sans doute dû m'abstenir et mourir tant que j'en avais l'opportunité. Car ils n'ont pas été récompensés pour leur bonté...
Il ferma les yeux, de nouveau. Ne les rouvrit pas.
-Cette femme s'appelle Galathée. Aujourd'hui, elle est esclave à Melandis. A cause de mes crimes, parce que mes ennemis ont voulu lui faire payer son amour pour moi. Le petit garçon, c'est Victor. Lui aussi, on l'a puni pour son affection à mon égard. Mais je l'ai fait souffrir encore plus que tous mes adversaires réunis. Je ne le voulais pas, non, bien sûr. Mais il a souffert malgré tout, à cause de mes foutues bonnes intentions qui, invariablement, tournent au désastre. Les marques, sur son visage... Il les a récoltées quand j'ai tenté de l'arracher aux griffes des mercenaires qui l'avaient capturé, des mercenaires lancés à mes trousses. Cependant, ce ne sont pas eux qui lui ont fait ça. C'est l'incendie allumé par mon élémentaire de feu qui l'a brûlé si gravement qu'il a bien failli ne pas en réchapper. Et les épreuves qu'il a traversées par ma faute ne s'arrêtent pas là. Loin s'en faut...
Son murmure s'altéra. Il n'en continua pas moins.
-A cause de mes bonnes intentions, les esclaves de Melandis se sont révoltés, il y a quelques années. Nous avons perdu la guerre et j'ai conduit les survivants à travers le désert, jusqu'à ce qui me semblait être la terre promise : Luménis. Cette énième bonne intention a abouti à un coup d' État, fomenté par Morféa Nwalk, un homme qui m'avait suivi depuis la Cité du Chaos et dont je n'avais su percevoir la noirceur. S'en est suivie la dictature, puis le soulèvement mené par la Résistance... Des milliers de morts, encore. Par ma faute. Et du nombre étaient les parents de Victor... Il sait tout cela, comme il connaît les crimes que j'ai commis quand j'étais le Monstre. Et pourtant, il demeure attaché à moi...
Cette fois, il dut s'interrompre plus longtemps. Quand il reprit, sa voix était plus rauque que jamais.
-Je te parle de lui parce je sais ce qu'il a enduré. Des tourments de Galathée, je n'ai aucune idée précise, je ne peux qu'imaginer, ce qui suffit à me glacer... Ces deux êtres qui m'ont évité la lâcheté ultime, qui m'ont redonné l'envie de vivre et la force d'expier, alors que j'étais indigne de tels bienfaits... Ces deux êtres ont reçu, pour toute récompense, une abominable suite de souffrances... J'ai réussi à sauver le garçon. Maintenant, je dois sauver sa mère. Si j'y parviens, peut-être aurais-je en partie mérité l'amour qu'elle me porte. Peut-être mon existence sera-t-elle moins injustifiée, moins injustifiable... Mais l'expiation sera encore loin d'être terminée : il faudrait plus qu'une vie d'elfe pour répondre de mes crimes, pour honorer la mémoire de ces milliers d'individus dont j'ai causé la mort ou de ceux, également meilleurs que moi, qui sont tombés à Mersant alors que j'ai survécu...
Il rouvrit les yeux, fixa son regard embué sur la flamme d'une chandelle.
-Je ne connais pas ton passé. Peut-être n'as-tu eu aucune bonne intention avant que nous nous rencontrions. Mais cela ne vaut-il pas mieux que d'en avoir et de provoquer des drames sans nom, sans nombre, comme je l'ai fait ? De surcroît, depuis que je te connais, je ne t'ai vu agir que pour le bien commun : certaines de tes tentatives n'ont pas atteint le but escompté, mais d'autres l'ont fait. En plus d'une occasion, tu as démontré ta bienveillance, au point que je te confierais Victor les yeux fermés. Lui non plus ne s'y trompe pas : tu as remarqué à quel point il t'apprécie... Et pour couronner le tout, alors que tu es encore cloué à ton lit, alors que tu as tout juste réchappé à la mort, tu témoignes d'un courage dont je n'ai pas su faire preuve lorsque je l'aurais du... Alors si, Martin, tu vaux mille fois mieux que moi. Et tu mérites cette vie. S'il y a une justice en ce bas monde, tu y reprendras goût. En ce qui me concerne, je suis ton débiteur. Car ce sont des êtres tels que toi qui m'aident à aller de l'avant, qui me permettent d'avoir la force d'expier mes fautes et de faire le bien.

[Galathée]

Autant pour ménager sa voix, aurait sûrement dit Aegyr.
Martin, lui, demeura d’abord silencieux, comme assommé par le discours du barde, mais son expression trahissait un trouble intact.
« Tu ne comprends pas… lâcha-t-il finalement. Ce n’est pas un concours, quelle importance pour moi, si tu as l’impression que ta vie est pire que la mienne ? Oui, je suis résilient... Un survivant, même. Cela ne me rend pas plus méritant ou moins coupable. Et cela ne rend pas l’expiation moins nécessaire. »
Petit à petit, son visage parut retrouver un certain calme, même si les larmes coulaient toujours sur ses joues, discrètes.
« Je ne sais pas pourquoi je t’ai raconté ça, peut-être suis-je furieux de t’avoir donné, un instant, l’impression que j’étais digne de quoi que ce soit. Tu dis que les bonnes intentions ne changent rien, mais c’est un mensonge. Tu avais la foi et l’espoir, tu les as encore, et tu es mû par des sentiments nobles que je ne comprendrai jamais. Je suis mû par un désir de survie. Je ne suis pas une mauvaise personne, entends-moi bien, et il est vrai que Victor et toi m’avez touché, parce que parfois la solitude est trop intense, même quand elle est volontaire, et que je me suis réchauffé un instant. Mais la seule personne qui m’ait jamais aimé, Taliesin, je l’ai tuée pour qu’elle ne puisse pas m’arracher à ma pénitence. »
Son regard se fit à nouveau trouble, puis fixe.
« Tu parles d’une vie d’elfe… Je n’ai que les quelques années d’une vie humaine. Je ne peux expier que dans la souffrance, c’est la seule solution, la seule manière de racheter ce que j’ai détruit. J’ai honte de chaque rire, de chaque instant de plaisir, je ne veux pas me permettre de profiter de quelque chose que d’autres ont perdu à cause de moi. Ce qui s’est passé ici… Je me suis laissé aller. Je te remercie pour ton amitié, Taliesin. J’ai pensé que j’avais trahi la mémoire des miens en baissant ma garde mais je réalise que vous perdre, lorsque vous sortirez de ma vie dans quelques jours, sera une déchirure supplémentaire. En cela, ce que nous avons vécu participe à mon expiation. »

[Taliesin]

Désireux de ne plus commettre de maladresse, Taliesin chercha soigneusement ses mots. Décidément, ses beaux discours n'étaient guère efficaces quand il s'agissait de réconforter quelqu'un. N'était-il bon, désormais, qu'à jouer la comédie, qu'à endosser le rôle d'ignobles crapules pour duper des êtres du même acabit ? Il espérait que non...
-Désolé si je t'ai donné l'impression d'affirmer que ma souffrance était pire que la tienne. Ce n'était pas mon but. Cela n'aurait aucun sens, d'ailleurs: je ne sais rien de ta vie et quand bien même en connaitrais-je le moindre détail, la douleur, les remords, la culpabilité ne sont pas choses quantifiables. J'essayais seulement de te montrer à quel point tu es courageux. De cela, au moins, je peux juger...
Il s'interrompit, essayant de préparer ses phrases suivantes à l'avance.
-Tu évoques les nobles sentiments dont tu ne connaîtrais rien... Quand j'ai libéré les prisonniers, sur la Citronnelle, Philibert a avoué ne pas comprendre pourquoi nous voulions sauver les enfants même si, signe de progrès, il a admis que nous le fassions au nom de la "charité", terme qu'il a prononcé comme s'il avait du mal à en saisir le sens... A l'inverse, lorsque nous avons échappé aux drows, dans les cavernes, tu ne t'es posé aucune question, tu m'as spontanément aidé à prendre soin des garçons. De Jehan, surtout...Pourtant, si seule la survie comptait à tes yeux, comme tu le dis, tu aurais insisté pour que nous l'abandonnions, vu qu'il nous ralentissait, dans son état. N'est-ce pas la preuve que tu es capable de compassion, louable sentiment s'il en est ? Et je ne parle pas de ta tentative pour interrompre la cérémonie... Non, je ne crois pas que ce soit uniquement le désir de souffrir qui t'ait motivé, alors...
Il chercha à croiser le regard se son compagnon de mésaventures.
-Je ne crois pas non plus que la souffrance soit la seule manière d'expier. Ni la meilleure. Je suis même persuadé du contraire. Peut-être est-ce la lâcheté qui me fait parler ainsi. Je ne le pense pas, cependant. Car, ayant moi aussi envisagé cette voie, j'ai beaucoup réfléchi à la question... Pour compenser le mal que nous avons fait aux autres, nous songeons à nous en faire à nous-mêmes. C'est la première solution qui nous vient à l'esprit, sa logique nous paraît imparable et nous la parons du doux nom de justice. Et pourtant, est-ce vraiment de la justice, de combattre le mal par le mal ? Est-ce que se condamner aux tourments effacera ceux endurés par nos défunts ? Nullement. Est-ce que cela les réconfortera ? Pas davantage, à moins que leur âme n'ait été sombre... Au contraire, cela ne peut que les blesser davantage, eux et... ceux qui restent.
Il avait mal à la gorge et savait que la prudence lui imposait de se taire. Il tint cependant à ajouter une dernière tirade :
-S'il y a bien une chose que j'ai apprise, Martin, c'est que nous sommes les pires juges, nous concernant. Nous ne nous reconnaissons aucune circonstance atténuante, nous nous haïssons sans réserves et, aveuglés par cette haine, nous tenons à nous infliger les peines les plus extrêmes. Mais cela n'est certainement pas de la justice. Qui sommes-nous, pour décider de ce que nous méritons ? N'est-ce pas confortable, quelque part, de refuser toute sentence autre que celle que nous avons nous-même prononcée ? A mon avis, expier, c'est accepter le jugement des dieux, des hommes... et de nos proches. Dans mon cas, ils ont décidé que je devais vivre, que j'avais droit à une seconde chance, que je connaîtrai le bonheur au milieu des épreuves... et que je serai aimé. Je suis convaincu que je ne mérite rien de tout cela, mais je l'accepte avec gratitude. J'accepte aussi la culpabilité qui me ronge à cause des crimes que j'ai commis et le sentiment d'injustice que j'éprouve face aux bontés que l'on m'accorde malgré tout : c'est une punition légitime. Cependant, j'essaie de faire en sorte que ce fardeau soit aussi une force, un aiguillon me permettant d’œuvrer pour le bien. Car je suis persuadé que c'est seulement en suivant cette voie que mon expiation trouvera sens.

[Galathée]

Martin soupira doucement. Sa respiration était plus laborieuse qu'auparavant, signe que sa carcasse éprouvée avait peine à gérer les émotions fortes qui le secouaient. Il porta une main tremblante à son visage et ferma les yeux. Il demeura immobile pendant de longues secondes, tentant apparemment de reprendre le contrôle de lui-même.
" Si mes proches étaient vivants... S'il restait ne fut-ce qu'une seule personne de mon village pour me juger... Ils me condamneraient sans hésitation, Taliesin. Peut-être les Luméniens sont-ils prompts à pardonner et à comprendre, mais je ne sais pas où ils trouvent toute cette compassion, comment ils résistent à la haine, au désir légitime de vengeance... Mais je ne suis pas de cet univers. Quand le monde a souffert, le monde exige rétribution... C'est une recherche d'équilibre, rien d'autre. Il ne reste personne pour me punir, sinon moi-même, et si je ne le fais pas... Je serai damné, immanquablement. Je dois expier maintenant si je veux pouvoir trouver la paix un jour. Je n'oserais même pas retourner sur les ruines de mon village : elles doivent être hantées d'âmes en peine, ces gosses et ces vieillards que les esclavagistes ont égorgés parce qu'ils ne valaient rien... Je suis un homme courageux, tu l'as dit... Je dois avoir le courage... de ne pas m'écarter de ma voie..."

[Taliesin]

Sachant qu'il ne pourrait plus parler longtemps sans graves conséquences pour ses cordes vocales, Taliesin réfléchit un moment à une conclusion à la fois concise et pertinente. Ce qu'il trouva ne le satisfit guère, mais il dut faire avec.
-Oui, tu dois avoir le courage de suivre ta voie, mais encore faut-il la trouver... Or, je pense que tu te trompes en pensant l'avoir déjà fait, comme je me trompais avant que d'autres ne me montrent quel était mon vrai chemin. Ces autres n'étaient pas des proches, à l'époque. Il s'agissait sinon d'inconnus, au moins de rencontres récentes. Et pourtant, leur influence a été salutaire. Miraculeuse, même.
Il s'autorisa un pâle sourire.
-Je croyais avoir tout perdu. Je me croyais à jamais solitaire. La vie m'a donné tort, puisque j'ai plus trouvé en ces quelques semaines qu'au cours des décennies précédentes.
Il devint grave et, cherchant à nouveau le regard de l'ancien courtisan, il ajouta :
-Je suis navré que tu aies tant perdu, Martin. Mais je peux t'assurer que tu n'es pas seul pour autant. Victor et moi t'aimons beaucoup. Je pense que c'est pareil pour Guéric et pour d'autres encore. Nous sommes sinon des inconnus, au moins des rencontres récentes. Mais les liens tissés dans les épreuves sont souvent les plus solides.

[Galathée]

Il secoua la tête mais il était manifestement épuisé.
" Tu dis cela, mais personne n'est allé chercher Ruyven, alors même que tout a été risqué pour Victor ou Constance..."
Ses yeux papillonnèrent.
" Pas que je ne le comprenne pas, bien sûr, mais... il reste que... les quantités négligeables... Mais je ne voudrais pas autre chose, ce n'est pas ça..."
Il ferma les yeux et poussa un petit soupir. La porte s'ouvrit alors derrière Taliesin et en se retournant, il découvrit Aegyr, les sourcils froncés.
" Il me semble avoir donné des consignes allant exactement dans le sens contraire de ce qui se passe dans cette cabine..." grommela-t-il en dépassant le barde et s'asseyant au chevet du courtisan. Il posa deux doigts sur sa gorge et compta à voix basse, puis se mit à incanter.

[Taliesin]

Pour que ses grimaces de douleur passent inaperçues, le barde se leva sitôt que le clerc eut le dos tourné. Autant ne pas aggraver son cas.
-Désolé, Aegyr. J'étais seulement venu prendre de ses nouvelles mais vous savez comment ça se passe : la conversation débute et...
Il adressa un sourire chaleureux au convalescent.
-Repose-toi bien, Martin. J'espère que nous pourrons nous reparler demain.
Puis il quitta la pièce pour regagner sa propre cabine. Ses paroles n'avaient semblé produire aucun effet sur l'ancien courtisan. Mais peut-être y réfléchirait-il ? Après tout, lui-même avait longtemps tourné et retourné les mots prononcés par Galathée, après qu'elle ait terrassé le Monstre...

[Galathée]

Il retrouva donc sa couchette, dont les draps avaient été changés, et sa cabine ensoleillée. Il avait effectivement un début de mal de gorge et il avait à peine eu le temps de s'asseoir sur le lit que le Valkurien reparut dans l'embrasure de la porte.
" Toi, tu ne bouges pas. Je vais te chercher quelque chose." dit-il d'un ton qui ne tolérait aucune contestation.
Puis il s'éclipsa, sans doute en direction de la coquerie. Taliesin se retrouva donc seul, et passablement vanné, dans sa chambrette.

[Taliesin]

S'il n'y avait eu l'injonction du prêtre, Taliesin se serait couché dans l'instant, pour une sieste qui n'aurait sans doute pris fin qu'au moment du déjeuner. Mais Aegyr avait parlé et il respecta scrupuleusement ses consignes, n'esquissant pas le moindre mouvement. Il le fit d'autant plus volontiers que sa gorge n'était pas la seule à être douloureuse : il se ressentait cruellement de son expédition à l'extérieur et espérait que la situation serait moins pénible le lendemain. Quoiqu'en repensant à l'état dans lequel se trouvait le pauvre Martin, il perdit vite toute envie de se plaindre. Réflexion faite, il n'était pas si mal loti...

[Galathée]

Aegyr reparut quelques minutes plus tard, seulement, avec Victor sur les talons. Il tenait une tasse d'infusion dans la main et la tendit à Taliesin.
" Tu... vous... ne faites pas beaucoup d'efforts ! s'exclama-t-il, retrouvant la déférence que la colère l'avait momentanément fait oublier un instant plus tôt. Reposez votre voix, bon sang ! Je sais que les bardes peuvent se contenter de mimes et de musique, mais d'après ce que Victor m'a raconté, vous ne vous cantonnez pas à ces choses-là."
Victor, embusqué derrière l'imposant clerc, lui fit un petit signe de la main.
" Victor va devoir vous surveiller, je ne peux pas m'en charger. Mais c'est un garçon sérieux, et il aime vos chansons et autres récits, il sait donc ce qu'il a à perdre si vous continuez à désobéir.
— C'est surtout que c'est le gagne-pain de la famille, fit l'enfant avec une mine faussement sévère.
— En plus ! s'exclama Aegyr, soit scandalisé, soit meilleur comédien que le gamin. Bon, tu connais tes ordres : interdiction de quitter cette cabine avant que ce... bavard ne soit endormi."
Victor opina du chef, sagement. Aegyr attendit que Taliesin ait pris une gorgée du breuvage, plutôt répugnant, avant de s'autoriser un sourire.
" De toute façon, avec ce que j'ai mis là-dedans, il ne tiendra pas dix minutes."
Puis, avec un clin d'oeil en direction du petit garçon et un regard noir pour l'elfe, il sortit. Victor grimpa sur le lit et sourit de toutes ses dents.
" Ah la la... On a encore fait des siennes, alors ?"

[Taliesin]

-A la base, je voulais juste dire bonjour à Martin, soupira-t-il. Et au final, nous avons eu une longue conversation. Ce n'était pas très indiqué, je sais, mais je crois que c'était important. J'espère que notre échange portera ses fruits...
Il lorgna sa tasse avec une grimace. Bien sûr, il la viderait jusqu'à la dernière goutte. Toutefois, il entendait bien, au préalable, prendre Victor à son propre jeu.
-Dis... reprit-il, l'air inquiet. Tu n'as pas vraiment embrassé la cause d'Aegyr, n'est-ce pas ? Tu n'es pas réellement là pour me surveiller ? Je demande ça parce que je comptais ne plus toucher à cet ignoble breuvage. Et te proposer que nous rallions Mersant ensemble, à la nage. Je dois absolument échapper à l'emprise du clerc... De plus, nous pourrions en profiter pour rechercher le trésor !

[Galathée]

Mais Victor n'était pas exactement né de la dernière pluie.
" Vu que tu en as déjà bu, je pense que ce ne serait pas très prudent d'aller faire de la natation... Je sais que tu aimes batifoler dans les algues, tout ça, mais Aigéan a un nouvel uniforme très seyant, et je ne pense pas qu'il serait ravi de devoir faire un nouveau plongeon, juste pour aller te récupérer. Tu me diras, on pourrait prendre une barque, mais je devrais ramer, vu que tu roupillerais... Alors ne t'en fais pas. Aegyr n'est pas prosélyte. C'est justement pour éviter que tu doives changer de carrière qu'il prend soin de ta voix. Imagine, si tu te retrouvais subitement avec un timbre caverneux, tu devrais te recycler... en clerc, peut-être. Ils ont toujours des voix pleines de reproches, tu as noté ? Val est pareille. Ne fais pas ceci, fais cela, songe à ceci, songe à cela. Déjà que tu aimes donner des leçons, il ne te manque plus que la voix qui va avec ! Non, tu ne risques rien."

[Taliesin]

-Donner des leçons, moi ? Que nenni : je dispense humblement des conseils avisés, il y a une grande différence !
Il reporta son attention sur la décoction.
-Bon et bien, puisque tu ne souscris pas à mon merveilleux plan, il ne me reste plus qu'à boire ce truc avant de gagner le pays des rêves. J'aurais aimé passer mes derniers jours sur Mersant à autre chose que dormir mais... Il est sans doute plus raisonnable de me reposer, effectivement.
Et d'avaler l'horrible brouet, quoi que ses derniers mots n'aient pas réellement constitué une boutade. Si le départ était aussi proche que l'avait laissé entendre Victor, il aurait souhaité les occuper autrement... Certes, il ne manquerait pas de temps libre, sur la Liberté, surtout si on lui confiait la vigie. Ce ne serait pas tout à fait la même chose, cependant.

[Galathée]

Effectivement, le sommeil ne tarda pas à l'emporter, un sommeil de vagues et de mouettes, dont il ne conserva aucun rêve. Mais quand il s'éveilla, quelques heures plus tard seulement, il se sentait mieux. Globalement mieux. Sa gorge lui parut moins serrée, ses muscles moins tendus, sa poitrine se soulevait sans protester. Même si le repos était frustrant, il était nécessaire. Victor était toujours là, assis sur le fauteuil, à moins qu'il ne soit revenu d'une escapade peu de temps auparavant. Il sourit à Taliesin dès qu'il croisa son regard.
" Nous avons bougé pendant que tu dormais : nous sommes à nouveau amarrés dans le port. Si tu veux, nous pouvons aller manger à terre. Je suis certain que ça ferait plaisir à l'équipage de la Liberté. Mais je te préviens : ils sont déjà en train de parler de la suite du voyage... et certains de nos anciens compagnons ne sont pas exactement de la meilleure compagnie en ce moment... Mais ce n'est pas certain qu'on les croisera. Fred se promène beaucoup sur la lande et Bérénice est comme transformée en statue, d'après ce que m'a dit Gauthier. Donc elle causera pas des masses."