[Quête] Les méandres de la Houleuse

[Taliesin]

Les deux dernier chevaux allaient donc s'enfuir, emportant avec eux le reste de leurs matériel et de leur or, ce qui les laisserait dans un pitoyable état de dénuement. Mais Taliesin avait des préoccupations plus immédiates en tête. Comme ils étaient encore là, comme ils offraient encore un semblant de protection à la jeune elfe, il devait en profiter. S'avançant de quelques pas, il banda à nouveau son arc et visa l'homme près des rochers, bien décidé à l'abattre, dusse-t-il vider à demi son carquois. Les autres flèches, il les destinerait au brigand placé derrière le barrage, se rapprochant de lui si nécessaire.

[Galathée]

Il lui fallut trois flèches pour en venir à bout. La troisième toucha, mais l'homme avait décidé de tenter son va-tout plutôt que de détaler et il avait touché le cheval d bât resté en arrière, qui chuta lourdement, entraînant son congénère dans le mouvement. Taliesin vit son trait victorieux toucher, mais fut heurté par un sabot erratique la seconde suivante et ressentit une très vive douleur au tibia gauche. Le cheval s'écarta en hennissant, bousculant à nouveau le barde qui chut sur un genou mais parvint à conserver son arme. Il était cependant dans la trajectoire du second archer. Pour une raison incompréhensible, celui-ci ne le visa cependant pas, préférant aligner la petite elfe qui s'était éloignée de quelques pas vacillants. La flèche partit mais Kerun était revenu en arrière et plaqua la jeune fille au sol in extremis. Taliesin put en profiter pour lâcher une nouvelle flèche, qui fit mouche, et la frénésie des derniers instants retomba brusquement. Il ne restait qu'un cheval debout, la monture de Taliesin, qui tirait sur sa longe pour essayer de se dégager du cadavre de son congénère. Un troisième gisait, le dernier avait fui. Kerun était en train de se relever, péniblement, tandis que la jeune elfe poussait, pour la première fois, des cris.

[Taliesin]

Analysant rapidement la situation, le barde para au plus urgent : se remettre en état.

Taliesin --> Soins légers

Puis, se redressant, il se tourna vers l'agent luménien.
-Besoin de soins ? s'enquit-il. N'hésite pas, si c'est le cas. Nous devons impérativement les abattre jusqu'au dernier : leur archer s'est abstenu de me viser, ce qui signifie qu'ils voulaient m'avoir vivant. Il peut donc bel et bien s'agir de gardes ou de chasseurs de primes.
L'elfe était fermement décidé à accomplir son projet et, au cas où son cheval soit trop nerveux pour être à nouveau monté, il se servirait de ses jambes. De surcroît, il tenterait de reprendre contact avec le lion : s'il avait survécu, il pourrait leur être d'une aide précieuse. Pour le reste... Flèches, épée, magie, il userait de tous les moyens à sa disposition : aucun de leurs adversaires ne devait en réchapper.

[Galathée]

A priori, il semblait ne plus rester aucun brigand. Il faudrait sans doute aller vérifier du côté des rochers, mais le bosquet était désormais silencieux et le lion céleste en sortit en boitillant, tête basse. Kerun avait toujours un genou en terre et Taliesin comprit rapidement pourquoi. L'empennage d'une flèche lui dépassait de l'épaule gauche et il contemplait, un peu ahuri, la pointe qui dépassait juste sous sa clavicule. Il fit une tentative pour se relever mais n'y parvint pas et choisit plutôt de s'asseoir dans l'herbe. La petite elfe criait toujours, stupéfaite d'être couverte de sang. Ce n'était pas le sien.

[Taliesin]

A tout hasard, Taliesin demanda au lion de patrouiller dans les environs, en quête d'un éventuel scélérat embusqué. Puis il se dirigea vers l'adolescente et se plaça juste devant elle, la regardant bien dans les yeux, lui souriant.
-Tout va bien, mademoiselle. Je vous promets que nous vous débarrasserons de ce sang dès que possible. Mais dans l'immédiat, je dois m'occuper de mon ami, qui est blessé. Il vaudrait mieux que vous vous tourniez, le spectacle risque d'être quelque peu éprouvant...
Il la fit alors pivoter, doucement, précautionneusement, l'effleurant à peine de ses mains qui, heureusement, n'étaient pas ensanglantées. Enfin, il alla s'agenouiller près de Kerun.
-Si tu es d'accord, je vais couper la pointe, ce qui me permettra d'extraire la hampe de ton épaule sans t'infliger de dommages supplémentaires... Ça va être douloureux, bien sûr, mais je dois le faire avant de pouvoir te lancer des sorts...

[Galathée]

Kerun leva un regard un peu absent sur le barde.
" Heu... Très bien... Fais ce qui est nécessaire..." souffla-t-il en contrôlant une grimace.
La flèche était profondément enfoncée et lui avait probablement brisé l'omoplate, ce qui ne faciliterait pas son extraction. Il n'était pas dit non plus que les sorts mineurs de Taliesin suffiraient à le remettre sur pied aisément. Le lion céleste était parti vers les rochers, d'un pas lent qui trahissait son épuisement. La jeune elfe et le dernier cheval étaient désormais beaucoup plus calmes, presque sonnés, contrecoup des événements.

[Taliesin]

Prenant une flèche dans son carquois, Taliesin en présenta la hampe à l'agent secret.
-Je crois que ce serait mieux si tu mordais là-dedans...
Quand l'elfe se fut exécuté, il examina le trait qui l'avait transpercé. Estimant qu'il dépassait assez pour qu'il puisse le casser sans faire usage d'un outil quelconque, il déchira un pan de son manteau, l'enroula autour de sa dextre et saisit la pointe. Il referma son autre main sur le bois visqueux sortant de la plaie, prit une profonde inspiration et, d'une forte torsion, brisa le mortel objet.
Restait à présent l'étape la plus délicate. Passant derrière le Luménien, il s'empara de l'empennage, posa sa senestre sur le dos du blessé pour bénéficier d'un point d'appui, prit une nouvelle inspiration, plus longue encore que la précédente... et tira.
Il dut poursuivre son efforts de longues secondes, les dents serrés, les muscles bandés. La flèche, d'abord, paru ne pas vouloir venir, au point qu'il en vint à croire qu'elle était irrémédiablement bloquée. Pourtant, elle finit par céder, brutalement, sans crier gare, accompagnant sa reddition d'un bruit ignoble et d'un flot de sang écarlate. Ce fut si brutal, si inattendu, que le barde manqua basculer en arrière.
Une fois son équilibre retrouvé, il jeta la hampe poisseuse au sol et, sans perdre un instant, entama une série de trois incantations successives.

Taliesin --> Soins légers --> Kerun (3x)

[Galathée]

Kerun était resté conscient tout au long de la procédure, n'avait pas émis le moindre son, ni tenté de se dérober malgré les difficultés rencontrées par Taliesin. Il était cependant livide, manifestement secoué, et c'est seulement lorsque le barde eut terminé sa dernière incantation qu'il ôta la flèche de sa bouche, d'une main tremblante. Le bois était profondément entamé et le trait inutilisable. Le Luménien chercha ensuite à s'allonger, dans un état second, palpant le sol un moment avant de s'y coucher, sur son côté intact. La plaie était refermée, l'hémorragie enrayée, mais la blessure loin d'être guérie.

[Taliesin]

Taliesin scruta les environs, cherchant à repérer Esther. Il aurait bien aimé qu'elle soit là pour monter la garde, car il allait devoir s'éloigner. Mais il ne pouvait s'empêcher de redouter qu'il lui soit arrivé malheur : n'aurait-elle pas dû accourir au chevet du Luménien ? Celui-ci n'avait-il pas manifesté une étrange attitude depuis la fin du combat, une attitude lointaine que sa grave blessure ne paraissait pas suffire à expliquer ? Quoi qu'il en soit, il ne pouvait se permettre d'attendre.
-Je vais aller fouiller leurs corps et les bagages qu'ils ont dû laisser avec leurs chevaux, annonça-t-il à Kerun. Peut-être y trouverai-je une potion capable de te remettre sur pied ?
Il rejoignit ensuite la jeune elfe.
-Je reviens très vite. Je vous laisse veiller sur mon ami, d'accord ?
Sur un sourire, il se mit en route. Il examinerait chaque corps, ceux sur la route et derrière le barrage, ceux dans le bois, celui près des rochers, enfin ; puis ce serait le tour des fontes des montures, des éventuels sacs déposés près d'elles... Il prendrait tout ce qui pourrait servir mais, avant tout, il espérait trouver de quoi remettre Kerun sur pied. Car dégotter un clerc dans les parages ne serait pas une mince affaire...

[Galathée]

Taliesin commença son examen par les hommes que Kerun avait tués, puis par les deux qu'il avait lui-même abattus à hauteur du tronc tombé. Ils ne détenaient rien de bien intéressant, leurs vêtements étaient crasseux et leurs armes inférieures à celles que les elfes avaient dénichées chez les esclavagistes. Il gagna ensuite les rochers, desquels était tombé l'archer, se fracassant sur la rocaille. Comme l'avait supposé Kerun, c'était là que les brigands avaient abandonné leurs chevaux, sept bêtes frustres, dont deux dans un état de santé très limite. Il n'y avait par contre aucun matériel particulier et pas de traces de bivouac. Taliesin trouva quelques bandages, des herbes médicinales banales, mais aucune potion de soins. Les bandits avaient sans doute un campement relativement proche, ce qui expliquait l'absence de leurs effets. Le barde trouva un peu d'argent, pas grand chose, et de la nourriture, mais pas de quoi tenir plus d'une journée. Il gagna enfin le bois où il eut la confirmation de ses craintes : le lion avait massacré les deux bandits, mais pas avant que l'un d'entre eux n'ait occis la fouine. Elle avait été sectionnée en deux, probablement d'un seul coup de lame, maigre consolation, si c'en était une.

[Taliesin]

Non, décidément, il n'est jamais bon de voyager en ma compagnie, songea l'elfe avec un mélange de tristesse et de résignation.
Ne sachant comment agir en pareilles circonstance, ne voulant surtout pas commettre de maladresse, il s'abstint de toucher au corps de la malheureuse Esther. Certes, les rôdeurs n'étaient pas liés à leurs compagnons de la même façon que les magiciens à leurs familiers, mais le Luménien en resterait terriblement éprouvé...
Les épaules basses, découragé, Taliesin retourna à pas lents vers la route. Si Kerun était conscient, il lui demanderait peut-être quoi faire pour la petite créature. S'il s'était évanoui, ou endormi, il envisagerait alors de repérer les traces laissées par les chevaux des brigands, lesquelles pourraient les conduire à leur campement. C'était la seule solution qu'il envisageait, pour le moment.

[Galathée]

La bonne nouvelle, au milieu de ce désastre, était que le cheval qui s'était enfui avait rebroussé chemin. Il demeurait en retrait, n'osant pas s'approcher de ses congénères morts, mais il ne serait pas bien difficile à rattraper. Taliesin réalisa aussi qu'il était humain d'écarter le survivant des cadavres, et il put ainsi rassembler les deux animaux indemnes et les attacher à une courte distance du carnage. La jeune elfe était toujours assise dans l'herbe mais elle faisait désormais face à Kerun, qu'elle observait, les yeux étrangement écarquillés, comme prête à fuir s'il remuait. Le Luménien était inconscient, mais son sommeil était agité ; le barde le devina en phase de rêve, car ses yeux bougeaient derrière ses paupières. Il avait refermé sa main droite sur son bras gauche, comme pour le maintenir en place. Son épaule gauche était vilainement gonflée, mauve, et en l'effleurant, Taliesin la sentit brûlante.
De retour dans l'ombre des rochers, il constata que de multiples pistes en partaient et en revenaient. Il lui faudrait plusieurs jours pour les remonter toutes. Seul Kerun aurait sans doute pu, compte tenu de sa profession, identifier laquelle était la plus fraîche et la plus prometteuse, mais il n'était certainement pas en état de l'aider.

[Taliesin]

Découragé, Taliesin s'en fut libérer les montures des bandits. Il ne conserva que les deux meilleures - enfin, les deux moins pires - qu'il alla attacher auprès de leurs chevaux survivants. Il s'échina ensuite à débarrasser leurs malheureux congénères de toutes les affaires dont ils les avaient chargés puis, passablement fatigué, les transféra sur le dos des nouveaux animaux de bât.
Quand il en eu terminé, l'elfe rejoignit le Luménien et l'adolescente, la carte à la main. En attendant que le blessé se réveille, il comptait l'étudier afin de repérer un bourg assez proche pour être atteint rapidement et assez grand pour abriter un clerc. N'ayant au final pas perdu la moindre piécette, ils avaient largement les moyens de s'offrir ce genre de choses.

[Galathée]

Les bourgs d'importance étaient rares dans la région et le plus proche, un gros village nommé Akuechalis, était probablement à plus d'une journée de cheval. Il était impossible de savoir s'ils y trouveraient un clerc, mais c'était leur meilleure chance avant le désert. Ils devraient cependant quitter la route principale sur plusieurs lieues, ce qui les détournerait de leur objectif. L'adolescente finit par se déshabiller dans l'herbe, jetant sa tunique imprégnée de sang sur le sol. Puis, quasiment nue, elle boitilla lentement vers les cadavres des chevaux, près desquels elle s'accroupit, comme fascinée. Le sommeil de Kerun était désormais plus paisible, mais la sueur marbrait son front, ce qui n'était pas forcément bon signe...

[Taliesin]

Se disant que la guigne s'attachait décidément à chacun de leurs pas - ou plutôt à chacun des siens, avant de rejaillir sur les malheureux qui voyageaient en sa compagnie -, Taliesin replia la carte et alla la renger. Il en profita pour récupérer des vêtements propres et les apporta à l'adolescente.
-Vous feriez mieux de vous couvrir, mademoiselle. Sinon, vous allez attraper froid... Et que diriez-vous de revenir près de mon ami ? Ces malheureuses bêtes n'offrent pas un spectacle très réjouissant...
Il était prêt à l'aider à s'abiller, au besoin. Et si elle refusait de bouger... Il ne la forcerait pas. De toute manière, ils ne pouvaient rien faire tant que Kerun ne se serait pas réveillé. Ensuite... Il lui demanderait, pour Esther. Puis ils choisiraient une destination. C'était tout de même incroyable que cette route ne soit pas davantage jalonnée de bourgades...

[Galathée]

La petite elfe se laissa rhabiller sans rien faire par elle-même. C'est tout juste si elle aida le barde en soulevant une jambe ou un bras aux moments opportuns, toujours sur sollicitation. Elle accepta enfin de se laisser guider vers Kerun mais refusa de venir trop près et se rassit en boule dans l'herbe, ses yeux toujours fixés sur l'elfe blessé, parfois sur les chevaux.
Le Luménien reprit connaissance dans un sursaut, se redressa sur son séant puis eut une grimace en approchant les doigts de son épaule qu'il n'osa cependant toucher. Il tenta de bouger les doigts de la main gauche mais cela parut lui occasionner une douleur terrible et il renonça. Il se tourna vers Taliesin et tenta de lui sourire.
" J'imagine que ça pourrait être pire, dit-il d'une voix rauque. Ça peut toujours être pire, non ?"

[Taliesin]

Ne sachant que répondre, il se contenta de lui adresser un sourire désolé. Les secondes s'égrenèrent et, comme ils ne pouvaient rester sans rien dire, à se regarder les yeux dans les yeux, il finit par se lancer.
-Il va falloir que nous reprenions la route. Je serai en mesure de te prodiguer de nouveaux soins lorsque j'aurai dormi, mais c'est des services d'un clerc dont tu as besoin. Malheureusement, selon la carte, le seul patelin qui pourrait éventuellement en abriter un est sans doute à une journée d'ici et à quelque lieues de la route, pour ne rien arranger. Quant à une éventuelle potion... Les brigands n'en avaient pas sur eux et j'ai été incapable de trouver une piste menant à leur camp : ils ont beaucoup trop cavalé dans les environs, toutes les traces se ressemblent à mes yeux... Bref, nous devons partir. Toutefois, auparavant, je voulais savoir si tu souhaitais que nous... Et bien... que nous fassions quelque chose pour Esther.

[Galathée]

Kerun demeura silencieux un long moment, comme s'il absorbait les informations données par le barde, ou comme s'il luttait contre quelque chose. Il finit par relâcher sa respiration et leva les yeux.
" Il va falloir que tu me fasses une attelle. Je ne peux pas bouger dans cet état. Le plus serré, le mieux..."
Son regard se tourna vers le bosquet où, il le savait, reposait la fouine.
" Ensuite, j'irai voir."
Il eut un sourire très furtif, presque un rictus.
" C'est juste un animal. Une bonne amie, mais un animal. Nous sommes tous les trois vivants, c'est le principal."
C'était peut-être sincère, mais ça ne sonnait pas tout à fait juste. Peut-être un effet de la douleur.

[Taliesin]

-Ma compagne est également une rôdeuse, murmura-t-il. Alors je sais comme ces compagnons sont importants, pour vous...
Il serra brièvement l'épaule valide du Luménien puis, ayant récupéré le nécessaire, il entreprit de lui fabriquer une attelle et de la lui poser. L'une des rares choses positives, dans cette sinistre affaire, c'est qu'il avait bien agi en ne touchant pas au corps d'Esther. Au moins pouvait-il se dire qu'il n'avait pas commis d'indélicatesse...

[Galathée]

Une fois équipé, Kerun se leva avec l'aide du barde, puis partit en vacillant vers le petit bois. A tout moment, il sembla à Taliesin qu'il était sur le point de trébucher, mais il parvint à maintenir le cap, s'immobilisant de temps à autre, la respiration ample, contrôlée, avant de repartir. Il gagna les premiers arbres, posa la main sur un tronc, puis fut avalé dans l'ombre.
Il se mit doucement à pleuvoir, un petit crachin timide et froid, mais le ciel restait clair, cela ne durerait pas. Les chevaux étaient devenus très silencieux, immobiles, comme assommés par le contrecoup de l'échauffourée. La petite elfe n'avait pas bougé, prostrée dans l'herbe, frissonnant par intermittence, sans plus.

[Taliesin]

Le barde ne resta pas les bras croisés durant l'absence de Kerun. Au contraire, il fit en sorte qu'ils soient prêts à partir sitôt ce dernier revenu. Il ramena donc les chevaux sur la route et puisa deux manteaux dans les bagages, l'un destiné à la jeune elfe frissonnante, l'autre au Luménien blessé : dans son état et par ce temps, mieux valait qu'il soit bien couvert. Enfin, Taliesin annonça à l'adolescente qu'elle monterait avec lui pour la suite du voyage, ce qui rendrait un peu moins difficile la chevauchée de l'agent secret. Une fois ces préparatifs achevés, il resta a surveiller les environs, peu désireux que leur situation déjà précaire ne soit aggravée par de mauvaises surprises...

[Galathée]

Kerun revint peu après, toujours vacillant, le regard baissé. Difficile à dire s'il y avait là autre chose qu'un besoin de surveiller son pas et les pièges du terrain. Arrivé près de Taliesin, il leva des yeux vides sur les chevaux parés au départ, les observa un instant, puis bifurqua vers les cadavres de leurs ennemis. Il s'agenouilla un moment près du premier et lui retourna les poches, prenant le temps de dégrafer sa tunique et de détacher sa ceinture, puis se porta près du second, où il sembla avoir plus de chance car Taliesin le vit décrocher quelque chose de minuscule du revers de sa chemise. Il glissa sa trouvaille dans sa propre poche, puis alla vers un troisième brigand. Son front était couvert de sueur et la tension dans sa gorge trahissait une souffrance vive. Il revint en arrière quelques minutes plus tard et s'immobilisa près du barde. Il lui montra une petite boule duveteuse, à peine plus grosse d'un pois, au creux de sa paume.
" C'est du lotus noir. Je vais devoir en prendre sinon je ne pourrai pas tenir en selle. Je vais essayer de maintenir la dose au minimum, mais je ne serai pas très efficace, tu dois le savoir. Normalement, je le tolère plutôt bien, je ne pense pas que j'aurai des pensées délirantes ou des hallucinations. Si j'en ai, c'est que c'est autre chose."

[Taliesin]

Quoi qu'il n'aimât pas ce plan, Taliesin n'émit aucune objection. En effet, ils n'avaient aucune alternative valable.
-Je resterai vigilant, promit-il. Pense-tu préférable que je t'arnache à ta selle ?
L'elfe avait hâte qu'ils se remettent en route. Cependant, et même s'il ne l'imposerait pas, cette précaution lui paraissait presque incontournable. Le trajet serait long, très long, et Kerun risquait fort de tomber de selle, vu sa faiblesse. Bref, passer quelques minutes à l'attacher pour que cela n'arrive pas n'aurait rien d'une perte de temps.

[Galathée]

Mais le Luménien n'entendait pas se laisser saucissonner de la sorte.
" Ça ira. Comme je te le dis, je le tolère bien. Si je sens que je perds pied, je te préviendrai."
Il alla ensuite jusqu'à son nouveau cheval et prit quelques secondes pour faire connaissance. Il cassa la petite boule en plusieurs morceaux puis en avala un, le faisant passer avec beaucoup d'eau. Il retourna un sourire défait vers Taliesin.
" Je pourrais être démis de mes fonctions pour cet acte !" lança-t-il avec un soupçon d'humour.
Il jeta un oeil vers la route.
" Remettons-nous en route. Je marcherai près de ma monture jusqu'à ce que je me sente capable de me hisser en selle. Vous pouvez cheminer devant moi, je vous rattraperai."

[Taliesin]

L'elfe secoua la tête.
-Non, il vaut mieux que nous restions ensemble. Ces parages m'ont l'air des plus mal famés.
Après avoir adressé quelques paroles encourageantes à l'adolescente, il la jucha sur son cheval. L'instant suivant, il prenait la tête de la petite colonne et la conduisait temporairement en dehors la route afin de contourner le barrage qui bloquait le passage. Ce faisant, il garda les sens en alerte, jeta de fréquents regards aux alentours, pour repérer tout danger éventuel, et par-dessus son épaule, pour s'assurer que Kerun ne prenait pas de retard. Comme il l'avait dit, se séparer lui paraissait une très mauvaise idée.

[Galathée]

Ils cheminèrent lentement sous la pluie. Kerun parut bientôt se relâcher et son regard se fit vitreux. Il paraissait observer l'environnement autour de lui avec une curiosité molle, comme ralenti. La petite elfe frissonnait contre Taliesin mais ne disait rien. La route se déroula sous leurs sabots, boueuse et déserte. Les plaines ondulaient sous le vent, et l'averse s'interrompit bientôt. Le temps semblait suspendu. Les repères que Taliesin identifiait le long de leur parcours, arbre gigantesque, amas de rochers, petite mare aux roseaux, paraissaient immobiles tandis qu'ils progressaient à morne allure. Le ciel s'assombrit et ils n'étaient nulle part.

[Taliesin]

Taliesin ni ne ralentit l'allure, ni ne se mit en quête d'un endroit où bivouaquer. Bien au contraire, il avait l'intention de continuer à avancer jusqu'à ce que la fatigue des chevaux les contraigne à faire halte. Avec un peu de chance, cela n'arriverait que dans plusieurs heures et, entretemps, ils auraient parcouru une partie des multiples lieues qui les séparaient encore de cette petite bourgade qu'il avait repérée sur la carte, de cette petite bourgade où, peut-être, ils pourraient rencontrer un clerc capable de soigner Kerun.

[Galathée]

Les chevaux ne bronchaient pas mais leur pas se fit somnolent. Si Taliesin pouvait guider sa monture, les animaux de bât et celui de Kerun commencèrent à se montrer moins dociles, s'immobilisant parfois pour brouter l'herbe sur les bas côtés ou arracher des feuilles aux rares buissons. Chaque fois, et quelle que soit la bête, c'est le barde qui devait intervenir pour relancer le mouvement : Kerun contemplait leurs arrêts répétés d'un air parfaitement absent. La nuit était sur eux et elle était noire. Si l'elfe gardait la capacité de voir autour de lui, ce n'était pas le cas des chevaux et ils devinrent nerveux. Garder tout l'équipage en une seule colonne commença à constituer un défi de plus en plus complexe pour Taliesin qui devait mobiliser toute sa concentration.
Mais ce ne furent pas leurs montures qui mirent fin à leur périple.
Ce fut la petite elfe.
Prise soudain d'un spasme imprévu, elle se plia en deux sur l'encolure du hongre roux qu'elle partageait avec Taliesin, et rendit l'intégralité de son dernier repas dans sa crinière.

[Taliesin]

Ce malaise pouvait s'expliquer de bien des manières : peut-être le mouvement du cheval avait-il fini par rendre malade l'adolescente ; peut-être s'agissait-il, sinon, d'une réaction tardive aux horreurs dont elle avait été témoin plus tôt dans la journée. Pourtant, c'est une autre hypothèse qui s'imposa d'emblée à l'esprit du barde, une hypothèse qui mettrait la dernière touche à leur désastreuse situation : la feuille pourrie. Essayant malgré tout de ne pas s'attarder sur cette pensée, il examina les alentours immédiats : il n'était pas impossible qu'il y découvre un lieu moins pire qu'un autre pour établir un campement de fortune. Si c'était le cas, il y conduirait la petite colonne, s'occuperait de Kerun et de la jeune elfe puis entamerait une longue et pénible nuit de veille...

[Galathée]

Taliesin repéra ce qui ressemblait à une maisonnette abandonnée à l'écart de la route, coiffée d'un bouquet d'arbres malingres. Kerun paraissait désormais à moitié endormi sur sa monture : la mésaventure de la petite elfe ne lui avait arraché qu'un haussement de sourcils désinvolte et il n'en avait rien dit. Le cheval, incommodé par ce qui lui était tombé sur les épaules, se montrait de plus en plus récalcitrant, ponctuant sa route de hennissements mécontents et secouant la tête comme pour éprouver la maîtrise de son cavalier. Quant à l'ancienne esclave, elle était recroquevillée contre le garrot souillé, silencieuse et tremblante. Le barde dut mettre pied à terre pour tirer son hongre et les autres suivirent en braves moutons épuisés. La bâtisse avait encore un demi-toit, il serait donc possible de s'y réfugier, mais elle était humide, comme toute la prairie autour d'eux. Lorsqu'il posa la petite elfe à terre, elle s'affala tout de suite à genoux, puis assise. Kerun descendit lui-même de cheval mais chercha également rapidement un endroit où se poser.