[Quête] Un vieux temple et beaucoup de sable

[Galathée]

Dès que Claris eut franchi les portes, têtes sanguinolentes et passablement contusionnées entre les bras, les battants se refermèrent avec un claquement sec, sans appel. Autant pour ses poursuivants, dans l'immédiat du moins. L'être reptilien avait regagné sa place initiale, aussi Claris dut-elle remonter toute l'allée centrale jusqu'à l'autel pour le rejoindre. Gérold était désormais assis dans la poussière, près de sa longue queue serpentine. Il avait la tête basse, les mains repliées dans le giron. Un serpent y était niché, un autre enserrait ses bras, des coudes aux poignets. Il ne réagit pas lorsque la jeune fille parut.
" Trois têtes, fit la créature. Poser à présent. Bien."

[Claris de Corvimande]

Pauvre Gérold. Son calvaire serait bientôt fini, et il pourrait se venger sur ses précédents bourreaux… fallait-il espérer. Peut-être.

Claris posa les têtes au sol et s'inclina, une fois encore.

« J'ai respecté ma parole. Mes excuses pour ce contretemps, mais comme je vous le disais, ce sera un plaisir de finir de nettoyer ce temple ensuite. Pour l'heure, je m'en remets aux volontés de Seth. »

De toute façon, avec une seule petite dague pour toute arme et face à autant de serpents, sans compter leurs pouvoirs magiques de leur maître, il était difficile de faire autrement.
Tout allait bien se passer… s'il vous plaît ?

[Galathée]

Pour Claris, tout se passa bien. La créature serpentine paraissait satisfaite de la manière dont la mission avait été remplie et elle s'approcha en ondulant de la jeune femme.
" Debout humain." ordonna-t-elle à Gérold, qui obtempéra immédiatement, mais resta en retrait. Les serpents qui le couvraient glissèrent à terre et s'écartèrent.
L'homme serpent se pencha ensuite sur la Mélandienne, l'observant un instant de ses yeux jaunes, avant d'étendre la main vers elle, en lui présentant un anneau qui représentait un cobra dressé, enroulé sur lui-même.
" Pour contrôler ssssssserviteur." fit la créature, en attendant que Claris s'en saisisse.

[Claris de Corvimande]

Contrôler ? Avoir un petit noble mélandien apprivoisé était une idée amusante, mais Claris doutait de son efficacité pour la suite. Gérold se montrerait sans doute plus utile en agissant par ses propres moyens.

Sa main effleura cependant le cobra.

« Je préférerais qu'il soit libre de ses mouvements, si possible. C'est pour moi plus… usuel, et vos serpents ont sans doute mieux à faire. »

Bon sang, était-ce nécessaire de prendre le risque de ne pas obtempérer ? Une question de loyauté envers son camarade, sans doute.

[Galathée]

Mais la créature serpent ne voulut rien entendre et posa le bijou sur la paume de Claris.
" Ssssssseth lier Ssssssseth vouloir. Péril profond sssssserviteur utile."
Il fit ensuite un geste et Gérold s'approcha. Claris entendit un soupir s'échapper de sa poitrine. Il avait la peau blême, beaucoup plus qu'auparavant, et il sembla à la jeune fille que les veines apparentes, sur ses poignets, son front, avaient pris une teinte verdâtre. Son regard brillait de fureur, mais il le baissa rapidement en croisant celui de la jeune fille, comme s'il la craignait. Autour de son cou, un étrange serpent pourvu d'une tête à chacune de ses extrémités était lové, les crocs plantés de part et d'autre de sa gorge. Claris ne put jurer qu'il s'agissait d'un animal vivant : c'était peut-être un artefact. Un grand craquement retentit alors derrière eux, provenant de la porte, et un nuage de poussières dégringola sur le sol. Quelqu'un était arrivé de l'autre côté et paraissait mécontent de la trouver fermée.

[Claris de Corvimande]

« Péril profond serviteur utile » ? Hum. Et dans la langue commune, qu'est-ce que cela signifiait ?

En tout cas, Gérold ne semblait plus en état de se rebeller ; la chose, ou le serpent, à son cou, devait agir comme un collier d'esclave. Humiliation de plus… et de celle-là, il serait difficile de se venger. S'il pouvait, au moins, revenir à lui un peu plus tard, ce serait déjà quelque chose… pour l'heure, Claris n'y pouvait pas grand chose, hormis obéir.

Et, après avoir murmuré « Mes excuses… » à mixvoix, Claris passa finalement l'anneau à son doigt, non sans lancer un regard vers l'extérieur. Ils arrivaient. Parviendraient-ils à enfoncer cette porte ? Mieux vallait, sans doute, être du côté des serpents – sur quoi que cela puisse déboucher, y compris la mort – qu'entre leurs mains. S'ils parvenaient à franchir la porte… eh bien, ce serait drôle.

« Et maintenant, que fait-on ? »

[Galathée]

L'être serpent se déplaça alors vers le fond de la salle, dépassa les vestiges de l'autel, pour parvenir jusqu'au pied de la statue en ruines. Il glissa le bout de sa lance entre deux pierres puis murmura une incantation incompréhensible dans son étrange langue sifflante. Gérold était venu se poster aux côtés de Claris mais il n'avait encore rien dit. Elle percevait sa colère comme une onde, mais devinait aussi qu'il essayait de reprendre le contrôle de lui-même en respirant lentement, profondément.
Une lueur verte surgit soudain des rochers autour de la créature reptilienne et ceux-ci se désintégrèrent, pour révéler un nouvel escalier, nimbé d'une étrange lumière phosphorescente.
" Garde profonde." dit simplement le servant de Seth.
Puis il se campa à côté de l'ouverture et sembla retrouver une immobilité de pierre. Seuls ses yeux jaunes continuaient à briller.

[Claris de Corvimande]

S'il lui était possible de percevoir la colère de Gérold, et les tentatives de celui-ci de reprendre le contrôle, peut-être la chose marchait-elle également dans l'autre sens. Claris s'efforça donc d'envoyer à son compagnon des pensées apaisantes, rassurantes : bientôt, cela serait fini, et il aurait recouvré sa liberté, et peut-être même pu se venger personnellement des responsables de tout ceci.

« Garde profonde ». Sans doute, cela signifait que l'artefact recherché se trouvait dans les profondeurs. Mais comment le reptilien savait-il qu'il s'agissait d'une garde d'épée ? Claris ne se souvenait pas l'avoir dit. Bah, il devait simplement s'agir de la seule chose digne d'intérêt qu'un pilleur de tombe pouvait désirer ici.

Sissi n'était plus à ses côtés. Dommage, c'était un compagnon de route assez agréable, et plutôt efficace en cas de conflit. Claris était sans arme, ce qui était plutôt dérangeant… d'un autre côté, l'on se trouvait sur les terres de Seth, et avec sa bénédiction : les risques de combats étaient faibles. Néanmoins, le serpent avait su se montrer suffisamment attachant pour que son absence soit quelque peu regrettée.

Heureusement, la curieuse lumière semblait les guider. Il fallait espérer que cela dure suffisamment longtemps pour compenser la perte – temporaire – de l'anneau. Claris s'avança donc vers les profondeurs.

[Galathée]

L'escalier nimbé de lumière s'enfonçait sous la statue détruite et il semblait tout entier fait d'une pierre étrange, presque translucide. Il descendait dans les ténèbres et après quelques pas, Claris réalisa qu'il n'y avait pas de murs, juste des marches suspendues dans un grand espace de néant. Elle marchait en tête, Gérold juste derrière elle, et ils descendirent lentement sur cette voie étincelante, jusqu'à ce que le sol surgisse, sable gris sous leurs pieds. Une grande pierre couverte d'inscriptions trônait juste devant eux, sur une sorte de palier circulaire délimité par un muret. Deux squelettes complets étaient à moitié ensevelis sous le sable. L'un d'entre eux avait porté une masse, l'autre une épée qui, si elle était un peu rouillée, paraissait encore acceptable. Gérold demeura en retrait, silencieux.

[Claris de Corvimande]

Ce temple était décidément… vraiment bizarre.

Le plus ennuyeux, avec un Gérold aussi limité qu'il ne l'était par ce collier, c'était qu'il ne pouvait pas faire bénéficier à Claris ses connaissances dont il aurait pu disposer sur l'endroit, sans doute beaucoup plus accrues que les siennes.
Bien sûr, il aurait été envisageable, à présent que la créature ne les regardait plus, de tenter de le libérer, mais Claris n'avait simplement aucune idée de la façon dont procéder sans risques… et l'endroit était tellement particulier qu'il n'était pas exclu que cela soit problématique – après tout, la créature, au dessus, avait dit…

Puis, le sable. La pierre, couvertes d'écritures totalement mystérieuses pour Claris. Et ces deux squelettes… l'épée semblait assez intéressante, du moins tant que la sienne, en nettement meilleur état, était hors de sa portée. Mais prendre celle-ci sur un cadavre était-il sans risque ?
Sans savoir quoi faire d'autre, l'enfant de Reuel s'avança de quelques pas sur le sable, avant de se retourner vers Gérold.

« Ça va ? Est-ce que tu peux parler ? »

[Galathée]

" Je peux parler, fit le jeune mage, d'une voix lasse, qu'il essaya de rendre égale. Mais je ne peux rien faire si tu ne me le... demandes pas explicitement. Je n'ai pas le droit de prendre des initiatives qui te contrarieraient."
Il avança jusqu'à être juste derrière elle.
" Est-il quelque chose... que je puisse faire pour t'être agréable ?"
Un petit vent nauséabond, provenant des profondeurs, souleva le sable autour d'eux, un instant, puis retomba.

[Claris de Corvimande]

Hum. Un moyen efficace de garantir la loyauté de ses serviteurs, sans doute. Un peu… barbare, aussi. Le vrai leader impose sa volonté par ses propres talents, si besoin en châtiant le récalcitrant, mais pas en recourant à de telles méthodes. Une servitude obtenue par des moyens naturels était autrement plus appréciable, à son sens.

« Nous tâcherons de te libérer de ça dès que ce sera faisable sans risque, d'accord ? En attendant… »

Claris jeta un coup d'œil alentour. Décidément, l'odeur était… charmante, dans le coin.

« Est-ce que tu peux lire ce qu'il y a marqué, là ? Je dois avouer que je ne sais pas trop quoi faire, maintenant que nous sommes là… »

Tuer ces brigands avait été une activité beaucoup plus amusante, en fait. Au moins fallait-il espérer que les serpents leur en auraient laissé quelques-uns lorsqu'ils remonteraient d'ici…

[Galathée]

" Bien sûr." fit le jeune mage, non sans avoir porté la main, réflexe, jusqu'à sa gorge, pour l'en retirer tout aussitôt avec une grimace.
Il alla jusqu'à la pierre et la toucha du bout des doigts, murmurant à mi-voix.
" Je ne suis pas certain... C'est une écriture ancienne... une forme peu classique... abâtardie... de la graphie correcte..."
Son index suivit les colonnes de caractère, puis s'arrêta et revint en arrière.
" Trois fois... Trois fois le sang, trois fois l'eau, trois fois le feu. Peut-être pas le feu. La lumière. Voilà, la lumière."
Il haussa les épaules. Claris sentit alors une légère pression au bas de sa jambe gauche et découvrit, dans la lueur phosphorescente, la tête pointue de Sissi dont les yeux bleus semblaient briller d'un éclat propre.
" Trois fois le sang, trois fois l'eau, trois fois la lumière, la porte s'ouvre sur le rien. Ce n'est pas génial mais c'est tout ce que je peux faire."
Il fit volte-face et, apercevant le serpent qui s'était installé sur l'épaule de la jeune fille, il eut un mouvement de recul.

[Claris de Corvimande]

Tiens, le revoilà, celui-là.

« Oh, ne t'inquiète pas, c'est Sissi. Il m'a été très utile, en haut »

Claris caressa le serpent d'une main.

« Je te manquais, petite tête ? »

Bon, c'était bien gentil, mais ça ne faisait pas vraiment avancer la situation. Que faire ?

« C'est bien gentil, ça, mais trois fois quoi, au juste ? Pourquoi n'écrivent-ils jamais des instructions claires, dans ce genre de cas ? Bon, le sang, ce n'est pas vraiment dur à trouver – d'ailleurs, tu as encore la dague que je t'avais confiée ? –, et l'eau, ma flasque est encore remplie. Je suppose qu'on est censés faire couler ça quelque part devant ? Pour la lumière, à part celle qui est déjà là, je ne vois pas – et je n'ai plus mon anneau… »

[Galathée]

Gérold fouilla à sa ceinture et sortit la dague, qu'il lui tendit cérémonieusement, lui en présentant le manche. Il resta cependant à distance, manifestement épouvanté par la présence du serpent. Il jeta ensuite un regard circulaire autour de lui.
" Il y a une sorte de petit bassin, juste là... fit-il en pointant une zone du muret qui était cachée par la statue. Si tu le désires, je peux l'examiner. Ou alors toi."
Il secoua la tête, désoeuvré.
" Je ne sais plus ce que je peux me permettre." souffla-t-il.

[Claris de Corvimande]

Claris se saisit de la dague. En cas d'affrontement, Gérold aurait, peut-être, quelques sortilèges, mais sans leurs armes, que valaient les duellistes ? Deux dagues valaient bien mieux qu'une.

« Je ne sais pas si ça joue sur ça, » fit Claris en désignant le collier d'esclave, « mais de mon point de vue, tu peux agir normalement. » Allons, c'était un dispositif magique, et l'anneau pour le contrôler était à son doigt. Cela devrait marcher, non ? « Je souhaites que tu le fasses, d'ailleurs. Agis comme si tu étais libre de tes mouvements, tu me seras plus utile ainsi. »

Gérold seul, sans doute, saurait dire si cela changeait quelque chose pour lui. En attendant, Claris s'approcha du bassin pour l'examiner. Se couper légèrement un doigt avec la dague, et faire tomber trois gouttes de sang dans ce bassin, puis verser par dessus trois gouttes d'eau de sa flasque, ce serait sans doute le début du rituel… mais pour la lumière ? Et puis, le « rien » sur lequel devait ouvrir la porte était assez inquiétant également, en y repensant. Mieux valait chercher davantage d'informations, si possible, avant de tenter le coup.
Et au cas où son examen serait vain, eh bien… il n'y aurait qu'à tenter, à tout hasard…

[Galathée]

Des informations, il n'y en avait point, aussi la jeune femme finit-elle par mettre son plan à exécution. Elle leva la main au-dessus du bassin, prit sa dague et se piqua l'index de la main gauche. D'une pression du pouce, elle fit tomber une goutte de sang dans le bassin usé. Elle était sur le point d'en produire une seconde lorsqu'il y eut un grand fracas et la petite plateforme se mit brusquement à trembler, manquant déséquilibrer les deux compagnons. Une partie du muret s'effondra, révélant une passerelle obscure, s'éloignant dans le rien.

[Claris de Corvimande]

Hum. Voilà qui était… curieux. Une seule goutte avait suffit ?

Sitôt son équilibre reprit, Claris plongea son regard vers ladite passerelle. Comme annoncé, elle ne semblait pas vraiment en état de mener quelque part ; mais peut-être était-ce simplement dû au manque de lumière.

Sans son anneau, cependant, continuer à progresser dans le noir ne serait guère prudent. Et puis, si l'inscription avait dit trois…
Dans le doute, Claris fit couler une deuxième goutte de sang dans la bassine, sur ses gardes.

[Galathée]

Il ne se passa absolument rien. La passerelle demeurait obscure.
" Messire de Corvimande... fit alors Gérold, si je puis me permettre."
Il attendit d'avoir l'attention de la jeune fille pour poursuivre.
" Ce squelette, là... semble avoir une torche... et je pense que ce morceau de cuir qui dépasse du sable... doit être son sac. Il n'est pas impossible que nous y trouvions de quoi poursuivre notre chemin... Si tu m'y autorises, je veux bien les ramasser. Mais tu as peut-être une autre suggestion, auquel cas je m'y plierai bien évidemment."

[Claris de Corvimande]

Messire ? Il n'y avait que ses serviteurs, pour l'appeler comme ça… Gérold en était un, d'après le reptilien, ceci dit.

« Ça peut être une idée, oui… »

Et si le squelette était mécontent qu'on le dépouille de ses affaires, eh bien… au moins, Claris ne serait pas en première ligne pour subir sa réaction. C'était aussi bien, après tout.

« Ah, et quand tu auras le sac, tant que tu y es, l'épée pourrait m'être utile, sait-on jamais… la masse ne me servirait à rien, mais si tu estimes qu'elle t'irait, n'hésite pas. »

L'inscription parlait également d'eau. Si Gérold parvenait à récupérer les objets sans encombre – mieux valait attendre son retour, à tout hasard –, cela ne coûterait pas grand chose de verser une goutte de la flasque dans le bassin, pour voir ce que cela provoquerait… bien qu'il soit également tout à fait possible que les huit autres fois attendues concernent d'autres portes, plus loin.

[Galathée]

Le jeune mage s'affaira sans que rien ne se produise : les squelettes demeurèrent inertes, se démantibulant au fur et à mesure qu'il les retournait pour atteindre les objets qui l'intéressaient. Gérold porta ensuite le fruit de sa fouille à la jeune femme, lui confiant d'abord l'épée et le sac. Il conserva la torche, davantage parce que Claris n'avait plus de main disponible que parce qu'il entendait conserver quelque chose pour lui-même. Il n'avait pas touché à la masse.
L'épée était telle que la Mélandienne l'avait supposée : vieille mais relativement bien équilibrée, elle ferait l'affaire le temps qu'elle récupère la sienne ou qu'elle s'en trouve une nouvelle. Le sac contenait de la nourriture fossilisée depuis des lustres, des parchemins en lambeaux, illisibles, un petit couteau et deux silex, une plume décharnée, une vieille paire de gants trouée.

[Claris de Corvimande]

Eh bien, peut-être que Claris s'inquiétait beaucoup trop, après tout. Ces squelettes avaient été parfaitement inoffensifs, et le reste de leur route dans les profondeurs le serait sans doute tout autant – ce qui, hélas, ne l'empêcherait pas de se monter l'esprit aux prochains signes interprétables comme menaçants. Mais mieux valait, sans doute, pécher par excès de prudence que de témérité.

Le matériel présent dans le sac ne semblait guère d'utilité, si ce n'était pour allumer la torche ; mais savait-on jamais, dans ces situations bizarres ? Claris conserva le conteneur, et tendit à Gérold les silex, ainsi que le couteau – avec une épée et deux de ses dagues, l'intérêt d'accumuler le petit armement se faisait plus limité.

« Quand tu auras allumé la torche, passe devant. C'est ton tour de nous faire la lumière. »

[Galathée]

Gérold lui jeta un regard un peu courroucé, mais baissa rapidement les yeux et obtempéra sans rien dire. Il s'affaira sur la torche, parvint à générer une étincelle adéquate, puis une petite flamme, qui crépita un moment avant d'embraser le vieux chiffon imbibé de cire millénaire. Une fois auréolé de lumière, le jeune nécromant prit la tête de leur petit équipage et s'engagea sur la passerelle. Elle n'était pas très large et on ne distinguait rien de ce qui se trouvait en dessous. Sans parapet, provoquant des éboulis à chaque pas, elle paraissait peu solide et Gérold avançait avec circonspection, tâchant d'éclairer un environnement invisible au fur et à mesure de sa progression. Finalement, elle s'inclina légèrement vers le haut, et ils se retrouvèrent sur un nouveau palier, semblable au précédent, si ce n'est qu'il s'y trouvait une fontaine. De l'eau sale stagnait dans le bassin rehaussé de fleurs de pierre, mais le lion qui s'y dressait ne crachait plus de jet. Il n'y avait nulle issue.

[Claris de Corvimande]

Se contenter cette fois de suivre le mouvement n'était pas trop désagréable. Gérold avait eu l'air quelque peu fâché, mais après tout, c'était lui qui avait voulu garder la torche. Et puis, il était resté caché derrière Claris et son anneau depuis sa libération jusqu'à la rencontre avec les serpents, chacun son tour. En plus, ça le dispenserait d'avoir Sissi sous les yeux. Oh, et puis baste ! Il passerait devant, et puis c'est tout, inutile d'y penser davantage.

Nouveau palier. Fontaine. Qui disait fontaine, disait eau. Claris sortit sa flasque, à tout hasard.

« Tu es sûr qu'ils savent compter jusqu'à trois ? »

Sans attendre de réponse, Claris versa une goutte dans le bassin, là où s'en trouvait déjà – verser de l'eau dans de l'eau semblait un peu vain, mais bon. Si cela ne produisait rien, il faudrait essayer la gueule du lion. Et à défaut d'une autre idée, tenter de nouveau le sang…

[Galathée]

Rien ne se produisit. La première goutte d'eau dessina des cercles infimes sur la surface stagnante du bassin. La seconde fut presque aussitôt absorbée par la pierre poreuse de la gueule du loin. Le sang se fondit dans la grisaille aqueuse pour disparaître. Le silence n'était troublé que par la respiration des deux jeunes gens, le petit sifflement du serpent, les craquements humides de la torche. Gérold était demeuré quelques pas en arrière et son teint pâle veiné de sombre lui donnait presque l'allure d'une statue de marbre.

[Claris de Corvimande]

Évidemment. C'eut été trop facile.

Son corps contenait plus de sang que sa flasque ne contenait d'eau, mais, goutte à goutte, l'un comme l'autre pourraient finir par se vider, et les deux seraient aussi désagréables l'un que l'autre. Aussi ces échecs avaient-ils tendance à mettre Claris de mauvaise humeur… mais que tenter d'autre ?

« Des suggestions ? »

Méticuleusement, Claris se pencha pour examiner le lion, les fleurs de pierres… peut-être l'eau, également. Il y aurait bien un indice quelque part…

[Galathée]

Gérold pinça les lèvres et soupira, comme s'il redoutait ce qu'il allait dire.
" Peut-être faut-il en prélever plutôt qu'en ajouter, murmura-t-il finalement. Le texte n'était pas très précis... Je pourrais retourner l'examiner, si tu le désires..."
A ce moment précis, la passerelle qu'ils venaient d'emprunter, comme si elle avait été capable d'entendre les paroles du nécromant, s'effondra dans le rien, dans un silence surnaturel. Ils n'entendirent pas ses fragments toucher le fond du gouffre. Il n'y en avait peut-être pas. Le jeune homme frissonna et se retourna vers Claris.
" Je commence à regretter que tu m'aies arraché à mes ravisseurs."
Il avait sans doute voulu mettre un peu d'humour dans sa remarque, mais n'y était pas complètement parvenu.

[Claris de Corvimande]

Claris haussa les épaules en voyant la passerelle s'effondrer. Ils n'avaient, de toute façon, qu'une seule source de lumière, et l'idée de refaire le chemin en sens inverse avait d'avoir atteint leur objectif ne l'avait pas davantage tentée que celle de patienter dans le noir.

« Tu aurais pu faire la connaissance du commanditaire et repartir dans une caisse, ou quelque chose comme ça… Tiens, d'ailleurs, je ne l'ai pas vu, mais à la voix, je devine qu'il s'agissait d'un noble mélandien… j'espère que les serpents nous l'auront laissé en état de parler, quand on sortira d'ici… et qu'il ne sera pas d'accord pour le faire. »

Le sourire de Claris était aussi cruel qu'amusé. Mais avant de sortir, encore fallait-il avancer. La suggestion de Gérold semblait assez bonne, comme souvent, mais…

« Je préférerais ne pas devoir vider ma flasque, et je doute qu'il soit conseillé de boire ça… tu verrais un meilleur récipient que ce vieux sac ? »

Cependant, si une goutte de sang avait suffit à la porte précédente, peut-être ne faudrait-il pas vider une quantité conséquence d'eau de celle-ci. Claris tenta, à tout hasard, d'y plonger les mains, dans l'idée de lancer ce qu'elles pourraient retenir dans le vide autour d'eux.

[Galathée]

L'eau était huileuse, presque épaisse, et la jeune femme eut l'impression de ressentir comme un picotement lorsqu'elle toucha le fond du bassin. En ressortant ses mains, elle les trouva couverte d'une vase rougeâtre, qu'elle secoua par-dessus bord sans parvenir complètement à s'en débarrasser.
" J'espère qu'il ne va pas falloir boire ce truc..." grommela Gérold en regardant les gouttelettes disparaître dans le noir.
Il paraissait cependant moins tendu que quelques minutes plus tôt, peut-être parce qu'il s'était attendu à ce que Claris lui impose de mettre les mains dans la fontaine à sa place.
Il y eut un grand craquement et une nouvelle passerelle apparut.
" J'imagine que je passe devant..." dit le jeune mage dans un soupir.

[Claris de Corvimande]

C'était presque simple, en fait.

« Tant que c'est toi qui garde la torche, oui. »

Claris attendit que Gérold s'avance pour le suivre.
Bien sûr, il aurait été possible de lui faire courir tous les risques. Néanmoins, la famille de Corvimande avait sa fierté : ne pas donner de sa propre personne aurait été faire preuve de lâcheté. Et puis, il y avait aussi cette idée confuse selon laquelle la personne qui ouvrait les portes serait celle qui aurait droit au trésor à la fin. Et il devait lui revenir.

« L'endroit est assez… particulier, quand même. À ton avis, on est encore dans le temple, ou bien est-ce que la première porte nous a envoyé… ailleurs ? »

Après tout, le Façonneur lui avait montré que la chose était tout à fait possible.