[Lieu-dit] Les ruelles interlopes du port

[Mornagest]

Le prêtre acquiesça d'un bref haussement d'épaules. Un sourire amusé vint pour la première fois éclairer son visage sinistre, et il déclara :

"Bien... vous m'avez l'air assez inexpérimentés, mais braves, tous les deux. Je pourrais avoir besoin de vous. Pour autant que cela vous intéresse, du moins. Mais, avant d'en dire plus, partons. Les lieux vont être infestés de gardes, sous peu. Nous discuterons plus tranquillement à votre taverne, messire."

Il se mit en route, accompagné par Sheaxie et Thorgen. Peu loquace, il se tint coi durant le trajet, se contentant de jeter de temps à autre des coups d'oeil lorsqu'ils arrivaient à un embranchement. Les patrouilles étaient nombreuses, mais il les évitait soigneusement.

Le jour était levé lorsqu'ils arrivèrent à .

[Galathée]

Quête : Les Squelettes du Placard
Chapitre 9 : Sauvetages

Sur les conseils de Kerun, Taliesin mena directement leur trio des portes nord de la cité jusque dans les quartiers mélangés qui bordaient la Houleuse. Ils ne s'attardèrent pas en route, évitèrent les patrouilles de gardes, les attroupements louches et les lieux fréquentés. Il était un peu avant midi, la ville était animée, mais ils gardèrent un profil bas tout au long de leurs parcours.
" Des conseils ? demanda cependant Kerun assez rapidement. J'ai l'impression que dès que je croise un regard, je risque de me faire agresser..."

[Taliesin]

La question de Kerun le fit sursauter. Tout en surveillant les alentours pour éviter toute mauvaise surprise, il faisait son possible pour repousser les images qui l'assaillaient, les souvenirs qui affluaient en masse, déstabilisants, démoralisants...
-Tu sais, ça se passe à peu près pareil que dans les autres ports, répondit-il. La situation est juste un peu plus extrême, ici... De manière générale, je dirais qu'il y a deux règles à respecter. D'abord, paraître vigilant mais non inquiet, prudent mais non effrayé : sans cela, des malandrins risqueraient de nous prendre pour des proies faciles. Ensuite, se montrer courageux mais non téméraire, sûr de soi mais non fanfaron : dans le cas contraire, les mêmes malandrins pourraient interpréter notre attitude comme une provocation, comme une invitation à la bagarre. Je sais, l'équilibre n'est pas évident à trouver... Cependant, tu a une bonne carrure et nous sommes tous deux armés : je doute donc fort qu'on nous cherche des noises, surtout dans ces rues qui, crois-m'en, sont loin d'être les pires de la cité.
Les pires, celles de l'Antre des Miséreux, il espérait bien ne jamais devoir y remettre les pieds. Car il n'était pas sûr de pouvoir supporter le choc...

[Galathée]

" Pas très différent des Taudis luméniens, en somme..." fit Kerun en continuant sa route.
Il veillait à garder Ombeline juste devant lui et laissa son regard vagabonder sur les alentours.
" Le comptoir que nous cherchons est de petite taille, situé juste après les hangars d'un des principaux importateurs de laine de la cité, sur la rive nord de la Houleuse. Il y a une boutique à l'entrée, nous allons pouvoir y pénétrer comme si nous étions des acheteurs... Des acheteurs crottés mais des acheteurs tout de même..."
Il se tut un moment, tandis qu'ils croisaient un groupe de quatre jeunes gens à la mine sombre, qui semblaient traîner sans but, appuyés à la façade d'une taverne aux vitres sales. Des regards s'échangèrent, quelques mots, mais ils ne bougèrent pas.
" Ensuite, il faudra convaincre le ou la marchande de nous laisser passer dans l'arrière-salle. Il faudra jouer franc jeu."

[Taliesin]

-C'est une stratégie risquée, murmura-t-il. Si la vendeuse va en discuter avec ses supérieurs, voire directement avec l'équipage de la Liberté, Gauthier et Greta ne seront pas pris au dépourvu. Pire, ils pourraient bien fuir par une autre issue et, qui sait, décider de dénoncer toute l'organisation pour sauver leur peau. Mais... J'ai beau y réfléchir, je ne vois pas comment procéder autrement. Tenter de repérer notre bateau sur les quais ? Cela prendrait des heures, et il sera plus que certainement vide. Infiltrer leur locaux ? Cela jouerait d'emblée contre nous. Bref, faisons comme tu as dit. Si la personne a qui nous parlons est de la même origine que toi, tu auras peut-être un moyen pour qu'elle te reconnaisse d'emblée comme l'un de ses concitoyens...

[Galathée]

Kerun semblait très incertain.
" N'as-tu pas... dans ton escarcelle de... hum... Tu sais quoi..."
Ombeline lui lança un regard mauvais.
" De quoi nous assurer d'être crus ? Parce que... Gauthier et Greta seront fatalement surpris de nous voir débarquer, ils nous croient asservis ou pire, mais..."
Il secoua la tête.
" D'accord... De toute façon, nous ne pouvons qu'essayer de les confondre."

[Taliesin]

-J'ai des sorts en réserve, si. L'un d'entre eux pourrait me rendre encore plus convaincant. Mais il ne dure pas éternellement : une fois son effet dissipé, ils se rendront compte que j'ai usé d'un stratagème, et nous risquerions d'affronter un sévère retour de flamme. Je préfère donc m'en remettre à la seule force des mots. Peut-être arriverais-je à convaincre la vendeuse d'aller trouver directement Constance sans parler à personne d'autre ? Peut-être cette dernière viendra-t-elle seule, si le message transmis est... je ne sais pas. "Belenn et Calanon sont là", ou "Les disparus de Ferhulm aimeraient s'entretenir avec vous" ?

[Galathée]

" Très bien... Je suis certain que tes mots suffiront."
Il sourit puis jeta un regard circulaire autour d'eux. Aux masures sinistres et autres troquets infréquentables avaient succédé les premiers entrepôts. A cette heure, de nombreux esclaves travaillaient, transportant caisses, ballots et tonneaux sous le regard dur des contremaîtres et des clercs de commerce qui consignaient la quantité et la nature de marchandises apportées ici et emmenées là, ainsi que les affaires réalisées. Des chariots stationnaient un peu partout dans les rues, encombrant le passage, et on entendait cris et invectives, alors que certains cochers tentaient de dégager leur véhicule de la cohue. Les marchands eux-mêmes étaient discrets : les gens étaient vêtus de nippes fonctionnelles, de la guenille sale au pourpoint sévère, sans atteindre les sommets de splendeur qu'on était en droit d'attendre de commerçants prospères. Des noms et des symboles étaient peints sur la façade des entrepôts et l'odeur générale était pestilentielle, remugles mélangés de sueur, de bouse et des eaux de la Houleuse.
" C'est ici..." dit soudain l'elfe des bois, désignant une façade...

[Taliesin]

-Allons-y sans tarder, suggéra-t-il. Cela fait plus d'une journée que nous nous activons sans trêve ni repos, et j'ai hâte que cette affaire soit réglée. Sans quoi, je risque de m'écrouler avant d'en avoir vu le bout.
Un instant, il détailla la façade.
-S'il n'y a pas d'autres clients, je m'entretiendrai directement avec la vendeuse. Et j'irai droit au but. Tourner autour du pot ne pourrait que la rendre méfiante.
Et de se diriger vers la boutique d'un pas décidé.

[Kededric]

En provenance du palais de Melandis ; le lendemain soir

La rue était déserte, à cette heure de la soirée. Peu de passage en journée, encore moins le reste du temps. Il fallait dire qu'elle était plutôt peu engageante. Au beau milieu, la maison la plus cossue (comprendre, la seule en état presque normal) abritait le marchand Espar Tristelune et son jeune fils.

Le père rentra d'une journée faste mais difficile. Il avait réalisé de bons profits dans la vente d'armes pour les troupes mélandiennes, car même le temps de guerre n'avait pas obligé les machands de la cité à faire don de leurs réserves pour l'armée. Agir de la sorte aurait coulé l'économie locale, et les importations n'auraient plus pu avoir lieu. L'empereur avait donc décidé de poursuivre l'achat du matériel comme à l'accoutumée, en exigeant cependant la priorité absolue face aux clients secondaires. Enfreindre cette loi était passible d'emprisonnement pour trahison, et les traîtres étaient souvent châtiés pour l'exemple, à Melandis.

Il remonta la rue d'un pas tranquille et fatigué. Les pavés étaient légèrement humides d'une bruine vespérale qui s'attardait paresseusement, tandis que, ça et là, de légères nappes de brouillard se formaient progressivement. La nuit serait fraîche. Comme à l'accoutumée, Espar rentra par la porte de service, située sur le côté de la maisonnée. S'il était passé par la porte d'entrée, des signes criants l'auraient alerté. Il aurait vu le corps sans vie de la femme de chambre qui s'occupait du ménage, en journée, affalé dans le patio, la gorge ouverte d'une oreille à l'autre. Il aurait remarqué le silence glacial et absolu qui l'attendait, alors qu'en temps normal, une petite activité régnait dans la maison, alimentée par son fils dont les jeux, toujours plus inventifs, se concluaient souvent par le bris d'un objet plus ou moins précieux ou cher au cœur du marchand, qui, débonnaire, lui pardonnait pratiquement tout.

Au lieu de cela, il entra dans la cuisine et déposa ses affaires sur un dossier de chaise, sifflotant faiblement un air dont il avait oublié l'origine. Il avait l'esprit embrumé par la fatigue et les soucis, et il ne prêta guère attention à ces indices affreux et invisibles.

Lorsqu'il pénétra dans le salon, son teint devint blême. Le tableau qui s'offrait à lui était grotesque, absurde, impossible. Son fils était attaché sur la table, allongé sur le ventre, le dos dénudé et couvert de blessures dont il n'osa jamais se demander la cause exacte. Il émettait faiblement des sanglots qu'il tentait d'arrêter, mais qu'il ne pouvait complètement contenir. À côté de lui, assis confortablement dans une bergère, un jeune homme à l'aspect propre sur lui le dévisagea avec un large sourire dénué de sympathie.

"Bonsoir, messire. Nous vous attendions avec impatience. Surtout Arthen, je gage." Le garçon éclata en sanglots, tandis qu'Espar, paralysé par l'horreur, ne pipa mot. "Pardonnez mon intrusion, et le désordre causé. Je rangerais bien, mais, voyez-vous, je suis déjà en retard, et je ne souhaite pas rester plus longtemps. Aussi, je vous conseillerais de me répondre obligeamment et avec précision, messire. Car les conséquences d'un refus seraient... désagréables." Ne se déparant pas de son sourire, Kededric se leva et attrapa une sorte de lame de rasoir montée sur un fin manche en bois. Le fil semblait tellement fin qu'il pouvait peut-être découper une feuille de papier dans son épaisseur.

"Soyons concis et clair. Je veux les noms des espions à la solde de Manost, à qui vous avez confié vos informations. Maintenant." Son ton, doucereux, était maintenant plus sec, mais restait courtois. Son visage, si détendu, contrastait si nettement avec l'horreur qu'il avait perpétrée que le marchand en vida sa vessie. Il tremblait, désormais, et sa mâchoire ne pouvait s'ouvrir. Quelques secondes passèrent, puis l'instrument de torture improvisé s'abattit sur le dos du garçon, qui hurla, sa voix flûtée déformée par la douleur atroce. Un filet de sang s'écoula et s'accumula en petite flaque sur le bois de hêtre.

"Pauvre Arthen, qui souffre par votre faute. Nous avons eu tout le temps d'en parler, durant ce début de soirée. Il a eu tout le loisir de vous maudire, vous et vos prétentions héroïques vaines et dangereuses. Vous avez mis vos proches en péril... Oh. N'essayez pas de lui parler, il n'a plus de langue. Il parlait trop, finalement, et j'ai été obligé d'agir pour contenir mon impatience. Si vous étiez arrivé plus tôt, vraiment... enfin, ce qui est fait est fait, n'est-ce pas ?" Il leva l'instrument une nouvelle fois, et fit mine de frapper à nouveau, mais le marchand pleura et supplia : "Pitié... cessez, cessez ! Je parlerai. Tout ce que vous voulez, mais laissez-le vivre !" Sa voix s'étrangla dans sa gorge, il tomba à genoux, et Kededric reposa le bras, sans donner de coup, cette fois. Espar énuméra plusieurs contacts qu'il avait à Melandis, certains déjà connus de Kededric, d'autres nouveaux ou inattendus. Des traîtres, partout des traîtres ? Le marchand était peut-être plus loquace que nécessaire, mais l'assassin ne le pensait pas : son ton avait la couleur de la sincérité.

Notant mentalement tous ces noms, Kededric conclut l'interrogatoire. "Bien. Le temps me presse, je ne m'attarde donc plus. Comme vous me l'avez demandé si gentiment, je laisserai votre fils en vie. Il se débrouillera bien pour se détacher, n'est-ce pas ?" Il saisit Espar par les cheveux, lui leva la tête et l'égorgea promptement avec son outil ignoble. "Je doute qu'il soit tenté de finir comme vous. L'expérience est toujours une leçon, non ?" fit-il alors que le marchand agonisait au sol, son fils témoin du meurtre affreux.

Quelques instants plus tard, Kededric quittait la demeure à nouveau silencieuse.

[Kededric]

La nuit était tombée, désormais. Claire, parsemée d'étoiles, fraîche d'une brise légère qui soufflait à intervalles irréguliers, elle était calme également. Au loin, quelques rires résonnaient parfois, en provenance d'un quelconque boui-boui rempli de marins avinés. En-dehors de cela, il régnait un silence opaque dans le quartier. Idéal pour laisser ses pensées voltiger dans son esprit.

Cette affaire du marchand lui laissait un goût amer en bouche. Il avait certes obtenu quelques noms précieux qu'il pourrait utiliser à l'occasion, mais il n'avait pas réussi à avoir des renseignements sur sa cible prioritaire... cible qui était décidément insaisissable. Il était sur sa piste depuis plusieurs semaines, maintenant, et il sentait qu'il n'avait pas avancé d'un fifrelin. Échouerait-il ? Inconcevable... et pourtant. Il avait déjà raté des missions, bien sûr. Et chaque fois, c'était dans des cas similaires à celui-ci : une cible introuvable, malgré tous ses efforts déployés, malgré tous ses contacts en ville et ailleurs...

Évidemment, il disposait encore de quelques atouts dans sa manche. Il sourit dans la pénombre à cette pensée réconfortante. Il n'était pas dans ses habitudes d'abandonner, de désespérer, de penser qu'il allait laisser filer sa cible. Jusqu'au dernier moment, il chercherait, il traquerait, tel le chasseur sa proie. Dans quel terrier celle-ci se cachait-elle ?

Comme pour chercher, il s'arrêta, embrassa les maisons alentours du regard. Des bâtisses sombres, endormies, froides. Pas âme qui vive, en apparence. Le hasard faisait peut-être que sa cible était dans l'une d'entre elles...

Il passa en revue les événements dans leur ordre chronologique. Tout d'abord, la mission confiée, évidemment. L'ordre était, comme d'habitude, par écrit sur un parchemin roulé et cacheté à la cire. Le sceau était toujours le même... il n'avait aucune raison de douter de son origine, mais... la méfiance était une seconde nature, chez lui. Une obligation vitale dans son métier, dans cette cité.

Écrit nerveusement, l'ordre lui intimait de retrouver un marchand qui avait ses activités à Melandis. Coupable avéré de trahison envers l'Empire, ce qui signait son arrêt de mort. Et lui, Kededric, était le bourreau. Mais aussi le limier, car le criminel était introuvable... Il s'était alors mis en quête des proches de ce marchand, dont il ignorait jusqu'au nom. La seule indication qu'il avait concernait le trafic d'armes, soi-disant pour fournir des mercenaires recevant directement leurs ordres de l'empereur et de son entourage. Une couverture qui en valait une autre, sauf quand on voulait trahir ce même empereur...

Au fil des jours, il avait réussi à collecter des informations sur certains de ses comparses. Celui qu'il venait d'éliminer était le dernier en date... et il ne lui avait rien appris de crucial. Sa frustration était grande, il ne pouvait le nier. Certes, il aimait relever les défis difficiles. C'étaient certainement les plus intéressants : tuer de pauvres hères sans défense ne le tentait guère plus depuis longtemps, maintenant. Mais il aimait aussi aller jusqu'au bout des choses, et laisser une affaire inachevée aurait une influence néfaste sur son comportement. Il avait alors tendance à passer son courroux sur quelqu'un. Peu importait qui, il devait relâcher la tension. Heureusement, il n'en était pas encore arrivé à ce point. Pas encore...

Soupirant doucement, il repartit d'un pas plus alerte, vers le Luménien Noyé.

[Taliesin]

En provenance du toit du Luménien Noyé

Silmandel se réceptionna souplement de l'autre côté de la venelle. Devant lui, Clémentine et Alexandre, à nouveau à quatre pattes, avaient repris leur pénible progression. Et derrière lui...

-Je vais te faire ravaler tes insultes, mécréant ! D'autant plus facilement que toi, on ne te veut pas vivant !

Suivit une incantation. Puis, quelques instants plus tard, un projectile enflammé frôla l'ensorceleur, si près qu'il en perçut la chaleur. Mais il le manqua bel et bien et alla percuter une cheminée, quelques mètres plus loin, provoquant une nuée d'étincelles et y laissant une marque sombre, profonde et fumante.

[Manfred]

Mais que de susceptibilité ! Décidément, ces types n’étaient pas drôles. Raison de plus pour... pour... non, c’était assez, plus de provocation. La première avait déjà été de trop. Silmandel le savait fort bien. Le projectiles incandescent le lui avait prouvé. Il avait eu de la chance, sur ce coup-ci. Et la chance, il fallait l’économiser, sans quoi, forcément, elle ferait défaut. L’elfe se contenta donc de suivre le mouvement.

[Taliesin]

Clémentine se réfugia derrière la cheminée et tira son frère vers elle.
-Passez devant ! lança-t-elle à l'ensorceleur. Vous êtes trop exposé et comme ils l'ont dit, ils n'hésiteront pas à vous tuer s'ils le peuvent. Moi, en revanche, ils n'oseront sans doute pas prendre trop de risques...
-Et si je me mettais en dernier ? proposa alors Alexandre. S'ils me lancent un sort, il leur reviendra dessus ! Ça l'a fait quand messire Asmodeus il a essayé de la rendre lumineuse !
-Hors de question. Tu restes devant moi.
-Mais...
-J'ai dit non !

[Manfred]

« Tu manques pas de courage bonhomme, mais ta sœur a raison », déclara Silmandel.

Sans plus tarder, il prit la tête du groupe et se mit à avancer. Diable, Alexandre ne manquait pas de cran. Ce n’était pas vraiment une surprise. Il l’avait déjà remarqué dans les cryptes, le garçon s’était montré très courageux. A croire que sa captivité ne l’avait même pas marquée. Et puis, une robe qui pouvait renvoyer les sorts ? C’était intéressant. Mais mieux valait ne pas trop la mettre à l’épreuve quand même.

« Clémentine, si on reste trop longtemps sur les toit, ils vont nous rattraper par les rues. »

[Taliesin]

-Je sais bien... répondit la jeune femme. Mais les deux qui nous suivent progressent moins mal que je ne l'aurais cru, et nous n'augmentons plus notre avance. Par conséquent, si nous pénétrons dans un grenier, ils sauront lequel et n'auront plus qu'à demander à leurs comparses, en bas, d'investir le bâtiment pour que nous soyons pris en tenaille...
Elle se tut un instant.
-La seule solution que je vois pour l'heure, hormis continuer à fuir, serait de nous faufiler dans une lucarne et d'en ressortir sitôt que vous nous aurez rendus invisibles, pour en gagner une autre, plus loin. Le tout avant que nos poursuivants ne nous aient rattrapés... Est-ce que ça vous paraît faisable ?

[Manfred]

« On peut faire ça. Il ne me faudra pas plus de quelques secondes, une grosse dizaine pour nous rendre tous invisibles. »

Silmandel jeta un coup d’œil par-dessus son épaule. Etant désormais en première position, il avait du mal à observer les poursuivants. Son regard se porta ensuite en bas, dans les rues. Il lui tardait d’y retourner. Au moins pourraient-ils courir. Cette poursuite aérienne n’était pas des plus agréables.

« C’est quand vous voulez Clémentine. »

[Taliesin]

-Il y a une lucarne un peu plus loin... Je vais m'en occuper.
Quelques mètres de progression encore, et ils atteignaient ladite fenêtre.
-Bon, pas le temps d'être discrets... souffla la jeune fille.
Elle rentra la main dans la manche de son manteau, serra le poing et donna un coup violent à la vitre sale qui vola aussitôt en éclats. Elle débarassa ensuite promptement le cadre des morceaux de verre qui s'y accrochaient encore, se faufila à l'intérieur.
Un instant plus tard, ils étaient tous trois dans la pénombre poussiéreuse d'un grenier encombré.
-Vite, ils étaient sur le point de sauter par-dessus la ruelle... fit Clémentine.
-Heu... est-ce que le sort d'invisibilité, il risque pas de, heu... me rebondir dessus à cause de la robe ? s'enquit subitement Alexandre.

[Manfred]

« Heu, ça j’en sais rien », fit Silmandel, qui était sur le point de lancer le premier sort.

Il hésita un bref instant avant d’ajouter :

« Retire la robe, c’est préférable. Et fais vite ! »

Il était prêt à aider pour gagner du temps. Car si du temps ils en avaient assez pour ce qui était initialement prévu, qu’en était-il avec ce changement vestimentaire ?

[Taliesin]

-Hein ?! Mais je vais pas me... commença Alexandre.
-Oh que si ! l'interrompit sa sœur. Et tu ne peux t'en prendre qu'à toi, parce que ce matin, je t'ai dit de ne...
A l'extérieur, ils entendirent un choc sourd, des voix encore lointaines mais pas assez à leur goût.
-Ils s'approchent... lâcha Clémentine. Bon, Silmandel, filez-lui un coup de main et rendez-le invisible. De mon côté, je vais voir si je peux les ralentir.
Tirant une dague de jet de sous son manteau, elle s'embusqua près de la lucarne, scrutant les toits... et esquissant une grimace lorsqu'elle perçut des sons paraissant provenir de l'étage inférieur.

[Manfred]

Silmandel entreprit d’aider Alexandre. Il fallait se dépêcher mais l’elfe savait garder son calme, côté positif de sa témérité. Du coup, point de maladresse, point de temps perdu, tout du moins pas si le garçon y mettait du sien. Des appariteurs en haut, d’autres en bas... peut-être qu’il aurait mieux valut tenter de lancer le sort avec la robe. C’était trop tard pour revenir en arrière. Combien d’ennemis y avait-il ? En éliminer un ou deux, s’était sans doute faisable. Mais un groupe... L’ensorceleur essaya d’échafauder un plan B, au cas où.

[Taliesin]

Si Alexandre grommela copieusement - il semblait avant tout furieux de perdre la possibilité de renvoyer leurs sorts à la figure des Appariteurs -, il n'en mit pas moins du sien, et il ne fallut guère de temps avant qu'il ne soit finalement délesté de la robe aux étranges facultés. Silmandel put dès lors le rendre invisible sans tarder davantage.
-Merde, raté... jura Clémentine, dont la dague avait disparu, alors que l'ensorceleur venait juste de terminer son incantation. Enfin, avec un peu de chance, ça va les inciter à la prudence...
Les bruits provenant de l'intérieur du bâtiment s'étaient sensiblement rapprochés. Manifestement, les marches d'un escalier grinçaient sous des pas aussi lourds que hâtifs...

[Manfred]

Silmandel, sitôt son premier sort achevé, toucha Clémentine et la rendit à son tour invisible. Puis il termina par lui-même.

« On peut y aller. N’entreprenez rien d’agressif ou le sortilège cessera sur le champ. Pour ne pas se perdre, on devrait se tenir dès qu’on a passé la lucarne. »

Il commençait à parler bas, les poursuivants s’approchaient dangereusement. L’ensorceleur pensa, mais sans doute trop tard, qu’il aurait peut-être été judicieux d’ajouter un sort de Message pour communiquer aisément sans risque d’être entendu. Tant pis, ce sera pour plus tard, s’il n’oubliait pas d’ici là, s’il n’y avait pas d’autres impératifs également.

[Taliesin]

Les pas semblaient tout proches, désormais.
-On va continuer dans la même direction, souffla Clémentine. La ruelle suivante est très étroite, elle aussi... On se faufilera par la première lucarne qui se trouve au-delà.
Ils regagnèrent l'extérieur au moment même où une porte s'ouvrait dans le grenier et où les Appariteurs recommençaient à avancer : du coin de l’œil, Silmandel les aperçut, désormais à seulement quelques mètres de lui...
Se tenir les uns aux autres tout en progressant sur les ardoises glissantes ne fut pas chose aisée, d'autant qu'ils devaient veiller à n'en déloger aucune, à ne faire aucun bruit, sous peine d'être immédiatement repérés. Ils y parvinrent cependant, tant bien que mal, et la venelle finit par apparaître devant eux tandis que, dans leur dos, depuis la fenêtre qu'ils avaient franchie, filtraient les échos d'une violente altercation.

[Manfred]

« Vite vite ! Sautons pendant que leur dispute nous offre une couverture sonore. »

C’était si excitant cette fuite ! Le risque, une vraie drogue ! Quelle délectation de filer entre les doigts des appariteurs qui devaient déjà croire l’affaire réglée. Mais l’affaire, justement, n’était pas encore réglée. Crier victoire trop vite serait une erreur. Les poursuivants étaient des mages. Ils pouvaient comprendre ce qui s’était passé. Une chance que l’elfe se soit déguisé sous une apparence qui camouflait sa nature d’ensorceleur. La déduction n’en serait que plus difficile.

Pour l’instant, il fallait passer la venelle tout en étant invisible. Silmandel et Clémentine pouvaient y arriver sans problème. Alexandre, par contre, avait glissé la première fois.

« Clémentine, allez-y. Pensez à vous écarter ou on va se rentrer dedans. J’y vais en dernier. »

[Taliesin]

La jeune femme obtempéra puis appela son frère, qui pu la rejoindre sans encombre, de même que Silmandel, le moment venu.
La venelle était franchie.
Il leur fallut ensuite se retrouver, ce qui prit quelques instants, et se remettre en route, à une allure aussi réduite que précédemment.
Derrière eux, plus de voix furibondes, pas encore d'Appariteurs sur le toit, mais des appels, certains provenant de la rue.
Devant eux, une lucarne, promesse d'évasion. A la fois très proche et désagréablement lointaine, puisque le sortilège qui les protégeait pouvait se dissiper d'une minute à l'autre.
Ils l'atteignirent enfin et, sitôt que Clémentine l'eut ouverte après en avoir brisé la vitre, ils s'y engouffrèrent.
Un nouveau grenier, peut-être encore plus poussiéreux que le précédent.
Ils n'avaient pas posé le pied sur son plancher vermoulu depuis dix secondes qu'ils redevenaient visibles.

[Manfred]

Dernier à pénétrer dans le grenier, Silmandel n’oublia pas de refermer la lucarne aussi discrètement que possible. Ceci fait, il se retourna vers ses compagnons.

« C’était juste », déclara-t-il, tout sourire.

Et c’était bien quand c’était juste. Parce que c’était diablement stimulant. Mais trêve de remarques stériles. Le trio avait encore fort à faire.

« Clémentine, à votre avis, que convient-il de faire à présent ? Je peux encore rendre deux personnes invisibles, vous deux par exemple. Et moi, je peux changer de déguisement. »

L’ensorceleur promena son regard curieux autour de lui. Il dressa aussi l’oreille.

[Taliesin]

Si leurs poursuivants se faisaient toujours entendre à l'extérieur, aucun bruit ne provenait du grenier désert où de l'étage inférieur.
-J'ai peur que votre nouveau déguisement ne soit gâché si vous le revêtez dès à présent, fit Clémentine après un instant de réflexion. Parce que les Appariteurs verrons vite cette vitre brisée, parce qu'ils nous l'imputeront et parce que s'ils croisent un occupant du bâtiment vous ayant remarqué, ils feront aussitôt le lien, comprendrons que vous êtes capable de changer d'apparence...
Elle secoua la tête.
-Sortons d'ici, descendons l'escalier et gagnons la cour arrière : si nous avons croisé quelqu'un d'ici là, nous fuirons sans tarder. Dans le cas contraire, nous prendrons le temps de recourir à vos sortilèges et pourrons nous éloigner plus paisiblement.
-Pfff, ça veut dire que je peux pas encore remettre la robe... marmonna Alexandre.

[Manfred]

« Hé non ! Tu ne pourras plus la mettre, plus jamais, plus jamais de jamais ! » taquina Silmandel.

Il reporta son attention sur la sœur.

« J’ai quand même un sort utile à lancer tout de suite. Il nous aidera à parler sans être entendu. Ça peut toujours rendre service. »

Sur ce, il fit appel à ses pouvoirs. Durant la courte incantation, il désigna du doigt la jeune femme et son frère.

Silmandel --> Message --> Clémentine et Alexandre

« Désormais, si l’un de nous chuchote, les deux autres vont l’entendre. »

Clémentine connaissait déjà ce sortilège, contrairement à Alexandre, d’où l’explication. L’elfe était prêt à suivre le mouvement désormais.

[Taliesin]

Clémentine les mena jusqu'à la porte du grenier, qui s'avéra verrouillée. Qu'à cela ne tienne : la jeune fille sortit un petit instrument métallique de sa poche et le glissa dans la serrure. Quelques instants plus tard, un déclic retentit : elle tourna alors la poignée et le battant pivota sans opposer la moindre résistance.
Ils s'engagèrent ensuite dans un escalier de bois qui grinça copieusement sous leur poids. Pour ne rien arranger, certaines des portes devant lesquelles ils passèrent donnaient sur des pièces manifestement occupées, à en croire le bruit qui en provenait. Cependant, Tymora dut leur donner un petit coup de pouce, car ils n'attirèrent ni ne croisèrent personne.
Parvenus au rez-de-chaussée, ils suivirent un sombre corridor, franchirent une nouvelle ouverture et se retrouvèrent dans une courette crasseuse. A droite, à gauche, d'étroites venelles permettaient d'en sortir.
-ILS SONT LA ! cria tout à coup quelqu'un, depuis les hauteurs.