[Bâtiment] Le Comptoir des Transparences

[Galathée]

Kerun soupira et se massa un moment les yeux.
" Laisse. J'ai suffisamment de choses en tête pour m'occuper pendant des mois de détention. C'est aussi une chose qu'on apprend dans le métier."
Il reposa son assiette à côté de lui et pinça les lèvres.
" Je te remercie d'être venu me voir. Et de m'avoir apporté à manger. J'espère que vos recherches pourront rapidement avancer et que tu retrouveras vite ta compagne. Méfie-toi cependant de l'amateurisme de certains... Tu pourras les repérer aisément, tu as de l'expérience."

[Taliesin]

Taliesin le dévisagea, décontenancé.
-Kerun... On dirait que tu me fais des adieux. Et je n'aime pas ça.
Il croisa les bras.
-C'est moi qui t'ai mis dans cette galère, c'est moi qui t'en tirerai, et je ne repartirai pas de Melandis sans toi. Je ne laisse pas tomber mes amis. De plus... Étant barde, je devrais quand même réussir à persuader les gens de la Réunion que tu es avec nous, pas contre nous. Dans le cas contraire, il faudra vraiment que je songe à changer de métier.
Il hésita un instant puis ajouta :
[color=#FFFFF66]-Et ce que tu as pu faire durant la guerre civile n'y changera rien. Quand, comme moi, on a été le plus abject des monstres, quand on a reçu malgré tout une seconde chance, on apprend certaines choses. L'une d'entre elles, c'est que ce qu'on a été ne compte pas. Ce qui importe, c'est ce qu'on est. Or, tu t'es toujours montré franc et honnête depuis que nous voyageons ensemble. On s'est indéfectiblement serré les coudes dans les moments difficile, on s'est mutuellement sauvé la vie... On forme une bonne équipe, comme tu l'as souvent dit. Alors, j'ai bien l'intention que notre tandem perdure.[/color]

[Galathée]

Kerun sourit.
" Taliesin. Je respecte ta loyauté et la valeur que tu accordes à tes serments. Je suis honoré d'avoir mérité ton amitié. Je t'offre la mienne. Mais..."
Il hésita.
" Je vais m'évader. Je sais que tu préférerais que je n'en fasse rien et que j'attende que tu aies intercédé en ma faveur. Sache que cela ne fonctionnera pas. Ton propre parcours, pendant la dictature, t'a empli d'une mansuétude rare envers ceux qui ont commis des actes répréhensibles sous le règne de Nwalk, mais cette miséricorde, cette compréhension... la plupart des gens ne les partagent pas. J'ai personnellement été contraint à... mal me comporter envers certaines des personnes qui font partie de la Réunion aujourd'hui. Ils ne me pardonneront pas. Même si un barde formidable essaie de les convaincre que le passé est le passé... Non. Je n'avais pas réalisé à qui j'avais affaire, et pour cause : mes hommes sont hors jeu, je ne sais même pas depuis combien de temps. Je me suis jeté dans la gueule d'un loup qui va me broyer si je ne lui échappe pas rapidement. Je vais devoir partir. Mais je ne veux pas que tu y sois mêlé. Tu as raison de placer ta confiance en des personnes qui peuvent réellement t'aider et de ne pas risquer leur confiance à cause de moi... Mais mon devoir envers Luménis exige que je ne me laisse pas tuer bêtement. J'ai encore de nombreuses années de service devant moi."

[Taliesin]

De nouveau, le barde se rapprocha de lui.
-Attends encore un peu, murmura-t-il. Guéric m'écoutera. Constance pourrait m'écouter. Et il n'est pas impossible que, demain, l'artefact dont je dois montrer les pouvoirs me fournisse de quoi te libérer ou de quoi les faire changer d'avis. Parce qu'il procure ce dont on a vraiment besoin, et parce que j'ai vraiment besoin de ça, Kerun. Je ne pourrai pas supporter qu'il t'arrive malheur par ma faute. Trop d'amis sont morts à cause de moi...
Il se mordit la lèvre inférieur puis reprit, d'un ton aux allures de supplique.
-Il n'est pas dit que tu parviennes à t'enfuir, ou que tu ne sois pas tué durant l'opération. Et si tu y arrives, si tu y survis... Ils me soupçonneront. Alors... Attends un peu. Mais si vraiment c'est impossible... Jure-moi au moins que tu ne t'attarderas pas à Melandis. Ce qui tu y verras te révoltera tant qu'à la longue, tu ne pourras t'empêcher d'intervenir. Et tu pourrais y laisser sinon la vie, au moins la raison... Pense à cette petite que nous avons essayé de sauver. Elle est morte, n'est-ce pas ? Ceux que tu essayerais de sauver ici auraient toutes les chances de connaître le même destin, puisque tu n'aurais pas le soutien d'une organisation secrète implantée de longue date.

[Galathée]

L'elfe des bois soupira.
" Maintenant que je suis ici, je ne peux pas partir comme ça, Taliesin. Il faut que je me fasse violence comme tu t'es fait violence autrefois, quand tu as mis les pieds pour la première fois dans la cité du chaos. Je sais que tu viens de loin, que tu avais déjà beaucoup voyagé et vécu, et sans doute mon expérience de la vie est-elle moins tourmentée, mais je ne suis pas certain... Je m'adapterai. C'est mon métier. Je l'ai déjà fait, dans des conditions difficiles, au sein même de ma ville... Je ne commettrai plus l'erreur de sauver le premier esclave venu, de cela tu ne dois plus t'inquiéter. Mais j'ai d'autres agents en ville et ils pourront m'aider... Je ne peux pas rentrer chez moi en fuyant comme un lièvre, ce serait indigne, et je ne suis pas un enfant qu'on effraie aisément. Je saurai museler mon envie de sauver le monde. Les événements au Refuge m'ont, je pense, ouvert les yeux assez vite."
Il eut un sourire triste.
" Je voudrais que tu puisses me laisser aller à mon destin sans t'en soucier davantage. Nous avons formé une bonne équipe et nous avons survécu malgré la trahison de Gauthier et Greta. Mais aujourd'hui, tu t'es trouvé une nouvelle équipe dont je ne peux pas faire partie. Pense à toi, à ta compagne, pense à votre enfant à venir. J'ai un devoir à accomplir. Je sais que ce n'est pas facile à comprendre quand on mène sa propre barque... Mais c'est ainsi."
Il secoua la tête.
" Et débarrasse-toi de cette culpabilité. Je ne mourrai pas par ta faute. Si je dois mourir un jour, ce sera parce que je suis agent secret. C'est bien suffisant pour écourter la vie d'un homme."

[Taliesin]

Le barde secoua la tête. Décidément, dans le genre têtu, celui-là battait des records.
-Pense quand même que tu es censé me surveiller et t'assurer que je tiens parole en me livrant aux autorités luméniennes. Je me livrerai, bien sûr, quoi qu'il advienne. Mais si je rentre sans toi, il y a fort à parier qu'on ajoutera ta disparition à la liste déjà bien longue de mes crimes, et mes dénégations n'y changeront rien : comme personne ne pourra confirmer mes assertions, on pensera que je me suis débarrassé de toi, pour une raison ou pour une autre.
Il n'avait usé de cet argument qu'à contrecœur : culpabiliser Kerun, voire lui laisser croire qu'au fond, il voulait qu'il survive par égoïsme, cela ne lui plaisait pas le moins du monde. Mais puisque tout le reste avait échoué...

[Galathée]

L'argument fit grimacer le Luménien.
" Que me conseilles-tu, alors ? D'attendre dans ce trou ? Si Ybarra sent le vent tourner en ma faveur, elle viendra m'égorger sans attendre que tu essaies de la convaincre ! Je ne pourrai jamais travailler avec eux, Taliesin. Ils ne me feront jamais confiance ! Que vas-tu parvenir à obtenir ? Qu'ils me bouclent dans la cale de la Liberté en attendant le retour à Luménis ? Ou bien qu'ils me libèrent, ce qui reviendra au même que si je m'évade par mes propres moyens ?"
On frappa à la porte.
" Il est temps de sortir, fit la voix de Sedanius, à peine étouffée par la paroi de bois.
— Tu ne me fais pas confiance, dit alors Kerun. Tu ne crois pas que je sois capable de survivre à Melandis."

[Taliesin]

-J'arrive ! lança-t-il.
Puis, sans guère baisser ton - car, dans le fond, cela l'arrangeait que Sedanius l'entende :
-J'ai entière confiance en tes capacités et en ta bonne foi, Kerun. C'est pour ça que je voudrais qu'ils m'écoutent, qu'ils te laissent sortir, qu'ils te laissent leur prouver que tu n'es pas un ennemi. Sauver certains disparus s'annonce si difficile que j'ai du mal à comprendre qu'on se prive de ton aide, sachant à quel point elle serait précieuse. C'est contreproductif... Mais j'essaierai encore de les convaincre. J'essaierai d'autant plus que... Ce qu'on a traversé ensemble, ces derniers jours, a été horrible ; j'en ai été très éprouvé, et je sais que c'est aussi le cas pour toi. Alors te laisser seul, ici, sans ami pour te soutenir... Je trouve que c'est injuste, et cela m'affecte profondément.
Il espérait que Kerun comprendrait que le "ici" en question ne désignait pas uniquement cette minuscule prison. Il pensait qu'il comprendrait.
-Bon, je dois y aller... reprit-il en serrant avec chaleur l'épaule de l'agent secret. Mais j'ai bon espoir que nous nous retrouvions bientôt. Notre tandem reprendre du service et nous aiderons les Luméniens réduits en esclavage comme nous avons aidé les elfes du Refuge.

[Galathée]

Le Luménien secoua la tête, défait, mais n'ajouta rien, se contentant de pousser un profond soupir. La porte s'était ouverte sur le clerc et sa lampe à huile, marquant la fin de leur entretien.
" N'oublie pas l'assiette." dit Sedanius en voyant Taliesin revenir vers lui.
Le barde quitta ensuite la pièce et le clerc remit précautionneusement le cadenas en place. Il déchargea ensuite son compagnon des reliefs du repas, qu'il empila sur son plateau et ils repartirent dans l'entrepôt endormi.

[Taliesin]

Maussade, le barde ne pipa mot de tout le trajet. Il se demandait, amer, pourquoi les choses étaient toujours aussi compliquées, pourquoi chaque étape de son périple s'avérait si difficile. A la rigueur, la trahison de Gauthier et Greta pouvait s'expliquer : peut-être le destin avait-il tenu à ce que les elfes du Refuge soient secourus. Mais ce qui se passait ici et maintenant ? Quel bien ressortirait-il de tout cela ? Aucun, à son avis. Au mieux, il arriverait à faire libérer le Luménien, et l'ambiance de l'organisation deviendrait pour le moins méfiante. Au pire, il ne pourrait empêcher son exécution et la culpabilité l’assaillirait plus fort que jamais. Et, entre les deux, il y avait l'évasion... suivie par des mois d'angoisse, jusqu'à ce qu'il apprenne que l'agent secret était encore en vie.
Non, décidément, l'humeur du Barde n'avait plus rien de légère...

[Galathée]

Quand ils regagnèrent la salle à manger, celle-ci était encore partiellement occupée. Ni Constance, ni Guéric ne s'y trouvaient, mais Ybarra et Lena la drow compulsaient des registres, discutant à mi-voix. La demi-elfe jeta un regard soupçonneux à Taliesin lorsqu'il parut, mais ne dit rien et retourna à son travail. On entendait un chant à deux voix, relativement faux, provenant de la cuisine, et le barde identifia aisément le nain et Aliosha, qui s'en donnaient à coeur joie. Sedanius lui faussa compagnie pour aller les rejoindre. Perceval avait déployé un plan usé et, la tête entre les paumes, paraissait endormi... ou alors très concentré. Une théière et des bols attendaient sagement sur la table, une odeur d'infusion parfumée se diffusant peu à peu dans la pièce.

[Taliesin]

L'elfe fut déçu de ne trouver ni Guéric ni Constance dans la salle. Certes, hormis Ybarra face à laquelle il ne savait sur quel pied danser, il aimait plutôt bien les membres de la Réunion. Cependant, il ne les connaissait pas encore assez pour oser les déranger alors qu'ils paraissaient tous fort occupés. Aussi s'installa-t-il simplement à table. Le moment venu, il remplirait les tasses, manière de prouver qu'il entendait bien prendre sa part de travail au sein de l'organisation, fut-ce pour les tâches les plus quotidiennes.

[Galathée]

Perceval finit par lever les yeux et sourit au barde.
" J'essaie de repérer les villas qui pourraient correspondre à la description que vous nous en avez donnée... Ce n'est pas évident, ce vieux plan est imprécis : des tas de nobles ont refusé qu'on indique clairement à quoi ressemblait leur domaine, ce qui peut se comprendre... De plus, cette copie de la carte officielle a été effectuée à la va-vite, de nuit, pendant une de nos intrusions... J'ai l'impression..."
Il baissa la voix.
" J'ai l'impression que certaines des fioritures qui y figurent sont davantage dues à un manque de talent de la part du cartographe... ou du copiste... que des reflets de la réalité..."
Il jeta un regard vers Ybarra, mais la demi-elfe comparait des notes, concentrée, avec Lena.

[Taliesin]

L'elfe ne sut que penser. Était-ce Ybarra qui avait réalisé la carte ? Perceval voulait-il simplement vérifier qu'elle ne l'ait pas entendu critiquer un autre membre de l'organisation ? Impossible de savoir, et il se voyait mal poser des questions à ce sujet : il n'était pas encore suffisamment à l'aise.
-Ne vous embêtez pas trop, dit-il, amical. A mon avis, arpenter le Havre Bourgeois pourrait permettre de repérer cette demeure. Elle ne doit pas passer inaperçue...

[Galathée]

" Des villas aux allures de petits châteaux, il y en a plus d'une. Et les jardins sont souvent dissimulés par de grands arbres, des murs gigantesques et des haies touffues. J'aimerais autant repérer une dizaine de candidates avant d'aller traîner dans la rue... Les gardes sont nombreux et ils n'adorent pas les gens qui se promènent sans raison dans le quartier, surtout s'ils ont l'air de scruter les façades à la recherche d'un cambriolage à organiser..."
Perceval sourit.
" Il faudra ensuite que nous nous trouvions un point d'entrée."

[Taliesin]

-Je pourrai convoquer un hibou géant et examiner le quartier depuis les airs : ce serait très efficace ! Bon, évidemment, il faudrait que personne dans le secteur ne lève les yeux, sans quoi, je ne passerai pas tout à fait inaperçu...
Il se fit plus sérieux.
-J'espère vraiment qu'Ybarra me laissera vous aider. Je sais à quel point il serait risqué que je sois reconnu, mais... Je pense qu'on peut trouver une couverture si contraire à ce que j'étais lors de ma précédente visite en cette ville que personne n'imaginera jamais que c'est le Prophète Gris qui se cache dessous.

[Galathée]

" Je te déconseille le hibou si tu veux qu'elle te laisse sortir... fit Perceval avec un petit sourire en coin. Léna n'est pas mauvaise en transmutation, elle pourrait sûrement altérer ton apparence... mais ce genre de sortilège n'est jamais très long, et il faudra donc en réserver l'usage pour des interventions très précises, au cours desquelles tu ne risques pas de retrouver ta forme originelle au plus mauvais moment..."
Il tendit la main vers la théière mais Taliesin put anticiper son geste et le servir.
" J'ai vraiment bon espoir pour ta compagne. Cela devrait être une des plus aisées à retrouver. Ce que je vais dire est cynique, mais... une esclave enceinte a beaucoup de valeur. L'intendant du noble qui l'a achetée devait le savoir au moment de l'acquisition, si elle en est déjà à sept mois. Il l'a donc fait en toute connaissance de cause. En cela, les chances qu'elle et le bébé soient encore vivants sont très élevées, et elle est sans doute même relativement bien traitée... Si ça veut dire quelque chose dans sa situation, bien sûr. Ensuite, bon, il faudra trouver un moyen de l'acquérir, mais avec l'argent que vous nous avez rapporté de vos mésaventures en mer, nous aurons largement de quoi."

[Taliesin]

S'il comprit très bien les explications de Perceval, il n'en frémit pas moins. Pauvre Galathée. Pauvre bébé... Enfant de criminel vendu comme esclave avant même d'être né : pouvait-on imaginer pire départ dans la vie ?
[color=#FFFFF66]-J'espère cependant que cela ne vous obligera pas à tout dépenser, car il faut également de l'argent pour les autres disparus. Quand je pense que Kerun et moi avions récupéré 600 pièces d'or sur des esclavagistes, avant d'être capturés par les sbires de Maebryn... Enfin, mieux vaut ne pas y repenser. Mieux vaut, aussi, ne pas penser à ce que j'aurais pu vous rapporter si j'étais libre de pratiquer mon métier...[/color]

[Galathée]

" N'aie pas de regrets. Tu es vivant, c'est le principal. Tu retrouveras bientôt ta compagne et vous rentrerez à Luménis, dit-il en posant une main amicale sur son épaule. Pour le reste, nous avons presque toujours trouvé un moyen de récupérer les esclaves que nous avons retrouvés. Ta compagne sera dans nos moyens. Le paladin va être autrement plus difficile à sortir des arènes, crois-moi. Il serait quasiment moins cher de le faire tuer et de demander à l'aubemestre luménien de le relever ensuite."
La porte qui donnait sur la cour s'ouvrit sur Guéric et Constance. Ils s'installèrent près de Taliesin et du jeune guerrier et acceptèrent des bolées d'infusion avec joie.
" Vous devriez songer à aller vous coucher." dit Ybarra en se levant.
Son regard se posa ensuite sur Perceval.
" Nous nous réunirons demain matin. Tâche d'être debout.
— Ce n'est pas moi qui aurai fait la bringue toute la nuit !
— Arion et Meloenn sont toujours ponctuels."
Elle sortit ensuite vers les chambres.

[Taliesin]

Et bien, cette Ybarra paraissait du genre sévère. Mais c'était sans doute indispensable pour diriger une telle organisation...
-Alors Guéric, c'était quoi le défi, déjài ? s'enquit-il joyeusement. Fêter mon retour en vidant toute la cave de la Réunion en une seule nuit ? Et bien, on a intérêt à commencer maintenant, non ? L'avantage, c'est qu'on sera encore debout à l'aube, donc parés pour la réunion...
Comme amorce de discussion, il aurait pu choisir autre chose qu'une plaisanterie. Cependant, cela lui avait paru être la meilleure solution pour éviter de trop broyer du noir et de s'apesentir sur les pensées négatives qui lui emplissaient la tête.

[Galathée]

Perceval eut une grimace puis jeta un regard vers Lena.
" Je crois que vous n'êtes pas conviés à la réunion en question, fit la jeune drow avec un sourire désolé. Mais je vais quand même aller vous chercher de quoi boire avant de me coucher... Comme ça vous ferez une bonne grasse matinée."
Le jeune guerrier se leva à son tour.
" Je vais me coucher moi aussi. Ybarra ne plaisante pas et j'ai eu une rude journée."
Les deux membres de la Réunion s'esquivèrent, abandonnant les deux matelots de la Liberté et le barde en tête à tête. Constance soupira et sourit, mais le coeur n'y était manifestement pas.
" Bah, ils ont raison ! Ça nous fait plus de temps pour nous détendre !" s'exclama le halfelin.

[Taliesin]

-Je n'aime pas ça.
Il faillit se plaquer la main sur la bouche, comme un gamin qui vient de dire une bêtise. Il esquissa même le geste car la phrase lui avait réellement échappé. Mais qu'importe : avec Guéric et Constance, il se sentait en confiance. Autant poursuivre, alors... mais à voix basse.
-Je trouve déjà étrange qu'ils m'excluent, alors que je vais passer le plus clair de mon temps enfermé ici et ne courrai donc acun risque d'être capturé, alors qu'ils m'aident à retrouver Galathée et n'ont donc aucune raison de craindre une trahison. Mais bon, admettons. En revanche, qu'ils vous tiennent à l'écart, vous, alors que vous êtes membres de l'organisation... Je ne vois qu'une explication : ils vont discuter de Gauthier et de Greta. Et de Kerun. Peut-être surtout de Kerun. Et je crains qu'ils n'aient des projets bien sombres à son sujet.
Il jeta un regard autour de lui.
-Je me fais sans doute des idées. Je suis déjà méfiant par nature, mais mon séjour au Refuge n'a rien changé. Cependant... Je n'aime pas ça.

[Galathée]

Constance pinça les lèvres.
" Ils vont discuter de Kerun, oui. Depuis que nous avons mentionné son nom, en arrivant ici... Ils l'attendaient, quelque part. Ils étaient persuadés que vous finiriez par faire votre apparition. L'idée qu'il ait pu manigancer un plan tordu pour gagner ta confiance leur a paru... tout à fait plausible. Presqu'évident, dit Guéric.
— C'est un agent des services secrets. Je vous l'ai dit quand vous avez voulu l'embarquer. Je vous ai dit qu'il essaierait d'influencer nos manières de faire, intervint Constance. Mais j'ignorais qu'il était connu de certains des membres de cette cellule. Vu que vous aviez disparu, nous n'avons pas caché sa réelle identité. Je sais que c'était quelque chose qu'il avait exigé, pourtant... J'imagine qu'il s'attendait à recevoir un mauvais accueil.
— Ce que je ne comprends pas, c'est... s'il avait des hommes ici, il aurait dû savoir qu'il allait se retrouver dans de beaux draps." ajouta Guéric.

[Taliesin]

-Je me pose la même question. Sans doute, après que ses hommes aient été découverts et éliminés, s'est-on mis à lui envoyer de faux rapports... Je ne sais pas. Mais il y a forcément une explication logique.
Il se tourna vers Constance.
-Kerun ne nous a rien imposé. D'emblée, il m'a dit qu'il me forcerait à tenir parole si je faisais mine de devenir un parjure. Pour le reste, il n'a jamais intrigué contre nous à bord de la Liberté, il n'est pour rien dans mon enlèvement et si je suis là aujourd'hui, c'est en grande partie grâce à lui. Qu'il soit agent secret n'a donc rien changé... Jusqu'à son arrivée ici, où on ne lui a pas laissé une chance de s'expliquer, où on l'a aussitôt enfermé... Et maintenant, il craint pour sa vie. Je crains aussi pour sa vie.

[Galathée]

Guéric pinça les lèvres.
" Tu sais, ils n'ont pas tué ses hommes, dit le halfelin.
— Guéric... murmura Constance.
— Il a le droit de savoir.
— Nous allons devoir travailler tous ensemble ! Et ces hommes étaient des traîtres à la solde de...
— A la solde de Luménis, oui."
Il se tourna à nouveau vers le barde.
" Ils les ont vendus, simplement."

[Taliesin]

Ce fut un tel choc que le barde resta un moment pétrifié, la bouche entrouverte, ses yeux écarquillés rivés sur Guéric.
Puis, à nouveau capable de bouger, il se leva. Se ravisa. Se rassit.
-Je...
Il se mordit violemment la lèvre.
-Je vais partir. souffla-t-il, plus bas que jamais. Je ne peux rester parmi des gens qui, pour sauver de malheureux Luméniens asservis, livrent d'autres ressortissants de cette cité aux esclavagistes, des ressortissants dont le seul tort est de travailler pour le compte d'un gouvernement qui est sans doute le plus bienveillant à des milliers de lieues à la ronde. Je ne peux rester parmi des gens qui au mieux feront subir le même sort à l'un de mes amis, au pire l'élimineront purement et simplement.
Il ferma les yeux un instant, lâcha un bref soupir.
-Je vais partir. Cette nuit. Avec Kerun. Nous retrouverons Galathée, puis nous rentrerons à Luménis. Je vous jure, sur ma vie, que je ne nuirai en rien à la Réunion, que je l'empêcherai de lui nuire. Mais je dois le sauver. Il est là par ma faute, et s'il lui arrivait malheur... je ne pourrais m'en remettre. Ma conscience est déjà par trop chargée...
Il dévisagea le capitaine et son matelot.
-Capitaine, Guéric, je vous remercie pour votre franchise et je vous assure que vous n'aurez pas à la regretter : je ne trahis pas mes amis. Mais vous êtes en sécurité alors qu'un autre est en danger... Il me faut donc le secourir.

[Galathée]

" Ne fais pas ça ! s'exclama Constance. Seuls, dans cette cité hostile, vous n'avez aucune chance de venir en aide à Galathée ! Elle est enceinte, elle aura besoin d'un lieu sûr pour se reposer, vous aurez besoin de la Liberté pour rentrer... Tous les membres de la Réunion n'étaient pas d'accord avec la décision prise au sujet des Luméniens. Je le sais, elle hante encore plusieurs d'entre eux, et les tensions que cette action a générées ne sont pas éteintes...
— Ils ne feront jamais subir la même chose à Kerun. Ne fût-ce parce qu'ils savent qu'il s'évadera très vite..."
Constance lui jeta un regard noir.
" Oui, c'était une erreur, et elle nous scandalise, nous aussi, mais... mais ces hommes les ont trahis... Beaucoup des membres de la Réunion ont été trahis et... ils ne pensent plus toujours droit... Surtout quand il s'agit des services secrets luméniens... Il n'y a pas de haine envers Luménis, entends-moi bien. Il y a juste... une immense déception de voir que rien n'est fait, à l'échelle officielle, pour intervenir... ou du moins soutenir le mouvement... Les services secrets ont été complices ou témoins, selon les versions, de nombreuses déportations... A l'heure où la Réunion s'est créée, ils ont refusé de lui venir en aide. De former ses membres, a minima. Le ressentiment est énorme ! Je sais que ça n'excuse pas la vente des deux agents qui surveillaient leurs activités mais... mais peut-être cela l'explique-t-il en partie..."

[Taliesin]

-Je comprends tout cela, capitaine, dit-il, déployant de gros efforts pour rester assis, pour s'exprimer d'un ton calme. Oui, leur attitude s'explique. D'ailleurs, mes propos n'étaient en rien un jugement : vu ce que j'ai été, vu ce que j'ai fait, je suis indigne de juger qui que ce soit ! Mais j'ai peur pour Kerun, je l'avoue, et je crois que c'est à raison. D'accord, ils ne le vendront peut-être pas, par crainte qu'il s'échappe et, une fois libre, qu'il cherche à se venger d'eux. Mais ils ne le garderont pas non plus sous clef jusqu'à ce que la Liberté lève l'ancre et puisse le ramener sur Hélonna. Ils craindront en effet qu'il n'informe ses supérieurs du sort réservé à ses hommes. Car que ce passerait-il, si cela arrivait ? Les autorités luméniennes éradiqueraient purement et simplement la Réunion : jusqu'ici, elles se sont abstenues de l'aider, elles l'ont même fait surveiller, mais elles l'ont tolérée. Ce ne serait plus le cas si elles découvraient que le groupe a sciemment vendu comme esclaves des agents secrets. Par cet acte, l'organisation s'est virtuellement condamnée, et son seul espoir de salut est qu'il demeure éternellement secret.
Il se tourna plus franchement encore vers ses deux compagnons.
[color=#FFFFF66]-Alors ils vont le tuer. C'est la solution la plus pragmatique, pour eux. Et on a vu à quel point ils pouvaient se montrer pragmatique... Mais je ne peux laisser faire une telle chose.[/color]
Il soupira puis reprit, d'un ton décidé :
-Ainsi, je n'ai pas le choix : je dois aider Kerun à s'enfuir. Et je dois l'accompagner pour le convaincre de mentir à sa hiérarchie, pour éviter que la Réunion ne soit détruite. Et j'ai bon espoir qu'il m'écoute.

[Galathée]

" Tu n'es pas obligé de dire à Kerun ce qu'il est advenu de ses hommes. Je ne pense pas que qui que ce soit l'ait fait, jusqu'ici, dit Constance. Si tu penses devoir l'aider à s'enfuir... Je peux comprendre que tu te sentes une dette envers lui... mais tu n'es pas obligé d'aller avec lui. Nous témoignerons en ta faveur, s'il devait disparaître. Nous dirons aux Luméniens que tu n'es pas responsable. N'hypothèque pas tes chances de retrouver Galathée, même si les méthodes de certains membres de la Réunion te dégoutent..."
La porte s'ouvrit alors sur Lena, transportant une bouteille ventrue et poussiéreuse qu'elle déposa sur la table, avec trois verres. Elle sembla ne rien remarquer de la tension qui régnait dans la pièce.
" Je vous ai dégotté un vin de pissenlits de Solarcis. Une rareté lumineuse, à consommer sans modération. Mais ce n'est pas trop fort. Je ne voudrais pas que notre demi-portion roule sous la table."
Elle sourit.
" Nous aurions dû fêter ton arrivée miraculeuse avec plus de faste, Taliesin, mais elle nous a pris au dépourvu ! Nous y remédierons demain soir, quand toute l'équipe sera réunie."

[Taliesin]

Le geste était touchant et celle qui l'avait accompli sympathique. De plus, comme elle faisait peut-être partie de ceux qui s'était opposés à la vente des agents secrets, il trouva assez de ressources en lui-même pour faire bonne figure.
-Merci beaucoup, Lena. dit-il en lui adressant un sourire.
Cependant, il ne préféra pas parler de la fête du lendemain. Il y avait fort à parier que, d'ici là, il aurait quitté pour toujours les locaux de la Réunion.