[Quête] Dans les contreforts des Pics des Orcs

[Galathée]

Reynald la suivit dans la grotte et commença par passer une tunique avant de retourner à l'entrée. Tandis qu'elle ranimait leur feu, il examina l'ouverture d'un air critique, puis fouilla dans son sac et en sortit un petit bâton d'encens qu'il vint allumer dans les braises rougeoyantes. Il revint en arrière et entreprit de tracer une inscription sur le sol, tout le long de l'entrée. Celle-ci, lumineuse, scintillait au fur et à mesure qu'il progressait. Il chantait également à mi-voix, un air répétitif et grave, qui chargeait ses mains d'énergie pulsatile. Cela lui prit une dizaine de minutes et lorsqu'il revint vers la rôdeuse, souriant, les flammes étaient hautes et l'inscription avait disparu. Pour faire bonne mesure, il éternua.

[Voyageuse]

Astrée observa avec intérêt le manège du clerc, tout en s'activant à allumer le feu. Elle prit le temps de caresser doucement le chanfrein de Prince, le félicitant pour son intervention et pour sa vigilance. Il avait les probablement sauvés tous les deux.
Lorsque Reynald revint vers le feu, elle lui tendit une couverture en souriant.
- Je vais faire une infusion pour nous requinquer un peu, enveloppe-toi là-dedans en attendant.
Elle mit un peu d'eau à bouillir, et fouilla dans sa sacoche à la recherche de thym, d'eucalyptus, et de miel.
- Ce n'est certainement pas aussi efficace qu'un peu d'énergie divine, mais c'est tout ce que je peux te proposer, fit-elle en s'asseyant près de lui, passant un bras autour de ses épaules pour le réchauffer - et se réchauffer elle-même.
Elle jeta un dernier regard vers l'entrée, un peu intriguée.
- Avec l'inscription magique que tu as tracée au sol... qu'est-ce qui se passe au juste si quelqu'un essaie d'entrer dans la grotte ? Ou même de sortir ?

[Galathée]

" Si tu t'inquiètes de savoir si tu pourras aller danser nue dans la rosée ou simplement te soulager à l'aube... Et bien, à moins d'être une engeance du démon, tu ne risques rien."
Il sourit et l'embrassa doucement.
" L'inscription sert à spécifier ce qui peut entrer et ce qui ne le peut pas... Et rassure-toi, si ce qui ne peut pas entrer n'est pas tué, juste immobilisé. J'espère simplement que j'ai pensé à tout... Mais disons que nous pourrions retrouver une longue ribambelle de moustiques pétrifiés le long de la ligne demain..."
Il se tourna vers elle.
" Nous devrions nous recoucher... mais je vais garder ma tunique. Et demain soir... Ou plutôt ce soir, devrais-je dire... nous dormirons à l'auberge, si tu veux bien..."

[Voyageuse]

Astrée hocha la tête. Ils avaient eu leur lot d'émotions fortes pour la nuit...
- Tout ça pour le plaisir de dormir dans un lit confortable avec un vrai matelas, bien moelleux..., répliqua-t-elle néanmoins avec un sourire amusé. C'est vrai que ça a d'autres avantages...
Elle retira l'eau bouillante du feu, y mit quelques feuilles à infuser, et l'embrassa à son tour, avec douceur, avant de poursuivre, plus sérieusement.
- Mais c'est d'accord, pour l'auberge. C'est moins risqué. Tant pis pour les veillées au coin du feu...
L'infusion parfumait agréablement l'intérieur de la caverne. La rôdeuse se sentait légèrement somnolente, et posa un moment la tête contre son épaule. Elle faillit même oublier de leur en servir chacun une tasse.

[Galathée]

" C'est de ma faute, fit Reynald. J'avais les moyens de nous protéger mais je me suis laissé emporter par... ah... par la douceur de ces derniers jours... J'ai la mémoire courte, il faut croire. Mais bon... Je ne suis pas clerc de Milil pour rien. Si j'étais inquiet et vigilant, on m'aurait sans doute envoyé ailleurs. A moins que ce ne soit l'inverse. Je ne me souviens plus !"
Il sirota pensivement son infusion.
" Comment t'es-tu tournée vers la nature ? demanda-t-il ensuite. C'est pour ma chanson. Mais je changerai ton nom !"

[Voyageuse]

"Reynald..., protesta la rôdeuse. Je n'ai rien d'une héroïne de chanson, je t'assure... Après, c'est vrai que tu fais des chansons avec tout, même avec de pauvres légumes innocents, j'imagine que je vaux bien un tubercule... Mais en échange, je veux savoir comment tu t'es retrouvé prêtre !"

Elle but quelques gorgées, cherchant à rassembler ses souvenirs. Pourquoi la nature ? Excellente question. Elle ne savait plus trop à vrai dire...
"Donc, pour répondre à ta question... je ne sais pas exactement. Peut-être en réaction à l'attitude de mon père, un citadin, aimant trop l'argent et le pouvoir, les armes et la guerre aussi. J'étais en rébellion permanente contre lui. Je le serais encore s'il était toujours en vie, d'ailleurs. Il faisait du trafic d'esclave sur la Houleuse, à destination de Mélandis, tu vois le genre... Il a même fini par s'installer dans la cité du chaos de ce que j'en ai appris. Mais peu importe. C'est une partie de ma vie que j'ai fui il y a bien longtemps."
Elle grimaça, et poursuivit.
- Il y avait un rôdeur, dans la petite ville de pêcheurs où je vivais enfant, qui savait rendre passionnants les mystères de la nature. Il racontait bien, il me montrait des tas de choses incroyables. Et il était pour moi une figure paternelle bien préférable à celle de mon père légitime. Il a dû partir vivre au loin un beau jour, chassé de la région par des rumeurs soigneusement orchestrées, sans doute parce qu'il avait trop d'influence sur moi. Mais dès que j'ai pu, j'ai quitté ma famille pour le rejoindre. Je m'en souviens très bien, j'avais quinze ans. J'ai fui sur un coup de tête, pendant la nuit, et j'ai mis le cap sur les montagnes où il vivait. Sans jamais revenir en arrière."

[Galathée]

" Je reconnais que c'est là une ascendance difficile à porter... Et c'est tout à ton honneur d'être parvenue à t'extirper d'une influence malfaisante qui aurait pu faire de toi une esclavagiste dans la veine de ton père..."
Il frissonna et tendit la main pour lui effleurer la joue.
" Je peux à peine y songer... Avoir grandi, vécu si longtemps, dans cet univers... Ça a dû être terrible. Je suis surpris que tu ne fasses pas davantage de cauchemars... En même temps... En même temps, la vie a continué depuis, je suppose, et nous sommes des êtres résilients... Mais je suis admiratif... Je pense toujours que je vais écrire une chanson. Mais elle n'aura peut-être pas la tonalité que j'avais prévu au départ..."
Il se tourna vers le feu.
" Et que lui est-il arrivé, à ce fier rôdeur qui a pu t'arracher à ton sang ?"

[Voyageuse]

- Il est toujours en vie, quelque part dans la cordillère du faucon, je suppose... En fait je n'en sais rien. Il m'a cachée quelques temps, déguisée en garçon pour éviter qu'on ne me reconnaisse. Mon père me faisait rechercher, il avait des relations, et puis il comptait me marier à un noble Mélandien je crois. il ne m'a pas retrouvée bien sûr. Et un jour, un jeune barde, beau et charmeur, est venu à passer dans notre petite communauté. Il faut croire que j'ai une attirance innée pour les joueurs de luth... Mais donc, je l'ai suivi sur les routes de Dorrandin. Il fallait bien un jour que je parte vivre ma propre vie. Jo l'a bien compris. Je l'ai revu une fois ou deux, lorsque nous avons eu l'occasion de revenir dans la région. Mais les liens se sont distendus, et je ne sais même pas s'il vit toujours là-bas. Ni s'il vit tout court d'ailleurs. Mais il n'y a pas de raison, il était solide... J'aurais dû prendre des nouvelles plus souvent, maintenant que tu m'y fais penser.
Elle soupira.
- Et je te rassure, je n'avais pas que des influences maléfiques dans mon enfance. Il y avait aussi ma mère, ou du moins le souvenir que j'en avais puisqu'elle est morte quand j'étais petite. Elle était douce et aimante, trop effacée et trop soumise sans doute. Et très proche de la nature. Je n'ai jamais su exactement à quel point, j'étais trop petite pour comprendre tout ça. C'était sans doute aussi pour m'identifier à elle que je passais autant de temps avec Jo...
Elle lui sourit, et lui prit doucement la main.
- Maintenant, c'est à ton tour... Qu'est-ce qui peut bien pousser un beau jeune homme à devenir prêtre itinérant ?

[Galathée]

" Je ne suis plus si jeune, Astrée ! Et... Je le chante, mon parcours... Je suis un des orphelins de la chanson."
Il eut un sourire tranquille.
" Je suis né dans un village près d'Edhoras en même temps que ma soeur, Sybille. Les jumeaux étaient mal considérés, à l'époque. Ils le sont encore mais l'influence luménienne a tempéré les traditions ancestrales de la Trouée, je te l'ai déjà expliqué... Bref, nous étions deux bébés un peu trop semblables, mais nos parents ne voulaient pas se débarrasser de nous, en dépit de la pression du village tout entier. Nous avons vécu quatre ans dans la plaine, fermiers je suppose, je n'ai pratiquement aucun souvenir de cette époque. Et puis mes parents sont morts pendant un hiver rude, d'une maladie quelconque. Ils étaient encore jeunes et ni Sybille, ni moi n'avons succombé, du coup, les rumeurs ont été bon train et quand la soeur de ma mère, qui vivait à Bortheias, est venue nous chercher, il était bien clair qu'elle ne garderait qu'un seul d'entre nous. Sybille était d'une beauté époustouflante, déjà à cette âge-là, tandis que je n'étais qu'un gamin rêveur, un rouquin en plus, bref... Elle m'a mis à l'orphelinat d'Eredhun et elle a ramené Sybille chez elle."
Son regard se perdit un moment dans les flammes.
" L'orphelinat d'Eredhun est un vivier pour les temples. Les enfants qui y sont savent qu'ils deviendront clercs dès qu'ils sont en âge de comprendre ce que ça veut dire. C'est un endroit, contrairement à ce qu'on peut croire, plutôt lumineux. Il n'y règne nul désespoir... La nourriture est bonne, même ! Et les adultes plutôt compétents, dans l'ensemble. Et quand on atteint huit à dix ans, on sait qu'on va entrer au Temple. On attend ça avec impatience, parce que les Temples, à Eredhun, c'est tout l'univers ! Une fois par mois, les clercs viennent rencontrer les gosses. C'est un grand jeu d'approche... Ça peut paraître sinistre, mais en fait, ça ne l'est pas... Les enfants portés sur l'art partent chez Milil ou Lathandre, parfois... Ceux qui rêvent de combattre vont chez Tyr ou Torm... Les graines de rôdeurs optent pour Mielikki ou Sylvanus... Non, la palette est tellement large que chacun y trouve son compte, au moins un temps. Ensuite... Défroquent ceux qui le désirent. Mais je crois que c'est plutôt rare."
Il haussa les épaules.
" J'ai rencontré Tybert sur le tard, j'avais déjà plus de vingt ans. Nos fois sont compatibles avec le voyage : protéger les sources pour lui, rassembler du savoir bardique pour moi... Nous avions besoin de bouger, je suppose. J'avais envie d'arpenter ma contrée natale, aussi... Ça s'est fait très naturellement."

[Voyageuse]

- Tout de même, c'est étrange, cette ambiance à Erhedun, ces coutumes concernant les orphelins. Moi qui suis un peu fâchée avec les dieux depuis quelques années, j'ai un peu la sensation que les temples profitent de la situation pour obtenir un vivier de futurs prêtres. Mais en même temps, les orphelins sont sans doute mieux là que dans les rues... Tu avais l'air d'en avoir de très bons souvenirs, d'après ce que tu m'as raconté et chanté.
Elle se tut un instant, craignant de l'avoir choqué. Après tout il était prêtre lui aussi, et faisait partie de ces temples qui recrutent de futurs clercs...
- Finalement tu as trouvé ta voie. Avec Tybert. Et ces voyages t'ont permis aussi de revoir ta soeur, j'imagine... Si j'en crois la chanson si triste que tu as chantée l'autre jour.
Elle passa un bras autour de ses épaules et l'attira avec douceur contre elle, en un geste de réconfort.

[Galathée]

" Bien sûr que les clercs profitent de la situation ! s'exclama Reynald sans se vexer. Mais en même temps, les orphelins en profitent aussi. Il n'y a pas de mainmise des temples sur les adoptions, et on ne prend jamais des gosses de moins de huit ans... Or ils ont tout le temps d'être adoptés avant ça. Mais comme je le disais, et c'est quelque chose qu'on comprend mal, quand on n'est pas dans ce métier... Il y a pléthore de voie, dans le clergé. Certains temples sont très structurés, d'autres complètement éclatés, certaines divinités aiment l'obéissance, d'autres la fantaisie, certaines aiment le silence, d'autres le bruit... Je suis sûr que n'importe qui pourrait trouver son bonheur dans un temple. Il y a toujours à faire. Il y a peu d'interdits, si on choisit selon son coeur. J'aurais pu être paladin, barde ou rôdeur, et quand même être clerc. J'aurais pu me marier et avoir dix enfants, j'aurais pu m'élever et devenir chef de culte, j'aurais pu me consacrer à la méditation..."
Il sourit.
" Mais je ne te convaincrai pas, je le vois dans tes yeux... Je n'ai nuls regrets. Cette carrière m'a permis de venir à Bortheias, de retrouver Sybille, de partager avec elle des bribes de ce qui nous a été ôté... Et à présent, elle est morte, oui. Et c'est sûr que ma formation, et ma foi, font qu'à travers le drame et la déchirure que cela représente pour moi, je suis peut-être moins révolté, parce que je sais qu'elle est ailleurs et que nous nous retrouverons, sous une forme ou une autre."

[Voyageuse]

Astrée soupira, songeant avec tristesse à Gwendal, à Aurore.
- il y a des moments où j'aimerais avoir ta foi... Je n'ai jamais réussi à avoir la moindre conviction de revoir un jour ma fille et mon mari. Ca aurait été moins difficile, peut-être, si j'avais eu cette certitude que tu as en toi. Pour moi, ils m'ont juste été arrachés, trop tôt, et injustement. Ma réaction n'a été que colère et dégoût de la vie... ça peut sembler absurde, j'imagine, mais il est difficile, quand on perd tout ce qu'on a, de parvenir à prendre le recul nécessaire. Tu as de la chance d'avoir pu le faire... et finalement c'est grâce à ta foi de prêtre.
Chassant ces tristes pensées de son esprit, elle lui sourit.
- Et il est évident que tu as choisi une voie qui te convenait parfaitement. Il n'y a qu'à t'écouter chanter, ou raconter, pour voir combien tu es à ta place en tant que Sorlyn. Peut-être que tu aurais pu être barde, aussi... Mais non, il me semble que tu préfères recueillir les histoires des gens qui t'entourent, essayer de percer leur âme, venir en aide quitte à te retrouver pris dans des aventures totalement rocambolesques, plutôt que donner des représentations....

[Galathée]

Il la serra doucement dans ses bras et posa un baiser sur le front.
" Je suis désolé d'avoir ramené ces souvenirs douloureux à la surface, murmura-t-il. Je n'ose imaginer la douleur d'une telle perte... Peut-être aurais-je perdu mes certitudes, moi aussi... La foi, même véritable, n'est pas indestructible."
Il lui redressa le menton, l'embrassa sur les lèvres et l'étreignit plus fort.
" Où qu'ils soient, ils sont en paix. C'est peut-être la chose la plus importante. Elle n'efface rien de notre chagrin, mais... mais eux ne souffrent pas, ce doit être une consolation, quelque part... C'est la partie de nous qui est morte avec eux dont nous devons faire le deuil... Et un jour, un jour tu trouveras de parler d'eux avec le sourire, j'en suis certain."

[Voyageuse]

Astrée se laissa aller contre lui. Elle avait le cœur trop serré, encore aujourd'hui, à chaque fois qu'elle en parlait. La douleur était là, soigneusement enfouie au fond d'elle, presque oubliée, mais ne demandant qu'à resurgir à la moindre occasion. Elle ferait le deuil, pourtant, un jour. C'était inévitable.
- J'imagine, oui... Il faut juste que je laisse le temps faire son oeuvre.
Le deuil passait, pour le moment, par l'oubli, nécessaire pour se protéger de cette souffrance encore présente. Plus tard, peut-être, pourrait-elle en parler sans tristesse. Certainement même....

Elle se blottit dans les bras du Sorlyn. Son étreinte, ses paroles douces et sages, étaient un baume sur sa blessure. Un baume bien incapable de la soigner, mais suffisant pour l'apaiser un peu, pour l'enfouir à nouveau dans l'oubli bienfaisant.
Elle ferma les yeux, laissant la tristesse s'évacuer, concentrant ses pensées sur le bien-être qu'elle ressentait à poser la tête contre son épaule. Elle finit par lui sourire et déposer un léger baiser sur ses lèvres.
- Je crois qu'on ferait mieux de dormir, murmura-t-elle.

[Galathée]

" La voix de la sagesse..." souffla-t-il en l'aidant à se lever.
Ils abandonnèrent le feu pour regagner leur couche et s'y enfouir. Astrée avait encore de la toile d'araignée un peu partout, mais il était bien trop tard pour s'en soucier, et ils se pelotonnèrent l'un contre l'autre. Le sommeil les gagna peu à peu, chassant les images des ettercaps surgissant au coeur des ténèbres, du lointain passé et de ses disparus.

Puis Astrée émergea dans un petit matin lumineux, lorsqu'une abeille vint lui butiner le nez. Une bouilloire sifflait sur le feu, Reynald chantait tranquillement, debout à l'entrée de la caverne, nimbé d'une lumière dorée. Ils avaient survécu, une nuit de plus...

[Voyageuse]

Astrée cueillit l'abeille sur le bout de son doigt avec un sourire amical.
Elle se redressa sans bruit pour ne pas déranger la concentration du clerc, l'écoutant en silence et observant l'aura qui l'entourait. Elle se sentait toujours emplie de curiosité face à cet étrange mystère qui lui octroyait, chaque matin, tous ces pouvoirs divins.

Elle avait envie de se débarrasser de quelques restes de toile d'araignée, rêvait de se laver à l'eau fraîche des torrents, mais elle ne voulait pas le distraire. Aussi se contenta-t-elle de s'approcher du feu et de la bouilloire qui chantait, fouillant dans leurs provisions pour y trouver un peu de pain, de confiture et de fromage. Elle s'assit, toujours en silence, respectueuse de ce moment de communion entre le clerc et son dieu. Cette aura qui le nimbait le rendait encore plus beau, et sa voix était si envoûtante. Elle lui sourit avec tendresse. Les mésaventures de la nuit précédente étaient déjà loin.

[Galathée]

Reynald termina ses prières peu après et lui décocha un sourire amusé.
" C'est censé être un moment très très très privé, dit-il en s'approchant d'elle et lui volant un baiser. Mais je reconnais que j'aurais pu aller plus loin..."
Il contempla leur petit déjeuner avec intérêt puis se coula à côté de la rôdeuse.
" J'ai un peu déchargé mon répertoire de spectacle et renforcé mon arsenal défensif. On pourrait croire qu'avec toutes ces années sur la route, j'aurais pris l'habitude d'équilibrer mes sortilèges, mais il faut croire que l'amour rend distrait..."
Il huma le thé et sourit.
" Bon, nous avons une petite trotte à faire d'ici au prochain village... Et il y a une petite rivière un peu plus à l'ouest. Peut-être auras-tu envie d'y... nettoyer les amabilités de l'ettercap."

[Voyageuse]

Astrée grimaça.
- Oui, je me sens encore un peu gluante... Je n'en reviens pas que tu oses embrasser une femme dans mon état, d'ailleurs ! L'amour rend aveugle...
Ce qui ne l'empêcha pas de lui voler un baiser au passage.
- Une petite rivière bien froide, c'est exactement ce qu'il me faut. J'ai quelques points communs avec Tybert au fond. Ça ne doit guère changer tes habitudes
Elle servit deux tasses de thé, et lui tendit quelques tartines qu'elle avait eu le temps de préparer.
- Il y a une auberge, dans ce village ?

[Galathée]

" Absolument ! Bon, ce n'est pas le grand luxe.. Mais nous nous en contenterons !"

Les jours suivants se déroulèrent sans accrocs particuliers, au rythme du pas des ânes et des giboulées subites qui les détrempaient en selle, les forçant à s'arrêter pour se sécher. A la piste large des débuts succédèrent de petits sentiers de plus en plus pentus et rocailleux où, comme l'avait dit Reynald, leurs montures étaient parfaitement à leur aise. Ils virent de moins en moins de cavaliers, de plus en plus de fermiers tranquilles, de bergers itinérants et de colporteurs transportant quelques marchandises dans des petits chariots bâchés. Reynald fit goûter mille spécialités locales à Astrée, entre saucisson d'antilope, fromage de bique, miel des pâturages et petits alcools pas piqués des hannetons distillés à partir de plantes locales. Le clerc était inlassablement de bonne humeur, avait toujours une anecdote ridicule ou terrifiante à raconter, une chanson à entonner, une légende à relater, si bien qu'ils définirent de nécessaires moments de silence sur la journée, pendant lesquels il se perdait en grimaces muettes pour essayer de la faire rire.
A la nuit, ils trouvèrent des petites auberges, quelques chambres, une demi-douzaine de tables, dans les patelins qu'ils croisèrent sur la route. Reynald connaissait vaguement les environs, s'aidait de la carte de la rôdeuse, récupérait de temps en temps un souvenir, mais il était manifeste qu'il n'était plus venu depuis un bon moment. Personne ne paraissait le reconnaître et il en était ravi. Ils arrivèrent, vaille que vaille, à la moitié de leur périple, et les plaines avaient définitivement cédé la place aux plateaux. Les Pics des Orcs étaient encore distants mais leur silhouette massive se dessinait sur l'horizon. Le chemin devenait escarpé, parfois carrément impraticable et ils devaient faire des détours ou mettre pied à terre, notamment pour traverser des petits torrents glacés, profitant du dégel pour caracoler avec enthousiasme. Vint le huitième jour de leur voyage et l'humeur de Reynald commença à péricliter. Il demeurait affable et enjoué lorsqu'il parlait avec la rôdeuse mais elle surprenait des moments où il paraissait plus fatigué, l'esprit ailleurs, ou soucieux. Il leur restait deux soirs lorsqu'ils s'arrêtèrent dans le village de Forterive, sans doute le bourg le plus important qu'ils aient croisé depuis leur départ de Bortheias. Perché en moyenne montagne, il se trouvait au croisement d'une toile de chemins secondaires reliant une multitude de hameaux perdus dans les hauteurs. Grand luxe, il y avait même deux auberges !

[Voyageuse]

Ces quelques journées de voyage avaient passé comme un enchantement. Et surtout, bien trop vite. Astrée ne se laissait pas d'écouter les anecdotes et les chansons de son compagnon, appréciant pleinement son humour et son inextinguible bonne humeur. Le paysage était magnifique, la naturelle belle et sauvage comme elle l'aimait. La vie était merveilleuse...

Comme elle se l'était promis, elle profitait du voyage au jour le jour, refusant de songer au lendemain qui arrivait toujours trop tôt, évitant de compter les jours qu'il leur restaient à partager. Mais les jours passaient, le temps avançait, inexorablement. Son humeur commençait à s'en ressentir, et celle du clerc également même s'il le cachait probablement mieux qu'elle.
Elle se disait qu'il faudrait qu'ils parlent... de ce moment de séparation, de ce qui serait ou pas après, de ce qu'ils voulaient, l'un et l'autre. Mais elle n'osait pas aborder le sujet. Elle se refusait même obstinément à se poser la question à elle-même. Et pourtant il faudrait bien y venir...
A défaut de trouver les mots, elle s'efforçait de trouver les gestes, doux et tendre, qui lui disaient combien elle était bien avec lui, combien il comptait. Plus silencieuse que d'habitude, elle lui prenait la main sans raison, juste pour profiter de ce simple contact, lui volait un baiser. Et le regardait, inlassablement.

Elle laissa bien sûr Reynald choisir l'auberge. Même si ses souvenirs de la région étaient flous, il avait davantage l'habitude. Elle ne put faire taire la petite voix qui lui soufflait qu'il ne restait que deux jours, cette petite voix qu'elle avait réussi à réduire au silence jusque-là... Deux jours, c'était si peu...

[Galathée]

Reynald mit pied à terre sur la place principale de Forterive et se dirigea vers la plus vaste des deux auberges.
" Je me souviens de cet endroit... J'avais logé au Chamois d'Argent et honnêtement... Je crains qu'ils ne se souviennent de moi, malgré les années... Je propose donc que nous options pour les Faveurs de la Montagne. J'imagine que tu auras encore l'occasion d'y goûter la bonne cuisine roborative du coin... Heureusement que tu vas crapahuter dans les hauteurs ensuite..."
Il lui jeta un regard malicieux.
" Je vais prendre une chambre, tu peux t'installer dans la salle, j'arrive tout de suite."
Il la gratifia d'un baiser sur le nez puis ils entrèrent. La grande salle était décorée de trophées d'animaux et de peintures bucoliques, des petits bouquets de fleurs sauvages décoraient les tables aux nappes rouges, et une serveuse imposante, avec un fond de sang orque dans son ascendance, dirigea la jeune femme vers une place libre, tandis que le clerc gagnait le comptoir.

[Voyageuse]

Ainsi, l'autre auberge risquait de se souvenir de lui ? Et pas en bien apparemment. Il faudrait qu'elle le questionne un peu plus à ce sujet. Elle s'était découverte une curiosité insoupçonnée ces derniers jours, comme si ce trait de caractère du sorlyn avait déteint sur elle... même si sa curiosité à elle était avant tout portée vers tout ce qui concernait Reynald.

Elle se dirigea vers la table indiquée par la serveuse, sans pouvoir s'empêcher de lui jeter un regard un peu plus appuyé qu'à l'ordinaire. Elle semblait avoir du sang orque dans les veines. Quoi de surprenant en bordure des Pics des orcs, finalement ?
Mais son regard dévia bien vite vers l'examen attentif de la salle et des autres convives, en attendant le retour du clerc.

[Galathée]

Reynald revint peu après et prit place en face d'elle, s'étirant lentement. La poussière maculait leurs vêtements et leur visage ; il avait fait chaud puis froid, puis chaud encore au cours de la journée, tandis que le soleil jouait à cache-cache avec les nuages.
" Voilà qui est fait... dit-il. Bon. Forterive est le dernier bourg d'importance avant que tu ne grimpes définitivement... Les Etourneaux n'est qu'à une journée d'ici, maintenant, et puis je pourrai t'accompagner un peu plus loin, mais il faudra que je te laisse bientôt."
Il eut une petite grimace et étouffa un léger soupir.
" Je ne te conseille pas d'interroger les gens sur l'Arbre ici. Cela risque de les rendre méfiants car les aventuriers en quête de merveilles sont légion, malheureusement... Sans compter que la majeure partie des habitants du coin pensent qu'il s'agit d'une légende et se contenteront de hausser les épaules en te cataloguant parmi les farfelus en quête de miracles."

[Voyageuse]

Astrée soupira.
"D'accord..."
Trouver un arbre mythique sans avoir le droit de poser de question à quiconque... Elle avait beau être prévenue, c'était tout de même assez... spécial, comme démarche.
"Je ne vois vraiment pas comment ma recherche peut avoir la moindre chance d'aboutir... même si Maedron m'a fait comprendre, en quelque sorte, que je devais juste avancer et laisser venir les événements... j'avoue que c'est un peu dur à imaginer, alors que je ne sais ni quoi faire ni où aller."
Elle grimaça.
"Mais j'ai promis de ne plus t'en parler, donc je ferais mieux de changer de sujet ! Je sais que de toute façon tu ne peux pas m'accompagner dans cette étrange quête... Mais tu vas me manquer. Pas seulement comme guide...
Elle baissa la tête, le coeur serré.

[Galathée]

Quête : Equité

Il lui releva la tête et lui sourit doucement.
" Tu me manqueras aussi. Mais je chanterai pour toi dans ma prison dorée. Peut-être m'entendras-tu, à travers les lieues qui nous séparent, dans les trilles d'un oiseau..."
Il entrecroisa les doigts dans les siens.
" Nous nous reverrons à l'Equinoxe, quand tu mèneras Prince à Goran. Mais si ta quête a abouti..."
Son sourire se fit plus douloureux et il soupira.
" Je ne dois rien en dire, je sais. Et c'est mieux, Maedron a raison. L'Arbre viendra à toi si tu sais suivre ce qu'il y a en toi. J'en suis persuadé."

[Voyageuse]

Quête : Equité

Pourquoi ce sourire douloureux en évoquant ce qui serait si sa quête aboutirait ? Qu'est-ce que cela changerait ? Il se reverraient, de toute façon... non ? Les questions lui brûlaient les lèvres. Mais elle avait promis de ne pas le questionner... et de toute façon, promis ou non, elle n'avait pas le droit de le pousser à révéler plus que ce qu'il avait le droit de faire. Maedron l'avait bien mise en garde. Mais que c'était dur... Il aurait mieux fait de ne rien dire, plutôt que de laisser cette phrase inachevée, restée en suspens entre eux.
Elle s'efforça à l'optimisme.
- J'imagine que je le trouverai, puisque vous me le dites tous. C'est juste que je ne sais pas comment. Et que cette tristesse parue un instant dans tes yeux m'inquiète subitement... Peut-être que je ne devrais pas continuer, peut-être que je devrais... je ne sais pas...
Rester avec lui ? Resdecendre ? Elle secoua la tête.
- Mais non, je me suis promis d'essayer, de faire tout ce qui est en mon pouvoir pour réussir. Donc je dois y aller. Et réussir. Et lorsque je reviendrai... Maedron dit que tu as mis ton aventure en chanson, j'espère bien pouvoir l'entendre un jour ! conclut-elle avec un sourire, un peu forcé peut-être.
Elle serra doucement ses mains et déposa un baiser léger sur ses lèvres.

[Galathée]

" Je te promets que je te la conterai à ton retour. Mais il faudra que Goran m'en donne la permission... Tu seras rentrée bien avant deux mois..."
Il lui caressa la joue.
" Montons. Nous pouvons demander à manger dans notre chambre. Je ne supporte pas de t'avoir si proche et si lointaine à la fois. J'ai besoin de pouvoir te serrer contre moi sans me soucier des quatre paires d'yeux qui sont présentement en train de nous observer."
Il se retourna brusquement, surprenant deux vieilles femmes qui replongèrent dans leur thé, empourprées, tandis qu'un fermier au comptoir courbait les épaules, et que la serveuse reprenait son astiquage méticuleux de la table voisine.

[Voyageuse]

Astrée se retint pour ne pas éclater de rire.
- A croire qu'ils n'ont pas l'habitude de voir des couples d'amoureux. C'est vrai qu'ils ne doivent pas souvent voir des étrangers, et que ce n'est pas exactement le genre d'endroit où on va généralement en lune de miel...
Elle arborait un large sourire, les yeux brillants d'amusement.
- Tu comprends maintenant pourquoi je préfère les soirées tranquille en amoureux cachés dans une grotte... sans ettercap, bien sûr, de préférence ! Mais je reconnais que ne pas avoir à préparer le repas, et surtout bénéficier d'un matelas confortable, sont des atouts non négligeables.
Elle se leva, sans lâcher sa main.
- Mais tu as raison, si on peut demander à manger dans notre chambre, profitons-en, on y sera plus tranquilles.
En temps ordinaire elle aurait été gênée de donner ainsi davantage de travail aux serveuses... mais on n'était pas en temps ordinaire.

[Galathée]

Reynald la guida vers l'étage et leur chambre, la dernière tout au fond du couloir. C'était une petite pièce bien aérée et le lit, qui prenait quasiment toute la place, était des plus accueillants. Le clerc posa son sac sur le sol, puis se débarrassa de ses bottes et de son pourpoint, avant de se laisser tomber en arrière sur la courtepointe. Il demeura inerte un moment puis poussa un profond soupir.
" Astrée, Astrée, Astrée, pourquoi donc es-tu venue te glisser dans mon univers, petite poussière d'étoile ? Que suis-je supposé faire, à présent ? Chanter des complaintes mélancoliques jusqu'à la fin des temps ? Prier Sunie d'avoir pitié ?"
Il se retourna.
" Serais-tu bonne et m'apporterais-tu mon luth ? Et un baiser, aussi... S'il te plait."

[Voyageuse]

Et elle, qu'était-elle sensée faire... ? Elle garda cette pensée pour elle. C'était une question pour laquelle elle n'avait pas de réponse, de toute façon...
Elle avait quitté ses chaussures, son manteau, et s'était assise juste à côté de lui, songeuse. Mais elle résista à la mélancolie qui menaçait de l'envahir et sourit à sa demande.
- Le baiser d'abord !, fit-elle d'un ton taquin en se penchant sur lui, effleurant d'abord à peine ses lèvres, avant de l'embrasser plus longuement, avec une fougue intacte. Elle ressentait fortement le besoin de ce contact physique, encore plus, peut-être, maintenant qu'elle réalisait combien les jours étaient comptés.
- Je t'amène ton luth... souffla-t-elle en se dégageant doucement, presque à regret, pour aller le lui chercher.